Depuis les incidents de Kaédi, le quotidien arabe Elhayat publie systématiquement en Une le slogan "Non à la naturalisation des étrangers et à leur emploi au détriment des mauritaniens besogneux" pour camper son interprétation des protestations par certains individus de l’enrôlement en cours.
Le journal a aussi sorti de ses tiroirs une apologie vétuste en plusieurs épisodes du "martyr" Saddam Hussein. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici le rôle néfaste joué par le dictateur irakien dans ce qui aurait pu être la solution finale pour l’extermination des noirs non arabes de Mauritanie.
Mais l’incitation à la haine raciale et aux affrontements communautaires a franchi un nouveau palier dans le numéro 282 paru le dimanche 2 octobre 2011. La première phrase renvoie vers des affrontements la veille entre des manifestants nègres et des arabes bruns [haratines NDLR] au centre-ville de Nouakchott qui ferait craindre un remake des événements de 1989.
Toujours en Une, deux bandeaux contrastés blanc sur noir attirent le regard des passants aux alentours des kiosques. Le premier indique que les étrangers sont impliqués dans les violences et conteste la mauritanité de deux leaders noirs, le second annonce la flambée du prix des …armes à feu !
Au dessus de ce dernier bandeau déjà ardent, une photo d’un revolver pointé illustre la blessure par balles d’un officier de l’armée à Aleg, faisant croire au lecteur crédule à une propagation des récents événements de Kaédi, Maghama et Nouakchott vers la région du Brakna. Mais en page intérieure on découvre que l’officier s’est blessé tout seul en manipulant son arme, cela n’a aucun rapport avec l’opération d’enrôlement. Par cet agencement malintentionné de l’information, la rédaction distille un message sans équivoque : installer un climat d’insécurité dans le pays en faisant porter la responsabilité aux noirs non arabes et inciter à un remake des événements de 1989 en instrumentalisant les haratines. Il est important de souligner que leur ligne éditoriale est singulière et n’est pas partagée par la majorité des journaux en langue arabe.
Il est vrai que Elhayat n’est disponible qu’en kiosque à 200 ouguiyas l’unité, un prix suffisamment dissuasif pour la grande majorité des citadins, et ses articles ne sont pas relayés sur le net, mais il a pignon sur rue par sa Une surlignée et bien visible: pas besoin d’acheter le journal pour saisir le perpétuel appel du jour : il faut chasser les noirs étrangers ! Ce sont eux qui manifestent, ce sont eux qui sèment le désordre et le chaos, ce sont eux qui inondent les centres d’accueil citoyen pour s’enregistrer frauduleusement dans le registre sécurisé des populations, c’est à se demander où sont passés les noirs vraiment mauritaniens.
Et pourtant quand par exemple on manifestait contre l’attaque de la flotille de Gaza par Tsahal, il y avait des arabes étrangers parmi les manifestants venus montrer leur solidarité, ont-ils été arrêtés, emprisonnés, torturés?
D’ailleurs pourquoi les noirs étrangers seraient-ils interdits de manifester contre l’enrôlement ? Ils sont concernés par les prochaines étapes de cette opération. Tout comme les noirs mauritaniens qui veulent la même procédure pour tous les citoyens, eux aussi voudront le moment venu être traités sur le même pied d’égalité que l’étranger arabe, européen, asiatique, américain…Ils peuvent crier dès maintenant « TOUCHES PAS A MA CARTE DE SEJOUR », ce serait visionnaire car les problèmes identitaires en Mauritanie ont un volet épidermique qui transcende les frontières.
Les étrangers n’aspirent qu’à vivre en paix car ils sont sensibilisés sur l’alibi qu’ils pourraient offrir à une certaine idéologie dont le dessein serait la déafricanisation de ce pays, la dénégrification étant hors de leur portée dans ce bled peuplé principalement de noirs et curieusement appelé Trab Elbeydan, la terre des blancs. C’est cela l’énigme de la Mauritanie que les nouvelles générations doivent résoudre de préférence sans repasser par les événements de 1989. Elles doivent aussi faire l’économie d’expériences à la libanaise, rwandaise, somalienne…Penser au coût de la reconstruction quand un pays recule d’un demi siècle de développement après seulement deux années de conflit.
Plus surprenante est la contestation dans ce numéro de la nationalité de deux leaders politiques halpulaars qui tombe comme un cheveu dans la soupe. L’un d’eux avait déjà été accusé dans le précédent numéro (N°281 de jeudi dernier) d’être un sénégalais ayant acquis la nationalité mauritanienne frauduleusement. On n'est trop loin de la thèse d'El Wafi disant que "tous noirs en Mauritanie sont descendants de tirailleurs sénégalais que les français ont emmené avec eux pour coloniser le pays", fussent-ils aujourd'hui élus ou parlementaires. Mais les temps ont changé, il faut dire la même chose mais en l'enrobant autrement.
Interpellé vendredi sur les preuves de ces allégations, le Directeur de publication Ali Mohamed Ould Ebnou, a signifié dans une conversation téléphonique son étonnement que de telles affirmations soient dans les colonnes d’Elhayat, « notre ligne éditoriale est pour l’unité nationale et la cohésion sociale, je vais lire le numéro et faire mon enquête». Il a fini par dire qu’il n’ont fait que reprendre l’information sur un site électronique, regrettant au passage que son collaborateur n’ait pas indiqué sa source au bas de son article. Il s’était engagé à publier des excuses en indiquant l’adresse du site, et malgré plusieurs relances, on attend toujours…
Etait-ce une pirouette d’acrobate ? Ould Ebnou doit savoir que le délit de presse a été abrogé mais, d’après un avocat de la place, la diffamation demeure punie par la loi. Pour prouver sa bonne foi et son engagement pour une Mauritanie unie, il peut au moins retirer son slogan d’appel à la chasse aux étrangers et mettre en veilleuse son apologie de Saddam Hussein. On risque d’attendre longtemps, le temps que cette opportunité de diviser la Mauritanie qu’est l’enrôlement se dissipe, …disparaisse !
En conclusion, il faut être optimiste pour l’avenir de ce pays car la vérité est que la plus grande partie des maures blancs, où du moins leurs élites, ont compris que le pouvoir politique doit être progressivement transféré aux noirs mais en négociant une sortie honorable à la sud-africaine, c’est-à-dire en lâchant le moins possible sur le partage des richesses, leur pouvoir économique serait la garantie de leur conservation. Ceux là ne sont pas pour une confrontation intercommunautaire violente à l’issue incertaine, surtout si on tient compte de la montée des revendications pour la reconnaissance dans la constitution de l’identité haratine, une communauté qui veut se situer à égale distance des maures blancs et des noirs non arabes. C’est pourquoi les haratine refuseraient d’être à nouveau le bras armé du système dominant, ils aspirent maintenant à gouverner. La prise de conscience de leur poids démographique, et donc de leur légitimité pour présider ce pays, grandit tous les jours. Il n’y aura pas de remake des événements de 1989, en cas d’instabilité les haratine joueront leur partition sans harmoniser avec un quelconque chef d’orchestre. L’opportunisme libérateur n’est pas honteux, c’est une fenêtre de l’histoire à saisir.
Ciré KANE- Nouakchott le 5 octobre 2011
Source: kassataya
Le journal a aussi sorti de ses tiroirs une apologie vétuste en plusieurs épisodes du "martyr" Saddam Hussein. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici le rôle néfaste joué par le dictateur irakien dans ce qui aurait pu être la solution finale pour l’extermination des noirs non arabes de Mauritanie.
Mais l’incitation à la haine raciale et aux affrontements communautaires a franchi un nouveau palier dans le numéro 282 paru le dimanche 2 octobre 2011. La première phrase renvoie vers des affrontements la veille entre des manifestants nègres et des arabes bruns [haratines NDLR] au centre-ville de Nouakchott qui ferait craindre un remake des événements de 1989.
Toujours en Une, deux bandeaux contrastés blanc sur noir attirent le regard des passants aux alentours des kiosques. Le premier indique que les étrangers sont impliqués dans les violences et conteste la mauritanité de deux leaders noirs, le second annonce la flambée du prix des …armes à feu !
Au dessus de ce dernier bandeau déjà ardent, une photo d’un revolver pointé illustre la blessure par balles d’un officier de l’armée à Aleg, faisant croire au lecteur crédule à une propagation des récents événements de Kaédi, Maghama et Nouakchott vers la région du Brakna. Mais en page intérieure on découvre que l’officier s’est blessé tout seul en manipulant son arme, cela n’a aucun rapport avec l’opération d’enrôlement. Par cet agencement malintentionné de l’information, la rédaction distille un message sans équivoque : installer un climat d’insécurité dans le pays en faisant porter la responsabilité aux noirs non arabes et inciter à un remake des événements de 1989 en instrumentalisant les haratines. Il est important de souligner que leur ligne éditoriale est singulière et n’est pas partagée par la majorité des journaux en langue arabe.
Il est vrai que Elhayat n’est disponible qu’en kiosque à 200 ouguiyas l’unité, un prix suffisamment dissuasif pour la grande majorité des citadins, et ses articles ne sont pas relayés sur le net, mais il a pignon sur rue par sa Une surlignée et bien visible: pas besoin d’acheter le journal pour saisir le perpétuel appel du jour : il faut chasser les noirs étrangers ! Ce sont eux qui manifestent, ce sont eux qui sèment le désordre et le chaos, ce sont eux qui inondent les centres d’accueil citoyen pour s’enregistrer frauduleusement dans le registre sécurisé des populations, c’est à se demander où sont passés les noirs vraiment mauritaniens.
Et pourtant quand par exemple on manifestait contre l’attaque de la flotille de Gaza par Tsahal, il y avait des arabes étrangers parmi les manifestants venus montrer leur solidarité, ont-ils été arrêtés, emprisonnés, torturés?
D’ailleurs pourquoi les noirs étrangers seraient-ils interdits de manifester contre l’enrôlement ? Ils sont concernés par les prochaines étapes de cette opération. Tout comme les noirs mauritaniens qui veulent la même procédure pour tous les citoyens, eux aussi voudront le moment venu être traités sur le même pied d’égalité que l’étranger arabe, européen, asiatique, américain…Ils peuvent crier dès maintenant « TOUCHES PAS A MA CARTE DE SEJOUR », ce serait visionnaire car les problèmes identitaires en Mauritanie ont un volet épidermique qui transcende les frontières.
Les étrangers n’aspirent qu’à vivre en paix car ils sont sensibilisés sur l’alibi qu’ils pourraient offrir à une certaine idéologie dont le dessein serait la déafricanisation de ce pays, la dénégrification étant hors de leur portée dans ce bled peuplé principalement de noirs et curieusement appelé Trab Elbeydan, la terre des blancs. C’est cela l’énigme de la Mauritanie que les nouvelles générations doivent résoudre de préférence sans repasser par les événements de 1989. Elles doivent aussi faire l’économie d’expériences à la libanaise, rwandaise, somalienne…Penser au coût de la reconstruction quand un pays recule d’un demi siècle de développement après seulement deux années de conflit.
Plus surprenante est la contestation dans ce numéro de la nationalité de deux leaders politiques halpulaars qui tombe comme un cheveu dans la soupe. L’un d’eux avait déjà été accusé dans le précédent numéro (N°281 de jeudi dernier) d’être un sénégalais ayant acquis la nationalité mauritanienne frauduleusement. On n'est trop loin de la thèse d'El Wafi disant que "tous noirs en Mauritanie sont descendants de tirailleurs sénégalais que les français ont emmené avec eux pour coloniser le pays", fussent-ils aujourd'hui élus ou parlementaires. Mais les temps ont changé, il faut dire la même chose mais en l'enrobant autrement.
Interpellé vendredi sur les preuves de ces allégations, le Directeur de publication Ali Mohamed Ould Ebnou, a signifié dans une conversation téléphonique son étonnement que de telles affirmations soient dans les colonnes d’Elhayat, « notre ligne éditoriale est pour l’unité nationale et la cohésion sociale, je vais lire le numéro et faire mon enquête». Il a fini par dire qu’il n’ont fait que reprendre l’information sur un site électronique, regrettant au passage que son collaborateur n’ait pas indiqué sa source au bas de son article. Il s’était engagé à publier des excuses en indiquant l’adresse du site, et malgré plusieurs relances, on attend toujours…
Etait-ce une pirouette d’acrobate ? Ould Ebnou doit savoir que le délit de presse a été abrogé mais, d’après un avocat de la place, la diffamation demeure punie par la loi. Pour prouver sa bonne foi et son engagement pour une Mauritanie unie, il peut au moins retirer son slogan d’appel à la chasse aux étrangers et mettre en veilleuse son apologie de Saddam Hussein. On risque d’attendre longtemps, le temps que cette opportunité de diviser la Mauritanie qu’est l’enrôlement se dissipe, …disparaisse !
En conclusion, il faut être optimiste pour l’avenir de ce pays car la vérité est que la plus grande partie des maures blancs, où du moins leurs élites, ont compris que le pouvoir politique doit être progressivement transféré aux noirs mais en négociant une sortie honorable à la sud-africaine, c’est-à-dire en lâchant le moins possible sur le partage des richesses, leur pouvoir économique serait la garantie de leur conservation. Ceux là ne sont pas pour une confrontation intercommunautaire violente à l’issue incertaine, surtout si on tient compte de la montée des revendications pour la reconnaissance dans la constitution de l’identité haratine, une communauté qui veut se situer à égale distance des maures blancs et des noirs non arabes. C’est pourquoi les haratine refuseraient d’être à nouveau le bras armé du système dominant, ils aspirent maintenant à gouverner. La prise de conscience de leur poids démographique, et donc de leur légitimité pour présider ce pays, grandit tous les jours. Il n’y aura pas de remake des événements de 1989, en cas d’instabilité les haratine joueront leur partition sans harmoniser avec un quelconque chef d’orchestre. L’opportunisme libérateur n’est pas honteux, c’est une fenêtre de l’histoire à saisir.
Ciré KANE- Nouakchott le 5 octobre 2011
Source: kassataya