La conférence de l'Association des universités africaines (AUA) s'est ouverte à Tripoli, en Libye, sur un constat accablant. Le quotidien sénégalais Le Soleil fait le point sur la situation.
Le phénomène n'est peut-être pas nouveau, mais la fuite des cerveaux prend des proportions qui inquiètent plus d'un intellectuel sur le continent. Tant elle constitue une menace pour les bases du développement des pays africains comme la santé, l'économie, l'éducation, etc.
Selon le Pr Hatungimana de l'université du Burundi, aujourd'hui "un tiers des intellectuels africains vivent à l'étranger. Les 20 000 scientifiques et ingénieurs que compte le continent ne représentent que 3,6 % de la population scientifique mondiale." Pire, la fuite tend à s'accélérer, indique le professeur. L'Organisation internationale de la migration (OIM) estime que "23 000 universitaires et 50 000 cadres supérieurs et intermédiaires quittent chaque année (le continent), tandis que 40 000 Africains titulaires d'un doctorat vivent hors du continent. Les deux tiers des étudiants restent dans les pays d'accueil après une formation, faute de perspectives dans leurs pays d'origine", fait-il remarquer.
Pour combler ces fuites, le continent fait non seulement appel au personnel qualifié en provenance des pays occidentaux (100 000 expatriés non africains) mais également débourse de fortes sommes.
Au Burundi, la diminution des professeurs-docteurs est inquiétante. Le manque d'enseignants pousse l'université à recourir à l'expertise extérieure. "Sur les 500 enseignants de l'université, 63 % d'entre eux n'ont pas le titre de docteur, et le taux moyen d'encadrement est de 73 étudiants par professeur, alors que la norme de l'UNESCO est de 16 étudiants. De plus, 61 % des professeurs sont partis faire leur doctorat et ne sont pas revenus. Parmi ceux qui sont restés au Burundi, 23 % sont partis au Rwanda, qui a su créer des conditions d'attraction", révèle le Pr Hatungimana. "La problématique est donc grave", conclut le professeur.
Il regrette qu'au Sud la mobilité des professeurs soit perçue comme une manière d'arrondir ses fins de mois et non comme une forme de stimulation (comme c'est le cas au Nord). "C'est tout simplement une forme de fuite déguisée", estime l'enseignant. Se pose dès lors un problème de qualité, alors que la recherche est presque inexistante.
Le Dr Johnson M. Ishengoma, de Dar es-Salam (Tanzanie), a, quant à lui, axé son intervention sur la fuite de cerveaux interne (au sein du pays), qu'il lie à de mauvaises conditions de travail (salaires dérisoires, manque d'équipements, de budget, etc.).
De nombreux pays paient ainsi un lourd tribut. A en croire un rapport du PNUD de 1993, "plus de 21 000 médecins nigérians exerçaient aux Etats-Unis". Un nombre qui a sans doute fortement progressé depuis. Selon le recteur de l'Université d'Ibadan, sur les 300 médecins formés par an, moins d'une dizaine restent dans le pays. D'après le Pr Yacub, du Nigeria, "10 000 professeurs nigérians travaillent aux Etats-Unis". Il lie le phénomène aux troubles politiques et sociaux, à la pauvreté, au manque de livres, de financement, etc. "Depuis 1985, les salaires ne satisfont pas aux besoins des enseignants."
Selon l'ONG Organisation des personnels infirmiers d'Afrique du Sud (DENOSA), l'Afrique du Sud perd chaque mois plus de 300 infirmiers spécialisés. Plus grave, le pays a perdu 7,8 milliards de dollars à cause de la fuite de sa main-d'œuvre qualifiée depuis 1997.
Quant au Bénin, le nombre de ses médecins exerçant en France est supérieur à celui de leurs collègues restés dans le pays. En Zambie, sur les 600 médecins formés depuis 1964, seuls 50 s'y trouvent encore, tandis qu'au Ghana 80 % des praticiens quittent leur pays cinq ans après l'obtention de leur diplôme.
L'Association médicale du Ghana estime que 600 médecins originaires de ce pays pratiquent leur discipline à New York. Or le pays a besoin d'un minimum de 3 000 médecins. Il y aurait plus de médecins éthiopiens exerçant à Chicago qu'en Ethiopie. Le mal touche presque tous les pays du continent.
Les efforts pour arrêter la fuite ne manquent pas. Il s'agit de sensibiliser les gouvernements pour créer des conditions d'attraction, les bailleurs de fonds pour éviter d'imposer des compétences extérieures.
"L'argent des bailleurs est utile, mais il ne saurait soigner nos enfants, seuls les médecins le peuvent", dit le Pr Hatungimana. "Il faut améliorer les conditions de travail des enseignants en revalorisant d'abord les salaires, avoir un lien entre l'Etat et l'université", ajoute le Pr Yacub.
Daouda Mane - Le Soleil
Source: courrier international
(M)
Le phénomène n'est peut-être pas nouveau, mais la fuite des cerveaux prend des proportions qui inquiètent plus d'un intellectuel sur le continent. Tant elle constitue une menace pour les bases du développement des pays africains comme la santé, l'économie, l'éducation, etc.
Selon le Pr Hatungimana de l'université du Burundi, aujourd'hui "un tiers des intellectuels africains vivent à l'étranger. Les 20 000 scientifiques et ingénieurs que compte le continent ne représentent que 3,6 % de la population scientifique mondiale." Pire, la fuite tend à s'accélérer, indique le professeur. L'Organisation internationale de la migration (OIM) estime que "23 000 universitaires et 50 000 cadres supérieurs et intermédiaires quittent chaque année (le continent), tandis que 40 000 Africains titulaires d'un doctorat vivent hors du continent. Les deux tiers des étudiants restent dans les pays d'accueil après une formation, faute de perspectives dans leurs pays d'origine", fait-il remarquer.
Pour combler ces fuites, le continent fait non seulement appel au personnel qualifié en provenance des pays occidentaux (100 000 expatriés non africains) mais également débourse de fortes sommes.
Au Burundi, la diminution des professeurs-docteurs est inquiétante. Le manque d'enseignants pousse l'université à recourir à l'expertise extérieure. "Sur les 500 enseignants de l'université, 63 % d'entre eux n'ont pas le titre de docteur, et le taux moyen d'encadrement est de 73 étudiants par professeur, alors que la norme de l'UNESCO est de 16 étudiants. De plus, 61 % des professeurs sont partis faire leur doctorat et ne sont pas revenus. Parmi ceux qui sont restés au Burundi, 23 % sont partis au Rwanda, qui a su créer des conditions d'attraction", révèle le Pr Hatungimana. "La problématique est donc grave", conclut le professeur.
Il regrette qu'au Sud la mobilité des professeurs soit perçue comme une manière d'arrondir ses fins de mois et non comme une forme de stimulation (comme c'est le cas au Nord). "C'est tout simplement une forme de fuite déguisée", estime l'enseignant. Se pose dès lors un problème de qualité, alors que la recherche est presque inexistante.
Le Dr Johnson M. Ishengoma, de Dar es-Salam (Tanzanie), a, quant à lui, axé son intervention sur la fuite de cerveaux interne (au sein du pays), qu'il lie à de mauvaises conditions de travail (salaires dérisoires, manque d'équipements, de budget, etc.).
De nombreux pays paient ainsi un lourd tribut. A en croire un rapport du PNUD de 1993, "plus de 21 000 médecins nigérians exerçaient aux Etats-Unis". Un nombre qui a sans doute fortement progressé depuis. Selon le recteur de l'Université d'Ibadan, sur les 300 médecins formés par an, moins d'une dizaine restent dans le pays. D'après le Pr Yacub, du Nigeria, "10 000 professeurs nigérians travaillent aux Etats-Unis". Il lie le phénomène aux troubles politiques et sociaux, à la pauvreté, au manque de livres, de financement, etc. "Depuis 1985, les salaires ne satisfont pas aux besoins des enseignants."
Selon l'ONG Organisation des personnels infirmiers d'Afrique du Sud (DENOSA), l'Afrique du Sud perd chaque mois plus de 300 infirmiers spécialisés. Plus grave, le pays a perdu 7,8 milliards de dollars à cause de la fuite de sa main-d'œuvre qualifiée depuis 1997.
Quant au Bénin, le nombre de ses médecins exerçant en France est supérieur à celui de leurs collègues restés dans le pays. En Zambie, sur les 600 médecins formés depuis 1964, seuls 50 s'y trouvent encore, tandis qu'au Ghana 80 % des praticiens quittent leur pays cinq ans après l'obtention de leur diplôme.
L'Association médicale du Ghana estime que 600 médecins originaires de ce pays pratiquent leur discipline à New York. Or le pays a besoin d'un minimum de 3 000 médecins. Il y aurait plus de médecins éthiopiens exerçant à Chicago qu'en Ethiopie. Le mal touche presque tous les pays du continent.
Les efforts pour arrêter la fuite ne manquent pas. Il s'agit de sensibiliser les gouvernements pour créer des conditions d'attraction, les bailleurs de fonds pour éviter d'imposer des compétences extérieures.
"L'argent des bailleurs est utile, mais il ne saurait soigner nos enfants, seuls les médecins le peuvent", dit le Pr Hatungimana. "Il faut améliorer les conditions de travail des enseignants en revalorisant d'abord les salaires, avoir un lien entre l'Etat et l'université", ajoute le Pr Yacub.
Daouda Mane - Le Soleil
Source: courrier international
(M)