Combattant de la liberté, Cheikh Saad Bouh Kamara est un sociologue résolument afro-optimiste. Il appelle le pouvoir et l'opposition de Mauritanie à faire des concessions réciproques dans l'intérêt de la démocratisation du pays.
Professeur émérite de sociologie, le Mauritanien Cheikh Saad Bouh Kamara, 68 ans, est, depuis 1982, consultant international en développement. Il a notamment été vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de Mauritanie. Ce « combattant de la liberté », emprisonné plusieurs fois, est l'auteur de Afrique : espérance*, un essai dans lequel il présente les réussites africaines dans de nombreux secteurs du développement durable.
Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi d'aller à contre-courant de l'afropessimisme ?
Cheikh Saad Bouh Kamara : Dès qu'il s'agit de l'Afrique, les médias mettent l'accent sur les guerres civiles, les attentats, les coups d'État ou les meurtres. Les initiatives qui fonctionnent sont malheureusement tues. J'ai alors décidé de lister toutes les actions positives du continent, tout en restant lucide.
Quels sont vos motifs d'« espérance » s'agissant de la Mauritanie ?
Certains sont communs à l'Afrique, comme la jeunesse de la population, le grand marché de consommateurs, la fertilité des terres, les ressources humaines ou encore la fidélité de la diaspora. En Mauritanie, ils ont trait à la libéralisation de l'audiovisuel, à la scolarisation des petites filles, à la signature de la Convention de l'ONU contre les discriminations à l'égard des femmes ou encore aux récentes réformes constitutionnelles. Il sera désormais difficile de prendre le pouvoir autrement que par les urnes.
Le pays a-t-il tourné la page en constitutionnalisant l'interdiction des coups d'État, mais aussi la criminalisation de l'esclavage et la multiethnicité de la nation ?
Je pense que c'est un mûrissement de la démocratie, lequel aboutira à la cohésion sociale et à l'unité nationale. Mais le processus est très long. Ces mesures en constituent le commencement et elles doivent impérativement être accompagnées par une réglementation efficace et une éducation citoyenne de sensibilisation.
Pourquoi la Mauritanie peine-t-elle à être pleinement démocratique ?
Il ne faut pas oublier que nous venons de très loin. Après la colonisation, le parti unique et la naissance de l'État mauritanien avec le président Moktar Ould Daddah, nous avons vécu des années difficiles ponctuées par les putschs. Le seul président démocratiquement élu en 2007 [Sidi Ould Cheikh Abdallahi, NDLR] a été déposé un an plus tard par l'actuel chef de l'État, Mohamed Ould Abdelaziz. Enfin, entre ce dernier et une partie de l'opposition, le dialogue s'est malheureusement rompu.
Quelles solutions proposez-vous pour sortir de cette crise avant les élections (dont la date n'a pas été fixée) ?
Chacun doit faire des concessions. L'État doit être davantage à l'écoute des revendications de ses opposants, allouer un financement aux partis politiques pour leur permettre de faire campagne et mettre en place une commission électorale transparente, composée de personnalités neutres. En contrepartie, l'opposition doit jouer son rôle et lutter pacifiquement, sans chercher à déstabiliser le pouvoir. Elle ferait une erreur en boycottant les élections, mais le pouvoir doit aussi tendre la main aux partis de la Coordination de l'opposition démocratique qui n'ont pas participé au dialogue national. Nous avons besoin de médiateurs pour sortir de l'impasse.
Comprenez-vous la colère des Mauritaniens, notamment des jeunes ?
Leurs attentes sont très grandes et elles sont loin d'être satisfaites, en Mauritanie comme ailleurs. Outre l'accès à des services de base tels que l'eau ou l'électricité, ils demandent des emplois, une juste répartition des richesses et la cohésion nationale. Si elle veut que ses souhaits soient exaucés, la population doit continuer à manifester pacifiquement, mais l'État doit également faire des efforts pour éviter la répression systématique. Les jeunes peuvent porter haut et loin la démocratie, seul rempart contre l'instabilité.
Propos recueillis par Justine Spiegel
Source: Jeune Afrique
Professeur émérite de sociologie, le Mauritanien Cheikh Saad Bouh Kamara, 68 ans, est, depuis 1982, consultant international en développement. Il a notamment été vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de Mauritanie. Ce « combattant de la liberté », emprisonné plusieurs fois, est l'auteur de Afrique : espérance*, un essai dans lequel il présente les réussites africaines dans de nombreux secteurs du développement durable.
Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi d'aller à contre-courant de l'afropessimisme ?
Cheikh Saad Bouh Kamara : Dès qu'il s'agit de l'Afrique, les médias mettent l'accent sur les guerres civiles, les attentats, les coups d'État ou les meurtres. Les initiatives qui fonctionnent sont malheureusement tues. J'ai alors décidé de lister toutes les actions positives du continent, tout en restant lucide.
Quels sont vos motifs d'« espérance » s'agissant de la Mauritanie ?
Certains sont communs à l'Afrique, comme la jeunesse de la population, le grand marché de consommateurs, la fertilité des terres, les ressources humaines ou encore la fidélité de la diaspora. En Mauritanie, ils ont trait à la libéralisation de l'audiovisuel, à la scolarisation des petites filles, à la signature de la Convention de l'ONU contre les discriminations à l'égard des femmes ou encore aux récentes réformes constitutionnelles. Il sera désormais difficile de prendre le pouvoir autrement que par les urnes.
Le pays a-t-il tourné la page en constitutionnalisant l'interdiction des coups d'État, mais aussi la criminalisation de l'esclavage et la multiethnicité de la nation ?
Je pense que c'est un mûrissement de la démocratie, lequel aboutira à la cohésion sociale et à l'unité nationale. Mais le processus est très long. Ces mesures en constituent le commencement et elles doivent impérativement être accompagnées par une réglementation efficace et une éducation citoyenne de sensibilisation.
Pourquoi la Mauritanie peine-t-elle à être pleinement démocratique ?
Il ne faut pas oublier que nous venons de très loin. Après la colonisation, le parti unique et la naissance de l'État mauritanien avec le président Moktar Ould Daddah, nous avons vécu des années difficiles ponctuées par les putschs. Le seul président démocratiquement élu en 2007 [Sidi Ould Cheikh Abdallahi, NDLR] a été déposé un an plus tard par l'actuel chef de l'État, Mohamed Ould Abdelaziz. Enfin, entre ce dernier et une partie de l'opposition, le dialogue s'est malheureusement rompu.
Quelles solutions proposez-vous pour sortir de cette crise avant les élections (dont la date n'a pas été fixée) ?
Chacun doit faire des concessions. L'État doit être davantage à l'écoute des revendications de ses opposants, allouer un financement aux partis politiques pour leur permettre de faire campagne et mettre en place une commission électorale transparente, composée de personnalités neutres. En contrepartie, l'opposition doit jouer son rôle et lutter pacifiquement, sans chercher à déstabiliser le pouvoir. Elle ferait une erreur en boycottant les élections, mais le pouvoir doit aussi tendre la main aux partis de la Coordination de l'opposition démocratique qui n'ont pas participé au dialogue national. Nous avons besoin de médiateurs pour sortir de l'impasse.
Comprenez-vous la colère des Mauritaniens, notamment des jeunes ?
Leurs attentes sont très grandes et elles sont loin d'être satisfaites, en Mauritanie comme ailleurs. Outre l'accès à des services de base tels que l'eau ou l'électricité, ils demandent des emplois, une juste répartition des richesses et la cohésion nationale. Si elle veut que ses souhaits soient exaucés, la population doit continuer à manifester pacifiquement, mais l'État doit également faire des efforts pour éviter la répression systématique. Les jeunes peuvent porter haut et loin la démocratie, seul rempart contre l'instabilité.
Propos recueillis par Justine Spiegel
Source: Jeune Afrique