L’annonce, par la CENI, de la date des élections municipales et législatives est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique. Même au sein de l’UPR et de certains partis de la majorité qui réclamaient, depuis quelques mois, l’organisation rapide de ces élections, pour mettre fin à ce qu’il convient d’appeler l’«illégitimité» des institutions parlementaires et municipales actuelles dont le mandat est arrivé à terme fin 2011.
Le communiqué de la CENI, au lieu de mettre fin à la tension politique a plutôt ajouté à la confusion, renforcée par l’attitude des médias publics qui ont choisi de carrément zapper la déclaration de la commission. Chose qu’ils ne peuvent se permettre sans l’avis du Palais gris. Quelle mouche a donc piqué la CENI à fixer, tout de go, la date des élections, sans aucune concertation, pas même avec celui qui l’a mise sur pied ? Surtout qu’elle avait entrepris, la veille, des concertations avec les différents pôles politiques de la place. Si le président de l’AJ/MR reconnaît que son parti a eu la primeur du communiqué, lors d’une rencontre avec la commission, d’autres disent n’en avoir reçu ne serait-ce que la moindre allusion…
La CENI a ses raisons
Voici quelques raisons que pourrait avancer la CENI pour fonder sa décision. En agissant de la sorte, la CENI chercherait à prouver son indépendance ; du pouvoir, surtout. Et pour cause, mise en place après l’accord politique entre la majorité présidentielle et une partie de l’opposition, devenue, depuis, Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) soutenant l’initiative du président Messaoud Ould Boulkheïr, la CENI a vite été contestée par la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) militant pour le départ du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz, actuel président de la République. Pour la COD, l’actuelle commission électorale n’est pas suffisamment indépendante, dans la mesure où la confection du fichier électoral, le transport des urnes, etc. ne relèvent pas de ses compétences. Selon une source proche de la CENI, il existe, au sein de cette commission, une réelle volonté de faire les choses dans la transparence et sans parti pris. Sa décision de fixer, seule, la date des élections en serait, ainsi, la plus parfaite illustration.
La seconde raison serait de mettre notre démocratie à l’heure, au plus tôt. Une démocratie ne peut pas continuer à fonctionner à vue, affirme la même source. En fin de mandat depuis bientôt deux ans, l’Assemblée nationale et les municipalités ne peuvent plus continuer à le proroger indéfiniment. La décision de la CENI se fonderait, ensuite, sur les appels, répétés, à l’institution, de fixer rapidement ladite date. L’UPR, au lendemain de son conseil national, et le parti El Wiam ont été les plus ardents en cette exigence, abondant dans le sens du président de la République, dans son interview à RFI, France 24 et TVM. Quelques jours avant, le ministre de l’Intérieur avait évoqué, lui-même, l’organisation des élections, avant de recadrer ses propos.
Et si l’UE soutenait la CENI ?
Enfin, la décision de la commission nationale électorale constituerait une réponse à la demande des bailleurs de fonds du pays, notamment l’Union Européenne. A cet égard, rappelons que l’ambassadeur et chef de délégation de l’UE en Mauritanie déclarait, dans une interview accordée au Calame (N° 857 du 13 novembre 2012) : « la tenue des élections municipales et législatives, qui auraient dû avoir lieu il y a un an et dont, aujourd’hui, nous ne connaissons pas encore la date, devient maintenant urgente et prioritaire.» Cette position du premier responsable de l’UE en Mauritanie semble refléter l’opinion des partenaires au développement qui ne peuvent assister, sans réagir, à la prolongation des mandats d’institutions démocratiques. Comme ce sont eux qui détiennent les cordons de la bourse et financent les élections, il est évident que leurs déclarations pèsent lourd, dans les décisions de notre gouvernement. La CENI aurait-elle lorgné de ce côté pour fonder la sienne ? La réaction de ces bailleurs de fonds sera scrutée avec beaucoup d’attention, du côté de la présidence de République, empêtrée, depuis bientôt un mois, dans un duel avec l’homme d’affaires Bouamataou, un des grands financiers de la présidentielle de 2009.
Impulser le dialogue
Ces quelques raisons sont valables pour justifier la décision de la CENI mais suffiront-elles, pour autant, à organiser un scrutin transparent et inclusif ? Là est la grande question. On pourrait, de fait, reprocher, à la CENI, non pas de jouer son rôle – ce serait, tout de même, un comble – mais, peut-être, de n’avoir pas suffisamment mûri sa réflexion, de s’être « un petit peu » pressée, de n’avoir pas tenté de rallier d’abord, à sa décision, l’ensemble des pôles politiques, avant de la prendre. Les concertations qu’elle évoque, dans son communiqué, auraient pu se poursuivre, pour donner une chance de rapprocher les positions des uns et des autres, d’arriver à un consensus national. D’autant plus qu’elle ne travaille pas seule sur ce projet : elle aurait pu mettre à profit l’initiative de sortie de crise du président Messaoud Ould Boulhkeïr pour parvenir, justement, à ce consensus. Même si la COD traîne les pieds, par rapport à cette initiative, elle ne la rejette dans son ensemble. Pour la majorité des partis de la COD, elle peut même servir de cadre de discussion avec le pouvoir. C’est une piste à explorer, pour une bonne organisation des élections. La CENI se devait, aussi, d’amener le pouvoir à une espèce de déclaration sur l’honneur. Le président de la République doit, pour apaiser la tension, rassurer tout le monde, déclarer la neutralité de l’administration et de l’armée. On n’est pas sans savoir l’influence que ces deux institutions ont sur les citoyens. Si elles prennent partie, elles faussent le jeu, comme elles l’ont fait, avec récurrence, par le passé.
Cela dit et même si la décision de la CENI n’a pas fait l’unanimité autour d’elle, loin s’en faut, elle aura, tout de même, rappelé, aux uns et aux autres, la nécessité d’arrêter leurs querelles et d’aller aux élections, la meilleure manière de départager démocratiquement les protagonistes de la scène politique. Pourra-t-elle éviter la réédition du 19 juillet 2009 ? Mystère. Saura-t-elle capitaliser les réticences des différents pôles politiques, pour les pousser au dialogue ? C’est là, à notre avis, le souci de tous les démocrates mauritaniens. Et c’est le plus important.
Dalay Lam
Source: Le Calame
Le communiqué de la CENI, au lieu de mettre fin à la tension politique a plutôt ajouté à la confusion, renforcée par l’attitude des médias publics qui ont choisi de carrément zapper la déclaration de la commission. Chose qu’ils ne peuvent se permettre sans l’avis du Palais gris. Quelle mouche a donc piqué la CENI à fixer, tout de go, la date des élections, sans aucune concertation, pas même avec celui qui l’a mise sur pied ? Surtout qu’elle avait entrepris, la veille, des concertations avec les différents pôles politiques de la place. Si le président de l’AJ/MR reconnaît que son parti a eu la primeur du communiqué, lors d’une rencontre avec la commission, d’autres disent n’en avoir reçu ne serait-ce que la moindre allusion…
La CENI a ses raisons
Voici quelques raisons que pourrait avancer la CENI pour fonder sa décision. En agissant de la sorte, la CENI chercherait à prouver son indépendance ; du pouvoir, surtout. Et pour cause, mise en place après l’accord politique entre la majorité présidentielle et une partie de l’opposition, devenue, depuis, Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) soutenant l’initiative du président Messaoud Ould Boulkheïr, la CENI a vite été contestée par la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) militant pour le départ du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz, actuel président de la République. Pour la COD, l’actuelle commission électorale n’est pas suffisamment indépendante, dans la mesure où la confection du fichier électoral, le transport des urnes, etc. ne relèvent pas de ses compétences. Selon une source proche de la CENI, il existe, au sein de cette commission, une réelle volonté de faire les choses dans la transparence et sans parti pris. Sa décision de fixer, seule, la date des élections en serait, ainsi, la plus parfaite illustration.
La seconde raison serait de mettre notre démocratie à l’heure, au plus tôt. Une démocratie ne peut pas continuer à fonctionner à vue, affirme la même source. En fin de mandat depuis bientôt deux ans, l’Assemblée nationale et les municipalités ne peuvent plus continuer à le proroger indéfiniment. La décision de la CENI se fonderait, ensuite, sur les appels, répétés, à l’institution, de fixer rapidement ladite date. L’UPR, au lendemain de son conseil national, et le parti El Wiam ont été les plus ardents en cette exigence, abondant dans le sens du président de la République, dans son interview à RFI, France 24 et TVM. Quelques jours avant, le ministre de l’Intérieur avait évoqué, lui-même, l’organisation des élections, avant de recadrer ses propos.
Et si l’UE soutenait la CENI ?
Enfin, la décision de la commission nationale électorale constituerait une réponse à la demande des bailleurs de fonds du pays, notamment l’Union Européenne. A cet égard, rappelons que l’ambassadeur et chef de délégation de l’UE en Mauritanie déclarait, dans une interview accordée au Calame (N° 857 du 13 novembre 2012) : « la tenue des élections municipales et législatives, qui auraient dû avoir lieu il y a un an et dont, aujourd’hui, nous ne connaissons pas encore la date, devient maintenant urgente et prioritaire.» Cette position du premier responsable de l’UE en Mauritanie semble refléter l’opinion des partenaires au développement qui ne peuvent assister, sans réagir, à la prolongation des mandats d’institutions démocratiques. Comme ce sont eux qui détiennent les cordons de la bourse et financent les élections, il est évident que leurs déclarations pèsent lourd, dans les décisions de notre gouvernement. La CENI aurait-elle lorgné de ce côté pour fonder la sienne ? La réaction de ces bailleurs de fonds sera scrutée avec beaucoup d’attention, du côté de la présidence de République, empêtrée, depuis bientôt un mois, dans un duel avec l’homme d’affaires Bouamataou, un des grands financiers de la présidentielle de 2009.
Impulser le dialogue
Ces quelques raisons sont valables pour justifier la décision de la CENI mais suffiront-elles, pour autant, à organiser un scrutin transparent et inclusif ? Là est la grande question. On pourrait, de fait, reprocher, à la CENI, non pas de jouer son rôle – ce serait, tout de même, un comble – mais, peut-être, de n’avoir pas suffisamment mûri sa réflexion, de s’être « un petit peu » pressée, de n’avoir pas tenté de rallier d’abord, à sa décision, l’ensemble des pôles politiques, avant de la prendre. Les concertations qu’elle évoque, dans son communiqué, auraient pu se poursuivre, pour donner une chance de rapprocher les positions des uns et des autres, d’arriver à un consensus national. D’autant plus qu’elle ne travaille pas seule sur ce projet : elle aurait pu mettre à profit l’initiative de sortie de crise du président Messaoud Ould Boulhkeïr pour parvenir, justement, à ce consensus. Même si la COD traîne les pieds, par rapport à cette initiative, elle ne la rejette dans son ensemble. Pour la majorité des partis de la COD, elle peut même servir de cadre de discussion avec le pouvoir. C’est une piste à explorer, pour une bonne organisation des élections. La CENI se devait, aussi, d’amener le pouvoir à une espèce de déclaration sur l’honneur. Le président de la République doit, pour apaiser la tension, rassurer tout le monde, déclarer la neutralité de l’administration et de l’armée. On n’est pas sans savoir l’influence que ces deux institutions ont sur les citoyens. Si elles prennent partie, elles faussent le jeu, comme elles l’ont fait, avec récurrence, par le passé.
Cela dit et même si la décision de la CENI n’a pas fait l’unanimité autour d’elle, loin s’en faut, elle aura, tout de même, rappelé, aux uns et aux autres, la nécessité d’arrêter leurs querelles et d’aller aux élections, la meilleure manière de départager démocratiquement les protagonistes de la scène politique. Pourra-t-elle éviter la réédition du 19 juillet 2009 ? Mystère. Saura-t-elle capitaliser les réticences des différents pôles politiques, pour les pousser au dialogue ? C’est là, à notre avis, le souci de tous les démocrates mauritaniens. Et c’est le plus important.
Dalay Lam
Source: Le Calame