« Le Québec pourrait jouer un rôle plus important au sein de la francophonie»
La dynamique Nord-Sud de la francophonie est en pleine mutation du fait d'un basculement, voire d'un dérangement sans précédent de sa démographie. Par conséquent, les paradigmes sont appelés à changer. Dans cette mouvance historique, le Québec pourrait jouer un rôle-clé, soit celui de «passeur d'idées», avancent deux experts qui sont au coeur de cette internationale francophone.
Démographe et professeur au département de sociologie de l'université Laval, Richard Marcoux observe depuis longtemps le monde de la francophonie sous l'angle de la donne démographique. Et ses observations scientifiques nous dirigent tout droit vers le continent africain qui connaît une forte croissance de sa population, qui passerait ainsi d'environ un milliard de personnes en l'an 2000 à deux milliards en 2050, dit-il. À l'évidence, le nombre de locuteurs francophones d'Afrique augmente également. Cette seule constatation n'est pas sans intérêt, selon le chercheur Marcoux, directeur des Cahiers québécois de démographie et ancien coordonnateur du Réseau de chercheurs en démographie à l'Agence universitaire de la Francophonie.
«Écoutez, les enjeux démographiques sont au coeur de nos sociétés, souligne M. Marcoux en début d'entrevue. On le voit présentement au Québec avec les débats touchant l'immigration et la langue française. Et quand on regarde la francophonie dans son ensemble, on constate qu'il existe 32 états et gouvernements dont le français est la langue officielle. Elle est parfois une des langues officielles d'un pays donné. Maintenant, ce qu'il est important de comprendre, c'est que les deux tiers de ces États sont situés en Afrique. Donc, sur le strict plan gouvernemental [pour en ne pas dire politique], c'est important.»
Paradigmes
En clair, ajoute-t-il, outre cinq pays européens -- principalement la France, la Belgique et la Suisse -- le Québec, le Canada et Haïti, «tous les autres pays sont situés en Afrique!». Mieux, si dans les années 1960 les locuteurs des pays francophones du Nord représentaient 80 % de l'ensemble des francophones de la planète, ce taux est passé à 50 % en 2000. Et selon des études expertes, ils ne représenteront plus que 15 % des francophones en 2050. Présentement, on estime à 200 millions le nombre de francophones dans le monde, alors qu'ils seront plus de 600 millions en 2050. Si cette tendance démographique profite à l'Afrique, elle n'est pas sans changer «les paradigmes de la francophonie, c'est-à-dire les relations Nord-Sud, entre autres choses», note M. Marcoux.
«À cela s'ajoutent des investissements considérables dans le Sud en matière d'éducation. À ce titre, je pense aux Objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies. Au Québec, en Belgique, en France ou encore en Suisse, nous avons fait le plein en éducation, ce qui n'est pas encore le cas en Afrique; je l'ai constaté au Mali où seulement un enfant sur quatre, âgé de 8 à 12 ans, vivant en milieu rural, fréquente l'école. Mais ces investissements favorisent une augmentation notable du taux de scolarisation. C'est bon signe.»
Québec, passeur d'idées
Certes, mais quel rôle le Québec pourrait-il jouer dans cette mouvance démographique à la faveur d'une certaine Afrique au sein de la francophonie? «Celui de passeur d'idées! Le Québec pourrait jouer un rôle plus important au sein de la francophonie. Le Québec n'a pas un passé colonial, mais un passé de colonisé. Notre histoire et notre passé, qui sont marqués par la résistance, suscitent de l'intérêt et du respect à l'échelle internationale. Et vous savez, il existe une certaine complicité entre la situation qui prévaut dans les pays du Sud et la situation québécoise, par le biais notamment de la dimension multilingue. C'est une richesse en soi».
Tiens, l'idée d'un Québec en qualité de «passeur d'idées» plaît souverainement à Clément Duhaime, administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui était récemment de passage au Québec dans le cadre des préparatifs de ce Sommet de la Francophonie qui se tiendra à Québec en octobre prochain. «J'aime beaucoup cette expression que propose M. Marcoux. En effet, "passeur d'idées" caractérise très bien les hommes et les femmes d'ici, et ce, depuis longtemps. Les Québécois ne sont pas renfermés sur eux-mêmes. À preuve, on n'a qu'à penser au rayonnement de la culture québécoise sur le plan international ou encore aux réussites économiques du Québec à l'échelle francophone; ce sont de sacrées leçons pour plein d'autres pays.»
M. Duhaime est aussi d'avis que l'avenir de la francophonie «va se jouer en partie en Afrique. Il y a là un potentiel énorme. La francophonie doit répondre à cette Afrique en matière d'éducation particulièrement. Et j'insiste sur le fait suivant: il n'y a pas de raison que l'Amérique du Sud et l'Asie se développent et que l'Afrique ne se développe pas, à un moment ou à un autre! Je suis convaincu que ça va se produire. Mais c'est à nous de prendre les bonnes décisions et de miser sur des programmes efficaces.»
Quant au Sommet de la Francophonie, Clément Duhaime souhaite que cette rencontre ne tourne pas autour de «discussions à n'en plus finir, de déclarations à n'en plus finir ou de résolutions qui restent sans lendemain, mais que ce sommet d'importance se termine par quelques propositions très fortes qui nous engagent tous».
Source: Le Devoir
(M)
La dynamique Nord-Sud de la francophonie est en pleine mutation du fait d'un basculement, voire d'un dérangement sans précédent de sa démographie. Par conséquent, les paradigmes sont appelés à changer. Dans cette mouvance historique, le Québec pourrait jouer un rôle-clé, soit celui de «passeur d'idées», avancent deux experts qui sont au coeur de cette internationale francophone.
Démographe et professeur au département de sociologie de l'université Laval, Richard Marcoux observe depuis longtemps le monde de la francophonie sous l'angle de la donne démographique. Et ses observations scientifiques nous dirigent tout droit vers le continent africain qui connaît une forte croissance de sa population, qui passerait ainsi d'environ un milliard de personnes en l'an 2000 à deux milliards en 2050, dit-il. À l'évidence, le nombre de locuteurs francophones d'Afrique augmente également. Cette seule constatation n'est pas sans intérêt, selon le chercheur Marcoux, directeur des Cahiers québécois de démographie et ancien coordonnateur du Réseau de chercheurs en démographie à l'Agence universitaire de la Francophonie.
«Écoutez, les enjeux démographiques sont au coeur de nos sociétés, souligne M. Marcoux en début d'entrevue. On le voit présentement au Québec avec les débats touchant l'immigration et la langue française. Et quand on regarde la francophonie dans son ensemble, on constate qu'il existe 32 états et gouvernements dont le français est la langue officielle. Elle est parfois une des langues officielles d'un pays donné. Maintenant, ce qu'il est important de comprendre, c'est que les deux tiers de ces États sont situés en Afrique. Donc, sur le strict plan gouvernemental [pour en ne pas dire politique], c'est important.»
Paradigmes
En clair, ajoute-t-il, outre cinq pays européens -- principalement la France, la Belgique et la Suisse -- le Québec, le Canada et Haïti, «tous les autres pays sont situés en Afrique!». Mieux, si dans les années 1960 les locuteurs des pays francophones du Nord représentaient 80 % de l'ensemble des francophones de la planète, ce taux est passé à 50 % en 2000. Et selon des études expertes, ils ne représenteront plus que 15 % des francophones en 2050. Présentement, on estime à 200 millions le nombre de francophones dans le monde, alors qu'ils seront plus de 600 millions en 2050. Si cette tendance démographique profite à l'Afrique, elle n'est pas sans changer «les paradigmes de la francophonie, c'est-à-dire les relations Nord-Sud, entre autres choses», note M. Marcoux.
«À cela s'ajoutent des investissements considérables dans le Sud en matière d'éducation. À ce titre, je pense aux Objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies. Au Québec, en Belgique, en France ou encore en Suisse, nous avons fait le plein en éducation, ce qui n'est pas encore le cas en Afrique; je l'ai constaté au Mali où seulement un enfant sur quatre, âgé de 8 à 12 ans, vivant en milieu rural, fréquente l'école. Mais ces investissements favorisent une augmentation notable du taux de scolarisation. C'est bon signe.»
Québec, passeur d'idées
Certes, mais quel rôle le Québec pourrait-il jouer dans cette mouvance démographique à la faveur d'une certaine Afrique au sein de la francophonie? «Celui de passeur d'idées! Le Québec pourrait jouer un rôle plus important au sein de la francophonie. Le Québec n'a pas un passé colonial, mais un passé de colonisé. Notre histoire et notre passé, qui sont marqués par la résistance, suscitent de l'intérêt et du respect à l'échelle internationale. Et vous savez, il existe une certaine complicité entre la situation qui prévaut dans les pays du Sud et la situation québécoise, par le biais notamment de la dimension multilingue. C'est une richesse en soi».
Tiens, l'idée d'un Québec en qualité de «passeur d'idées» plaît souverainement à Clément Duhaime, administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui était récemment de passage au Québec dans le cadre des préparatifs de ce Sommet de la Francophonie qui se tiendra à Québec en octobre prochain. «J'aime beaucoup cette expression que propose M. Marcoux. En effet, "passeur d'idées" caractérise très bien les hommes et les femmes d'ici, et ce, depuis longtemps. Les Québécois ne sont pas renfermés sur eux-mêmes. À preuve, on n'a qu'à penser au rayonnement de la culture québécoise sur le plan international ou encore aux réussites économiques du Québec à l'échelle francophone; ce sont de sacrées leçons pour plein d'autres pays.»
M. Duhaime est aussi d'avis que l'avenir de la francophonie «va se jouer en partie en Afrique. Il y a là un potentiel énorme. La francophonie doit répondre à cette Afrique en matière d'éducation particulièrement. Et j'insiste sur le fait suivant: il n'y a pas de raison que l'Amérique du Sud et l'Asie se développent et que l'Afrique ne se développe pas, à un moment ou à un autre! Je suis convaincu que ça va se produire. Mais c'est à nous de prendre les bonnes décisions et de miser sur des programmes efficaces.»
Quant au Sommet de la Francophonie, Clément Duhaime souhaite que cette rencontre ne tourne pas autour de «discussions à n'en plus finir, de déclarations à n'en plus finir ou de résolutions qui restent sans lendemain, mais que ce sommet d'importance se termine par quelques propositions très fortes qui nous engagent tous».
Source: Le Devoir
(M)