« Assurons-nous bien du fait avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point » (Fontenelle, Histoire des oracles, Première dissertation, chapitre IV, 1687)
M. Touré,
Toute discussion mobilisant la raison (non la passion haineuse et gratuite) peut dissiper les malentendus pour peu que chacun soit animé de la volonté de comprendre l’autre sans lui prêter des intentions qui ne sont pas les siennes. Naturellement, les réponses ne vont pas nécessairement à M. TOURE qui fait preuve d’une hauteur et d’une élégance qui l’honorent. Ceux qui discréditent des causes nobles à force de s’agiter avant de comprendre devraient en prendre de la graine. Et puisque vous interpellez Abdoulaye Diagana en ami, vous aurez une réponse amicale (et il n’y a aucune raison pour que ça change).
« Assurons-nous donc du fait avant que de nous inquiéter de la cause ». L’article incriminé est un commentaire libre comme on en voit tous les jours dans tous les journaux du monde. Il procède de l’analyse et du décryptage des propos contenus dans l’entretien accordé à KASSATAYA par M. Biram Ould Dah, président d’IRA. Il faut faire confiance aux lecteurs qui sont assez matures pour ne pas faire la confusion entre les deux : les propos et l’analyse qui en découle. Ce serait faire injure à l’intelligence des lecteurs que de les croire incapables de faire la distinction.
Le fait est que l’interview comporte des déclarations jugées à KASSATAYA comme importantes. Il en est ressorti trois articles de décryptage qui avaient pour principal objet de mettre en valeur les parties essentielles plutôt que de les laisser se noyer dans la masse (ironie du sort, nous avons reçu des protestations de lecteurs trouvant que nous faisions une trop grande place au sujet). Il ne s’agit que de propos tenus par l’auteur. Le premier avait trait aux motifs invoqués par IRA pour justifier sa position par rapport à la marche organisée par la COD le 12 mars 2012. D’où l’article «Biram Ould Dah: Pour faire partir Ould Abdel Aziz du pouvoir je suis prêt à m’allier avec Ould Sidi Baba et Ould Mohamed Vall mais… ». Aucune vague. Aucune réaction.
Le deuxième sujet a inspiré l’article « Biram Ould Dah à KASSATAYA : « Penser qu’on est frères juste par la couleur de peau c’est superficiel et erroné ». Pas de réaction. Pas de vague.
Mais quand parait « Biram Ould Dah : « Boidiel Ould Hoummeid et Messaoud Ould Boulkheir sont dans le camp qui s’oppose à l’émancipation des haratines », tous les piliers qui soutiennent le ciel disparaissent comme par enchantement !!! Tous ces propos ont été librement tenus en connaissance de cause. Quelle raison aurions-nous de penser que leur auteur ne souhaite pas qu’ils soient rendus publics alors qu’ils ont été présentés comme étant le fond de sa pensée qu’il souhaitait faire connaître ? Si l’intéressé était revenu sur ses propos, avant publication, nous ne les aurions jamais publiés ; parce que le but n’est pas de piéger ou de courir au scoop mais de rendre compte de ce que pense la personne. Rien de plus. Et après, comme toujours, c’est la faute au journaliste avec les procès en sorcellerie instruits par les « jeunes champions d’une cause un peu vieille » (Musset), avec le zèle qui caractérise les nouveaux convertis et l’intransigeance des jeunes procureurs!!!
Vous écrivez par ailleurs que « Laisser entendre que le militant est, peut être mu, par de simples calculs pour l’héritage ou la succession de qui que ce soit me semble un peu facile et même scandaleux. » C’est tout à votre honneur d’user de l’atténuateur « peut-être ». Cette impression « bizarre » qu’a provoqué chez vous le texte en question vient d’une seule expression : « fonds de commerce ». Et si on suivait pour une fois le conseil du philosophe en nous assurant du fait avant que de nous inquiéter de la cause ? Méthode lente pour les pressés mais qui a le mérite de nous mettre à l’abri du ridicule d’expliquer ce qui n’est pas !
L’expression a été employée dans son sens premier, donc comme « patrimoine », « capital » (au sens d’accumulation mais non primitive tel que le conçoit Marx). Sauf qu’en plus des sens cités plus haut, il y avait dans le texte, le capital moral et matériel humain (attention encore à la précipitation : matériel au sens de palpable et dégradable). Il ne s’agissait en aucune façon du sens vulgaire qui lui est généralement attribué (attention : vulgaire au sens de populaire, commun) ; c’est-à-dire exploitation mercantile et intéressée (sens qui lui a été donné par exemple pour dire que les demandeurs d’asile et les associations de défense des droits de l’homme se servent de la cause des victimes pour des avantages mercantiles). Alors pourquoi du sens premier et du sens dérivé n’est retenu que le second alors que le contexte et le ton général du texte ne s’y prêtent pas ? Le mot nègre aussi est polysémique. Il ne renvoie pas à la même réalité avec Aimé Césaire (comme quand il se définit comme un nègre fondamental) ou avec Guerlain quand il traite les nègres de paresseux. Sujet sensible aussi ? Les Mauritaniens en entendent pourtant toujours parler quand il s’agit d’épingler « les nègres de service ». Personne pour s’en émouvoir.
S’agissant enfin de l’engagement de certains militants des droits de l’homme, heureusement que les combats ont commencé depuis bien longtemps et que de générations en générations, témoins, héritages, capital et fonds de commerce (oui : au sens de patrimoine matériel et immatériel, les acquis moraux et humains) sont transmis. Leur constitution est le fruit d’efforts conjugués et de nature variée. Nul ne saurait dire de quel poids ont pesé un mot prononcé dans un salon, une lettre écrite dans un journal, une conférence faite dans un amphithéâtre, une allocution dans un colloque, un discours prononcé… par des hommes qui sont restés constants ou par d’autres qui y sont arrivés après retournements de vestes, circonvolutions, valses-hésitations, reptations et autres renversements d’alliance. Comme dirait Bernard Pivot, « finalement les gens aiment bien qu’on leur gratte la tête pour activer neurones et circulation du sang ».
Dans toutes les luttes, se pose toujours, à un moment ou à un autre, la question de la relève. Il serait étonnant que la Mauritanie et la question de l’esclavage y échappent. Qu’y a-t-il de scandaleux ? Sauf à penser que l’Histoire ne commence qu’aujourd’hui et qu’il n’y a rien à transmettre ou à prendre. Ne serait-ce pas cela plutôt le vrai scandale ? Les hommes qui se sont battus pour des sujets « sensibles » devraient être mis à l’abri de la discussion ? De la critique ? Des questionnements ? Faire comme le demande le gouvernement en évitant de poser des questions sur la gestion de l’armée Mauritanienne ou sur les questions de sécurité par exemple ? Quelle différence entre ces deux postures ? Parce que venant du gouvernement c’est forcément un vice ? Et de la part des autres c’est forcément vertueux ? Curieux non cet esprit manichéen?!
Il serait utile de s’interroger plutôt que de se laisser distraire par des divergences périphériques nées d’une mauvaise interprétation d’une expression par trop popularisée. Il peut y avoir divergence sur les moyens, non sur les objectifs. Lors de la caravane d’Inal en novembre 2011, à l’aube, les pèlerins ont pu entendre des chiens aboyer au passage de leur caravane. Ils ne se sont pas laissé distraire pour autant. A KASSATAYA, il y a une Charte qui assume un parti pris pour certaines causes : la démocratie, la liberté d’expression, la lutte pour la justice et l’égalité des droits (les crimes commis contre les noirs de Mauritanie et les pratiques esclavagistes en sont). Cette caravane aussi passera son chemin. En dépit des aboiements. Avec ou sans les retournements d’alliance. Avec les hommes d’aujourd’hui ou ceux de demain. Il y a tant de choses utiles à faire. Il vaut mieux orienter le trop-plein d’énergie vers cela plutôt que de vouloir reprocher à un média de faire son travail. Intimider, invectiver, terroriser chaque fois qu’une question est posée ou un débat est suscité sans aller dans le sens voulu. On voit le complot partout au point de laisser soupçonner une paranoïa. Nul n’a oublié ce que cela a donné en URSS sous Staline (le radical de l’adjectif Stalinien), avec les oukases, les bannissements dans des goulags, les purges selon le bon vouloir d’un guide éclairé comme l’était la Perspective Nevski. Attitude curieuse de la part de personnes disant s’élever contre la dictature et la tyrannie du conformisme et de la pensée unique. Si le but c’est de remplacer des rois par d’autres roitelets, la Mauritanie n’est pas sortie de l’auberge.
Voilà pour lever un malheureux malentendu et en espérant avoir donné les explications « exigées ». Ici, l’incident est clos. Sauf s’il ya d’autres motivations. Il n’y aura alors pas de bagarre faute de combattants : parce qu’ici, il n’y a pas de gens qui se bagarrent inutilement.
Abdoulaye DIAGANA
Source: Kassataya