Pour Xavier Renou, auteur de La privatisation de la violence : mercenaires et sociétés militaires privées au service du marché (Agone, 2006), Bob Denard, mort samedi 13 octobre, n'a jamais répondu de ses crimes devant la justice, l'Etat français n'ayant pas intérêt à faire condamner un de ses protégés.
Quelles étaient les motivations de Robert Denard ? L'argent ? Le pouvoir ? L'idéologie ?
Ce sont les trois à la fois. Au début, il se cherche une vie d'aventure. Expulsé de l'armée française après une bagarre dans un bar, il devient d'abord policier au Maroc, puis mercenaire au Katanga en 1961. Si c'est un anti-communiste notoire dont l'engagement à l'extrême droite est connu, ce n'est pas pour autant un idéologue. Il va œuvrer sous des présidents de droite, mais n'interrompt pas sa collaboration avec l'Etat français lorsque François Mitterrand est élu.
En vieillissant, c'est de plus en plus l'argent qui le motive. Aux Comores, il se crée un petit empire constitué de terres agricoles, d'hôtels et d'une garde présidentielle dont il vend les services pour des actions mercenaires sur le continent.
Robert Denard menait-il ses opérations pour son compte personnel ou en sous-main pour l'Etat français ?
Les deux. Il a systématiquement agi avec le feu vert ou orange des autorités politiques françaises. Mais ce faisant, il cherchait d'abord à s'enrichir. C'est le principe des corsaires qui servaient toujours le même maître. Robert Denard a toujours servi la politique de la France, la "Françafrique"... A aucun moment, il ne s'en est émancipé.
Lorsqu'il a pris le contrôle des Comores, il l'a fait avec l'aval de Paris, car cela permettait à la France de contourner l'embargo en Afrique du Sud et de vendre des produits à un pays qui pratiquait l'apartheid.
On a pu qualifier Robert Denard de personnage "romantique" ou romanesque. Qu'en pensez-vous?
C'était certes un aventurier mais je le trouve moyennement romantique. Il est parti en Afrique défendre le néocolonialisme, les compagnies minières. Il a commis des meutres et des actes de torture... Il est d'abord l'instrument d'une politique sale. Ce n'est pas pour rien que les Africains l'appelaient, lui et d'autres, les "Affreux".
Dans les années 1980, on l'a folklorisé. On l'a fait passer pour quelqu'un de vieux, de dépassé. On l'invite dans des talk-shows à la télé pour qu'il raconte ses mémoires. On en parlait comme si ce n'était pas si grave et passé. Or, c'était plus grave et plus actuel que ce qu'on nous en a dit.
Quelle place prend Robert Denard dans l'histoire du mercenariat au XXe siècle ?
Il fait la transition entre deux époques, entre un mercenariat ponctuel et désorganisé et un mercenariat beaucoup plus sophistiqué, avec des sociétés militaires privées.
Dans les années 1960-1970, les anciennes puissances coloniales s'évertuent à confisquer l'indépendance des nouveaux pays africains en organisant quelques opérations de mercenaires mal ficelées afin de maintenir l'exploitation des richesses du sous-sol. Dans les années 1980, mais surtout à la fin de la guerre froide, il y a une banalisation du recours au mercenaire comme instrument de politique étrangère. Là où dans les années 1960, quelques pieds-nickelés pouvaient faire la différence, il faut aujourd'hui des moyens beaucoup plus conséquents, avec des armements très sophistiqués.
La petite armée de mercenaires que Robert Denard constitue aux Comores dans les années 1980 représente un embryon de société de mercenaires privée, tel que nous les connaissons aujourd'hui.
Robert Denard a-t-il répondu de tous ses crimes ?
Jamais. Il a été condamné à des peines très clémentes, qu'il n'a pas effectuées. Ses procès étaient des mises en scène. Quel intérêt les autorités françaises auraient-elles eu à le sanctionner ? Faire semblant de le condamner était bien suffisant. Bob Denard est un agent qui a toujours agi pour le compte de l'Etat français. Et aujourd'hui, il est parti avec ses secrets.
Propos recueillis par François Béguin
Source: LeMonde
(M)
Quelles étaient les motivations de Robert Denard ? L'argent ? Le pouvoir ? L'idéologie ?
Ce sont les trois à la fois. Au début, il se cherche une vie d'aventure. Expulsé de l'armée française après une bagarre dans un bar, il devient d'abord policier au Maroc, puis mercenaire au Katanga en 1961. Si c'est un anti-communiste notoire dont l'engagement à l'extrême droite est connu, ce n'est pas pour autant un idéologue. Il va œuvrer sous des présidents de droite, mais n'interrompt pas sa collaboration avec l'Etat français lorsque François Mitterrand est élu.
En vieillissant, c'est de plus en plus l'argent qui le motive. Aux Comores, il se crée un petit empire constitué de terres agricoles, d'hôtels et d'une garde présidentielle dont il vend les services pour des actions mercenaires sur le continent.
Robert Denard menait-il ses opérations pour son compte personnel ou en sous-main pour l'Etat français ?
Les deux. Il a systématiquement agi avec le feu vert ou orange des autorités politiques françaises. Mais ce faisant, il cherchait d'abord à s'enrichir. C'est le principe des corsaires qui servaient toujours le même maître. Robert Denard a toujours servi la politique de la France, la "Françafrique"... A aucun moment, il ne s'en est émancipé.
Lorsqu'il a pris le contrôle des Comores, il l'a fait avec l'aval de Paris, car cela permettait à la France de contourner l'embargo en Afrique du Sud et de vendre des produits à un pays qui pratiquait l'apartheid.
On a pu qualifier Robert Denard de personnage "romantique" ou romanesque. Qu'en pensez-vous?
C'était certes un aventurier mais je le trouve moyennement romantique. Il est parti en Afrique défendre le néocolonialisme, les compagnies minières. Il a commis des meutres et des actes de torture... Il est d'abord l'instrument d'une politique sale. Ce n'est pas pour rien que les Africains l'appelaient, lui et d'autres, les "Affreux".
Dans les années 1980, on l'a folklorisé. On l'a fait passer pour quelqu'un de vieux, de dépassé. On l'invite dans des talk-shows à la télé pour qu'il raconte ses mémoires. On en parlait comme si ce n'était pas si grave et passé. Or, c'était plus grave et plus actuel que ce qu'on nous en a dit.
Quelle place prend Robert Denard dans l'histoire du mercenariat au XXe siècle ?
Il fait la transition entre deux époques, entre un mercenariat ponctuel et désorganisé et un mercenariat beaucoup plus sophistiqué, avec des sociétés militaires privées.
Dans les années 1960-1970, les anciennes puissances coloniales s'évertuent à confisquer l'indépendance des nouveaux pays africains en organisant quelques opérations de mercenaires mal ficelées afin de maintenir l'exploitation des richesses du sous-sol. Dans les années 1980, mais surtout à la fin de la guerre froide, il y a une banalisation du recours au mercenaire comme instrument de politique étrangère. Là où dans les années 1960, quelques pieds-nickelés pouvaient faire la différence, il faut aujourd'hui des moyens beaucoup plus conséquents, avec des armements très sophistiqués.
La petite armée de mercenaires que Robert Denard constitue aux Comores dans les années 1980 représente un embryon de société de mercenaires privée, tel que nous les connaissons aujourd'hui.
Robert Denard a-t-il répondu de tous ses crimes ?
Jamais. Il a été condamné à des peines très clémentes, qu'il n'a pas effectuées. Ses procès étaient des mises en scène. Quel intérêt les autorités françaises auraient-elles eu à le sanctionner ? Faire semblant de le condamner était bien suffisant. Bob Denard est un agent qui a toujours agi pour le compte de l'Etat français. Et aujourd'hui, il est parti avec ses secrets.
Propos recueillis par François Béguin
Source: LeMonde
(M)