La conversion à l’islam serait une forme d’affirmation identitaire politique et sociale qui remettrait en cause l’évolution des mœurs dans les pays occidentaux.
Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le nombre de personnes qui se convertissent à l’islam a considérablement augmenté. Parmi elles, on compte davantage de femmes que d’hommes. Ce phénomène a interpelé la doctorante en anthropologie Géraldine Mossière, qui a entrepris de comprendre la conversion à la religion musulmane chez les femmes québécoises et françaises.
Au terme de 80 entrevues effectuées de part et d’autre de l’Atlantique et d’observations faites dans les mosquées et dans le quotidien des femmes converties, l’étudiante a fait plusieurs découvertes qui se révèlent intrigantes.
«Les gens croient généralement que les femmes occidentales se convertissent parce qu’elles sont amoureuses d’un musulman et qu’elles sont obligées de faire ce sacrifice pour que la relation se poursuive, dit Géraldine Mossière. Or, cela ne correspond pas au profil type que j’ai observé sur le terrain. En fait, c’est plutôt l’inverse. C’est par conviction que ces femmes adhèrent à l’islam et les raisons qui motivent cette décision sont fort différentes.»
La doctorante est convaincue qu’il est impossible de séparer le phénomène de la conversion de son contexte, car c’est une question très chargée politiquement. C’est pourquoi elle avance l’hypothèse voulant que l’adoption de la religion musulmane soit une forme d’affirmation identitaire. «Ces femmes se placent en marge de leur groupe d’origine et adoptent une identité très stigmatisée dans leur milieu. Elles savent très bien que cet acte les marginalisera. Qu’est-ce qui peut les y pousser? Je pense qu’elles adoptent un langage qui est celui de l’islam pour véhiculer un message.» Lequel? Géraldine Mossière, qui effectue encore ses analyses, propose une probable critique des changements de mœurs au Québec depuis la Révolution tranquille. «Le statut de la femme n’est plus le même et peut-être que cela ne convient pas à toutes les femmes, signale-t-elle. Les femmes converties avec lesquelles je me suis entretenue m’ont pour la plupart présenté leur rôle de mère et d’épouse comme un idéal qui les satisfait.» Elles semblent donc se retrouver dans le cadre de référence de la religion musulmane, où les rôles sont clairement répartis entre l’homme et la femme.
En France, la conversion à l’islam remet peut-être en cause la structure sociale très différenciée du pays, qui marginalise les immigrants d’origine maghrébine de génération en génération.
L’islam, une religion rationnelle
Selon les observations de l’étudiante, la conversion à la religion musulmane s’opère surtout entre 20 et 35 ans, tant en France qu’au Québec. La plupart des femmes interrogées menaient une quête spirituelle avant de renoncer à leur foi catholique, mais les trajectoires qui les conduisent à adopter l’islam diffèrent selon le milieu dont elles sont issues.
«En France, les motifs de la conversion naissent au cours des interactions entre les immigrants de confession musulmane et les Français «de souche» dans les banlieues, explique la doctorante. Il survient alors des changements de route comme celui de cette jeune femme de 30 ans que j’ai rencontrée et qui s’est convertie il y a huit ans. Elle a grandi dans une banlieue, au sein d’une famille monoparentale. Comme sa mère travaillait beaucoup, elle était souvent seule à la maison à son retour de l’école. Elle se rendait alors chez son petit voisin musulman pour y faire ses devoirs, puis elle mangeait avec les membres de sa famille. Pendant le ramadan, elle jeûnait avec eux. De fil en aiguille, elle s’est trouvé une identité musulmane par la pratique.»
Au Québec, où les interactions avec les populations musulmanes sont plus récentes, la conversion à l’islam serait davantage liée à la curiosité suscitée par cette religion. «Cet intérêt peut s’exprimer sous diverses formes, par exemple les voyages humanitaires. Des Québécoises se retrouvent en terre musulmane et font la rencontre de l’islam. Progressivement, elles s’y identifient et y adhèrent. Ce cheminement vers la religion de Mahomet peut aussi se faire par la lecture du Coran, de livres sur l’islam ou par la consultation de sites Web.»
De façon générale, les femmes converties à l’islam étaient auparavant athées ou catholiques pratiquantes. Elles ont choisi l’islam «parce que c’est une religion logique». «Elles affirment que le catholicisme ne répondait pas à leur quête de sens, note Géraldine Mossière. La question de la Trinité ou l’idée que Dieu puisse avoir un fils leur paraissent inconcevables et aberrantes. Au contraire, l’islam leur apporte des réponses: c’est une religion rationnelle où tout est expliqué, justifié et codifié. Les pratiques musulmanes ont toutes une logique sous-jacente, que ce soit l’interdiction de manger du porc ou les rapports entre les hommes et les femmes par exemple.»
Un long processus
Même si la décision est profondément murie, la conversion à l’islam ne s’opère pas du jour au lendemain. «C’est une religion qui se pratique sur une base quotidienne, ce qui n’est pas facile au premier abord et requiert tout un apprentissage, fait remarquer Géraldine Mossière. Au début, les converties ne portent pas le voile, ne font pas leurs cinq prières à heures fixes et ne respectent pas toutes les prescriptions alimentaires. Mais, peu à peu, elles intègrent ces pratiques et respectent les prescriptions. À force de lire le Coran et de côtoyer la communauté musulmane, elles en viennent à porter le voile, chose que plusieurs se promettaient de ne jamais faire au moment de leur conversion. Je tiens d’ailleurs à souligner qu’aucune ne dit s’être voilée à la demande de son mari. Toutes considèrent le port du voile comme un acte de foi qui les situe dans leur relation personnelle avec Dieu.»
Paradoxalement, pour ces femmes, le hidjab garantit le respect de leur personne et de leur féminité. «Les nouvelles musulmanes inversent l’argument des féministes en considérant que les femmes en Occident sont devenues des objets, des faire-valoir. Elles se sentent au contraire beaucoup plus libérées, car le voile leur permet de sortir du mode de communication dominant fondé sur la séduction. Elles peuvent ainsi s’exprimer en tant qu’être humain, tout en valorisant leur féminité, comme épouse et mère», indique la doctorante. Le long processus de la conversion ne se déroule pas sans heurts. «Souvent, la famille accepte difficilement ce choix, affirme l’étudiante. Cela crée des tensions et des conflits qui plongent les converties dans un dilemme douloureux, car l’islam préconise le respect des parents, même si ces derniers condamnent cette religion.»
Leurs grands-parents sont souvent les personnes qui comprennent le mieux leur démarche. «Les femmes converties se réfèrent beaucoup à leurs grands-parents, dont elles valorisent le style de vie, dit Géraldine Mossière. Leurs croyances sont différentes, mais ils se rejoignent dans leur rapport avec la foi et dans leur respect de certaines valeurs plus traditionnelles comme les liens sacrés du mariage et de la famille.»
Marie Chan
Source: FORUM (U de M)
(M)
Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le nombre de personnes qui se convertissent à l’islam a considérablement augmenté. Parmi elles, on compte davantage de femmes que d’hommes. Ce phénomène a interpelé la doctorante en anthropologie Géraldine Mossière, qui a entrepris de comprendre la conversion à la religion musulmane chez les femmes québécoises et françaises.
Au terme de 80 entrevues effectuées de part et d’autre de l’Atlantique et d’observations faites dans les mosquées et dans le quotidien des femmes converties, l’étudiante a fait plusieurs découvertes qui se révèlent intrigantes.
«Les gens croient généralement que les femmes occidentales se convertissent parce qu’elles sont amoureuses d’un musulman et qu’elles sont obligées de faire ce sacrifice pour que la relation se poursuive, dit Géraldine Mossière. Or, cela ne correspond pas au profil type que j’ai observé sur le terrain. En fait, c’est plutôt l’inverse. C’est par conviction que ces femmes adhèrent à l’islam et les raisons qui motivent cette décision sont fort différentes.»
La doctorante est convaincue qu’il est impossible de séparer le phénomène de la conversion de son contexte, car c’est une question très chargée politiquement. C’est pourquoi elle avance l’hypothèse voulant que l’adoption de la religion musulmane soit une forme d’affirmation identitaire. «Ces femmes se placent en marge de leur groupe d’origine et adoptent une identité très stigmatisée dans leur milieu. Elles savent très bien que cet acte les marginalisera. Qu’est-ce qui peut les y pousser? Je pense qu’elles adoptent un langage qui est celui de l’islam pour véhiculer un message.» Lequel? Géraldine Mossière, qui effectue encore ses analyses, propose une probable critique des changements de mœurs au Québec depuis la Révolution tranquille. «Le statut de la femme n’est plus le même et peut-être que cela ne convient pas à toutes les femmes, signale-t-elle. Les femmes converties avec lesquelles je me suis entretenue m’ont pour la plupart présenté leur rôle de mère et d’épouse comme un idéal qui les satisfait.» Elles semblent donc se retrouver dans le cadre de référence de la religion musulmane, où les rôles sont clairement répartis entre l’homme et la femme.
En France, la conversion à l’islam remet peut-être en cause la structure sociale très différenciée du pays, qui marginalise les immigrants d’origine maghrébine de génération en génération.
L’islam, une religion rationnelle
Selon les observations de l’étudiante, la conversion à la religion musulmane s’opère surtout entre 20 et 35 ans, tant en France qu’au Québec. La plupart des femmes interrogées menaient une quête spirituelle avant de renoncer à leur foi catholique, mais les trajectoires qui les conduisent à adopter l’islam diffèrent selon le milieu dont elles sont issues.
«En France, les motifs de la conversion naissent au cours des interactions entre les immigrants de confession musulmane et les Français «de souche» dans les banlieues, explique la doctorante. Il survient alors des changements de route comme celui de cette jeune femme de 30 ans que j’ai rencontrée et qui s’est convertie il y a huit ans. Elle a grandi dans une banlieue, au sein d’une famille monoparentale. Comme sa mère travaillait beaucoup, elle était souvent seule à la maison à son retour de l’école. Elle se rendait alors chez son petit voisin musulman pour y faire ses devoirs, puis elle mangeait avec les membres de sa famille. Pendant le ramadan, elle jeûnait avec eux. De fil en aiguille, elle s’est trouvé une identité musulmane par la pratique.»
Au Québec, où les interactions avec les populations musulmanes sont plus récentes, la conversion à l’islam serait davantage liée à la curiosité suscitée par cette religion. «Cet intérêt peut s’exprimer sous diverses formes, par exemple les voyages humanitaires. Des Québécoises se retrouvent en terre musulmane et font la rencontre de l’islam. Progressivement, elles s’y identifient et y adhèrent. Ce cheminement vers la religion de Mahomet peut aussi se faire par la lecture du Coran, de livres sur l’islam ou par la consultation de sites Web.»
De façon générale, les femmes converties à l’islam étaient auparavant athées ou catholiques pratiquantes. Elles ont choisi l’islam «parce que c’est une religion logique». «Elles affirment que le catholicisme ne répondait pas à leur quête de sens, note Géraldine Mossière. La question de la Trinité ou l’idée que Dieu puisse avoir un fils leur paraissent inconcevables et aberrantes. Au contraire, l’islam leur apporte des réponses: c’est une religion rationnelle où tout est expliqué, justifié et codifié. Les pratiques musulmanes ont toutes une logique sous-jacente, que ce soit l’interdiction de manger du porc ou les rapports entre les hommes et les femmes par exemple.»
Un long processus
Même si la décision est profondément murie, la conversion à l’islam ne s’opère pas du jour au lendemain. «C’est une religion qui se pratique sur une base quotidienne, ce qui n’est pas facile au premier abord et requiert tout un apprentissage, fait remarquer Géraldine Mossière. Au début, les converties ne portent pas le voile, ne font pas leurs cinq prières à heures fixes et ne respectent pas toutes les prescriptions alimentaires. Mais, peu à peu, elles intègrent ces pratiques et respectent les prescriptions. À force de lire le Coran et de côtoyer la communauté musulmane, elles en viennent à porter le voile, chose que plusieurs se promettaient de ne jamais faire au moment de leur conversion. Je tiens d’ailleurs à souligner qu’aucune ne dit s’être voilée à la demande de son mari. Toutes considèrent le port du voile comme un acte de foi qui les situe dans leur relation personnelle avec Dieu.»
Paradoxalement, pour ces femmes, le hidjab garantit le respect de leur personne et de leur féminité. «Les nouvelles musulmanes inversent l’argument des féministes en considérant que les femmes en Occident sont devenues des objets, des faire-valoir. Elles se sentent au contraire beaucoup plus libérées, car le voile leur permet de sortir du mode de communication dominant fondé sur la séduction. Elles peuvent ainsi s’exprimer en tant qu’être humain, tout en valorisant leur féminité, comme épouse et mère», indique la doctorante. Le long processus de la conversion ne se déroule pas sans heurts. «Souvent, la famille accepte difficilement ce choix, affirme l’étudiante. Cela crée des tensions et des conflits qui plongent les converties dans un dilemme douloureux, car l’islam préconise le respect des parents, même si ces derniers condamnent cette religion.»
Leurs grands-parents sont souvent les personnes qui comprennent le mieux leur démarche. «Les femmes converties se réfèrent beaucoup à leurs grands-parents, dont elles valorisent le style de vie, dit Géraldine Mossière. Leurs croyances sont différentes, mais ils se rejoignent dans leur rapport avec la foi et dans leur respect de certaines valeurs plus traditionnelles comme les liens sacrés du mariage et de la famille.»
Marie Chan
Source: FORUM (U de M)
(M)