Satisfaits mais pas remboursés !
Nous sommes, comme beaucoup de Mauritaniens, satisfaits du départ de Ould Taya et satisfaits que cela se soit passé sans effusion de sang évitant à nos compatriotes les affres de la guerre civile. Comme beaucoup, nous nous réjouissons de la libération des prisonniers d'opinions, islamistes, anciens putschistes ou les deux à la fois.
Nous sommes satisfaits que des perspectives soient ouvertes devant le peuple mauritanien, que ces perspectives ne soient pas seulement pétrolières et qu'avec cette promesse d'embellie économique se dessinent l'ouverture d'horizons nouveaux, un référendum, une Commission Nationale Electorale, des élections qu'on nous promet libres et transparentes, le retour des civils et la remise au second plan des treillis militaires… On croirait rêver ! On peut même espérer que les mauritaniens de l'Etranger pourraient, eux aussi, mettre leur bulletin dans une urne…
Nous sommes satisfaits mais, disons le tout de suite, pas remboursés ! Ce slogan à l'emporte- pièce résume assez bien le sentiment de nombre de Mauritaniens.
Comment pourrions-nous savourer notre joie en sachant une partie de notre population toujours dans des camps de réfugiés, au Sénégal et au Mali ? Comment pourrions-nous nous réjouir complètement quand une partie des fonctionnaires de notre Etat est toujours radiée, déchue de son existence administrative pour raisons d'appartenance raciale ou régionale ? Quand on refuse de reconnaître à des veuves et des orphelins qu'elles sont des veuves et qu'ils sont des orphelins ?
Comme beaucoup de Mauritaniens, nous avons du mal à nous associer aux célébrations des retrouvailles qui nous paraissent encore amputées. Nous aurions aimé les célébrer à la fois devant le portail de la prison avec les prisonniers rendus à leur liberté, dans les halls des aéroports avec les bannis de retour de leur exil mais aussi dans les villages avec les déportés reprenant possession de leur foyer, dans les administrations avec les radiés retrouvant leur position et avec les veuves et les orphelins pouvant, enfin, entamer le deuil de leur disparu. Nous osons former l'espoir que cela n'est que question de programmation et de temps, très peu de temps.
En attendant l'achèvement de ces mesures symboliques et d'urgence, seules à même d'amorcer le cercle vertueux de la confiance retrouvée, nous soumettons à la réflexion de vos lecteurs cette contribution aux débats, futurs, que les échéances annoncées par les autorités provisoires semblent nous promettre. Nous nous y limiterons à deux domaines à savoir la nécessité de l'émergence de l'individu citoyen mauritanien et l'éradication de l'esclavage.
En effet, dans quelques mois, à en croire le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, CMJD, les Mauritaniens seront appelés aux urnes ; une première fois pour modifier la Constitution dans le sens d'un meilleur fonctionnement de la démocratie et deux autres fois pour élire le Président de la République puis les députés et sénateurs. Serait-il trop en demander que d'espérer qu'un véritable débat d'idées, articulé autour des projets de société, des options philosophiques et idéologiques s'organise en ces occasions ? Pour ce qui nous concerne, nous en faisons le pari et lançons, dès à présents, les quelques idées qui suivent.
1- De la nécessité de l'émergence de l'individu mauritanien
L'individu mauritanien est à inventer. On est, en Mauritanie, membre d'un groupe (ethnie, tribu, réseau de familles…etc.) avant d'être un individu doué d'un intérêt propre, pensant par soi, à soi et à sa petite famille et indépendant des contraintes lignagères. Ce défaut d'individualisation à pour conséquence première une délégation de fait des prérogatives de chacun d'entre nous au profit du représentant désigné de la tribu ou du clan. Par le jeu d'alliances, parfois fort éloignées dans le temps, les clans et les tribus se mettent en réseau, délimitent le contour de leurs intérêts et confisquent, par la même occasion, la volonté de l'ensemble des membres de la communauté. En dehors de cette géographie plus de salut.
Ce système, fondement de la société traditionnelle de type féodal, a connu un regain considérable au cours des deux décennies que nous venons de vivre. Quand l'exercice de la démocratie se réduit à l'organisation de scrutins, à grands frais, dont le but se limite à la vérification périodique de l'importance relative des poids de telles ou telles alliances tribales ou régionales, c'est le clientélisme qui triomphe. Le vote n'exprime plus une opinion, une option consciente et réfléchie mais devient la manifestation d'une allégeance et l'adhésion à un clan ou à une tribu.
Pour inverser le système et rendre au vote sa vocation première de pouvoir individuel entre les mains d'un citoyen responsable personnellement de ses choix et exerçant son libre arbitre, il faudra s'attaquer au clan, à la tribu et fondements des structures paralysantes de la Assabya(*).
Comment pourrait-on s'y prendre ? Comment s'attaquer à ce qui passe pour être le référentiel naturel de nombre de Mauritaniens et un élément prédominant de leur identité ? Comment rendre caduc l'inévitable « Houwa min min ? »(**) qui prélude à toute recherche d'identification ?
Quelques mesures symboliques telles le refus catégorique, de la part de l'Etat, de toute reconnaissance des chefferies tribales ainsi que la dissolution de la césure collective des terres agricoles, par exemple, pourraient avoir leurs effets mais demeurent insuffisantes.
I'individu mauritanien ne pourra voir le jour qu'à l'occasion de l'instauration d'un système de solidarité nationale organisé par l'Etat et fonction des seuls critères d'appartenance socio-économique. Un système de sécurité sociale, d'assurance maladie et de couverture des risques de la vie se substituant à la solidarité clanique et à la tribu, actuellement appelée à la rescousse quand l'un de ses membres est impliqué, par exemple, dans des affaires de détournement, de meurtre ou autres passes difficiles.
L'Etat est neutre, anonyme et n'exige pas de reconnaissance en retour, surtout que la solidarité ainsi mise en jeu est le fruit des efforts de tous. Ce qu'il faudrait donc c'est rendre l'individu économiquement indépendant pour le rendre responsable et le soustraire à l'emprise de la tribu.
Cette indépendance économique et donc cette responsabilité individuelle ne pourraient, évidemment, se concevoir ni être défendues en dehors d'un système de règlement de conflits et de recours, indépendant lui aussi de l'emprise tribalo-clanique, c'est ce que devrait être un Etat de droit. Dans l'Etat de droit la citoyenneté est seule source de droits et de devoirs.
Dans le système actuel, le droit de chaque mauritanien est déterminé par l'importance des protections tribales dont il jouit. La filiation à une « grande tente », une « grande familles » ou une tribu prolifique et donc de poids électorale important donne une longueur d'avance dans la vie et surtout face à l'Administration.
Dans un Etat de droit, les citoyens peuvent s'organiser librement. On pourrait se payer le luxe d'appartenir à un parti autre celui du puissant cousin sans pour autant renoncer à toute espoir de promotion ni s'attirer les courroux des sages de la tribu.
L'Etat de droit se décrète. Il n'est pas naturel et nécessite une volonté politique, des instruments de régulation et des moyens de fonctionnement. Dans le cas de la Mauritanie, la survie de l'Etat de droit passe aussi par l'émergence et le développement d'une classe moyenne inventive, d'un petit entreprenariat et d'aménagement juridiques et fiscaux favorisant la création de richesse.
A l'occasion du tournant qui s'annonce dans leur vie politique, les Mauritaniens pourraient en faire l'option et exiger des autorités qu'ils éliront lors des prochaines consultations d'en créer les conditions.
2- De l'éradication de l'esclavage
Les mauritaniens ont honte d'être traités d'esclavagistes du XXI-ème siècle. Ils préfèrent parler de pauvreté et parfois, plus pudiquement, de séquelles de l'esclavage. Sans parler de l'esclavage en tant que mode de production, qui n'a probablement jamais existé en Mauritanie, il serait difficile de nier les pratiques esclavagistes existantes et surtout l'idéologie et les mentalités qui vont avec.
Dans ce domaine aussi, les deux décennies que nous venons de vivre ne sont pas étrangères à la persistance sinon l'aggravation de cette honte.
Les sécheresses, l'exode rural et la sédentarisation massive des populations mauritaniennes auraient dû venir à bout des rapports de type esclavagiste par la destruction, qu'ils avaient entraînée, de l'économie pastorale traditionnelle. Ce aurait pu être le cas s'il n'y avait eu la « démocratisation » ! Là aussi, la résurrection de la tribu et de l'Assabya, comme mode de découpage électorale, a eu pour effet la réactivation des rapports de type esclavagiste. Chaque tribu, dans la quête d'afficher le plus grand poids électoral, aligne les bataillons de haratine qu'elle « possède » et qui se retrouvent ainsi instrumentalisés le temps d'un scrutin pour faire élire telle ou telle notabilité du coin.
Le démantèlement de l'Assabya, en plus de l'émergence de l'individu mauritanien, aiderait donc à l'éradication de l'esclavage. Mais les effets escomptés seront trop longs à se manifester à l'échelle de l'urgence dans ce domaine.
Nous en venons à notre proposition. Nous suggérons que l'Etat alloue des moyens importants et spécifiques en vue d'éradiquer l'esclavage en Mauritanie. Nous suggérons la création d'une Agence Nationale pour l'Eradication de l'Esclavage (AN2E), dotée de moyens propres. Cette agence aurait pour mission la mise à niveau économique, culturelle et sociale des populations haratine. Elle sera financée sur le budget de l'Etat mais drainera aussi toutes les aides internationales disponibles et affectées à la lutte contre l'esclavage.
Parallèlement au système éducatif national, qu'il faudra évidemment améliorer, l'AN2E financera la construction d'écoles supplémentaires et supérieurement dotées dans les zones de peuplement haratine. Ces écoles seront ouvertes aux élèves de l'ensemble du bassin géographique où elles seront implantées. Des systèmes de cantines et de bourses seront instaurés et financés par l'Agence, qui suivra les élèves issus de ses écoles jusqu'à l'Université.
L'AN2E développera des activités économiques spécifiques dans les zones de peuplement haratine, visant à fixer ces derniers sur des terres qui finiront par être leur propriété. L'Agence sera aussi chargée d'une mission d'audit social périodique visant à évaluer le niveau social, culturel et économique des haratine. Elle s'érigera aussi en Observatoire Permanent des Pratiques Esclavagistes.
L'action de cette agence sera, évidemment, encadrée par un arsenal juridique que le futur parlement devra mettre en place le plus vite possible et dont le but sera la criminalisation des pratiques esclavagistes sous toutes leurs formes.
Il est vrai qu'aucune campagne n'est encore ouverte, mais nous avons, quand même, tenu à lancer ces idées espérant que les futurs débats se feront autour de projets de société et pas seulement de personnes, de clans ou de tribus…
Dans une prochaine tribune, nous soumettrons d'autres propositions traitant d'autres sujets tels que la réorganisation de l'Etat, la décentralisation et l'aménagement du territoire.
Mohamed BABA
Med Mahmoud OULD MAALOUM
Jemal OULD MOHAMED
11-Août-2005
_________________________________________________
(*) « Assabya » : solidarité basée sur le lignage
(**) « Houwa min min ? » : à quelle tribu appartient-il ?
Nous sommes, comme beaucoup de Mauritaniens, satisfaits du départ de Ould Taya et satisfaits que cela se soit passé sans effusion de sang évitant à nos compatriotes les affres de la guerre civile. Comme beaucoup, nous nous réjouissons de la libération des prisonniers d'opinions, islamistes, anciens putschistes ou les deux à la fois.
Nous sommes satisfaits que des perspectives soient ouvertes devant le peuple mauritanien, que ces perspectives ne soient pas seulement pétrolières et qu'avec cette promesse d'embellie économique se dessinent l'ouverture d'horizons nouveaux, un référendum, une Commission Nationale Electorale, des élections qu'on nous promet libres et transparentes, le retour des civils et la remise au second plan des treillis militaires… On croirait rêver ! On peut même espérer que les mauritaniens de l'Etranger pourraient, eux aussi, mettre leur bulletin dans une urne…
Nous sommes satisfaits mais, disons le tout de suite, pas remboursés ! Ce slogan à l'emporte- pièce résume assez bien le sentiment de nombre de Mauritaniens.
Comment pourrions-nous savourer notre joie en sachant une partie de notre population toujours dans des camps de réfugiés, au Sénégal et au Mali ? Comment pourrions-nous nous réjouir complètement quand une partie des fonctionnaires de notre Etat est toujours radiée, déchue de son existence administrative pour raisons d'appartenance raciale ou régionale ? Quand on refuse de reconnaître à des veuves et des orphelins qu'elles sont des veuves et qu'ils sont des orphelins ?
Comme beaucoup de Mauritaniens, nous avons du mal à nous associer aux célébrations des retrouvailles qui nous paraissent encore amputées. Nous aurions aimé les célébrer à la fois devant le portail de la prison avec les prisonniers rendus à leur liberté, dans les halls des aéroports avec les bannis de retour de leur exil mais aussi dans les villages avec les déportés reprenant possession de leur foyer, dans les administrations avec les radiés retrouvant leur position et avec les veuves et les orphelins pouvant, enfin, entamer le deuil de leur disparu. Nous osons former l'espoir que cela n'est que question de programmation et de temps, très peu de temps.
En attendant l'achèvement de ces mesures symboliques et d'urgence, seules à même d'amorcer le cercle vertueux de la confiance retrouvée, nous soumettons à la réflexion de vos lecteurs cette contribution aux débats, futurs, que les échéances annoncées par les autorités provisoires semblent nous promettre. Nous nous y limiterons à deux domaines à savoir la nécessité de l'émergence de l'individu citoyen mauritanien et l'éradication de l'esclavage.
En effet, dans quelques mois, à en croire le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, CMJD, les Mauritaniens seront appelés aux urnes ; une première fois pour modifier la Constitution dans le sens d'un meilleur fonctionnement de la démocratie et deux autres fois pour élire le Président de la République puis les députés et sénateurs. Serait-il trop en demander que d'espérer qu'un véritable débat d'idées, articulé autour des projets de société, des options philosophiques et idéologiques s'organise en ces occasions ? Pour ce qui nous concerne, nous en faisons le pari et lançons, dès à présents, les quelques idées qui suivent.
1- De la nécessité de l'émergence de l'individu mauritanien
L'individu mauritanien est à inventer. On est, en Mauritanie, membre d'un groupe (ethnie, tribu, réseau de familles…etc.) avant d'être un individu doué d'un intérêt propre, pensant par soi, à soi et à sa petite famille et indépendant des contraintes lignagères. Ce défaut d'individualisation à pour conséquence première une délégation de fait des prérogatives de chacun d'entre nous au profit du représentant désigné de la tribu ou du clan. Par le jeu d'alliances, parfois fort éloignées dans le temps, les clans et les tribus se mettent en réseau, délimitent le contour de leurs intérêts et confisquent, par la même occasion, la volonté de l'ensemble des membres de la communauté. En dehors de cette géographie plus de salut.
Ce système, fondement de la société traditionnelle de type féodal, a connu un regain considérable au cours des deux décennies que nous venons de vivre. Quand l'exercice de la démocratie se réduit à l'organisation de scrutins, à grands frais, dont le but se limite à la vérification périodique de l'importance relative des poids de telles ou telles alliances tribales ou régionales, c'est le clientélisme qui triomphe. Le vote n'exprime plus une opinion, une option consciente et réfléchie mais devient la manifestation d'une allégeance et l'adhésion à un clan ou à une tribu.
Pour inverser le système et rendre au vote sa vocation première de pouvoir individuel entre les mains d'un citoyen responsable personnellement de ses choix et exerçant son libre arbitre, il faudra s'attaquer au clan, à la tribu et fondements des structures paralysantes de la Assabya(*).
Comment pourrait-on s'y prendre ? Comment s'attaquer à ce qui passe pour être le référentiel naturel de nombre de Mauritaniens et un élément prédominant de leur identité ? Comment rendre caduc l'inévitable « Houwa min min ? »(**) qui prélude à toute recherche d'identification ?
Quelques mesures symboliques telles le refus catégorique, de la part de l'Etat, de toute reconnaissance des chefferies tribales ainsi que la dissolution de la césure collective des terres agricoles, par exemple, pourraient avoir leurs effets mais demeurent insuffisantes.
I'individu mauritanien ne pourra voir le jour qu'à l'occasion de l'instauration d'un système de solidarité nationale organisé par l'Etat et fonction des seuls critères d'appartenance socio-économique. Un système de sécurité sociale, d'assurance maladie et de couverture des risques de la vie se substituant à la solidarité clanique et à la tribu, actuellement appelée à la rescousse quand l'un de ses membres est impliqué, par exemple, dans des affaires de détournement, de meurtre ou autres passes difficiles.
L'Etat est neutre, anonyme et n'exige pas de reconnaissance en retour, surtout que la solidarité ainsi mise en jeu est le fruit des efforts de tous. Ce qu'il faudrait donc c'est rendre l'individu économiquement indépendant pour le rendre responsable et le soustraire à l'emprise de la tribu.
Cette indépendance économique et donc cette responsabilité individuelle ne pourraient, évidemment, se concevoir ni être défendues en dehors d'un système de règlement de conflits et de recours, indépendant lui aussi de l'emprise tribalo-clanique, c'est ce que devrait être un Etat de droit. Dans l'Etat de droit la citoyenneté est seule source de droits et de devoirs.
Dans le système actuel, le droit de chaque mauritanien est déterminé par l'importance des protections tribales dont il jouit. La filiation à une « grande tente », une « grande familles » ou une tribu prolifique et donc de poids électorale important donne une longueur d'avance dans la vie et surtout face à l'Administration.
Dans un Etat de droit, les citoyens peuvent s'organiser librement. On pourrait se payer le luxe d'appartenir à un parti autre celui du puissant cousin sans pour autant renoncer à toute espoir de promotion ni s'attirer les courroux des sages de la tribu.
L'Etat de droit se décrète. Il n'est pas naturel et nécessite une volonté politique, des instruments de régulation et des moyens de fonctionnement. Dans le cas de la Mauritanie, la survie de l'Etat de droit passe aussi par l'émergence et le développement d'une classe moyenne inventive, d'un petit entreprenariat et d'aménagement juridiques et fiscaux favorisant la création de richesse.
A l'occasion du tournant qui s'annonce dans leur vie politique, les Mauritaniens pourraient en faire l'option et exiger des autorités qu'ils éliront lors des prochaines consultations d'en créer les conditions.
2- De l'éradication de l'esclavage
Les mauritaniens ont honte d'être traités d'esclavagistes du XXI-ème siècle. Ils préfèrent parler de pauvreté et parfois, plus pudiquement, de séquelles de l'esclavage. Sans parler de l'esclavage en tant que mode de production, qui n'a probablement jamais existé en Mauritanie, il serait difficile de nier les pratiques esclavagistes existantes et surtout l'idéologie et les mentalités qui vont avec.
Dans ce domaine aussi, les deux décennies que nous venons de vivre ne sont pas étrangères à la persistance sinon l'aggravation de cette honte.
Les sécheresses, l'exode rural et la sédentarisation massive des populations mauritaniennes auraient dû venir à bout des rapports de type esclavagiste par la destruction, qu'ils avaient entraînée, de l'économie pastorale traditionnelle. Ce aurait pu être le cas s'il n'y avait eu la « démocratisation » ! Là aussi, la résurrection de la tribu et de l'Assabya, comme mode de découpage électorale, a eu pour effet la réactivation des rapports de type esclavagiste. Chaque tribu, dans la quête d'afficher le plus grand poids électoral, aligne les bataillons de haratine qu'elle « possède » et qui se retrouvent ainsi instrumentalisés le temps d'un scrutin pour faire élire telle ou telle notabilité du coin.
Le démantèlement de l'Assabya, en plus de l'émergence de l'individu mauritanien, aiderait donc à l'éradication de l'esclavage. Mais les effets escomptés seront trop longs à se manifester à l'échelle de l'urgence dans ce domaine.
Nous en venons à notre proposition. Nous suggérons que l'Etat alloue des moyens importants et spécifiques en vue d'éradiquer l'esclavage en Mauritanie. Nous suggérons la création d'une Agence Nationale pour l'Eradication de l'Esclavage (AN2E), dotée de moyens propres. Cette agence aurait pour mission la mise à niveau économique, culturelle et sociale des populations haratine. Elle sera financée sur le budget de l'Etat mais drainera aussi toutes les aides internationales disponibles et affectées à la lutte contre l'esclavage.
Parallèlement au système éducatif national, qu'il faudra évidemment améliorer, l'AN2E financera la construction d'écoles supplémentaires et supérieurement dotées dans les zones de peuplement haratine. Ces écoles seront ouvertes aux élèves de l'ensemble du bassin géographique où elles seront implantées. Des systèmes de cantines et de bourses seront instaurés et financés par l'Agence, qui suivra les élèves issus de ses écoles jusqu'à l'Université.
L'AN2E développera des activités économiques spécifiques dans les zones de peuplement haratine, visant à fixer ces derniers sur des terres qui finiront par être leur propriété. L'Agence sera aussi chargée d'une mission d'audit social périodique visant à évaluer le niveau social, culturel et économique des haratine. Elle s'érigera aussi en Observatoire Permanent des Pratiques Esclavagistes.
L'action de cette agence sera, évidemment, encadrée par un arsenal juridique que le futur parlement devra mettre en place le plus vite possible et dont le but sera la criminalisation des pratiques esclavagistes sous toutes leurs formes.
Il est vrai qu'aucune campagne n'est encore ouverte, mais nous avons, quand même, tenu à lancer ces idées espérant que les futurs débats se feront autour de projets de société et pas seulement de personnes, de clans ou de tribus…
Dans une prochaine tribune, nous soumettrons d'autres propositions traitant d'autres sujets tels que la réorganisation de l'Etat, la décentralisation et l'aménagement du territoire.
Mohamed BABA
Med Mahmoud OULD MAALOUM
Jemal OULD MOHAMED
11-Août-2005
_________________________________________________
(*) « Assabya » : solidarité basée sur le lignage
(**) « Houwa min min ? » : à quelle tribu appartient-il ?