Lors du récent conseil national du nouveau parti de la majorité, j’ai été frappé par l’insistance des interventions sur la nécessité de rendre effective l’officialisation de la langue arabe. Moi qui croyais que c’était déjà le cas depuis un petit moment…Et nos intervenants de s’empresser à chaque fois de préciser que s’il fallait promouvoir les autres langues nationales, il était par contre hors de question de défendre une langue étrangère. Entendez par là, la langue française. De tels propos d’apparence sans importance, vu l’absence totale de réaction à leur endroit, n’en reposent pas moins la question de l’identité nationale et celle du statut du français dans notre pays.Personnellement, je soupçonne une certaine intelligentsia de vouloir retomber dans l’éternel délire de la Mauritanie exclusivement arabe. Masquer ces velléités par de pieuses intentions sur la promotion des langues négro-africaines ne trompe que les idiots et les demi instruits. Car si on voulait réellement promouvoir ces langues, on ne saboterait pas le projet de l’Institut des Langues, en lui enlevant tout moyen d’action. En vérité, cet institut n’a jamais bénéficié d’un budget sérieux lui permettant de travailler. D’autre part, nos orateurs de la nouvelle majorité donnent l’impression de nous faire un véritable chantage : « laissez-nous exclure le français de notre paysage linguistique, et vos langues seront mieux considérées ». Je rappelle juste qu’à mon sens, ces deux options ne s’excluent pas forcément.
Et d’ailleurs, pourquoi en veut-on à ce point au français ? Cette langue nous est-elle si étrangère que ça pour que son éviction constitue en soi un gage de souveraineté ou d’indépendance ?
Quitte à passer pour un éternel colonisé, j’ai la faiblesse de penser fortement que le français n’est pas une langue étrangère en Mauritanie. Elle est une partie intégrante de notre paysage culturel et linguistique. Sans vouloir entrer dans les détails de l’anthropologie culturelle, notre rapport à la langue, quelle qu’elle soit, n’est jamais statique ou définitif. Il est dynamique. A titre d’exemple, je sais que je conçois et exprime plus aisément mes idées en poular quand je suis dans l’univers familial et que je dois réconcilier deux parents en conflit. Cela, précisément parce que les valeurs de référence que je dois invoquer pour être persuasif, sont plus accessibles pour moi dans ma langue maternelle, en l’occurrence le poular que dans une autre. En revanche, l’argumentation politique ou académique que je cherche à dérouler dans ce texte, m’est plus accessible en français qu’en poular. Comme je serai presque naturellement enclin à recourir à des formules arabes dans un propos aux accents métaphysiques. C’est le cas quand j’apprends un décès ou quand je suis dans une mosquée par exemple.
On voit bien donc que le rapport à la langue n’est pas statique, il est fonction de la situation dans laquelle on se trouve. Il en est de même de l’identité. Ce concept, en soi, devient une simple grandiloquence lorsqu’il est decontextualisé. Il s’agit-là d’une réalité fluctuante. Je ne peux par exemple, être réduit à ma seule identité de Peul. Sinon, il faudra qu’on m’explique pourquoi je me sens plus proche culturellement du soninké de Kaëdi que du peul de Guinée ou du Cameroun. C’est bien que je partage avec le soninké de Kaëdi un champ identitaire qui se situe au-delà de nos frontières linguistiques. Ainsi, l’idée puriste du français langue étrangère en Mauritanie, au prétexte qu’il ne serait pas authentique, est fallacieuse, et cache une autre visée que celle d’une hypothétique inclinaison souverainiste. Il est quand même étonnant que tous ces gens qui veulent en découdre avec le français prennent leurs notes de réunion dans la langue de Molière et envoient leurs enfants à l’école française. C’est à peine si certains d’entre eux ne rêvent pas en français.
La vérité c’est que le français ayant plus son ancrage dans la communauté négro-africaine, le but non avoué de cette opération d’arabisation complète de l’administration, est d’avantager encore une fois nos compatriotes arabes tant dans les concours que dans le recrutement des cadres administratifs. Le dire est d’ailleurs si banal que cela apparaît aux yeux de certains compatriotes (y compris négro-africains) comme une ultime paranoïa du nationalisme étroit. Sinon que l’on me dise juste ce qui peut objectivement expliquer cette obsession à se débarrasser du français comme langue de travail.
Il est curieux de voir qu’au moment où le président de la République semble afficher une volonté de régler les problèmes liés à la question nationale, certains de ses proches s’entêtent à dépoussiérer la vieille question des langues. Tout porte à croire que les pêcheurs en eaux troubles qui avaient conduit le pays au bord du gouffre n’ont pas renoncé à nous imposer leur logiciel idéologique.
Ba Bocar
Strasbourg (France)
Et d’ailleurs, pourquoi en veut-on à ce point au français ? Cette langue nous est-elle si étrangère que ça pour que son éviction constitue en soi un gage de souveraineté ou d’indépendance ?
Quitte à passer pour un éternel colonisé, j’ai la faiblesse de penser fortement que le français n’est pas une langue étrangère en Mauritanie. Elle est une partie intégrante de notre paysage culturel et linguistique. Sans vouloir entrer dans les détails de l’anthropologie culturelle, notre rapport à la langue, quelle qu’elle soit, n’est jamais statique ou définitif. Il est dynamique. A titre d’exemple, je sais que je conçois et exprime plus aisément mes idées en poular quand je suis dans l’univers familial et que je dois réconcilier deux parents en conflit. Cela, précisément parce que les valeurs de référence que je dois invoquer pour être persuasif, sont plus accessibles pour moi dans ma langue maternelle, en l’occurrence le poular que dans une autre. En revanche, l’argumentation politique ou académique que je cherche à dérouler dans ce texte, m’est plus accessible en français qu’en poular. Comme je serai presque naturellement enclin à recourir à des formules arabes dans un propos aux accents métaphysiques. C’est le cas quand j’apprends un décès ou quand je suis dans une mosquée par exemple.
On voit bien donc que le rapport à la langue n’est pas statique, il est fonction de la situation dans laquelle on se trouve. Il en est de même de l’identité. Ce concept, en soi, devient une simple grandiloquence lorsqu’il est decontextualisé. Il s’agit-là d’une réalité fluctuante. Je ne peux par exemple, être réduit à ma seule identité de Peul. Sinon, il faudra qu’on m’explique pourquoi je me sens plus proche culturellement du soninké de Kaëdi que du peul de Guinée ou du Cameroun. C’est bien que je partage avec le soninké de Kaëdi un champ identitaire qui se situe au-delà de nos frontières linguistiques. Ainsi, l’idée puriste du français langue étrangère en Mauritanie, au prétexte qu’il ne serait pas authentique, est fallacieuse, et cache une autre visée que celle d’une hypothétique inclinaison souverainiste. Il est quand même étonnant que tous ces gens qui veulent en découdre avec le français prennent leurs notes de réunion dans la langue de Molière et envoient leurs enfants à l’école française. C’est à peine si certains d’entre eux ne rêvent pas en français.
La vérité c’est que le français ayant plus son ancrage dans la communauté négro-africaine, le but non avoué de cette opération d’arabisation complète de l’administration, est d’avantager encore une fois nos compatriotes arabes tant dans les concours que dans le recrutement des cadres administratifs. Le dire est d’ailleurs si banal que cela apparaît aux yeux de certains compatriotes (y compris négro-africains) comme une ultime paranoïa du nationalisme étroit. Sinon que l’on me dise juste ce qui peut objectivement expliquer cette obsession à se débarrasser du français comme langue de travail.
Il est curieux de voir qu’au moment où le président de la République semble afficher une volonté de régler les problèmes liés à la question nationale, certains de ses proches s’entêtent à dépoussiérer la vieille question des langues. Tout porte à croire que les pêcheurs en eaux troubles qui avaient conduit le pays au bord du gouffre n’ont pas renoncé à nous imposer leur logiciel idéologique.
Ba Bocar
Strasbourg (France)