Des adolescentes dans une salle de classe à Bamako.
A l'occasion de la journée internationale de la francophonie, ce mercredi 20 mars, RFI s’intéresse aux différences entre hommes et femmes dans la maîtrise du français en Afrique. Les chiffres montrent un déséquilibre persistant, même si celui-ci se réduit, grâce à la progression de l’éducation des filles et à la faveur du nouveau rôle des femmes dans les sociétés africaines.
Les statistiques comparant les niveaux de français des hommes et des femmes en Afrique sont pour l’instant encore éparses. On doit cependant aux chercheurs associés à l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF), d’en avoir rassemblé quelques unes, tirées des recensements de la population. La tendance, pour les différents pays observés est la même : les hommes parlent plus le français que les femmes.
Au Bénin, en 2002, le pourcentage de francophones chez les hommes était de 43%, contre 25,8% chez les femmes. Ecart important aussi au Burkina-Faso : 31,5% de francophones chez les hommes en 2006, contre 19,6 chez les femmes. Tandis qu’au Sénégal, en 2002, 29,5% des hommes était considérés comme francophones, contre 22,3% des femmes.
La scolarisation, un facteur clé
Principal élément d’explication : en Afrique dite « francophone », le français n’est la plupart du temps qu’une deuxième ou troisième langue, après les langues « nationales ». Il s’apprend surtout à l’école. Les différences dans les niveaux d’apprentissage du français recouvrent donc en grande partie celles qui existent entre garçons et filles dans l’accès au système scolaire.
Alphabétisation et genre en Guinée
Djibril Fofana (INRAP) a notamment participé au rapport « Problématique de l’alphabétisation dans une perspective de l’équité en genre et de la réduction de la pauvreté en Guinée », publié en 2006 par l’Institut de l’Unesco pour l’éducation.
« En milieu rural, il y a des croyances qui persistent et qui conduisent les parents à plutôt encourager la scolarisation des garçons, à les pousser davantage que les filles », explique Djibril Fofana de l’INRAP, Institut de Recherche et d’Action Pédagogique de Conakry, en Guinée. « Même en milieu scolaire, les filles subissent parfois une certaine marginalisation, elles sont moins bien traitées… ce qui ne les incite pas à s’exprimer devant les autres comme les garçons. »
La situation évolue progressivement. Depuis 2000, la parité entre les sexes a progressé dans l’enseignement primaire en Afrique sub-saharienne. « Les données qu’on a de l’UNESCO ou d’autres institutions montrent bien qu’il y a un rattrapage qui est en train de se faire en Afrique subsaharienne. Donc ce décalage de scolarisation risque de jouer de moins en moins », estime Richard Marcoux, professeur de l’université de Laval et directeur de l’ODSEF.
« Mais, ajoute-t-il, il demeure que la plus faible insertion des femmes sur le marché du travail formel, ou leur insertion dans des réseaux sociaux traditionnels fait que le français est peut-être moins important pour elles dans certains pays. »
Transformations des sociétés
Sur ce point aussi, la situation n’est pas figée. Les difficultés économiques ont obligé les conjointes à contribuer au budget familial. Et certaines femmes font le projet d’apprendre le français pour se doter des outils intellectuels adaptés à leur nouvelle place au sein de la société.
Dans les Maisons des savoirs de Ouagadougou, un projet commun à la francophonie et à la mairie de la capitale burkinabé, les femmes manifestent ainsi un intérêt croissant pour une langue considérée comme langue de travail. « Nos mamans n’étaient pas trop dans ces activités génératrices de revenus », explique Toéné Ba Sassiatou, responsable de la maison des savoirs de l’arrondissement de Baskuy. « Elles se consacraient plus à la famille, aux activités d’éducation, aux activités quotidiennes. Mais aujourd’hui les femmes vont au-delà de cela. Il y a un besoin de participer aux activités génératrices de revenu. Et dans ces activités il faut forcément avoir un niveau en français. »
La langue française est en effet nécessaire pour la bonne marche d’un commerce moderne. « Ce sont des commerçantes », poursuit Toéné Ba Sassiatou. « Elles lancent leurs commandes avec des téléphones portables. Il faut qu’elles envoient des SMS, des factures… Elles se sont rendues compte de la nécessité d’améliorer leur niveau en français. »
Même évolution du rôle des femmes dans le département de l’Atacora, dans le nord du Bénin. Et même problématique. L’ONG Potal Men y conduit des activités d’alphabétisation. Selon son directeur exécutif, Bio Orou Djega, les femmes sont de plus en plus nombreuses à manifester leur désir d’apprendre les bases du français.
« De plus en plus de femmes prennent conscience de leur importance à tous les niveaux », explique-t-il à RFI depuis son bureau de Natitingou. « Une petite étude a montré que dans le département elles participent à plus de 72% à la production des richesses locales à travers les activités génératrices de revenu et les différents métiers comme la coiffure, la couture, etc. Aujourd’hui, elles sentent qu’elles sont une ‘puissance’, mais elles sont limitées du fait qu’elles ne parlent pas le français. »
La langue française n’est d’ailleurs pas qu’un simple outil. Sa maîtrise est aussi une façon, pour les femmes d’affirmer leur nouvelle place en politique ou dans les syndicats. Comme au Sénégal, où la loi sur la parité appliquée lors des dernières législatives a créé un appel d’air de cadres politiques féminins.
« Parler le français, c’est montrer à ses électeurs qu’on est éduqué, qu’on comprend les débats politiques », analyse Mamadou Cissé, enseignant chercheur au département de linguistique de l’Université Cheikh Anta Diop. « Pour les femmes élues, c’est aussi une façon de prouver qu’elles sont au même niveau que les hommes, qu’elles ne sont pas seulement là pour applaudir et peuvent prendre les devants. »
Regards d’hommes
Les maris, eux, sont-ils prêts à accepter l’entrée de leurs épouses dans la sphère francophone ? Selon Bio Orou Djega, les réactions ne sont pas toujours positives : « Si certains les soutiennent, d’autres continuent à bloquer en disant que la femme doit rester au foyer où elle a beaucoup de travaux à effectuer. »
Toéné Ba Sassiatou, elle, est plus optimiste : « C’est une surprise très agréable. Il y a même des maris qui viennent inscrire leurs femmes. Ce ne sont pas des formations qu’elles font en cachette. Les maris les déposent ici. Ils ont compris. Je crois qu’il n’y a pas de problème. »
Source: RFI
Les statistiques comparant les niveaux de français des hommes et des femmes en Afrique sont pour l’instant encore éparses. On doit cependant aux chercheurs associés à l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF), d’en avoir rassemblé quelques unes, tirées des recensements de la population. La tendance, pour les différents pays observés est la même : les hommes parlent plus le français que les femmes.
Au Bénin, en 2002, le pourcentage de francophones chez les hommes était de 43%, contre 25,8% chez les femmes. Ecart important aussi au Burkina-Faso : 31,5% de francophones chez les hommes en 2006, contre 19,6 chez les femmes. Tandis qu’au Sénégal, en 2002, 29,5% des hommes était considérés comme francophones, contre 22,3% des femmes.
La scolarisation, un facteur clé
Principal élément d’explication : en Afrique dite « francophone », le français n’est la plupart du temps qu’une deuxième ou troisième langue, après les langues « nationales ». Il s’apprend surtout à l’école. Les différences dans les niveaux d’apprentissage du français recouvrent donc en grande partie celles qui existent entre garçons et filles dans l’accès au système scolaire.
Alphabétisation et genre en Guinée
Djibril Fofana (INRAP) a notamment participé au rapport « Problématique de l’alphabétisation dans une perspective de l’équité en genre et de la réduction de la pauvreté en Guinée », publié en 2006 par l’Institut de l’Unesco pour l’éducation.
« En milieu rural, il y a des croyances qui persistent et qui conduisent les parents à plutôt encourager la scolarisation des garçons, à les pousser davantage que les filles », explique Djibril Fofana de l’INRAP, Institut de Recherche et d’Action Pédagogique de Conakry, en Guinée. « Même en milieu scolaire, les filles subissent parfois une certaine marginalisation, elles sont moins bien traitées… ce qui ne les incite pas à s’exprimer devant les autres comme les garçons. »
La situation évolue progressivement. Depuis 2000, la parité entre les sexes a progressé dans l’enseignement primaire en Afrique sub-saharienne. « Les données qu’on a de l’UNESCO ou d’autres institutions montrent bien qu’il y a un rattrapage qui est en train de se faire en Afrique subsaharienne. Donc ce décalage de scolarisation risque de jouer de moins en moins », estime Richard Marcoux, professeur de l’université de Laval et directeur de l’ODSEF.
« Mais, ajoute-t-il, il demeure que la plus faible insertion des femmes sur le marché du travail formel, ou leur insertion dans des réseaux sociaux traditionnels fait que le français est peut-être moins important pour elles dans certains pays. »
Transformations des sociétés
Sur ce point aussi, la situation n’est pas figée. Les difficultés économiques ont obligé les conjointes à contribuer au budget familial. Et certaines femmes font le projet d’apprendre le français pour se doter des outils intellectuels adaptés à leur nouvelle place au sein de la société.
Dans les Maisons des savoirs de Ouagadougou, un projet commun à la francophonie et à la mairie de la capitale burkinabé, les femmes manifestent ainsi un intérêt croissant pour une langue considérée comme langue de travail. « Nos mamans n’étaient pas trop dans ces activités génératrices de revenus », explique Toéné Ba Sassiatou, responsable de la maison des savoirs de l’arrondissement de Baskuy. « Elles se consacraient plus à la famille, aux activités d’éducation, aux activités quotidiennes. Mais aujourd’hui les femmes vont au-delà de cela. Il y a un besoin de participer aux activités génératrices de revenu. Et dans ces activités il faut forcément avoir un niveau en français. »
La langue française est en effet nécessaire pour la bonne marche d’un commerce moderne. « Ce sont des commerçantes », poursuit Toéné Ba Sassiatou. « Elles lancent leurs commandes avec des téléphones portables. Il faut qu’elles envoient des SMS, des factures… Elles se sont rendues compte de la nécessité d’améliorer leur niveau en français. »
Même évolution du rôle des femmes dans le département de l’Atacora, dans le nord du Bénin. Et même problématique. L’ONG Potal Men y conduit des activités d’alphabétisation. Selon son directeur exécutif, Bio Orou Djega, les femmes sont de plus en plus nombreuses à manifester leur désir d’apprendre les bases du français.
« De plus en plus de femmes prennent conscience de leur importance à tous les niveaux », explique-t-il à RFI depuis son bureau de Natitingou. « Une petite étude a montré que dans le département elles participent à plus de 72% à la production des richesses locales à travers les activités génératrices de revenu et les différents métiers comme la coiffure, la couture, etc. Aujourd’hui, elles sentent qu’elles sont une ‘puissance’, mais elles sont limitées du fait qu’elles ne parlent pas le français. »
La langue française n’est d’ailleurs pas qu’un simple outil. Sa maîtrise est aussi une façon, pour les femmes d’affirmer leur nouvelle place en politique ou dans les syndicats. Comme au Sénégal, où la loi sur la parité appliquée lors des dernières législatives a créé un appel d’air de cadres politiques féminins.
« Parler le français, c’est montrer à ses électeurs qu’on est éduqué, qu’on comprend les débats politiques », analyse Mamadou Cissé, enseignant chercheur au département de linguistique de l’Université Cheikh Anta Diop. « Pour les femmes élues, c’est aussi une façon de prouver qu’elles sont au même niveau que les hommes, qu’elles ne sont pas seulement là pour applaudir et peuvent prendre les devants. »
Regards d’hommes
Les maris, eux, sont-ils prêts à accepter l’entrée de leurs épouses dans la sphère francophone ? Selon Bio Orou Djega, les réactions ne sont pas toujours positives : « Si certains les soutiennent, d’autres continuent à bloquer en disant que la femme doit rester au foyer où elle a beaucoup de travaux à effectuer. »
Toéné Ba Sassiatou, elle, est plus optimiste : « C’est une surprise très agréable. Il y a même des maris qui viennent inscrire leurs femmes. Ce ne sont pas des formations qu’elles font en cachette. Les maris les déposent ici. Ils ont compris. Je crois qu’il n’y a pas de problème. »
Source: RFI