Au camp de Don Bosco, au milieu des 21.000 déplacés, des adolescents jouent au volley-ball à côté d'une grande tante blanche "Unicef". A l'ombre de l'immense manguier, d'autres taquinent le baby-foot avec une petite orange en guise de balle. Un peu plus loin des enfants récitent des poésies dédiées à la paix à l'atelier-théâtre. Partout des enfants courent, crient, jouent au foot.
Au milieu de cette frénésie, le frère Pierre Claver, un religieux qui travaille avec l'Unicef, l'agence de l'ONU pour l'enfance, tient dans sa main les pages roses et blanches de sa liste des "ENA", les "enfants non accompagnés" en langage humanitaire.
"On n'a pas encore recensé tout le monde mais pour l'instant on en a 230 dont 74 qui se sont retrouvés orphelins à l'issue des évènements" qui ont fait plus de 600 morts, selon l'ONU, depuis une dizaine de jours en Centrafrique, explique-t-il.
Les autres se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, sans nulle part où aller au moment des attaques mais leurs parents ne sont pas forcément morts. Il faut juste qu'ils puissent les retrouver alors que certains quartiers ont été désertés dans la crainte de représailles sur fond d'affrontements entre chrétiens et musulmans.
"L'urgence pour eux c'est qu'ils se sentent en sécurité. Qu'ils retrouvent le goût à la vie qu'ils ont complètement perdu. J'en ai vu qui fumaient, ils risquent de se perdre", explique Pierre Claver.
"Ils sont peut-être morts, je ne sais pas"
Les témoignages de ces enfants laissent entrevoir la violence qui a déferlé sur Bangui dans la nuit du 4 au 5 décembre, quand les milices chrétiennes des anti-Balaka ont massacré des civils musulmans en représailles à des exactions des anciens rebelles de la Séléka visant des chrétiens, et la portée du traumatisme subi.
Jocelin, 12 ans, vivait avec sa grand-mère à Bozoum, à 400 km de Bangui, quand il a fui la main-mise des Séléka sur le pays après leur arrivée au pouvoir en mars. Il s'est retrouvé seul, à Bangui, chez sa soeur, au moment où les récentes violences ont éclaté dans la capitale.
"J'ai vu quatre personnes. Deux avaient des machettes, deux des armes. Ils ont tué les enfants des voisins. J'y pense beaucoup, ça m'a fait peur", dit-il du bout des lèvres. "Les Séléka sont venus dans le quartier, ils nous ont attaqués", raconte Saint-Cyr, un bonhomme de 13 ans.
"Ils sont entrés dans les maisons une par une, pour piller et pour tuer". Saint-Cyr est arrivé au camp de Don Bosco avec ses voisins. "Je n'ai pas le moral. Je pense beaucoup à mes parents et à mes grands-parents. Ils sont peut-être morts, je ne sais pas", dit-il au bord du terrain de foot de ce camp de onze hectares.
Dans ce type de camps, en Afrique, l'Unicef estime que la moitié des déplacés sont des enfants et qu'entre 4 et 7% d'entre eux sont "non accompagnés". Dans un coin, au calme, Eloge Lusambya, de l'Unicef Centrafrique, fait passer un entretien aux enfants dont les situations sont les plus critiques, comme Jocelin.
"Les enfants disent que les hommes armés rentrent dans la maison. Ils font sortir le papa, ils tirent. La maman essaye de fuir, ils tirent. Les enfants restent terrés chez eux", raconte M. Lusambya.
Jocelin sera ensuite amené au petit orphelinat de Saint-Anne. Là, depuis les évènements, huit enfants orphelins ont rejoint la quarantaine déjà pris en charge avant la dernière vague de violences.
Dans la petite cour en terre battue de l'orphelinat, sa directrice, soeur Marie-Catherine, attend de pouvoir reprendre les cours pour les enfants en montrant du doigt les petites classes où les tableaux noirs témoignent des derniers exercices de français effectués avant la crise: "les canards défilent à la queue leu leu".
"Sans école, sans occupation, le danger est permanent pour ces enfants", insiste le père Léon, gestionnaire de l'oeuvre de Don Bosco, dédiée à la formation professionnelle et à la réinsertion des jeunes à Bangui. "Si jamais dans la rue on leur promet nguinza (argent en songo, la langue nationale), alors..."
Source: afriquinfos