Mon cher Ely,
Nous voici arrivés au terme de la TRANSITION, comme il a été convenu d’appeler ces derniers dix neuf mois.
Débutée le mercredi 03 août 2005 elle s’achèvera le 19 avril 2007, au moment où le président élu, le 25 mars 2007, prêtera serment.
Le 19 avril, c’est demain, c’est maintenant.
Alors, Ely, bienvenue et heureux retour à la maison.
A un moment difficile de l’Histoire de France, le putsch d’Alger, le Général de Gaulle était apparu à la télévision, en uniforme de général de brigade et avait déclamé cette pathétique tirade à l’endroit du peuple de France, mais aussi un discret clin d’œil « aux peuples de l’Empire » : « Mon cher et vieux pays, nous voici encore devant de nouveaux périls….Mais nous saurons trouver les ressources nécessaires pour surmonter et vaincre ces périls ». Ma citation n’est peut-être pas au mot à mot, mais la substance est là.
Tu as été au devant des grands périls dans lesquels était empêtré ton pays. Et tu cherchas les ressources nécessaires pour vaincre certains de ces périls. Avec ton style ; à ta manière.
La résistance, politique et armée, peut-être longtemps vaine, des patriotes de ce pays, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, avait fini pourtant par faire le lit de ton accomplissement pour la fin du calvaire.
Malgré les divergences d’approche et de concept du cheminement de la transition, nulle tentative n’a jamais été engagée pour en entraver le cours.
Les revendications exprimées, les protestations émises, l’ont été, toutes, dans un cadre pacifique, démocratique et n’ont pas dérogé aux règles établies par les Concertations Nationales auxquelles tu avais appelé et acceptées par la classe politique de l’intérieur. Dès lors, elles se sont imposées à tous les démocrates conséquents.
Les nouveaux périls, succession des anciens périls de la maison Mauritanie ont suscité une démarche politique, pragmatique et consensuelle qui a conduit au vote d’une Constitution, à des élections municipales, législatives et présidentielle dont tous les résultats sont maintenant connus.
Nul ne met en doute leur transparence et la liberté de l’expression du vote citoyen ; à en croire les acteurs nationaux ainsi que les observateurs étrangers dont la classe politique et la société civile avaient demandé, expressément, la présence.
Les verdicts de tous les scrutins étant maintenant tombés et acceptés par tous. Le décor est planté. Les trois coups du lever de rideau vont être frappés.
Et sera venue alors l’heure des grands défis.
Organiser des élections libres et transparentes est une chose. Gagner des élections et que cela soit reconnu unanimement, principalement, et de façon élégante, par le dernier adversaire à l’ultime tour, est aussi une chose. Se confronter aux dures réalités de l’exercice du pouvoir en est une autre. Mais pour cela, il semblerait que tu ne sois plus concerné puisque le témoin est en passe d’être transmis.
Tu avais promis, en légiférant, de ne point te présenter à l’élection présidentielle. Une disposition qui a touché aussi tous les membres du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) et du gouvernement de transition. Et tu as tenu parole.
Tu avais promis la stricte neutralité du CMJD, celle du gouvernement de transition et celle de l’appareil administratif, et tu as tenu parole.
Maintenant, que chaque citoyen, civil, militaire, fonctionnaire, responsable au sommet de l’état ou simple subalterne, ait pu exprimer son choix relève de la liberté d’expression consacrée par la Constitution. Une Constitution au vote de laquelle n’ont pu, hélas, participer les mauritaniens de l’extérieur de par les contestables dispositions électorales. Une Constitution qui s’impose, malgré tout, à tous, dès lors qu’elle fut votée par la majorité de nos concitoyens à l’intérieur.
Tu avais dit, sans en faire expressément référence, que l’examen des termes de la Déclaration de Dakar, combattue, en son temps par un grand nombre, dans l’euphorie du 03 août, mais réitérés plus tard par tous, devaient être du ressort d’un pouvoir démocratiquement élu. Selon toi, la transition était trop courte, pour aborder ces questions-là, pourtant majeures. Et pour cela aussi, tu as tenu parole. Tu n’y as pas touché.
L’on me demandait, par voie de presse de me prononcer sur ton parcours. Je savais ce que sous-entendait, légitimement, cette interpellation ! Je me suis volontairement abstenu d’y apporter réponse pendant tout le processus électoral pour éviter tout amalgame. Ces questions étaient de bien-beaux rappels, à mon souvenir, de ma lettre, à toi.
Ces rappels, en vérité, ne sauraient demeurer sans réponse, aujourd’hui que les rideaux sont tombés, après l’effervescence des scrutins.
Me demande-t-on si tu t’es assumé devant Dieu et ton peuple, comme je t’avais demandé de le faire ? Je réponds, qu’ouvrir une voie consensuelle, à l’intérieur, pour l’apaisement de la scène politique est un acte d’importance et une façon aussi de s’assumer, même partiellement.
Me demande-t-on si tu as fait une insurrection ou un coup d’état ? Je maintiens encore qu’il s’est bien agi d’une insurrection. Pensée, entretenue et exécutée dans la prudence que conférait, peut-être, la nature du système dans lequel tu es si longtemps resté prisonnier.
Me demande-t-on si je suis toujours Kerfa, le fou du roi Kaya Magan ? Je réponds que je n’ai point pu l’être dans l’exercice de ton pouvoir, ayant préféré l’expectative dans laquelle m’a confiné ton choix de transférer au pouvoir élu certains termes de la Déclaration de Dakar auxquels mes amis et moi demeurons viscéralement attachés. Mais aussi, je le confesse, l’exil qui m’a imposé le respect du consensus intérieur.
Nombre de nos préoccupations ont convergé avec celles exprimées par les principaux candidats. Et pourtant que jadis ces préoccupations avaient suscité de récriminations ! La convergence de vue, aujourd’hui, nous réconcilie assurément avec nos contradicteurs d’hier.
La communauté internationale, me dit on, te congratule pour ton parcours, comme ton peuple l’a fait, me dit on aussi. Cela doit être un bonheur pour toi, une fierté. Mais n’oublie jamais l’esclave de Rome car il y’a encore tant et tant à faire. A quelque niveau que tu puisses te situer désormais.
La transmission des pouvoirs est très attendue. Que diras-tu au moment où tu prendras congé du peuple ?
Je souhaite que tu parachèves ton parcours en le rassurant sur l’irréversibilité , désormais, de cette voie de libre choix de ses dirigeants. Sans occulter l’impérieuse nécessité de combler, enfin, le déficit du collège électoral par l’inscription des exilés volontaires, des mauritaniens immigrés et surtout des déportés et réfugiés ramenés, sans délai. Ce personnel représente tout de même près de 20% de ce corps électoral ; ce qui est loin d’être négligeable.
En passant le relais, rassure le pays que l’ordre prétorien ne sera plus, pour lui, qu’un mauvais souvenir. Pour que soit vite entrepris ce qui n’a pu l’être durant cette courte, trop courte transition.
Le 19 avril 2005, tu seras un bien jeune retraité de la République, dégagé de toutes les obligations constitutionnelles mais pas du devoir. Garde, intact dans ta mémoire, l’impact de ce qui est inachevé.
Le 19 avril, rassure ceux qui avaient connu un trouble après ta déclaration à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Tu y disais que si le gouvernement élu devait ouvrir les dossiers d’avant le 03 août, cela signifierait que la transition aura été un échec ! Quel échec ?
N’est ce pas toi qui avais choisi de laisser, au pouvoir, démocratiquement élu, la faculté de gérer « légitimement » ces dossiers ! Puisque, disais-tu, le temps et les priorités de la TRANSITION ne pouvaient te permettre cette gestion ? De guerre lasse, nous avions alors fini par prendre acte ; et paisiblement nous avons attendu l’installation du pouvoir démocratiquement élu. Ce qui sera chose faite le 19 avril prochain.
S’il te plait, rassure ce jour-là ton peuple à ce sujet et que nulle équivoque ne vienne altérer ta bonne foi. Beaucoup qui en doute pourront alors être rassurés.
Alors, tu te retireras dignement avec la fierté que procure la mission accomplie dans une phase donnée.
Le nouveau président a été choisi parmi des concurrents qui n’ont surement pas démérité. Son élection ne signifie pas qu’il ait l’apanage du patriotisme ; il devra faire ses preuves dès le 20 avril.
Le président élu a pris des engagements devant le pays et devant le monde. Nulle tergiversation ne lui sera acceptée et nul état de grâce ne lui sera concédé. Il en a surement conscience. Il a reçu un mandat du peuple, pas un chèque en blanc. La dynamique démocratique impose aujourd’hui que rien ne puisse entraver son parcours dans l’application des engagements qu’il a pris et du programme accepté par la majorité de nos concitoyens.
Ceux qui l’ont soutenu, ceux qui ont soutenu ses adversaires pourraient, dans le respect du verdict des urnes, l’accompagner pour le respect des engagements pris. Ce sera le choix de chacun, librement consenti. Si reniement il devait y avoir de la part du nouveau pouvoir, alors il suscitera lui-même une opposition conséquente.
Alors, pour parachever ce que tu n’as point eu le temps d’entreprendre pour la juste résolution des préoccupations nationales, il serait aussi utile de se rappeler que le temps, désormais sans contrainte, ouvre bien des perspectives. Pour toi, pour moi et pour tous ceux que le sort de ce pays préoccupe.
Je t’écris au lendemain de l’investiture du président Abdoulaye Wade, nouvellement réélu président de la République du Sénégal. Tout un symbole.
Par là, aussi, en tant que signataire de la Déclaration de Dakar du 14 août 2005 et au nom de tous nos amis qui se sont associés à cette Déclaration, je voudrais rendre, encore une fois, hommage à cet homme pour tout ce qu’il fit pour faire renoncer à la lutte armée et contribuer grandement à la mise en marche d’une transition paisible et sereine.
Une plume, et pas des moindres a écrit « Cet officier qui avait tout pour être le héros du pays, a fini sans panache, pour ne pas dire sans gloire. Pourtant il a dirigé une grande œuvre. Mais la médiocrité des hommes qu’il a choisis pour la seule raison d’avoir été des ‘hommes de l’ombre’, ses tergiversations, ses contradictions… ont fini par banaliser cette œuvre de démocratisation. Plus grave pour lui : il a réussi à prendre sur lui la responsabilité du passif des dernières décennies. Si bien que la grande crainte aujourd’hui est de le supposer en train de manipuler (déjà) son retour éventuel aux affaires. ».
Dieu, que cette analyse est juste ! Mais la conclusion ouvre débat. Et il dit… retour ? Pourquoi pas ? Démocratiquement, bien sûr ; comme il est loisible à tout citoyen jouissant de ses droits civils et civiques de postuler à tout mandat électif. Mais sûrement pas pour assumer « la responsabilité du passif des dernières décennies ».
Pour cela aussi, rassure le peuple le 19 avril.
Aujourd’hui, nul autre choix n’est donné au président élu que l’application d’un programme auquel le peuple mauritanien a adhéré et lui a donné mandat pour le conduire à son terme. Rien, là non plus, comme pour la Transition, ne doit en entraver le cours.
Désormais, tu ne vivras tes peines et tes joies qu’avec ta famille et tes proches. Hélas, chez nous, plus qu’ailleurs, « le Roi est mort, vive le Roi » est un vécu tenace.
Me demande-t-on si les portes du Panthéon te sont ouvertes ? Je dis que c’est ton peuple et lui seul qui te les ouvrira, s’il le décide assurément, le 19 avril. Si tu le convaincs définitivement, alors l’esclave de Rome sera descendu du char.
Dieu te garde et t’inspire.
Moustapha
Source: cridem