Amadou Toumani Touré (ATT), surnommé le « soldat de la démocratie », aura donc eu une fin de mandat prématurée, bien triste et de manière…inattendue. Les jeunes soldats du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État (CNRDR), au pouvoir à Bamako, l'ont déposé après une cascade de désertions et de mutineries. Ils ont voulu exprimer ainsi leur ras-le-bol face à une gestion catastrophique du pays et de l'armée aux prises avec la rébellion touarègue au Nord. Mais fallait-il vraiment en arriver là ?
ATT l'aurait cherché aux dires de certains. Selon les premières déclarations des auteurs du coup d'Etat, la situation du Mali était devenue catastrophique. Leur porte-parole a tenu à souligner que le mandat de l'ex-président malien était marqué du sceau de « l'incompétence ». Les hommes du rang dénoncent un certain « laxisme » et des « humiliations » de toutes sortes. Mais pourquoi, après les premiers succès et l'occupation du palais, les mutins n'ont-ils pas entrepris de négocier avec le chef de l'Etat alors en fin de mandat ? En tout cas, il n y a pas eu véritablement de lutte pour le pouvoir. Aussi, peut-on se demander si ce coup d'Etat en valait vraiment la peine. D'aucuns reprochent à ATT sa gestion des rapports avec la rébellion touarègue. Certains de ses compatriotes l'accusent d'avoir à plusieurs reprises discuté puis signé la paix avec des récidivistes. « Trop mou », souligne-t-on.
Le voisin mauritanien agacé, le critiquait aussi pour sa complaisance face à une bande armée de centaines d'hommes, que lui, se permettait de pourchasser jusqu'en territoire malien. Paierait-il alors pour son trop grand pacifisme ? En tout cas, si l'éviction d'ATT se confirme définitivement, plutôt que de s'en réjouir, la rébellion touarègue gagnerait à faire preuve de plus de réalisme et de souplesse dans les revendications. Car, à Bamako, les choses deviennent complexes. Il est vrai que contrairement aux « us et coutumes » en la matière, cette fois, on a renversé un chef d'Etat en fin de mandat, et apparemment décidé à céder son fauteuil. Mais y avait-il doute à voir ATT respecter la parole donnée, et partir comme envisagé ?
Visiblement, nous sommes en face d'un coup d'Etat atypique. Peut-être s'agirait-il d'un acte de bravoure pour des gens déterminés à en finir avec les rebelles ? Ou encore l'entrée en scène d'assoiffés du pouvoir ayant pris les devants sur d'autres groupes tout aussi ambitieux ? A moins qu'il ne s'agisse de règlements de comptes par personnes interposées, en vue de ternir une fin de mandat qui honorait un chef d'Etat, militaire de surcroît, mais hors du commun ? Reste à savoir si les hommes nouvellement installés au pouvoir à Bamako, sont suffisamment stratèges, et bien entourés pour tenir les rênes du pays, l'organiser comme il faut, et mater la rébellion du Nord ? Dans le cas contraire, le Mali pourrait s'enfoncer dans la crise, et basculer dans un cycle de vengeance-revanche à n'en plus finir.
Car, si dans sa quête de soutien, la junte ne bénéficie pas de l'aval de l'ensemble de la classe politique malienne et de la compréhension de l'extérieur, elle se heurtera inévitablement à des poches de résistance de toutes natures et de toutes provenances. Curieuse coïncidence : l'exploit des jeunes mutins est intervenu presqu'à la date anniversaire du renversement du Général Moussa Traoré par son propre aide de camp, ATT. C'était le 26 mars 1991, suite à des émeutes à Bamako, après 23 ans de dictature. En déposant ATT, cet homme de parole qui s'était affiché pacifiste, les hommes du rang ont pris le risque de ramener leur pays en arrière. En effet, nombre d'Africains ont toujours espéré voir l'ère des coups d'Etat révolue sur le continent.
Dommage donc pour le Mali qui a toujours été cité en exemple en matière d'expérience démocratique. Le scénario du putsch était pourtant prévisible, en raison même de la particularité des événements survenus récemment dans la capitale malienne : manifestations respectives des épouses, puis des enfants de militaires. La répression qui s'en est suivie, ne pouvait qu'irriter des soldats déjà révoltés par le manque de moyens, la précarité de leurs conditions d'existence et le train de vie outrancier de leurs supérieurs hiérarchiques. Cette situation n'est ni nouvelle, ni propre au Mali.
Les sempiternelles revendications de soldats mutins, montrent jusqu'à quel point le malaise règne et persiste dans la plupart des armées africaines. Les hiérarchies militaires qui gouvernent le continent, semblent à ce point si préoccupées par les problèmes politico-bureaucratiques qui gangrènent l'appareil d'Etat, qu'elles en oublient parfois que leur pouvoir, le plus souvent « à vie », repose sur la troupe. Celle-ci, après les avoir aidées à escalader les marches du palais, se retrouvent dans la majeure partie des cas, au bas de l'escalier. Il s'agit pourtant des mêmes hommes du rang par qui tout passe, et qui constituent les yeux, les oreilles, le nez et…la poitrine du pouvoir ! Mais pendant qu'ils en sont toujours aux gamelles laissées par l'armée coloniale ou offertes par la coopération, certains de leurs « patrons » se lancent en affaires, s'enrichissent à vue d'œil, et mènent la belle vie ! Oubliant d'où ils viennent, on en trouve aujourd'hui bien plus soucieux de leur pérennité au pouvoir, de leur « honorabilité », et de l'épaisseur de leurs comptes en banque. Quid des conditions de vie de l'homme du rang et du citoyen lambda ? Les attaches sont devenues si rares qu'il vaut mieux ne même plus y songer !
Pourtant, le contexte change. Et la conquête des libertés avec. De sorte que même en « démocratie surveillée », le jeune soldat, comme le citoyen lambda, apprend quotidiennement à décrypter les messages relatifs aux questions de droits humains élémentaires. Son esprit critique se développant, il acquiert de jour en jour des attitudes et des comportements totalement différents de ceux d'hier. Petit à petit donc, le fossé se creuse entre la troupe et ceux qui croient encore la gouverner. Las de réclamer vainement le retour des militaires à la caserne, les civils assistent donc impuissants, à la détérioration du climat social au sein de la grande muette. Tenus en respect par ceux sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir réel de contrôle, des éléments de l'élite politique civile, préfèrent s'acoquiner avec l'élite de l'armée qui gouverne le pays à sa guise. Voilà pourquoi cet éternel recommencement sur ce continent où, désormais, plus aucun pays ne doit se croire à l'abri. Aucun régime, ne doit donc se croire éternel au pouvoir.
Mais, encore une fois, les hommes sont ce qu'ils sont. Et le ver se trouvant généralement dans le fruit, les surprises sont vite arrivées. Les condamnations qui accompagnent les coups d'Etat n'y pourront rien : seul un dialogue franc entre la classe politique, la société civile, l'armée à travers toutes ses composantes sociales, la mise en œuvre de recommandations consensuelles et une bonne gouvernance ayant pour socle la justice sociale, pourraient aider l'Afrique à sortir des sentiers battus. Encore une fois, il faut se parler, se tolérer et se respecter. Car, demain, il sera trop tard comme à Bamako où la rébellion du Nord Mali aura finalement vaincu le général avec l'appui de ses propres hommes ! Un gâchis énorme au plan de la démocratie.
« Le Pays »
Source: le pays
ATT l'aurait cherché aux dires de certains. Selon les premières déclarations des auteurs du coup d'Etat, la situation du Mali était devenue catastrophique. Leur porte-parole a tenu à souligner que le mandat de l'ex-président malien était marqué du sceau de « l'incompétence ». Les hommes du rang dénoncent un certain « laxisme » et des « humiliations » de toutes sortes. Mais pourquoi, après les premiers succès et l'occupation du palais, les mutins n'ont-ils pas entrepris de négocier avec le chef de l'Etat alors en fin de mandat ? En tout cas, il n y a pas eu véritablement de lutte pour le pouvoir. Aussi, peut-on se demander si ce coup d'Etat en valait vraiment la peine. D'aucuns reprochent à ATT sa gestion des rapports avec la rébellion touarègue. Certains de ses compatriotes l'accusent d'avoir à plusieurs reprises discuté puis signé la paix avec des récidivistes. « Trop mou », souligne-t-on.
Le voisin mauritanien agacé, le critiquait aussi pour sa complaisance face à une bande armée de centaines d'hommes, que lui, se permettait de pourchasser jusqu'en territoire malien. Paierait-il alors pour son trop grand pacifisme ? En tout cas, si l'éviction d'ATT se confirme définitivement, plutôt que de s'en réjouir, la rébellion touarègue gagnerait à faire preuve de plus de réalisme et de souplesse dans les revendications. Car, à Bamako, les choses deviennent complexes. Il est vrai que contrairement aux « us et coutumes » en la matière, cette fois, on a renversé un chef d'Etat en fin de mandat, et apparemment décidé à céder son fauteuil. Mais y avait-il doute à voir ATT respecter la parole donnée, et partir comme envisagé ?
Visiblement, nous sommes en face d'un coup d'Etat atypique. Peut-être s'agirait-il d'un acte de bravoure pour des gens déterminés à en finir avec les rebelles ? Ou encore l'entrée en scène d'assoiffés du pouvoir ayant pris les devants sur d'autres groupes tout aussi ambitieux ? A moins qu'il ne s'agisse de règlements de comptes par personnes interposées, en vue de ternir une fin de mandat qui honorait un chef d'Etat, militaire de surcroît, mais hors du commun ? Reste à savoir si les hommes nouvellement installés au pouvoir à Bamako, sont suffisamment stratèges, et bien entourés pour tenir les rênes du pays, l'organiser comme il faut, et mater la rébellion du Nord ? Dans le cas contraire, le Mali pourrait s'enfoncer dans la crise, et basculer dans un cycle de vengeance-revanche à n'en plus finir.
Car, si dans sa quête de soutien, la junte ne bénéficie pas de l'aval de l'ensemble de la classe politique malienne et de la compréhension de l'extérieur, elle se heurtera inévitablement à des poches de résistance de toutes natures et de toutes provenances. Curieuse coïncidence : l'exploit des jeunes mutins est intervenu presqu'à la date anniversaire du renversement du Général Moussa Traoré par son propre aide de camp, ATT. C'était le 26 mars 1991, suite à des émeutes à Bamako, après 23 ans de dictature. En déposant ATT, cet homme de parole qui s'était affiché pacifiste, les hommes du rang ont pris le risque de ramener leur pays en arrière. En effet, nombre d'Africains ont toujours espéré voir l'ère des coups d'Etat révolue sur le continent.
Dommage donc pour le Mali qui a toujours été cité en exemple en matière d'expérience démocratique. Le scénario du putsch était pourtant prévisible, en raison même de la particularité des événements survenus récemment dans la capitale malienne : manifestations respectives des épouses, puis des enfants de militaires. La répression qui s'en est suivie, ne pouvait qu'irriter des soldats déjà révoltés par le manque de moyens, la précarité de leurs conditions d'existence et le train de vie outrancier de leurs supérieurs hiérarchiques. Cette situation n'est ni nouvelle, ni propre au Mali.
Les sempiternelles revendications de soldats mutins, montrent jusqu'à quel point le malaise règne et persiste dans la plupart des armées africaines. Les hiérarchies militaires qui gouvernent le continent, semblent à ce point si préoccupées par les problèmes politico-bureaucratiques qui gangrènent l'appareil d'Etat, qu'elles en oublient parfois que leur pouvoir, le plus souvent « à vie », repose sur la troupe. Celle-ci, après les avoir aidées à escalader les marches du palais, se retrouvent dans la majeure partie des cas, au bas de l'escalier. Il s'agit pourtant des mêmes hommes du rang par qui tout passe, et qui constituent les yeux, les oreilles, le nez et…la poitrine du pouvoir ! Mais pendant qu'ils en sont toujours aux gamelles laissées par l'armée coloniale ou offertes par la coopération, certains de leurs « patrons » se lancent en affaires, s'enrichissent à vue d'œil, et mènent la belle vie ! Oubliant d'où ils viennent, on en trouve aujourd'hui bien plus soucieux de leur pérennité au pouvoir, de leur « honorabilité », et de l'épaisseur de leurs comptes en banque. Quid des conditions de vie de l'homme du rang et du citoyen lambda ? Les attaches sont devenues si rares qu'il vaut mieux ne même plus y songer !
Pourtant, le contexte change. Et la conquête des libertés avec. De sorte que même en « démocratie surveillée », le jeune soldat, comme le citoyen lambda, apprend quotidiennement à décrypter les messages relatifs aux questions de droits humains élémentaires. Son esprit critique se développant, il acquiert de jour en jour des attitudes et des comportements totalement différents de ceux d'hier. Petit à petit donc, le fossé se creuse entre la troupe et ceux qui croient encore la gouverner. Las de réclamer vainement le retour des militaires à la caserne, les civils assistent donc impuissants, à la détérioration du climat social au sein de la grande muette. Tenus en respect par ceux sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir réel de contrôle, des éléments de l'élite politique civile, préfèrent s'acoquiner avec l'élite de l'armée qui gouverne le pays à sa guise. Voilà pourquoi cet éternel recommencement sur ce continent où, désormais, plus aucun pays ne doit se croire à l'abri. Aucun régime, ne doit donc se croire éternel au pouvoir.
Mais, encore une fois, les hommes sont ce qu'ils sont. Et le ver se trouvant généralement dans le fruit, les surprises sont vite arrivées. Les condamnations qui accompagnent les coups d'Etat n'y pourront rien : seul un dialogue franc entre la classe politique, la société civile, l'armée à travers toutes ses composantes sociales, la mise en œuvre de recommandations consensuelles et une bonne gouvernance ayant pour socle la justice sociale, pourraient aider l'Afrique à sortir des sentiers battus. Encore une fois, il faut se parler, se tolérer et se respecter. Car, demain, il sera trop tard comme à Bamako où la rébellion du Nord Mali aura finalement vaincu le général avec l'appui de ses propres hommes ! Un gâchis énorme au plan de la démocratie.
« Le Pays »
Source: le pays