Mauritanie 1987. Ils sont noirs et en butte au mépris d'un régime politique qui prétend les ignorer. Forts de leur bon droit, ils luttent contre cette exclusion, résistent et s'organisent. La réaction ne se fait pas attendre. Arrêtés au nom du peuple et de la nation, ils sont mis au secret, battus et torturés. Puis, comme pour éradiquer toutes velléités de rébellion, ils sont déportés à des centaines de kilomètres de leurs familles, dans l'ancien fort colonial à Oualata, en plein désert.Là, ils vont subir la loi meurtrière d'un état d'exception. Privés de tout droit, parqués comme du bétail, affamés et réduits aux pires besognes par des gardiens indifférents, ils ne connaîtront plus que la maladie, la déchéance et la mort. De cette véritable descente aux enfers, inhumaine et totale, quelques-uns vont survivre et recouvrer leur liberté. Rendus à la vie civile, leur quotidien sera de silence et d'oubli comme si ce qu'ils venaient de vivre n'était jamais advenu.
Le Cercle des noyés, le dernier film documentaire de Pierre-Yves Vandeweerd, veut lever le voile sur ces années d'amnésie et nous livre le récit d'un des survivants du fort de Oualata après un travail préparatoire que l'on devine long et difficile. Pensé comme un acte de justice autant que de mémoire, Le cercle des noyés est d'abord l'évidence d'une rencontre et d'une complicité entre celui qui témoigne et celui qui écoute, entre celui qui se souvient et celui qui transmet et pérennise ce souvenir.
Pour déjouer la banalité de l'horreur, Pierre-Yves Vandeweerd a conçu son film comme un exorcisme de l'oubli et l'a construit à partir de deux émotions qui se répondent et se complètent en une progression narrative sans apitoiement ni pathos.
D'une part, il y a l'émotion de cette voix, la voix de celui qui se souvient et se raconte. Une voix posée, contrôlée et en même temps terriblement fragile, éprouvée, une voix qui semble plonger si profondément dans le passé, comme si elle voulait sauver ses mots de la noyade, des mots qui surviennent et se lient et forment des phrases. Des phrases qui, à leur tour, nous lie à ces heures, à ces jours, et ces mois de détention où la raison se noie ou ce qu'il y a de vivant en nous fait naufrage et s'abandonne à sa disparition.
D'autre part, il y a cette émotion des lieux de détention, aujourd'hui vestiges coloniaux et qui, filmés en noir et blanc, apparaissent comme nettoyés de toutes traces d'un passé carcéral par cette commune volonté d'affirmer qu'il ne s'est rien passé. Avec beaucoup de sensibilité, la caméra de Pierre-Yves Vandeweerd saisit ce déni de l'histoire et crée cette distance nécessaire où peut s'inscrire l'espace du souvenir. Alors la voix qui raconte peut habiter ces lieux et, par le mouvement d'un montage maîtrisé, rendre au présent ce qui autrement se perdait inexorablement dans le lent travail d'usure du temps.
Travail d'épure au service d'un travail de mémoire, Le Cercle des noyés est exemplaire de cette démarche qui vise avant tout à témoigner pour que les hommes d'aujourd'hui ne puissent pas oublier et que quelque part justice soit faite. Mais au delà de ces enjeux, le film nous laisse désemparés face à ce seul constat de ce que les hommes peuvent infliger à d'autres hommes. Pierre-Yves Vandeweerd, à trop limiter son rôle à celui de simple passeur de mémoire, trouve difficilement sa place de cinéaste et ne permet pas au spectateur de dépasser la simple empathie morale qu'il peut éprouver au récit de la victime.
Malgré ses qualités esthétiques, le film reste à l'abri de son éthique humaniste et ne propose pas de réflexion sur la complexité et les ambiguïtés du récit qu'il nous fait. Et c'est là sans doute la faiblesse d'un cinéma qui se pense essentiellement dans les termes de la transmission.
Philippe Simon
Le Cercle des noyés, le dernier film documentaire de Pierre-Yves Vandeweerd, veut lever le voile sur ces années d'amnésie et nous livre le récit d'un des survivants du fort de Oualata après un travail préparatoire que l'on devine long et difficile. Pensé comme un acte de justice autant que de mémoire, Le cercle des noyés est d'abord l'évidence d'une rencontre et d'une complicité entre celui qui témoigne et celui qui écoute, entre celui qui se souvient et celui qui transmet et pérennise ce souvenir.
Pour déjouer la banalité de l'horreur, Pierre-Yves Vandeweerd a conçu son film comme un exorcisme de l'oubli et l'a construit à partir de deux émotions qui se répondent et se complètent en une progression narrative sans apitoiement ni pathos.
D'une part, il y a l'émotion de cette voix, la voix de celui qui se souvient et se raconte. Une voix posée, contrôlée et en même temps terriblement fragile, éprouvée, une voix qui semble plonger si profondément dans le passé, comme si elle voulait sauver ses mots de la noyade, des mots qui surviennent et se lient et forment des phrases. Des phrases qui, à leur tour, nous lie à ces heures, à ces jours, et ces mois de détention où la raison se noie ou ce qu'il y a de vivant en nous fait naufrage et s'abandonne à sa disparition.
D'autre part, il y a cette émotion des lieux de détention, aujourd'hui vestiges coloniaux et qui, filmés en noir et blanc, apparaissent comme nettoyés de toutes traces d'un passé carcéral par cette commune volonté d'affirmer qu'il ne s'est rien passé. Avec beaucoup de sensibilité, la caméra de Pierre-Yves Vandeweerd saisit ce déni de l'histoire et crée cette distance nécessaire où peut s'inscrire l'espace du souvenir. Alors la voix qui raconte peut habiter ces lieux et, par le mouvement d'un montage maîtrisé, rendre au présent ce qui autrement se perdait inexorablement dans le lent travail d'usure du temps.
Travail d'épure au service d'un travail de mémoire, Le Cercle des noyés est exemplaire de cette démarche qui vise avant tout à témoigner pour que les hommes d'aujourd'hui ne puissent pas oublier et que quelque part justice soit faite. Mais au delà de ces enjeux, le film nous laisse désemparés face à ce seul constat de ce que les hommes peuvent infliger à d'autres hommes. Pierre-Yves Vandeweerd, à trop limiter son rôle à celui de simple passeur de mémoire, trouve difficilement sa place de cinéaste et ne permet pas au spectateur de dépasser la simple empathie morale qu'il peut éprouver au récit de la victime.
Malgré ses qualités esthétiques, le film reste à l'abri de son éthique humaniste et ne propose pas de réflexion sur la complexité et les ambiguïtés du récit qu'il nous fait. Et c'est là sans doute la faiblesse d'un cinéma qui se pense essentiellement dans les termes de la transmission.
Philippe Simon