Bienvenue à la maison !

Depuis quelques jours, les déportés mauritaniens, réfugiés des camps du Sénégal et du Mali font leurs maigres paquetages. Ils se préparent à monter dans les camions du HCR qui les amèneront vers cette frontière que des militaires, dans des camions de l'armée de leur propre pays, il y'a de cela bientôt vingt ans, les forcèrent, pour la plupart d'entre eux, à traverser dans l'autre sens. Bientôt vingt ans ! Une génération de ressortissants de la Vallée est née et a grandi dans des camps de réfugiés, à un jet de pierre des villages de ses parents.
Le Président de la République, avec beaucoup de panache et de courage politique, vient de mettre fin à cette situation ; le peuple mauritanien lui en sait gré et l'histoire de la Mauritanie le lui rendra.
Bienvenue dans vos villages et bienvenue à la maison. C'est tout ce que ces Mauritaniens doivent entendre. C'est ce que la décence recommande et que l'intérêt de la Mauritanie exige. L'accueil de ces déportés de retour au Pays ne devra avoir de mesure que la honte de les avoir déportés ou laissés déporter, nuitamment, un par un ou par petits groupes…
J'entends ça et là et lis dans la presse écrite, sous le paraphe de tel « intellectuel » ou tel autre « groupe d'universitaires » indéfini (souvent en la seule version arabe) ou bien dans les colonnes des sites électroniques sous les signatures de courageux et bavards anonymes des mises en garde alarmées et des cris désespérés pour prévenir la Mauritanie contre l'invasion venue des camps. Les Peuls de l'Afrique de l'Ouest seraient en train de se regrouper au Mali et au Sénégal pour donner l'estocade à l'identité arabe de la Mauritanie. Ils viendraient dans les bagages des réfugiés et profiteraient de la faiblesse de nos services de l'Etat civil pour provoquer un dangereux déséquilibre démographique et nous voler notre pétrole… Certains de ces envahisseurs ne s'arrêteraient pas là et viseraient la tant convoitée Europe et passeraient à l'abordage avec des papiers mauritaniens noircissant encore plus l'image de notre pays…
Et suivent les amalgames. Les pires de tous. L'instrumentation de la misère des uns pour perpétuer celle des autres. Ceux-là même dont l'idéologie avait servi de carburant pour les camions qui déportaient les populations entières enfourchent aujourd'hui le désarroi des Mauritaniens et Sénégalais d'origine mauritanienne victimes de pogromes de 1989 pour faire barrage au retour des réfugiés. Quelle misère !
Et à ces oiseaux de mauvais augure d'épilogue sur le nombre des déportés. Et on exige les vérifications les plus tatillonnes. Et comment l'Etat pourra faire face ? Et les autres pauvres ? Tout pour que ce qui devra être des retrouvailles se transforme en procès en immigration clandestine…
Messieurs les apôtres de la pureté ethnique votre solution finale n'a pas pris. Vous devriez avoir honte de vous présenter vos faces devant les Mauritaniens. Vous devriez présenter vos excuses au peuple mauritanien. Le Président a commencé à le faire pour vous ; je le trouve bien bon.
Les Negro-africains de Mauritanie ne sont pas solubles dans les sociétés sénégalaise et malienne. Le chimiste dirait qu'ils ont « précipité ». Ils ont formé des concrétions à la frontière. Ils ont tenu et se sont tenus presque vingt ans durant. Leur pays c'est de l'autre côté du fleuve. Imaginez les habitants d'Aghchorguit déportés à Aioun Elatrouss. Je suis sûr qu'ils se débrouilleraient pour ouvrir un camp de réfugiés dans les environs de LEGOUERA.

Dans l'introduction à son discours, le Président de la République précisait : « Des citoyens mauritaniens à l'intérieur et à l'extérieur du pays ainsi que des résidents établis en Mauritanie ont été victimes d'exactions graves et injustifiées. Des populations mauritaniennes paisibles se sont vues contraintes à quitter leur pays. Des atteintes cruelles à la dignité, des abus et dénis de droit d'une grande ampleur ont été commis. (le gras est ajouté à la citation) ».Les victimes des pogromes de 1989, de part et d'autre du fleuve n'ont pas été oubliées. Leur problème doit se régler entre Etats, dans le cadre des accords bilatéraux et de bon voisinage. les « populations mauritaniennes paisibles », les gisants sans sépulture dans les fosses communes de Elaazlat et Sori Malé, les suppliciés d'Inal et de Walata, leurs veuves et orphelins ne sont pour rien dans cette autre tragédie et la résolution de leur problème ne pourrait en souffrir.

Il y'a des organismes internationaux dont le professionnalisme et la compétence dans la gestion de ce genre de situation sont reconnus. Les responsables de l'Etat mauritanien ont eu raison de les impliquer. Il est aussi très heureux que le Président ait fait appel à la solidarité internationale et à la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la scène politique nationale. Les Etats malien et sénégalais doivent, eux aussi et à leur place, y être associés. Après tout ces pays ont offert l'hospitalité à nos compatriotes et c'est sur leur territoire respectif que l'opération de retour va démarrer.

Evidemment qu'il ne faut pas négliger les aspects administratifs et de contrôle des flux. Le problème n'est pas que celui des réfugiés restés aux camps. Il y'a aussi ceux qui sont déjà rentrés et dont la situation avait été ignorée par l'Administration et la Justice. Il y'a les radiés de la fonction publique et de l'Armée. Il y'a les veuves et les orphelins. Il y'a les dépouilles à ramener et à enterrer dignement.

Le Président de la République, par la solennité du propos et la gravité du ton, avait placé le problème de la concorde nationale au niveau qui lui revient, le plus haut. Il lui reste, à lui et à son gouvernement mais aussi aux partis politiques et aux deux chambres du Parlement de finir le travail.

L'ensemble des partis politiques, organisations syndicales et de la société civile appellent à des journées de concertation pour crever des abcès et réduire certains blocages. J'y souscris et crois que ce serait le meilleur moyen de couper cours au travail de sape qu'entreprennent dore et déjà ceux qui considèrent qu'une Mauritanie réunifiée, apaisée et prospérant à l'ombre d'un Etat de droit serait une insulte à leur pedigree.

Ne laissons pas les identités étroites refaire voler en éclat celle qui nous est commune. Le retour digne et organisé des réfugiés, avec la préservation du droit qui est le leur de poursuivre ou pas leurs bourreaux, est un premier pas. Il aurait dû être fait dés le début de la transition et en même temps que l'amnistie et le retour digne et organisé de la mouvance des Cavaliers du Changement. Les réfugiés doivent être acteurs des solutions de leur problématique. Le reste, l'amour de la Mauritanie et des Mauritaniens que je refuse à réduire à du patriotisme le fera.

Avec mes amitiés

Mohamed Baba