Dr. Abderrahmane Ngaïdé est enseignant-chercheur au département d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar(UCAD). Dans cet entretien il revient sur l’engagement de l’intellectuel, le cinquantenaire de la Mauritanie, ses publications, ses lectures. Très attentif à l’actualité en Mauritanie, Ngaïdé est un esprit ouvert, critique voire frondeur. Ses activités scientifiques débordantes portent la marque d’un militant intellectuel exigeant à l’égard de lui-même, se réclamant du monde, sans frontières. L’homme est généreux. Il sait partager ses connaissances, ses doutes, ses inquiétudes. Ses écrits pétillants ont certainement contribué à la formation de l’historien, du poète bref de l’écrivain. Cet éclectisme rompt assurément avec les barrières disciplinaires. Cette quête fait de lui un chercheur qui se remet toujours en question. Notre invité termine actuellement un ouvrage d’entretiens avec l’économiste Sénégalais Amadou Aly Dieng.
1) Que représente l'engagement politique pour l’intellectuel que vous êtes?
L’intellectuel participe de la société. Il est engagé dans son œuvre et ce type d’engagement est généralement sincère et infaillible. Il ne s’agit pas de faire ou de s’impliquer en politique dans le sens indigène du terme. L’engagement pour moi réside dans la compréhension de sa société, la réflexion sur les processus de sa différenciation et l’analyse fine des modifications qu’elle connaît. En un mot c’est accompagner sa société à travers l’ensemble de ses segments. S’il s’agit de cela, je peux revendiquer l’engagement. Je fais « du » politique et pas de la politique. Les deux attitudes sont différentes car mon objectif en faisant « du » politique ce n’est point d’accéder au pouvoir c’est d’accompagner les politiciens et ceux qui sont hors du champ politique qui le considèrent comme une activité et/ou une profession. Je suis à équidistance entre ces deux pôles. Celui qui souhaite accéder au pouvoir fait de la politique. Malheureusement les gens ne voient de l’engagé que celui qui prend le micro ou celui qui possède la carte d’un parti ou celle d’une organisation dite ou décrétée société civile. Je me méfie de ce type d’engagement qui prolifère aujourd’hui. En effet, sans incriminer qui que ce soit, je dis souvent que l’intellectuel peut faire de la politique car ce n’est pas interdit. Mais quand il s’engage il doit assumer les conséquences sur son réel cursus : la production du Savoir pour la communauté scientifique et la société. Donc, l’engagement est une attitude, un comportement, une éthique de responsabilité qui demande une certaine rigueur morale. L’engagé n’attend rien en retour. Il fait son travail car il y croit. Je veux dire qu’il est obligé de faire ce qu’il doit faire avec ses propres moyens sur les champs qui lui sont ouverts et accessibles ; advienne que pourra.
Je laisse la politique de côté en attendant de comprendre le politique. Il faut avoir ce background pour mieux participer. Il ne faut pas seulement se rallier pour un simple ralliement comme pour se disculper. Je veux continuer de jouir de ma liberté de parole et ne point être prisonnier d’une « ligne de réserve » comme dans ce qu’on appelait le « centralisme démocratique ». Je n’aime pas cet ordre là et récuse les idées de ceux qui, sans jeter un coup d’œil sur ce que les autres font, les stigmatisent au point de les calomnier. Il est difficile de vivre son engagement puisque tout simplement les gens te demandent ta VISIBILITE ostentatoire comme pour pouvoir émarger sur les tablettes des gratitudes et des honneurs que peuvent te rendre la société. Je ne suis pas de ceux-là qui rafistolent leur image pour plaire. Je suis sûr que je suis engagé, pas l’ombre d’un doute par rapport à cet état de fait. Je souhaite, par mon engagement, déplaire en défigurant la société, la surprendre en train de chuchoter, retracer ses combines, ses déviances et l’ensemble de ses non-dits. Voilà la quintessence de mon engagement : je ne suis pas un mercenaire. Je suis un combattant discipliné, modeste, équilibré et conséquent et pas guidé par la complaisance ou le désir de notoriété.
2) La Mauritanie a fêté ses 50 ans d'indépendance, qu'est- ce que cela vous inspire ?
Eh bien je vais vous décevoir, c’est juste mon âge. 27 passées en Mauritanie et 23 à travers le monde qui m’a ouvert ses portes. Nous sommes toujours à la recherche de : l’unité nationale, de la citoyenneté entière, de l’égalité devant les droits et de tous les droits, l’éradication de l’esclavage, la convergence des différences pour bâtir un état républicain fort et respectueux de la personne humaine. Il m’est certes impossible de soutenir que rien n’a été fait mais beaucoup de choses restent en suspens. Il m’est aussi impossible de singulariser la Mauritanie. Elle partage avec d’autres cette mésaventure. La tension au Sénégal où je vis valide ce que je viens de vous dire. Je suis désolé, mais notre école trébuche, notre économie va mal, nos solidarités se distendent ou sont strictement familiales, tribales et ethniques. Aucune autre référence anonyme n’est possible. Nous sommes comme assis sur des épaves et ce sont presque tous les pays africains qui vivent ce désarroi. C’est terrible comme constat mais c’est la triste vérité. Des changements systémiques s’imposent pour réorienter la trajectoire de l’ensemble des communautés mauritaniennes, par devoir, avant qu’il ne soit trop tard. Et l’un des éléments qui me vient à l’esprit après avoir lu une interview (dans l’un des journaux mauritaniens) de mon grand frère Lô Gourmo c’est bien cette problématique de la nationalité d’une partie des Mauritaniens ! Je pensais, naïvement, que ce démon était banni mais il reste là avec ses gros yeux injectés de sang. Mais comment donc m’expliquer qu’à 50 ans, moi Abderrahmane, je ne puisse pas encore jouir pleinement de ma nationalité, de ma citoyenneté pour choisir ceux qui doivent discuter de l’avenir de la jeunesse de mon pays ?
Cette seule question nous renvoie au dilemme de notre existence et exige de nous notre droit à l’indignation permanente. Je dis bien permanente dans la mesure où celui qui est engagé l’est pour la vie car l’insatisfaction méthodique doit toujours l’alimenter. C’est-à-dire qu’il a l’obligation de veille et d’alerte.
3) Parlons de vos publications, peut-on vous qualifier d'historien, de poète et d'écrivain à la fois ?
Cette question revient sur la bouche de ceux qui me croisent pour la première fois. J’ai l’habitude de dire que j’ai un diplôme d’historien car il faut bien se « classer » quelque part ne serait-ce que pour être identifié. C’est clair que c’est mon « identité intellectuelle » primaire si je peux parler ainsi. Mais j’ai toujours rêvé de science politique, de sociologie, de philosophie, d’anthropologie, de et de……… finalement je traverse les disciplines pour donner plus de relief à ce que je fais. Il me fallait juste un diplôme pour sanctionner un cursus. Ce but atteint je fais ce que je pense bien faire de mes acquis. Mes acquis sont la lecture et l’interdisciplinarité que j’encourage. Mon retrait en France m’a plongé dans la philosophie puisque tout simplement je devais affronter une nouvelle société et que, par conséquent, je devais réfléchir sur mon « être là » dans une réalité qui ne m’était pas étrangère mais qui est devenue subitement étrange. Je découvrais de près toutes les contradictions de la société occidentale, celle qui m’est la plus proche dont je connais une partie de l’histoire, ses contributions à l’évolution des sciences… Cela me posa un réel dilemme. Je ne me retrouvais pas dans cette France dont je découvrais le vrai visage. Et pourtant je l’aime, mais elle ne répondait pas à mes préoccupations. Je me suis dit que peut être mon choix d’y vivre n’était plus judicieux. Donc il me fallait « philosopher » tranquillement sur le monde qui m’entourait pour en déduire ce qui devrait me faire survivre par rapport à ce semblant de « chaos » social et d’aventure. Il fallait vivre cette parenthèse. Mais la tragédie mauritanienne et africaine demandait, certainement, cette réclusion philosophique loin du continent.
Je suis aussi poète comme tout être humain sur cette terre. Je me suis toujours dit que Dieu a conçu le monde sous la forme d’un poème. Je considère la poésie comme l’âme du monde. J’en suis tellement convaincu qu’on m’accuse de lyrisme dans mes travaux scientifiques. Je chante, j’ai du rythme dans le corps. La vie est un rythme et il faut avoir l’oreille très attentive pour comprendre ces mélodies, ces symphonies qui sortent de partout pour finalement saisir l’harmonie qui structure notre existence. Sans poésie je pense que le monde serait insipide. Je suis écrivain ? Oui si jamais publier fait de moi un écrivain. Mais je pense que l’écrivain c’est plus que cela. C’est vous dire tout simplement que cet éclectisme n’est point une dispersion de ma part, mais une nécessité profonde alimentée aux différentes problématiques que j’aborde dans mes travaux scientifiques et de cette quête permanente de sens là où il me semble se cacher. Je suis arrivé à un point où la discipline en tant que telle n’est plus un référent indépassable, une barrière. Il m’est impossible de devenir prisonnier d’une « forteresse disciplinaire ». Je suis contre cette attitude que je trouve contre-productive. L’histoire est une discipline sérieuse et fait converger vers elle d’autres. Tout historien, par exemple, fermé à la philosophie ne produira pas une œuvre utile. C’est ma conviction et j’en suis tellement assuré qu’il m’est impossible de lésiner sur les moyens pour acquérir un ouvrage de philosophie, de sociologie ou de science politique. Depuis que j’ai adopté cette attitude ; je dis à qui veut m’entendre que je suis historiosophe. Et ce n’est pas pour rien que j’ai eu un privilège de mes collègues du département de philosophie et que j’ai commencé à dispenser un cours, Histoire et récit, dans ce département.
4) Que peut-on retenir du dernier livre que vous avez lu ?
Sans vanité je lis plusieurs livres à la fois ! C’est fou ce que je fais. Donc je ne sais plus lequel des derniers devrais-je raconter. Néanmoins, j’opte pour L’imposture des mots de l’écrivain Algérien Yasmina Khadra (publié aux éditions Pocket, Paris 2010). J’en ai retenu une leçon irremplaçable : la volonté. L’auteur parle à l’écrivain qu’il a toujours pensé devenir et au militaire qu’il n’est plus dans un monde qui aurait dû l’accepter, l’aider mais qui doute de lui au point de vouloir le ridiculiser. Les acteurs de cette « cabale » ne sont autres que ses propres compatriotes qu’il a retrouvé en France. J’ai aimé la franchise qui se dégage de ce livre. Donc en achetant tous les romans de Yasmina, c’est bien pour conforter ma conviction et du coup renforcer ma volonté de relever les défis de l’intelligence. Il faut se cultiver pour maintenir cette fraîcheur indispensable que m’impose ma profession. Je suis un ouvrier de la connaissance. Donc je recommande à tout le monde d’investir dans le livre pour mieux appréhender ce qui nous entoure. La lecture est indispensable. C’est la meilleure nourriture pour ceux qui souhaitent se perfectionner et conforter leur engagement, leur indépendance et surtout leurs capacités de dépasser leur propre égo.
Propos recueillis à Dakar par Moulaye Ismaël Keita
Source: INITI.NET
1) Que représente l'engagement politique pour l’intellectuel que vous êtes?
L’intellectuel participe de la société. Il est engagé dans son œuvre et ce type d’engagement est généralement sincère et infaillible. Il ne s’agit pas de faire ou de s’impliquer en politique dans le sens indigène du terme. L’engagement pour moi réside dans la compréhension de sa société, la réflexion sur les processus de sa différenciation et l’analyse fine des modifications qu’elle connaît. En un mot c’est accompagner sa société à travers l’ensemble de ses segments. S’il s’agit de cela, je peux revendiquer l’engagement. Je fais « du » politique et pas de la politique. Les deux attitudes sont différentes car mon objectif en faisant « du » politique ce n’est point d’accéder au pouvoir c’est d’accompagner les politiciens et ceux qui sont hors du champ politique qui le considèrent comme une activité et/ou une profession. Je suis à équidistance entre ces deux pôles. Celui qui souhaite accéder au pouvoir fait de la politique. Malheureusement les gens ne voient de l’engagé que celui qui prend le micro ou celui qui possède la carte d’un parti ou celle d’une organisation dite ou décrétée société civile. Je me méfie de ce type d’engagement qui prolifère aujourd’hui. En effet, sans incriminer qui que ce soit, je dis souvent que l’intellectuel peut faire de la politique car ce n’est pas interdit. Mais quand il s’engage il doit assumer les conséquences sur son réel cursus : la production du Savoir pour la communauté scientifique et la société. Donc, l’engagement est une attitude, un comportement, une éthique de responsabilité qui demande une certaine rigueur morale. L’engagé n’attend rien en retour. Il fait son travail car il y croit. Je veux dire qu’il est obligé de faire ce qu’il doit faire avec ses propres moyens sur les champs qui lui sont ouverts et accessibles ; advienne que pourra.
Je laisse la politique de côté en attendant de comprendre le politique. Il faut avoir ce background pour mieux participer. Il ne faut pas seulement se rallier pour un simple ralliement comme pour se disculper. Je veux continuer de jouir de ma liberté de parole et ne point être prisonnier d’une « ligne de réserve » comme dans ce qu’on appelait le « centralisme démocratique ». Je n’aime pas cet ordre là et récuse les idées de ceux qui, sans jeter un coup d’œil sur ce que les autres font, les stigmatisent au point de les calomnier. Il est difficile de vivre son engagement puisque tout simplement les gens te demandent ta VISIBILITE ostentatoire comme pour pouvoir émarger sur les tablettes des gratitudes et des honneurs que peuvent te rendre la société. Je ne suis pas de ceux-là qui rafistolent leur image pour plaire. Je suis sûr que je suis engagé, pas l’ombre d’un doute par rapport à cet état de fait. Je souhaite, par mon engagement, déplaire en défigurant la société, la surprendre en train de chuchoter, retracer ses combines, ses déviances et l’ensemble de ses non-dits. Voilà la quintessence de mon engagement : je ne suis pas un mercenaire. Je suis un combattant discipliné, modeste, équilibré et conséquent et pas guidé par la complaisance ou le désir de notoriété.
2) La Mauritanie a fêté ses 50 ans d'indépendance, qu'est- ce que cela vous inspire ?
Eh bien je vais vous décevoir, c’est juste mon âge. 27 passées en Mauritanie et 23 à travers le monde qui m’a ouvert ses portes. Nous sommes toujours à la recherche de : l’unité nationale, de la citoyenneté entière, de l’égalité devant les droits et de tous les droits, l’éradication de l’esclavage, la convergence des différences pour bâtir un état républicain fort et respectueux de la personne humaine. Il m’est certes impossible de soutenir que rien n’a été fait mais beaucoup de choses restent en suspens. Il m’est aussi impossible de singulariser la Mauritanie. Elle partage avec d’autres cette mésaventure. La tension au Sénégal où je vis valide ce que je viens de vous dire. Je suis désolé, mais notre école trébuche, notre économie va mal, nos solidarités se distendent ou sont strictement familiales, tribales et ethniques. Aucune autre référence anonyme n’est possible. Nous sommes comme assis sur des épaves et ce sont presque tous les pays africains qui vivent ce désarroi. C’est terrible comme constat mais c’est la triste vérité. Des changements systémiques s’imposent pour réorienter la trajectoire de l’ensemble des communautés mauritaniennes, par devoir, avant qu’il ne soit trop tard. Et l’un des éléments qui me vient à l’esprit après avoir lu une interview (dans l’un des journaux mauritaniens) de mon grand frère Lô Gourmo c’est bien cette problématique de la nationalité d’une partie des Mauritaniens ! Je pensais, naïvement, que ce démon était banni mais il reste là avec ses gros yeux injectés de sang. Mais comment donc m’expliquer qu’à 50 ans, moi Abderrahmane, je ne puisse pas encore jouir pleinement de ma nationalité, de ma citoyenneté pour choisir ceux qui doivent discuter de l’avenir de la jeunesse de mon pays ?
Cette seule question nous renvoie au dilemme de notre existence et exige de nous notre droit à l’indignation permanente. Je dis bien permanente dans la mesure où celui qui est engagé l’est pour la vie car l’insatisfaction méthodique doit toujours l’alimenter. C’est-à-dire qu’il a l’obligation de veille et d’alerte.
3) Parlons de vos publications, peut-on vous qualifier d'historien, de poète et d'écrivain à la fois ?
Cette question revient sur la bouche de ceux qui me croisent pour la première fois. J’ai l’habitude de dire que j’ai un diplôme d’historien car il faut bien se « classer » quelque part ne serait-ce que pour être identifié. C’est clair que c’est mon « identité intellectuelle » primaire si je peux parler ainsi. Mais j’ai toujours rêvé de science politique, de sociologie, de philosophie, d’anthropologie, de et de……… finalement je traverse les disciplines pour donner plus de relief à ce que je fais. Il me fallait juste un diplôme pour sanctionner un cursus. Ce but atteint je fais ce que je pense bien faire de mes acquis. Mes acquis sont la lecture et l’interdisciplinarité que j’encourage. Mon retrait en France m’a plongé dans la philosophie puisque tout simplement je devais affronter une nouvelle société et que, par conséquent, je devais réfléchir sur mon « être là » dans une réalité qui ne m’était pas étrangère mais qui est devenue subitement étrange. Je découvrais de près toutes les contradictions de la société occidentale, celle qui m’est la plus proche dont je connais une partie de l’histoire, ses contributions à l’évolution des sciences… Cela me posa un réel dilemme. Je ne me retrouvais pas dans cette France dont je découvrais le vrai visage. Et pourtant je l’aime, mais elle ne répondait pas à mes préoccupations. Je me suis dit que peut être mon choix d’y vivre n’était plus judicieux. Donc il me fallait « philosopher » tranquillement sur le monde qui m’entourait pour en déduire ce qui devrait me faire survivre par rapport à ce semblant de « chaos » social et d’aventure. Il fallait vivre cette parenthèse. Mais la tragédie mauritanienne et africaine demandait, certainement, cette réclusion philosophique loin du continent.
Je suis aussi poète comme tout être humain sur cette terre. Je me suis toujours dit que Dieu a conçu le monde sous la forme d’un poème. Je considère la poésie comme l’âme du monde. J’en suis tellement convaincu qu’on m’accuse de lyrisme dans mes travaux scientifiques. Je chante, j’ai du rythme dans le corps. La vie est un rythme et il faut avoir l’oreille très attentive pour comprendre ces mélodies, ces symphonies qui sortent de partout pour finalement saisir l’harmonie qui structure notre existence. Sans poésie je pense que le monde serait insipide. Je suis écrivain ? Oui si jamais publier fait de moi un écrivain. Mais je pense que l’écrivain c’est plus que cela. C’est vous dire tout simplement que cet éclectisme n’est point une dispersion de ma part, mais une nécessité profonde alimentée aux différentes problématiques que j’aborde dans mes travaux scientifiques et de cette quête permanente de sens là où il me semble se cacher. Je suis arrivé à un point où la discipline en tant que telle n’est plus un référent indépassable, une barrière. Il m’est impossible de devenir prisonnier d’une « forteresse disciplinaire ». Je suis contre cette attitude que je trouve contre-productive. L’histoire est une discipline sérieuse et fait converger vers elle d’autres. Tout historien, par exemple, fermé à la philosophie ne produira pas une œuvre utile. C’est ma conviction et j’en suis tellement assuré qu’il m’est impossible de lésiner sur les moyens pour acquérir un ouvrage de philosophie, de sociologie ou de science politique. Depuis que j’ai adopté cette attitude ; je dis à qui veut m’entendre que je suis historiosophe. Et ce n’est pas pour rien que j’ai eu un privilège de mes collègues du département de philosophie et que j’ai commencé à dispenser un cours, Histoire et récit, dans ce département.
4) Que peut-on retenir du dernier livre que vous avez lu ?
Sans vanité je lis plusieurs livres à la fois ! C’est fou ce que je fais. Donc je ne sais plus lequel des derniers devrais-je raconter. Néanmoins, j’opte pour L’imposture des mots de l’écrivain Algérien Yasmina Khadra (publié aux éditions Pocket, Paris 2010). J’en ai retenu une leçon irremplaçable : la volonté. L’auteur parle à l’écrivain qu’il a toujours pensé devenir et au militaire qu’il n’est plus dans un monde qui aurait dû l’accepter, l’aider mais qui doute de lui au point de vouloir le ridiculiser. Les acteurs de cette « cabale » ne sont autres que ses propres compatriotes qu’il a retrouvé en France. J’ai aimé la franchise qui se dégage de ce livre. Donc en achetant tous les romans de Yasmina, c’est bien pour conforter ma conviction et du coup renforcer ma volonté de relever les défis de l’intelligence. Il faut se cultiver pour maintenir cette fraîcheur indispensable que m’impose ma profession. Je suis un ouvrier de la connaissance. Donc je recommande à tout le monde d’investir dans le livre pour mieux appréhender ce qui nous entoure. La lecture est indispensable. C’est la meilleure nourriture pour ceux qui souhaitent se perfectionner et conforter leur engagement, leur indépendance et surtout leurs capacités de dépasser leur propre égo.
Propos recueillis à Dakar par Moulaye Ismaël Keita
Source: INITI.NET