Dans certains villages du sud de la Mauritanie frontaliers notamment avec le Sénégal, les conséquences des évènements de 1989 sont toujours fortes. Quelque part, entre Niaaki et Sorimalé, dans la moughataa de Mbagne, à l’aide d’un mégaphone, un homme distille des psaumes de recueillement et des slogans de justice.
En ce matin du vendredi 24 novembre 2012, l’atmosphère est presqu’inhabituelle. Nous sommes à un jet de pierres de la célèbre fausse commune de Sorimalé, devenue aujourd’hui un village-fantôme. Dans ce charnier, découvert le 18 décembre 1990, y reposent : Ly Amadou Oumar né en 1918, Dia Samba Diouldé né en 1918, Diallo Thierno né en 1946 et Ly Abou Mamadou né en 1967.
"On a découvert leurs dépouilles mortelles complètement décomposées et elles ont pu être identifiées grâce à leurs habits et les talismans qu’ils portaient", explique un parent proche de feu Ly Abou Mamadou. "Il n’existe que Dieu. En dehors de Lui, il n’y a rien qui existe. Tout disparait sur terre sauf Dieu. Seule la justice vaincra", renchérit-il haut et fort.
"Le temps a coulé mais on n’a pas oublié"
En 1989, après la crise entre le Sénégal et la Mauritanie, on assiste, sous le régime de Mâaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, à une véritable politique de chasse à l’homme désormais érigée en règle en Mauritanie. Au bout du compte, des centaines de localités seront vidées de leurs populations et versées vers l’autre rive du Fleuve Sénégal. Des centaines de personnes seront arrêtées, emprisonnées et condamnées sans aucune forme de procès. Selon des témoignages recueillis ça et là, dans la vallée, beaucoup de personnes ont été passées au crible des balles puis jetées quelque part dans la nature, loin de tout soupçon.
Aujourd’hui, des organisations de défense des droits de l’Homme- IRA-Mauritanie, SOS Esclaves, TPMN, Kawtal Jeelitaare, OMDH, COVICIM, CJH, OJDDS, CR- reviennent sur les terres de Sorimalé pour commémorer les martyrs des évènements de 1989. Aujourd’hui, les langues se sont déliées, la peur de parler ne tourne plus en plein régime. C’est comme si une épine venait d’être enlevée de leurs pieds.
"C’est vrai que beaucoup de temps a coulé mais on n’a pas oublié. Je suis là pour prier pour le repos des âmes des victimes des évènements de 1989", confie Mouhamed Lamine Djiba Ba, originaire de Thiodji Ngoulé. Cet homme d’une quarantaine d’années explique que son oncle, Mamadou Hamady Malal, gardien de champs agricoles, a disparu après les évènements de 1989. "Jusqu’à présent, on n’a pas retrouvé son corps", dit-il, l’air absent.
Selon des statistiques fournies par des organisations de défense des droits de l’Homme, 476 localités auraient été déportées, 355 victimes recensées et 4 charniers découverts entre Wothie, Sorimalé, Wending et Teydoumal.
Les auteurs de ces faits ne peuvent pas être poursuivis par la justice en raison d’une loi d’amnistie de 1993 votée par le Parlement mauritanien. "La page n’est pas encore tournée. Le pardon n’est pas non plus à l’ordre du jour. Les victimes et les ayants-droits demandent la vérité et la justice", avance Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures d’IRA-Mauritanie.
Handicapé à vie
"On ne peut pas offrir ce que l’on ne nous a pas demandés", renchérit Anne Oumar Samba, 70 ans, handicapé à vie. Cet homme né à Sorimalé a servi la Garde Nationale pendant 24 ans entre Nouakchott, Chinguitty, Zouérate, Akjoujt, Mbagne, Aleg et Maale.
Il a perdu sa vue, sa deuxième femme, sa mobilité. Néanmoins, il parle et se souvient au détail près de son arrestation le 12 décembre 1989 par des éléments de la Gendarmerie Nationale, des heures d’enquête qu’il a subies, de sa détention à la prison d’Aleg et ensuite à la prison civile de Nouakchott où il sera détenu pendant plus d’une année. "J’ai subi des choses innommables", affirme-t-il, après un long moment de silence.
Sa vie va bousculer une seconde fois après sa libération en 1991. Alors qu’il est en train de se remettre, à Sorimalé, de son séjour carcéral à la prison civile de Nouakchott, Anne Oumar Samba est accusé, lui et quatre autres personnes, d’avoir tué un commerçant. Il est arrêté et emprisonné à nouveau à la prison d’Aleg. Il affirme y avoir subi des tortures physiques et morales. "C’est à ma sortie de prison que je suis devenu ce que je suis aujourd’hui. J’avais la force de marcher, d’aller et de revenir. Maintenant, on fait tout pour moi", raconte Anne Oumar Samba.
Comme tant d’autres, il demande que les auteurs d’actes de torture soient traduits devant la justice. "Chacun est responsable de ses agissements. Du moment que les malfaiteurs sont connus qu’on les traduise en justice pour connaître la vérité sur les purges à caractère ethnique, les disparitions et les cas de torture", souligne Anne Oumar Samba.
Entre 1989 et 1992, plus de 120.000 mauritaniens ont été déportés vers le Sénégal. Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah pour engager le processus de leur rapatriement en collaboration avec le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le gouvernement sénégalais.
Sous Mohamed Ould Abdel Aziz, des militaires victimes d'événements situés dans la période 1981-2004 (coups d'Etat et purges à caractère ethnique) ont bénéficié d'indemnisations, dans le cadre du règlement du passif humanitaire. Il a également régularisé des fonctionnaires et agents de la fonction publique victimes des évènements de 1989.
Des mesures qui le pousseront à déclarer à Atar, en août 2012, que " le règlement du passif humanitaire est clos ". "Il n’a pas eu de proches parents victimes des évènements de 1989. Il n’a aucune légitimité pour pardonner à notre place. Nous, on veut la justice. Si, la Mauritanie est un Etat de droit qu’on fasse la lumière sur ce qui s’est passé dans la vallée", décrit Abou Sarr.
Vingt-deux ans après les évènements de 1989, les ayants-droits épaulés par des ONG de défense des droits de l’Homme continuent à faire entendre leurs voix pour espérer que leurs revendications, notamment celle de justice, soient prises en charge par l’Etat mauritanien.
Babacar Baye Ndiaye
Source: Cridem
En ce matin du vendredi 24 novembre 2012, l’atmosphère est presqu’inhabituelle. Nous sommes à un jet de pierres de la célèbre fausse commune de Sorimalé, devenue aujourd’hui un village-fantôme. Dans ce charnier, découvert le 18 décembre 1990, y reposent : Ly Amadou Oumar né en 1918, Dia Samba Diouldé né en 1918, Diallo Thierno né en 1946 et Ly Abou Mamadou né en 1967.
"On a découvert leurs dépouilles mortelles complètement décomposées et elles ont pu être identifiées grâce à leurs habits et les talismans qu’ils portaient", explique un parent proche de feu Ly Abou Mamadou. "Il n’existe que Dieu. En dehors de Lui, il n’y a rien qui existe. Tout disparait sur terre sauf Dieu. Seule la justice vaincra", renchérit-il haut et fort.
"Le temps a coulé mais on n’a pas oublié"
En 1989, après la crise entre le Sénégal et la Mauritanie, on assiste, sous le régime de Mâaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, à une véritable politique de chasse à l’homme désormais érigée en règle en Mauritanie. Au bout du compte, des centaines de localités seront vidées de leurs populations et versées vers l’autre rive du Fleuve Sénégal. Des centaines de personnes seront arrêtées, emprisonnées et condamnées sans aucune forme de procès. Selon des témoignages recueillis ça et là, dans la vallée, beaucoup de personnes ont été passées au crible des balles puis jetées quelque part dans la nature, loin de tout soupçon.
Aujourd’hui, des organisations de défense des droits de l’Homme- IRA-Mauritanie, SOS Esclaves, TPMN, Kawtal Jeelitaare, OMDH, COVICIM, CJH, OJDDS, CR- reviennent sur les terres de Sorimalé pour commémorer les martyrs des évènements de 1989. Aujourd’hui, les langues se sont déliées, la peur de parler ne tourne plus en plein régime. C’est comme si une épine venait d’être enlevée de leurs pieds.
"C’est vrai que beaucoup de temps a coulé mais on n’a pas oublié. Je suis là pour prier pour le repos des âmes des victimes des évènements de 1989", confie Mouhamed Lamine Djiba Ba, originaire de Thiodji Ngoulé. Cet homme d’une quarantaine d’années explique que son oncle, Mamadou Hamady Malal, gardien de champs agricoles, a disparu après les évènements de 1989. "Jusqu’à présent, on n’a pas retrouvé son corps", dit-il, l’air absent.
Selon des statistiques fournies par des organisations de défense des droits de l’Homme, 476 localités auraient été déportées, 355 victimes recensées et 4 charniers découverts entre Wothie, Sorimalé, Wending et Teydoumal.
Les auteurs de ces faits ne peuvent pas être poursuivis par la justice en raison d’une loi d’amnistie de 1993 votée par le Parlement mauritanien. "La page n’est pas encore tournée. Le pardon n’est pas non plus à l’ordre du jour. Les victimes et les ayants-droits demandent la vérité et la justice", avance Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures d’IRA-Mauritanie.
Handicapé à vie
"On ne peut pas offrir ce que l’on ne nous a pas demandés", renchérit Anne Oumar Samba, 70 ans, handicapé à vie. Cet homme né à Sorimalé a servi la Garde Nationale pendant 24 ans entre Nouakchott, Chinguitty, Zouérate, Akjoujt, Mbagne, Aleg et Maale.
Il a perdu sa vue, sa deuxième femme, sa mobilité. Néanmoins, il parle et se souvient au détail près de son arrestation le 12 décembre 1989 par des éléments de la Gendarmerie Nationale, des heures d’enquête qu’il a subies, de sa détention à la prison d’Aleg et ensuite à la prison civile de Nouakchott où il sera détenu pendant plus d’une année. "J’ai subi des choses innommables", affirme-t-il, après un long moment de silence.
Sa vie va bousculer une seconde fois après sa libération en 1991. Alors qu’il est en train de se remettre, à Sorimalé, de son séjour carcéral à la prison civile de Nouakchott, Anne Oumar Samba est accusé, lui et quatre autres personnes, d’avoir tué un commerçant. Il est arrêté et emprisonné à nouveau à la prison d’Aleg. Il affirme y avoir subi des tortures physiques et morales. "C’est à ma sortie de prison que je suis devenu ce que je suis aujourd’hui. J’avais la force de marcher, d’aller et de revenir. Maintenant, on fait tout pour moi", raconte Anne Oumar Samba.
Comme tant d’autres, il demande que les auteurs d’actes de torture soient traduits devant la justice. "Chacun est responsable de ses agissements. Du moment que les malfaiteurs sont connus qu’on les traduise en justice pour connaître la vérité sur les purges à caractère ethnique, les disparitions et les cas de torture", souligne Anne Oumar Samba.
Entre 1989 et 1992, plus de 120.000 mauritaniens ont été déportés vers le Sénégal. Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah pour engager le processus de leur rapatriement en collaboration avec le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le gouvernement sénégalais.
Sous Mohamed Ould Abdel Aziz, des militaires victimes d'événements situés dans la période 1981-2004 (coups d'Etat et purges à caractère ethnique) ont bénéficié d'indemnisations, dans le cadre du règlement du passif humanitaire. Il a également régularisé des fonctionnaires et agents de la fonction publique victimes des évènements de 1989.
Des mesures qui le pousseront à déclarer à Atar, en août 2012, que " le règlement du passif humanitaire est clos ". "Il n’a pas eu de proches parents victimes des évènements de 1989. Il n’a aucune légitimité pour pardonner à notre place. Nous, on veut la justice. Si, la Mauritanie est un Etat de droit qu’on fasse la lumière sur ce qui s’est passé dans la vallée", décrit Abou Sarr.
Vingt-deux ans après les évènements de 1989, les ayants-droits épaulés par des ONG de défense des droits de l’Homme continuent à faire entendre leurs voix pour espérer que leurs revendications, notamment celle de justice, soient prises en charge par l’Etat mauritanien.
Babacar Baye Ndiaye
Source: Cridem