Avec un record de 45 000 traversées illégales en Grande-Bretagne en 2022, la pression migratoire sur les plages du Nord a rarement été aussi forte. L'occasion de rencontrer Xavier Delrieu, chef de l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM), qui traque les filières d'immigration clandestine dans toute la France. Entretien.
Il est le fer de lance de la lutte contre les trafiquants de migrants. Créé en 1993 mais renommé en janvier dernier, l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM) traque les filières dans toute la France. Avec la réforme territoriale, ce service qui dépend de la police aux frontières (PAF) va passer de 132 à 180 fonctionnaires dans les prochains mois, dont un magistrat détaché spécialement pour ces affaires.
Alors que les traversées de la Manche n'ont jamais été aussi nombreuses qu'en 2022, son patron, le commissaire divisionnaire Xavier Delrieu, 57 ans, a accepté de décortiquer pour nous le fonctionnement de ce business qui génère chaque année des dizaines de millions d'euros au niveau national.
InfoMigrants : Le 15 octobre, 17 prévenus vont comparaître au tribunal correctionnel de Paris pour "homicides involontaires" dans le cadre du camion charnier découvert en Angleterre en 2019. La France est le dernier pays a organiser un procès sur cette affaire après l'Angleterre et la Belgique. Que représente ce procès pour vos services ?
Xavier Delrieu : C’est un dossier extrêmement important pour nous, parce qu’on est dans un cas extrême de ce que peut amener le trafic de migrants, c’est-à-dire trouver 39 Vietnamiens asphyxiés dans un camion frigorifique.
Ils ont été découverts en Grande-Bretagne mais ont embarqué dans le nord de la France. On travaille régulièrement sur ce réseau. On avait déjà des éléments qui nous avaient permis de cibler les trafiquants. On a mis des moyens extrêmement importants sur ce dossier : 20 enquêteurs de l’OLTIM ont travaillé à plein temps.
Il était important pour nous de voir que la phase d’enquête aboutisse à la phase judiciaire. En Grande-Bretagne et en Belgique, certains mis en cause ont déjà été condamnés à de lourdes peines. Il est nécessaire que la partie française soit jugée. On espère des condamnations lourdes pour les plus impliqués.
IM : Y a-t-il beaucoup de migrants vietnamiens concernés par le trafic ?
Les filières vietnamiennes sont toujours très actives. Les Vietnamiens peuvent payer le voyage complet jusqu'en Grande-Bretagne entre 20 000 et 24 000 euros. Jusqu'à cette affaire, le mode de transport privilégié était le camion frigorifique. Ensuite, ils sont passés par les cabines de chauffeur poids lourds, et maintenant on les retrouve de manière très régulière dans les "small boats".
IM : Les effectifs de l'OLTIM sont en train d'être renforcés. L'activité des passeurs a-t-elle fortement augmenté en France ces dernières années ?
Il y a une légère augmentation de la moyenne nationale de 300 filières d'immigration clandestine démantelées par an, tout confondu, c’est-à-dire d'entrée, de maintien, et de transit sur le territoire, y compris de fraude documentaire.
Avec la montée en puissance de l’office, le but c’est de démanteler davantage de filières et de faire plus de travail qualitatif. Si les passeurs sont souvent jugés en comparution immédiate par les tribunaux locaux, notre travail porte davantage sur les trafiquants, c’est-à-dire les gens qui vont employer ces passeurs pour effectuer leur trafic. Par ailleurs, il est important de développer un partenariat avec l’URSSAF, les impôts, pour avoir au-delà de la réponse pénale une réponse fiscale.
IM : Quel est le profil des passeurs que vous interpellez lors de vos enquêtes ?
Il y a trois types de passeurs. D'abord, les passeurs d’opportunité. Ceux qui se disent à la frontière franco-italienne qu’ils veulent "se faire un billet" à Vintimille, en traînant autour de la gare. Pour quelques centaines d’euros, ils font passer la frontière à des migrants, mais ils ne travaillent pas forcément pour des réseaux.
Les passeurs qui travaillent avec les réseaux sont soit des migrants qui sont arrivés en situation irrégulière chez nous et qui sont exploités pour rembourser leur passage, soit des membres de la petite voyoucratie locale. On a par exemple eu un dossier avec des jeunes de cité qui allaient chercher des migrants dans les Balkans pour les ramener en voiture en France. Ils louaient des voitures sur Leboncoin et montaient jusqu’en Autriche ou en Hongrie pour charger les migrants. Ça, c’est un phénomène un peu nouveau.
IM : Qui sont les gérants de ces réseaux ?
Les trafiquants sont soit des passeurs qui sont montés en grade et qui vont monter leur propre réseau, soit des trafiquants implantés à l'étranger qui font venir en France des gens de leur communauté en situation irrégulière. D’un point de vue financier, ils utilisent le système Hawala. Il y a peu d’argent qui circule à part les fonds de roulement, localement. On aura du a du mal à saisir la majorité du patrimoine qui reste en Irak ou en Afghanistan.
Les Irakiens ont besoin de relais un peu partout jusqu’en France pour les passages, l’organisation, le financement. Ils facilitent le maintien en France des migrants en les faisant travailler dans des commerces, dans l’agriculture, l’hôtellerie, la restauration, voire la prostitution. En France, il y a peu de porosité entre ces réseaux criminels et le banditisme, à part les Vietnamiens qui pratiquent la cannabiculture. Ils construisent des fermes et font venir des jardiniers migrants vietnamiens pour rembourser leur passage et se livrer au trafic de stupéfiant.
IM : Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans vos enquêtes ?
Ces réseaux travaillent comme les trafiquants de stupéfiants : ils ne parlent pas au téléphone, ils connaissent nos techniques de balisage, les filatures, les vidéo-surveillances, etc. Ils ont une très grande adaptabilité et savent déjouer nos investigations.
Parfois, c’est la coopération internationale qui est compliquée. La plupart du matériel nautique qui est utilisé pour traverser la Manche est importé de Chine, puis de Turquie et est stocké en Allemagne. En juillet 2022, on a fait une grosse opération pour démanteler un réseau, mais en Allemagne, le fait de stocker des bateaux en grande quantité pour le compte de réseaux criminels qui sont en France, ce n’est pas une infraction. Si vous n’avez pas de trafic de migrants accolé, ils ne peuvent pas ouvrir d’enquête.
IM : Malgré le renforcement sans précédent des effectifs de police et de moyens à la frontière britannique, il n'y a jamais eu autant de traversées illégales de la Manche qu'en 2022 avec 45 000 passages. Est-ce un échec pour vos services ?
Non, car on ne s'occupe pas des dispositifs de contrôle maritime. L'année 2023, s’annonce plutôt positive : le taux d’interception augmente et atteint environ 63%. Depuis le début de l’année, on doit être à -15% de bateaux qui ont traversé la Manche, soit 250 traversées sur les 6 premiers mois. Sur le nombre de migrants, on est à -5 ou -10% soit 12 000 migrants qui ont réussi à traverser.
Au niveau du démantèlement des filières, on s'améliore aussi. En 2022, on comptabilisait 32 filières de "small boats" démantelées contre 27 en 2021. Sur les six premiers mois de l'année 2023, on est à 16. En 2023, le phénomène des traversées dans la Manche sera plus contenu que l’année dernière.
IM : Les filières ont-elles fait évoluer leurs techniques ?
Avant, les trafiquants enterraient le matériel nautique sur la plage, et ils gonflaient le bateau juste avant la traversée pour ne pas être interceptés. Ensuite, la livraison s'est fait directement au moment de la mise à l’eau.
Maintenant, on a beaucoup de taxi-boats, c'est-à-dire que le bateau est gonflé et mis à l’eau sur des cours d’eau qui rejoignent la mer. Les passeurs remontent ensuite la côte et chargent les passagers à un endroit bien précis, ce qui permet d’éviter l’interception sur la plage. À partir du moment où les migrants sont dans l’eau, ce n’est plus une opération de police mais de sauvetage en mer.
IM : Combien de filières de trafiquants avez-vous identifié ?
Nous connaissons une trentaine de réseaux, principalement des Irako-kurdes qui ont pris la main sur le marché alors qu’avant ils géraient les chargements de poids-lourds. Avec le Covid-19 et la fermeture des frontières, ils se sont rendus compte que les "small boats" étaient plus rentables, et c’est devenu le principal moyen pour convoyer des migrants en Grande-Bretagne.
Le prix moyen d’une traversée se situe entre 2 500 et 3000 euros, mais peut monter jusqu’à 4 500 euros car certaines nationalités comme les Vietnamiens et les Albanais ont beaucoup plus d’argent. Vous multipliez une moyenne de 50 migrants par bateau par 3 000 euros, et vous arrivez à 150 000 euros par bateau, pour un bénéfice net d'environ 100 000 euros. Si vous multipliez ce résultat par le nombre de migrants qui ont traversé en 2022, ça fait 150 millions d'euros (contre plusieurs milliards de dollars dans le monde, NDLR). Ce n’est pas autant que le trafic de drogue, mais cela reste extrêmement lucratif.
IM : Un groupe de l'OLTIM travaille exclusivement sur les mineurs non accompagnés (MNA). Pour quelle raison ?
On est vraiment dans l’exploitation de la misère humaine. Il y a les MNA d'Afrique de l'Ouest qui viennent en France pour être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), avec beaucoup de faux mineurs dans le lot, mais eux ne créent pas trop de trouble à l’ordre public. En revanche, les Nord-Africains vivent en totale clandestinité et sont employés par des réseaux criminels pour faire des cambriolages, des vols à l’arraché, c’est une délinquance qui est vraiment importante en France. On a à peu près 4 ou 5 filières MNA démantelées chaque année sur 300, mais c’est un sujet réel parce qu’ils n’ont aucun repère, aucune limite, et peuvent devenir à terme extrêmement dangereux. Il faut les sortir de cet engrenage criminel qui va les amener à être encore plus violents qu’aujourd’hui.
IM : De nombreux trafiquants recrutent désormais sur TikTok où ils vendent leurs services contre quelques milliers d'euros. Les réseaux sociaux sont-ils devenus un terrain d'enquête primordial pour vous ?
Les trafiquants ont de plus en plus recours aux réseaux sociaux pour faire leur publicité. On a commencé à travailler dessus. On commence à avoir des dossiers là-dessus et on va créer un groupe de cyber veille pour essayer d’identifier les gens qui font la promotion du trafic de migrants.
La difficulté, c’est d’avoir des plateformes qui acceptent de collaborer. Les adresses IP sont souvent situées à l’étranger, ce qui ne facilite pas la tâche lorsqu'on procède à des réquisitions judiciaires.
IM : Au-delà de l'aide à l'entrée et au séjour irrégulier sur le territoire français, de nombreuses filières se livrent à l’approvisionnement de main-d’œuvre pour le "travail illégal". Quels sont les principaux secteurs d'emploi concernés ?
Il y a la prostitution, l’hôtellerie et la restauration et également le domaine agricole. Ce sont surtout des réseaux nord-africains qui font venir des migrants en France pour les faire travailler, notamment dans le sud de la France. Ils détournent le visa saisonnier pour faire venir des migrants chez nous qui ne vont pas repartir.
Et puis il y a évidemment le BTP. Nous avons démantelé de grosses structures pakistanaises qui avait monté des fausses sociétés, souvent avec de la fraude documentaire, pour ensuite fournir des services dans le BTP, ce qui génère des préjudices énormes pour l’URSSAF et les impôts. D’où l’intérêt de l’interministérialité de l’office.
Louis Chahuneau
Source : Info Migrants (France)
Il est le fer de lance de la lutte contre les trafiquants de migrants. Créé en 1993 mais renommé en janvier dernier, l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM) traque les filières dans toute la France. Avec la réforme territoriale, ce service qui dépend de la police aux frontières (PAF) va passer de 132 à 180 fonctionnaires dans les prochains mois, dont un magistrat détaché spécialement pour ces affaires.
Alors que les traversées de la Manche n'ont jamais été aussi nombreuses qu'en 2022, son patron, le commissaire divisionnaire Xavier Delrieu, 57 ans, a accepté de décortiquer pour nous le fonctionnement de ce business qui génère chaque année des dizaines de millions d'euros au niveau national.
InfoMigrants : Le 15 octobre, 17 prévenus vont comparaître au tribunal correctionnel de Paris pour "homicides involontaires" dans le cadre du camion charnier découvert en Angleterre en 2019. La France est le dernier pays a organiser un procès sur cette affaire après l'Angleterre et la Belgique. Que représente ce procès pour vos services ?
Xavier Delrieu : C’est un dossier extrêmement important pour nous, parce qu’on est dans un cas extrême de ce que peut amener le trafic de migrants, c’est-à-dire trouver 39 Vietnamiens asphyxiés dans un camion frigorifique.
Ils ont été découverts en Grande-Bretagne mais ont embarqué dans le nord de la France. On travaille régulièrement sur ce réseau. On avait déjà des éléments qui nous avaient permis de cibler les trafiquants. On a mis des moyens extrêmement importants sur ce dossier : 20 enquêteurs de l’OLTIM ont travaillé à plein temps.
Il était important pour nous de voir que la phase d’enquête aboutisse à la phase judiciaire. En Grande-Bretagne et en Belgique, certains mis en cause ont déjà été condamnés à de lourdes peines. Il est nécessaire que la partie française soit jugée. On espère des condamnations lourdes pour les plus impliqués.
IM : Y a-t-il beaucoup de migrants vietnamiens concernés par le trafic ?
Les filières vietnamiennes sont toujours très actives. Les Vietnamiens peuvent payer le voyage complet jusqu'en Grande-Bretagne entre 20 000 et 24 000 euros. Jusqu'à cette affaire, le mode de transport privilégié était le camion frigorifique. Ensuite, ils sont passés par les cabines de chauffeur poids lourds, et maintenant on les retrouve de manière très régulière dans les "small boats".
IM : Les effectifs de l'OLTIM sont en train d'être renforcés. L'activité des passeurs a-t-elle fortement augmenté en France ces dernières années ?
Il y a une légère augmentation de la moyenne nationale de 300 filières d'immigration clandestine démantelées par an, tout confondu, c’est-à-dire d'entrée, de maintien, et de transit sur le territoire, y compris de fraude documentaire.
Avec la montée en puissance de l’office, le but c’est de démanteler davantage de filières et de faire plus de travail qualitatif. Si les passeurs sont souvent jugés en comparution immédiate par les tribunaux locaux, notre travail porte davantage sur les trafiquants, c’est-à-dire les gens qui vont employer ces passeurs pour effectuer leur trafic. Par ailleurs, il est important de développer un partenariat avec l’URSSAF, les impôts, pour avoir au-delà de la réponse pénale une réponse fiscale.
IM : Quel est le profil des passeurs que vous interpellez lors de vos enquêtes ?
Il y a trois types de passeurs. D'abord, les passeurs d’opportunité. Ceux qui se disent à la frontière franco-italienne qu’ils veulent "se faire un billet" à Vintimille, en traînant autour de la gare. Pour quelques centaines d’euros, ils font passer la frontière à des migrants, mais ils ne travaillent pas forcément pour des réseaux.
Les passeurs qui travaillent avec les réseaux sont soit des migrants qui sont arrivés en situation irrégulière chez nous et qui sont exploités pour rembourser leur passage, soit des membres de la petite voyoucratie locale. On a par exemple eu un dossier avec des jeunes de cité qui allaient chercher des migrants dans les Balkans pour les ramener en voiture en France. Ils louaient des voitures sur Leboncoin et montaient jusqu’en Autriche ou en Hongrie pour charger les migrants. Ça, c’est un phénomène un peu nouveau.
IM : Qui sont les gérants de ces réseaux ?
Les trafiquants sont soit des passeurs qui sont montés en grade et qui vont monter leur propre réseau, soit des trafiquants implantés à l'étranger qui font venir en France des gens de leur communauté en situation irrégulière. D’un point de vue financier, ils utilisent le système Hawala. Il y a peu d’argent qui circule à part les fonds de roulement, localement. On aura du a du mal à saisir la majorité du patrimoine qui reste en Irak ou en Afghanistan.
Les Irakiens ont besoin de relais un peu partout jusqu’en France pour les passages, l’organisation, le financement. Ils facilitent le maintien en France des migrants en les faisant travailler dans des commerces, dans l’agriculture, l’hôtellerie, la restauration, voire la prostitution. En France, il y a peu de porosité entre ces réseaux criminels et le banditisme, à part les Vietnamiens qui pratiquent la cannabiculture. Ils construisent des fermes et font venir des jardiniers migrants vietnamiens pour rembourser leur passage et se livrer au trafic de stupéfiant.
IM : Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans vos enquêtes ?
Ces réseaux travaillent comme les trafiquants de stupéfiants : ils ne parlent pas au téléphone, ils connaissent nos techniques de balisage, les filatures, les vidéo-surveillances, etc. Ils ont une très grande adaptabilité et savent déjouer nos investigations.
Parfois, c’est la coopération internationale qui est compliquée. La plupart du matériel nautique qui est utilisé pour traverser la Manche est importé de Chine, puis de Turquie et est stocké en Allemagne. En juillet 2022, on a fait une grosse opération pour démanteler un réseau, mais en Allemagne, le fait de stocker des bateaux en grande quantité pour le compte de réseaux criminels qui sont en France, ce n’est pas une infraction. Si vous n’avez pas de trafic de migrants accolé, ils ne peuvent pas ouvrir d’enquête.
IM : Malgré le renforcement sans précédent des effectifs de police et de moyens à la frontière britannique, il n'y a jamais eu autant de traversées illégales de la Manche qu'en 2022 avec 45 000 passages. Est-ce un échec pour vos services ?
Non, car on ne s'occupe pas des dispositifs de contrôle maritime. L'année 2023, s’annonce plutôt positive : le taux d’interception augmente et atteint environ 63%. Depuis le début de l’année, on doit être à -15% de bateaux qui ont traversé la Manche, soit 250 traversées sur les 6 premiers mois. Sur le nombre de migrants, on est à -5 ou -10% soit 12 000 migrants qui ont réussi à traverser.
Au niveau du démantèlement des filières, on s'améliore aussi. En 2022, on comptabilisait 32 filières de "small boats" démantelées contre 27 en 2021. Sur les six premiers mois de l'année 2023, on est à 16. En 2023, le phénomène des traversées dans la Manche sera plus contenu que l’année dernière.
IM : Les filières ont-elles fait évoluer leurs techniques ?
Avant, les trafiquants enterraient le matériel nautique sur la plage, et ils gonflaient le bateau juste avant la traversée pour ne pas être interceptés. Ensuite, la livraison s'est fait directement au moment de la mise à l’eau.
Maintenant, on a beaucoup de taxi-boats, c'est-à-dire que le bateau est gonflé et mis à l’eau sur des cours d’eau qui rejoignent la mer. Les passeurs remontent ensuite la côte et chargent les passagers à un endroit bien précis, ce qui permet d’éviter l’interception sur la plage. À partir du moment où les migrants sont dans l’eau, ce n’est plus une opération de police mais de sauvetage en mer.
IM : Combien de filières de trafiquants avez-vous identifié ?
Nous connaissons une trentaine de réseaux, principalement des Irako-kurdes qui ont pris la main sur le marché alors qu’avant ils géraient les chargements de poids-lourds. Avec le Covid-19 et la fermeture des frontières, ils se sont rendus compte que les "small boats" étaient plus rentables, et c’est devenu le principal moyen pour convoyer des migrants en Grande-Bretagne.
Le prix moyen d’une traversée se situe entre 2 500 et 3000 euros, mais peut monter jusqu’à 4 500 euros car certaines nationalités comme les Vietnamiens et les Albanais ont beaucoup plus d’argent. Vous multipliez une moyenne de 50 migrants par bateau par 3 000 euros, et vous arrivez à 150 000 euros par bateau, pour un bénéfice net d'environ 100 000 euros. Si vous multipliez ce résultat par le nombre de migrants qui ont traversé en 2022, ça fait 150 millions d'euros (contre plusieurs milliards de dollars dans le monde, NDLR). Ce n’est pas autant que le trafic de drogue, mais cela reste extrêmement lucratif.
IM : Un groupe de l'OLTIM travaille exclusivement sur les mineurs non accompagnés (MNA). Pour quelle raison ?
On est vraiment dans l’exploitation de la misère humaine. Il y a les MNA d'Afrique de l'Ouest qui viennent en France pour être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), avec beaucoup de faux mineurs dans le lot, mais eux ne créent pas trop de trouble à l’ordre public. En revanche, les Nord-Africains vivent en totale clandestinité et sont employés par des réseaux criminels pour faire des cambriolages, des vols à l’arraché, c’est une délinquance qui est vraiment importante en France. On a à peu près 4 ou 5 filières MNA démantelées chaque année sur 300, mais c’est un sujet réel parce qu’ils n’ont aucun repère, aucune limite, et peuvent devenir à terme extrêmement dangereux. Il faut les sortir de cet engrenage criminel qui va les amener à être encore plus violents qu’aujourd’hui.
IM : De nombreux trafiquants recrutent désormais sur TikTok où ils vendent leurs services contre quelques milliers d'euros. Les réseaux sociaux sont-ils devenus un terrain d'enquête primordial pour vous ?
Les trafiquants ont de plus en plus recours aux réseaux sociaux pour faire leur publicité. On a commencé à travailler dessus. On commence à avoir des dossiers là-dessus et on va créer un groupe de cyber veille pour essayer d’identifier les gens qui font la promotion du trafic de migrants.
La difficulté, c’est d’avoir des plateformes qui acceptent de collaborer. Les adresses IP sont souvent situées à l’étranger, ce qui ne facilite pas la tâche lorsqu'on procède à des réquisitions judiciaires.
IM : Au-delà de l'aide à l'entrée et au séjour irrégulier sur le territoire français, de nombreuses filières se livrent à l’approvisionnement de main-d’œuvre pour le "travail illégal". Quels sont les principaux secteurs d'emploi concernés ?
Il y a la prostitution, l’hôtellerie et la restauration et également le domaine agricole. Ce sont surtout des réseaux nord-africains qui font venir des migrants en France pour les faire travailler, notamment dans le sud de la France. Ils détournent le visa saisonnier pour faire venir des migrants chez nous qui ne vont pas repartir.
Et puis il y a évidemment le BTP. Nous avons démantelé de grosses structures pakistanaises qui avait monté des fausses sociétés, souvent avec de la fraude documentaire, pour ensuite fournir des services dans le BTP, ce qui génère des préjudices énormes pour l’URSSAF et les impôts. D’où l’intérêt de l’interministérialité de l’office.
Louis Chahuneau
Source : Info Migrants (France)