Messaoud Ould Boulkheir
Président de l’Alliance populaire progressiste (APP, opposition),
président de l’Assemblée nationale
Il était connu pour être un dur. Celui qui refuse tout dialogue avec les militaires. Vieux combattant de la cause des esclaves (il est membre fondateur en 1978 du mouvement El Hor, La liberté). Ancien ministre du Développement rural, de 1984 à 1988 sous le président Ould Taya, Messaoud Ould Boulkheir a obtenu son score d’homme libre lors de la présidentielle de 2007 : 9, 8%. Avec ce chiffre, il monnaye son ralliement au candidat le mieux placé Sidi Ould Cheikh Abdallahi, contre 4 postes ministériels et le perchoir de l’Assemblée pour lui. choses acquises.
Puis un orage dénommé « rectification » déstructure la donne en emportant « Sidi » le 6 août 2008. Reprise du pouvoir par les militaires, avec à leur tête le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Le président de l’Assemblée se rebiffe et devient un des principaux animateurs du front d’opposition au putsch. Le bras de fer dure des années.
Aujourd’hui, la tempête semble passée. Il reconnaît le président élu, et converti en civil. Il accepte sa main tendue, à quelques mois des élections législatives prévues en octobre. Tous deux parlent, désormais, dialogue. Des amours et des réserves…
Jeune Afrique : Depuis le début de l’année, le Maghreb vit des scènes inédites : révolutions, émeutes, violences. Était-ce prévisible ?
Messaoud Ould Boulkheir : Je pense que c’était prévisible, tant les déficits en tous genres jouaient, et jouent encore, à la défaveur des régimes arabes. Notamment l’absence de démocratie et de libertés publiques.
Si des peuples ont eu gain de cause, ailleurs la résistance s’opère encore. Pour longtemps ?
Je ne sais pas. Mais mon constat est que les mouvements semblent être assujettis à de très fortes influences. Notamment celles des puissances occidentales, américaines et européennes. Et tant que celles-ci continueront à s’immiscer dans nos choses à nous, nos pays ne seront pas tranquilles.
On sent une réelle hésitation des puissances européennes quant à leur engagement au Yémen. Car si le président du Yémen reste encore là, malgré la très forte mobilisation de son opposition, et c’est pareil pour Bachar El-Hassad en Syrie, c’est parce qu’on continue de les soutenir en coulisses. Personne n’est dupe.
Comment avez-vous vécu la chute de Laurent Gbagbo ?
Avec une grande tristesse et sans grand enthousiasme, devant l’omniprésence et l'arrogance de l’ONU. Bien entendu, tout a été fait avec la bénédiction des puissances occidentales (euro-américaines). C’est ainsi, à chaque fois qu’il s’agit de l’Afrique. On s’empresse et on tranche dans le vif sans aucune retenue. On profite du moindre drame, ou conflit, pour investir le continent de sa superpuissance. Et à chaque fois, non seulement nous sommes obligés de subir le mépris, mais nous voyons nos pays sombrer davantage dans le chaos. Cet empressement, qui génère plus de destructions qu’autre chose, on ne l’observe jamais quand il s’agit d’autres continents.
Il faut reconnaître cependant, à la décharge de ceux-là qui nous méprisent, que nos institutions africaines n’ont jamais su ou pu se mettre au niveau des ambitions du continent.
Comme Gbagbo, Mouammar Kadaffi reste sourd aux appels de la communauté internationale. A-t-il raison ?
Je ne pense pas qu’il ait raison de résister. Mais je crois qu’il a raison d’espérer un retournement de situation. Tout est toujours possible.
Une renégociation discrète avec lui, au détriment des rebelles ?
La politique et les enjeux économiques sont si importants qu’il est souvent difficile de faire la différence entre ce qu’on observe sur le terrain et ce qui se tient dans les coulisses. Il n’y a qu’à voir la cacophonie qui règne au sein mêmes des alliés européens. Ce n’est plus l’enthousiasme du départ. Les versions changent tous les jours.
Avez-vous l’impression que le Guide libyen, qu’on nommait il y a peu roi des rois d’Afrique, a été lâché par ses pairs africains ?
S’ils sont perçus comme un syndicat de chefs d’État, ma réponse est un oui catégorique. Mais si, au contraire, ils sont perçus comme les garants du bien-être des populations du continent, qui aspire à plus de liberté et de démocratie, ils ont le devoir de le lâcher. Parce que l’intérêt général des populations doit passer avant celui d’un homme ou de sa famille. Quelle que soit l’étroitesse des liens qu’on peut avoir avec lui. Aucun regret à cela.
En Mauritanie, ledit printemps arabe se cherche à travers le mouvement du 25 février. Quel crédit accordez-vous à cet appel ?
N’en déplaise à certains, je m’y accorde aucun crédit !
Pour vous, il ne s’agit que d’un mimétisme ?
La situation chez nous et ce qui se voit ailleurs, ne peuvent en rien être comparés.
Qui se cache derrière cette fronde alors ?
Je ne suis pas un devin.
On dit que votre alignement sur le président Mohamed Ould Abdel Aziz n’est rien d’autre qu’un pare-feu contre l’avènement du printemps arabe en Mauritanie. Quel profit vous espérez en tirer ?
Cette question revient souvent, à mon sujet. Or, je voudrais que cela soit clair dans l’esprit des gens : bien que descendant d’esclaves, je demande qu’on me reconnaisse le droit et la capacité d’agir par moi-même et pour ce à quoi je crois. Sans être tenu de m’aligner sur qui que ce soit. Je croyais que le combat que j’ai mené, avec d’autres que je ne néglige pas, depuis plus de trente ans avait été compris.
Je n’ai pas de maître en dehors de ma conscience, n’en déplaise à mes détracteurs. Je ne suis le pourfendeur des révolutions, ni d’ici ni d’ailleurs. J’ai simplement horreur de la démagogie de bas étages. Je ne crois tout simplement pas à des vendeurs de révolutions, que n’ont pas révolté l’esclavage et les crimes les plus odieux, dont ils ont été témoins oculaires, à l’endroit de leurs propres communautés nationales. Alors je n’ai pas de leçons à recevoir.
Et le seul profit derrière lequel je cours est, et restera, de garder la Mauritanie intacte jusqu’à ce que tous ses fils et filles y vivent dans un véritable État de droit. La Mauritanie respectée et aimée de l’ensemble de ses fils. S’il est une chose qui occupe mes rêves, c’est bien celle-ci.
L’APP est-elle devenue, en partie, un parti de la majorité ?
Si nous l’étions devenus, il n’aurait subsisté aucun doute là-dessus, puisqu’il n’est ni lâche, ni honteux, d’appartenir à une majorité démocratique…
Comment sentez-vous les prochaines élections, les législatives et municipales prévues en octobre ?
Improbables ! Parce que nullement préparées, ni politiquement ni matériellement.
Vous avez, ces derniers temps, régulièrement rencontré le chef de l’État. Quelles garanties avez-vous obtenues du palais ?
Des garanties à propos de quoi ? Si vous parlez du dialogue et de la feuille de route que la COD, la Coordination de l’opposition démocratique, m’a chargé de lui remettre en mains propres, ma mission a été accomplie au vue et au su de tous. Et elle n’avait besoin pour s’accomplir d’aucune garantie de mon interlocuteur, sauf celle, bien évidemment, d’accepter de me recevoir.
L’administration s’active depuis quelque temps autour d’une opération dite d’enrôlement. Il s’agit, dit-on, de rendre le fichier d’état civil plus fiable. Mais de plus en plus de voix s’élèvent, qui y voient une volonté de stigmatise et d’exclure certaines communautés…
Les échos que je reçois à ce sujet sont en effet très critiques et alarmistes. J’avoue cependant ne pas disposer de beaucoup d’éléments. En revanche, je suggère qu’une sérieuse campagne explicative lui soit consacré. Et sans céder aux surenchères, le pouvoir doit démentir et désamorcer au plus vite, par des preuves tangibles, les accusations qu’on entend ça et là. Il est de son devoir de faire régner la sérénité.
On entend dire, ça et là, que votre parti n’est nullement intéressé par intégrer le gouvernement. Le bénévolat est-il une vertu politique ?
On ne cesse de faire de la fixation sur l’APP ! Elle est la cible sur laquelle tout le monde tire. Grâce à la volonté d’Allah, l’Alliance Populaire Progressiste reste debout et la tête bien haute. Elle ne travaille pas pour Autrui. Elle n’est à la solde de personne. Et elle ne cèdera à l’influence de qui que ce soit, majorité comme opposition. Le parti agit et réagit toujours dans le sens qu’il croit être l’intérêt supérieur du pays. Et dans ce cadre, oui, nous faisons du volontariat patriotique. Ce qui est à plusieurs degrés au-dessus de ce que les mauvaises langues appellent « bénévolat politique ».
En tant que chef de l’APP, vous êtes tout de même candidat pour rempiler à la présidence… au moins celle de l’Assemblée ?
Ni le perchoir ni la présidence de la République ne seront jamais suffisamment grands, ou importants, pour me corrompre ou même me faire dévier de la route, ma route.
Quel bilan faites-vous des presque deux ans au pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Hormis les efforts visibles en matière d’infrastructures, routes et aménagements urbains, dans certains grands centres urbains notamment, et la main tendue en faveur du dialogue, le bilan est à mon avis tout à fait négatif. Sur le plan économique, social, des droits de l’homme, de la bonne gouvernance, de la sécurité, il reste beaucoup à faire.
L’ancien général s’est tout de même mu en Aziz entrepreneur, Aziz défenseur des pauvres, Aziz défenseur des droits de l’homme… Est-ce par ses gestes qu’il a gagné votre adhésion ?
De quelle adhésion parlez-vous ? M’avez-vous vu adhérer à l’Union pour la République, son parti ? À sa majorité ? À la politique du Aziz putschiste ou du Aziz président élu ? Est-ce que l’acceptation du dialogue, comme moyen privilégié de sortie de crise est suffisant pour faire de moi son militant, son salarié ou son esclave ?
Mais si vous vous êtes rapproché de lui, fin 2010, alors que vous lui étiez radicalement opposé au lendemain du 6 août 2008, c’est qu’il a bien pu vous convaincre sur quelque chose…
Je ne me suis rapproché de lui que parce qu’il a appelé publiquement l’opposition au dialogue. Comme je l’avais sans cesse personnellement exigé. Cette exigence comblée, je ne vois plus de raison de le bouder. Je fais de la politique pour aider à résoudre les problèmes auxquels mon pays est confronté et non pour marquer mon opposition à autrui.
Selon vous, que devrait dépasser l’opposition pour aller vers un dialogue d’ouverture ?
Je ne suis pas le conseiller de l’opposition, qui est suffisamment majeure et responsable pour savoir ce qui lui sied ou pas. Je souligne tout de même que jusqu’à l’accord duquel est issu la feuille de route, le blocage était, de mon point de vue, au niveau de la COD. Pour le reste, je ne suis comptable que des objectifs que vise mon parti.
L’union sacrée au sein de la COD ne va-t-il pas tarder à voler en éclats ?
C’était mon langage à une étape de nos rapports tumultueux, aujourd’hui le ton est différent.
C’est-à-dire ?
Parce que tout le monde accepte, à présent, le dialogue comme moyen privilégié de sortie de crise.
Pour beaucoup, le piège reste dans votre éternelle rivalité avec Ahmed Ould Daddah, le chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD)…
Je ne nourris d’inimitié vis-à-vis de personne. Si tel n’était pas le cas, je serais aujourd’hui en guerre avec tous, car très rares sont ceux qui sont restés en dehors des campagnes de dénigrement et de calomnies orchestrées contre moi, et toujours à tort.
Le dossier du retour des réfugiés et du passif humanitaire est-il à son terme ?
L’APP, plus que d’autres, a dans ce cas précis sa vision d’apurement du dossier. Si les victimes ou leurs ayant-droits choisissent d’autres sorties que la nôtre, nous n’allons pas nous y opposer. Je reste toutefois convaincu qu’il ne peut y avoir de meilleurs remèdes aux maux qui nous rongent que l’instauration d’un véritable État de droit. La Mauritanie est un beau pays et qui peut être promu à un bel avenir si on lui donne les outils nécessaires à son unité et à sa stabilité. Nous devons tous travailler à cela.
Un autre phénomène s’invite dans le débat mauritanien. Celui d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, AQMI. Comment appréhendez-vous ce mouvement ?
En effet AQMI s’est invité dans le fragile tissu mauritanien, car la religion sous cette forme, nous ne la connaissions pas. Pour nous, la foi a toujours été accompagnée de recueillement et de culture de la paix. C’est pourquoi, de quelque bord que l’on soit, j’exhorte à ce que nous fassions front commun pour préserver notre pays.
Pour lutter contre le terrorisme, nous devons sécuriser l’intérieur de nos frontières, mais aussi avoir une excellente stratégie d’échanges d’informations avec nos voisins. Voire coordonner certaines actions avec eux, sans faire pour autant de nos troupes un corps expéditionnaire en terres étrangères. Le terrorisme est si puissant que le combattre nécessite des synergies. La Mauritanie seule ne pourra pas venir à bout d’un ennemi, non seulement difficilement visible, mais qui étend ses tentacules sur plusieurs territoires. Il lui faut donc œuvrer en toute intelligence avec d’autres.
L’esclavage, contre lequel vous vous êtes de tout temps mobilisé, reste d’actualité. La question ne sera-t-elle jamais résolue ?
Si l’État s’y met sérieusement, ce problème sera dépassé en moins de cinq ans. Seule manque la volonté politique. Et c’est beaucoup !
Avez-vous des nouvelles de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ?
Je l’ai vu dernièrement, lors de son passage à Nouakchott. Nous avons pris un thé. Il allait bien. Et nos rapports demeurent cordiaux, emprunts de beaucoup de respect. Je n’en dirai pas plus.
Propos recueillis à Nouakchott par Bios Diallo
le 18/07/11
Source: Baba Ould Jiddou
Président de l’Alliance populaire progressiste (APP, opposition),
président de l’Assemblée nationale
Il était connu pour être un dur. Celui qui refuse tout dialogue avec les militaires. Vieux combattant de la cause des esclaves (il est membre fondateur en 1978 du mouvement El Hor, La liberté). Ancien ministre du Développement rural, de 1984 à 1988 sous le président Ould Taya, Messaoud Ould Boulkheir a obtenu son score d’homme libre lors de la présidentielle de 2007 : 9, 8%. Avec ce chiffre, il monnaye son ralliement au candidat le mieux placé Sidi Ould Cheikh Abdallahi, contre 4 postes ministériels et le perchoir de l’Assemblée pour lui. choses acquises.
Puis un orage dénommé « rectification » déstructure la donne en emportant « Sidi » le 6 août 2008. Reprise du pouvoir par les militaires, avec à leur tête le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Le président de l’Assemblée se rebiffe et devient un des principaux animateurs du front d’opposition au putsch. Le bras de fer dure des années.
Aujourd’hui, la tempête semble passée. Il reconnaît le président élu, et converti en civil. Il accepte sa main tendue, à quelques mois des élections législatives prévues en octobre. Tous deux parlent, désormais, dialogue. Des amours et des réserves…
Jeune Afrique : Depuis le début de l’année, le Maghreb vit des scènes inédites : révolutions, émeutes, violences. Était-ce prévisible ?
Messaoud Ould Boulkheir : Je pense que c’était prévisible, tant les déficits en tous genres jouaient, et jouent encore, à la défaveur des régimes arabes. Notamment l’absence de démocratie et de libertés publiques.
Si des peuples ont eu gain de cause, ailleurs la résistance s’opère encore. Pour longtemps ?
Je ne sais pas. Mais mon constat est que les mouvements semblent être assujettis à de très fortes influences. Notamment celles des puissances occidentales, américaines et européennes. Et tant que celles-ci continueront à s’immiscer dans nos choses à nous, nos pays ne seront pas tranquilles.
On sent une réelle hésitation des puissances européennes quant à leur engagement au Yémen. Car si le président du Yémen reste encore là, malgré la très forte mobilisation de son opposition, et c’est pareil pour Bachar El-Hassad en Syrie, c’est parce qu’on continue de les soutenir en coulisses. Personne n’est dupe.
Comment avez-vous vécu la chute de Laurent Gbagbo ?
Avec une grande tristesse et sans grand enthousiasme, devant l’omniprésence et l'arrogance de l’ONU. Bien entendu, tout a été fait avec la bénédiction des puissances occidentales (euro-américaines). C’est ainsi, à chaque fois qu’il s’agit de l’Afrique. On s’empresse et on tranche dans le vif sans aucune retenue. On profite du moindre drame, ou conflit, pour investir le continent de sa superpuissance. Et à chaque fois, non seulement nous sommes obligés de subir le mépris, mais nous voyons nos pays sombrer davantage dans le chaos. Cet empressement, qui génère plus de destructions qu’autre chose, on ne l’observe jamais quand il s’agit d’autres continents.
Il faut reconnaître cependant, à la décharge de ceux-là qui nous méprisent, que nos institutions africaines n’ont jamais su ou pu se mettre au niveau des ambitions du continent.
Comme Gbagbo, Mouammar Kadaffi reste sourd aux appels de la communauté internationale. A-t-il raison ?
Je ne pense pas qu’il ait raison de résister. Mais je crois qu’il a raison d’espérer un retournement de situation. Tout est toujours possible.
Une renégociation discrète avec lui, au détriment des rebelles ?
La politique et les enjeux économiques sont si importants qu’il est souvent difficile de faire la différence entre ce qu’on observe sur le terrain et ce qui se tient dans les coulisses. Il n’y a qu’à voir la cacophonie qui règne au sein mêmes des alliés européens. Ce n’est plus l’enthousiasme du départ. Les versions changent tous les jours.
Avez-vous l’impression que le Guide libyen, qu’on nommait il y a peu roi des rois d’Afrique, a été lâché par ses pairs africains ?
S’ils sont perçus comme un syndicat de chefs d’État, ma réponse est un oui catégorique. Mais si, au contraire, ils sont perçus comme les garants du bien-être des populations du continent, qui aspire à plus de liberté et de démocratie, ils ont le devoir de le lâcher. Parce que l’intérêt général des populations doit passer avant celui d’un homme ou de sa famille. Quelle que soit l’étroitesse des liens qu’on peut avoir avec lui. Aucun regret à cela.
En Mauritanie, ledit printemps arabe se cherche à travers le mouvement du 25 février. Quel crédit accordez-vous à cet appel ?
N’en déplaise à certains, je m’y accorde aucun crédit !
Pour vous, il ne s’agit que d’un mimétisme ?
La situation chez nous et ce qui se voit ailleurs, ne peuvent en rien être comparés.
Qui se cache derrière cette fronde alors ?
Je ne suis pas un devin.
On dit que votre alignement sur le président Mohamed Ould Abdel Aziz n’est rien d’autre qu’un pare-feu contre l’avènement du printemps arabe en Mauritanie. Quel profit vous espérez en tirer ?
Cette question revient souvent, à mon sujet. Or, je voudrais que cela soit clair dans l’esprit des gens : bien que descendant d’esclaves, je demande qu’on me reconnaisse le droit et la capacité d’agir par moi-même et pour ce à quoi je crois. Sans être tenu de m’aligner sur qui que ce soit. Je croyais que le combat que j’ai mené, avec d’autres que je ne néglige pas, depuis plus de trente ans avait été compris.
Je n’ai pas de maître en dehors de ma conscience, n’en déplaise à mes détracteurs. Je ne suis le pourfendeur des révolutions, ni d’ici ni d’ailleurs. J’ai simplement horreur de la démagogie de bas étages. Je ne crois tout simplement pas à des vendeurs de révolutions, que n’ont pas révolté l’esclavage et les crimes les plus odieux, dont ils ont été témoins oculaires, à l’endroit de leurs propres communautés nationales. Alors je n’ai pas de leçons à recevoir.
Et le seul profit derrière lequel je cours est, et restera, de garder la Mauritanie intacte jusqu’à ce que tous ses fils et filles y vivent dans un véritable État de droit. La Mauritanie respectée et aimée de l’ensemble de ses fils. S’il est une chose qui occupe mes rêves, c’est bien celle-ci.
L’APP est-elle devenue, en partie, un parti de la majorité ?
Si nous l’étions devenus, il n’aurait subsisté aucun doute là-dessus, puisqu’il n’est ni lâche, ni honteux, d’appartenir à une majorité démocratique…
Comment sentez-vous les prochaines élections, les législatives et municipales prévues en octobre ?
Improbables ! Parce que nullement préparées, ni politiquement ni matériellement.
Vous avez, ces derniers temps, régulièrement rencontré le chef de l’État. Quelles garanties avez-vous obtenues du palais ?
Des garanties à propos de quoi ? Si vous parlez du dialogue et de la feuille de route que la COD, la Coordination de l’opposition démocratique, m’a chargé de lui remettre en mains propres, ma mission a été accomplie au vue et au su de tous. Et elle n’avait besoin pour s’accomplir d’aucune garantie de mon interlocuteur, sauf celle, bien évidemment, d’accepter de me recevoir.
L’administration s’active depuis quelque temps autour d’une opération dite d’enrôlement. Il s’agit, dit-on, de rendre le fichier d’état civil plus fiable. Mais de plus en plus de voix s’élèvent, qui y voient une volonté de stigmatise et d’exclure certaines communautés…
Les échos que je reçois à ce sujet sont en effet très critiques et alarmistes. J’avoue cependant ne pas disposer de beaucoup d’éléments. En revanche, je suggère qu’une sérieuse campagne explicative lui soit consacré. Et sans céder aux surenchères, le pouvoir doit démentir et désamorcer au plus vite, par des preuves tangibles, les accusations qu’on entend ça et là. Il est de son devoir de faire régner la sérénité.
On entend dire, ça et là, que votre parti n’est nullement intéressé par intégrer le gouvernement. Le bénévolat est-il une vertu politique ?
On ne cesse de faire de la fixation sur l’APP ! Elle est la cible sur laquelle tout le monde tire. Grâce à la volonté d’Allah, l’Alliance Populaire Progressiste reste debout et la tête bien haute. Elle ne travaille pas pour Autrui. Elle n’est à la solde de personne. Et elle ne cèdera à l’influence de qui que ce soit, majorité comme opposition. Le parti agit et réagit toujours dans le sens qu’il croit être l’intérêt supérieur du pays. Et dans ce cadre, oui, nous faisons du volontariat patriotique. Ce qui est à plusieurs degrés au-dessus de ce que les mauvaises langues appellent « bénévolat politique ».
En tant que chef de l’APP, vous êtes tout de même candidat pour rempiler à la présidence… au moins celle de l’Assemblée ?
Ni le perchoir ni la présidence de la République ne seront jamais suffisamment grands, ou importants, pour me corrompre ou même me faire dévier de la route, ma route.
Quel bilan faites-vous des presque deux ans au pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Hormis les efforts visibles en matière d’infrastructures, routes et aménagements urbains, dans certains grands centres urbains notamment, et la main tendue en faveur du dialogue, le bilan est à mon avis tout à fait négatif. Sur le plan économique, social, des droits de l’homme, de la bonne gouvernance, de la sécurité, il reste beaucoup à faire.
L’ancien général s’est tout de même mu en Aziz entrepreneur, Aziz défenseur des pauvres, Aziz défenseur des droits de l’homme… Est-ce par ses gestes qu’il a gagné votre adhésion ?
De quelle adhésion parlez-vous ? M’avez-vous vu adhérer à l’Union pour la République, son parti ? À sa majorité ? À la politique du Aziz putschiste ou du Aziz président élu ? Est-ce que l’acceptation du dialogue, comme moyen privilégié de sortie de crise est suffisant pour faire de moi son militant, son salarié ou son esclave ?
Mais si vous vous êtes rapproché de lui, fin 2010, alors que vous lui étiez radicalement opposé au lendemain du 6 août 2008, c’est qu’il a bien pu vous convaincre sur quelque chose…
Je ne me suis rapproché de lui que parce qu’il a appelé publiquement l’opposition au dialogue. Comme je l’avais sans cesse personnellement exigé. Cette exigence comblée, je ne vois plus de raison de le bouder. Je fais de la politique pour aider à résoudre les problèmes auxquels mon pays est confronté et non pour marquer mon opposition à autrui.
Selon vous, que devrait dépasser l’opposition pour aller vers un dialogue d’ouverture ?
Je ne suis pas le conseiller de l’opposition, qui est suffisamment majeure et responsable pour savoir ce qui lui sied ou pas. Je souligne tout de même que jusqu’à l’accord duquel est issu la feuille de route, le blocage était, de mon point de vue, au niveau de la COD. Pour le reste, je ne suis comptable que des objectifs que vise mon parti.
L’union sacrée au sein de la COD ne va-t-il pas tarder à voler en éclats ?
C’était mon langage à une étape de nos rapports tumultueux, aujourd’hui le ton est différent.
C’est-à-dire ?
Parce que tout le monde accepte, à présent, le dialogue comme moyen privilégié de sortie de crise.
Pour beaucoup, le piège reste dans votre éternelle rivalité avec Ahmed Ould Daddah, le chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD)…
Je ne nourris d’inimitié vis-à-vis de personne. Si tel n’était pas le cas, je serais aujourd’hui en guerre avec tous, car très rares sont ceux qui sont restés en dehors des campagnes de dénigrement et de calomnies orchestrées contre moi, et toujours à tort.
Le dossier du retour des réfugiés et du passif humanitaire est-il à son terme ?
L’APP, plus que d’autres, a dans ce cas précis sa vision d’apurement du dossier. Si les victimes ou leurs ayant-droits choisissent d’autres sorties que la nôtre, nous n’allons pas nous y opposer. Je reste toutefois convaincu qu’il ne peut y avoir de meilleurs remèdes aux maux qui nous rongent que l’instauration d’un véritable État de droit. La Mauritanie est un beau pays et qui peut être promu à un bel avenir si on lui donne les outils nécessaires à son unité et à sa stabilité. Nous devons tous travailler à cela.
Un autre phénomène s’invite dans le débat mauritanien. Celui d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, AQMI. Comment appréhendez-vous ce mouvement ?
En effet AQMI s’est invité dans le fragile tissu mauritanien, car la religion sous cette forme, nous ne la connaissions pas. Pour nous, la foi a toujours été accompagnée de recueillement et de culture de la paix. C’est pourquoi, de quelque bord que l’on soit, j’exhorte à ce que nous fassions front commun pour préserver notre pays.
Pour lutter contre le terrorisme, nous devons sécuriser l’intérieur de nos frontières, mais aussi avoir une excellente stratégie d’échanges d’informations avec nos voisins. Voire coordonner certaines actions avec eux, sans faire pour autant de nos troupes un corps expéditionnaire en terres étrangères. Le terrorisme est si puissant que le combattre nécessite des synergies. La Mauritanie seule ne pourra pas venir à bout d’un ennemi, non seulement difficilement visible, mais qui étend ses tentacules sur plusieurs territoires. Il lui faut donc œuvrer en toute intelligence avec d’autres.
L’esclavage, contre lequel vous vous êtes de tout temps mobilisé, reste d’actualité. La question ne sera-t-elle jamais résolue ?
Si l’État s’y met sérieusement, ce problème sera dépassé en moins de cinq ans. Seule manque la volonté politique. Et c’est beaucoup !
Avez-vous des nouvelles de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ?
Je l’ai vu dernièrement, lors de son passage à Nouakchott. Nous avons pris un thé. Il allait bien. Et nos rapports demeurent cordiaux, emprunts de beaucoup de respect. Je n’en dirai pas plus.
Propos recueillis à Nouakchott par Bios Diallo
le 18/07/11
Source: Baba Ould Jiddou