L’écrivain Driss Chraïbi.
DR
Driss Chraïbi ne fera plus parler de lui. L’écrivain marocain est mort dans la Drôme, dans le sud-est de la France, à l’âge de 81 ans. Il appartenait à cette génération de jeunes romanciers maghrébins écrivant en français qui étaient apparus il y a une quarantaine d’années sur la scène littéraire. Lui, de manière plutôt percutante avec la publication de Passé Simple qui, en 1954, lui vaudra de violentes critiques de la part des intellectuels marocains. Rétif à toute autorité, Driss Chraïbi n’aura de cesse à travers la vingtaine d’ouvrages qu’il a écrits de dénoncer les travers de la société marocaine. La dépouille du défunt sera prochainement rapatriée dans son pays natal pour y être inhumée.
Le Maroc vu depuis l’autre rive de la Méditerranée. Ce choix, Driss Chraïbi l’a fait très tôt comme si, dès 1945, et avant même d’embrasser une carrière d’écrivain, il avait pressenti qu‘on ne peut parler de ce que l’on aime qu’avec un minimum de distance et, surtout, que la lucidité nait de l’entre-deux. Né en 1926 à El-Jadida, près de Casablanca, d’un père riche importateur de thés, il arrive en France après la Libération pour achever ses études d’ingénieur. Son diplôme en poche, il ne reprend pas pour autant le chemin du Maroc et décide, au contraire, de rester dans l’Hexagone, la mort de son père et la rencontre de sa première femme l’ayant conduit à faire ce choix. Première escale française car Driss Chraïbi a le goût des voyages et s’il est toujours revenu en France, il aura également séjourné en Italie, en Grèce, en Allemagne et même au Canada.
C’est en 1954 que l’ex-scientifique fait une entrée fracassante en littérature avec la parution de Passé simple qui met en scène l’opposition entre un jeune Marocain et son père. Ce premier roman qui lui attire aussitôt de violentes réactions de la part de l’intelligentsia marocaine. Et pour cause, Passé simple se veut une virulente charge contre les pesanteurs de la société traditionnelle maghrébine et plus particulièrement marocaine. La renommée de Driss Chraïbi est faite, sa réputation aussi. Confirmée un an plus tard avec la publication de Boucs, évocation de la destinée d’un jeune Algérien en France et, en fait, dénonciation au vitriol du sort réservé aux travailleurs maghrébins sur le sol français.
Ironie rebelle
Dès lors, il est et restera le rebelle des lettres marocaines. Employant, il est vrai, sa plume à défendre les minorités, à l’instar du peuple berbère, au cœur de son livre Mère du printemps sorti en 1982 et à combattre en faveur de l’émancipation des femmes comme dans Civilisation, ma mère, publié en 1972. Cette rage, cette ardeur, sans s’émousser complètement, prendront, avec les années, un tour moins mordant, plus ironique. A l’image de L’Inspecteur Ali, personnage principal de son roman policier paru en 1991, mélange de San Antonio, pour ses appétences amoureuses, et de Pepe Carvalho, pour ses appétits culinaires et sa lucidité politique.
Si Driss Chraïbi n’a pas écrit autant qu’il l’aurait peut-être souhaité, c’est parce qu’il fut aussi durant trente ans auteur-producteur et responsable des dramatiques à la radio publique, France-Culture. Driss Chraïbi avait publié son autobiographie en 2001, sous le titre Le monde à côté. Des sources de l’Atlas aux sources du Drôme, Driss Chraïbi aura au bout du compte finit par établir une passerelle entre les deux rives de la Méditerranée. Préférant la France à son pays natal parce que, expliquait-il en 1994, «Le bien-être parfois risque d’engendrer l’immobilité». Au regard d’une vie bien remplie durant laquelle Driss Chraïbi, «devancier sur bien des sujets à vif», selon l’auteure algérienne Assia Djebbar, ne se sera guère économisé, il peut repartir dans son Maroc natal pour y reposer en paix: la boucle est désormais bouclée.
Par : Elisabeth Bouvet
Article publié le 03/04/2007
Bibliographie (non exhaustive)
Passé simple (1954) Gallimard
Un ami viendra vous voir (1967) Denoël
Civilisation, ma mère (1972) Denoël
Mère du printemps (1982) Denoël
L'inspecteur Ali (1991) Denoël
Lu, vu, entendu (1998) Denoël
Le monde à côté (2001) Denoël
DR
Driss Chraïbi ne fera plus parler de lui. L’écrivain marocain est mort dans la Drôme, dans le sud-est de la France, à l’âge de 81 ans. Il appartenait à cette génération de jeunes romanciers maghrébins écrivant en français qui étaient apparus il y a une quarantaine d’années sur la scène littéraire. Lui, de manière plutôt percutante avec la publication de Passé Simple qui, en 1954, lui vaudra de violentes critiques de la part des intellectuels marocains. Rétif à toute autorité, Driss Chraïbi n’aura de cesse à travers la vingtaine d’ouvrages qu’il a écrits de dénoncer les travers de la société marocaine. La dépouille du défunt sera prochainement rapatriée dans son pays natal pour y être inhumée.
Le Maroc vu depuis l’autre rive de la Méditerranée. Ce choix, Driss Chraïbi l’a fait très tôt comme si, dès 1945, et avant même d’embrasser une carrière d’écrivain, il avait pressenti qu‘on ne peut parler de ce que l’on aime qu’avec un minimum de distance et, surtout, que la lucidité nait de l’entre-deux. Né en 1926 à El-Jadida, près de Casablanca, d’un père riche importateur de thés, il arrive en France après la Libération pour achever ses études d’ingénieur. Son diplôme en poche, il ne reprend pas pour autant le chemin du Maroc et décide, au contraire, de rester dans l’Hexagone, la mort de son père et la rencontre de sa première femme l’ayant conduit à faire ce choix. Première escale française car Driss Chraïbi a le goût des voyages et s’il est toujours revenu en France, il aura également séjourné en Italie, en Grèce, en Allemagne et même au Canada.
C’est en 1954 que l’ex-scientifique fait une entrée fracassante en littérature avec la parution de Passé simple qui met en scène l’opposition entre un jeune Marocain et son père. Ce premier roman qui lui attire aussitôt de violentes réactions de la part de l’intelligentsia marocaine. Et pour cause, Passé simple se veut une virulente charge contre les pesanteurs de la société traditionnelle maghrébine et plus particulièrement marocaine. La renommée de Driss Chraïbi est faite, sa réputation aussi. Confirmée un an plus tard avec la publication de Boucs, évocation de la destinée d’un jeune Algérien en France et, en fait, dénonciation au vitriol du sort réservé aux travailleurs maghrébins sur le sol français.
Ironie rebelle
Dès lors, il est et restera le rebelle des lettres marocaines. Employant, il est vrai, sa plume à défendre les minorités, à l’instar du peuple berbère, au cœur de son livre Mère du printemps sorti en 1982 et à combattre en faveur de l’émancipation des femmes comme dans Civilisation, ma mère, publié en 1972. Cette rage, cette ardeur, sans s’émousser complètement, prendront, avec les années, un tour moins mordant, plus ironique. A l’image de L’Inspecteur Ali, personnage principal de son roman policier paru en 1991, mélange de San Antonio, pour ses appétences amoureuses, et de Pepe Carvalho, pour ses appétits culinaires et sa lucidité politique.
Si Driss Chraïbi n’a pas écrit autant qu’il l’aurait peut-être souhaité, c’est parce qu’il fut aussi durant trente ans auteur-producteur et responsable des dramatiques à la radio publique, France-Culture. Driss Chraïbi avait publié son autobiographie en 2001, sous le titre Le monde à côté. Des sources de l’Atlas aux sources du Drôme, Driss Chraïbi aura au bout du compte finit par établir une passerelle entre les deux rives de la Méditerranée. Préférant la France à son pays natal parce que, expliquait-il en 1994, «Le bien-être parfois risque d’engendrer l’immobilité». Au regard d’une vie bien remplie durant laquelle Driss Chraïbi, «devancier sur bien des sujets à vif», selon l’auteure algérienne Assia Djebbar, ne se sera guère économisé, il peut repartir dans son Maroc natal pour y reposer en paix: la boucle est désormais bouclée.
Par : Elisabeth Bouvet
Article publié le 03/04/2007
Bibliographie (non exhaustive)
Passé simple (1954) Gallimard
Un ami viendra vous voir (1967) Denoël
Civilisation, ma mère (1972) Denoël
Mère du printemps (1982) Denoël
L'inspecteur Ali (1991) Denoël
Lu, vu, entendu (1998) Denoël
Le monde à côté (2001) Denoël