Me F.MBAYE avec B. O/ Messoud
Nombreux sont les pays qui, ayant vécu des périodes de graves violations des droits de l’homme, ont décidé à un moment de leur histoire de tourner ces pages en utilisant les commissions Vérité –Réconciliation comme cadre global de dialogue entre leurs citoyens. On connaît les cas du Chili, du Salvador, du Tchad, des Philippines, de Sierra Léone, de l’Afrique du Sud, du Maroc, du Burundi et de la République Centrafricaine.
La Mauritanie, qui vient de s’engager sur la voie du règlement d’un passif humanitaire qui a, des années durant, pesé sur l’unité et la concorde entre les composantes de sa population, est à la recherche d’une solution idoine qui lui permettrait d’atteindre aisément cet objectif. Doit-elle trouver une démarche qui lui est propre ou s’inspirer de celles mises en œuvre par d’autres pays ?
Certes, l’expérience de l’Afrique du Sud est considérée comme la plus positive en la matière. Mais, un autre exemple est également cité avec beaucoup d’intérêt : celui du Maroc.
Dans les deux cas, le fondement qui a présidé à la mise en place des commissions vérité et réconciliation était politique. Le processus qu’elles ont suivi était public, ouvert, civil et civique. Il s’agissait de réparer le tort vécu par les victimes et d’amnistier les auteurs, ce qui distinguait leur mission de celle d’un tribunal, d’un organe consultatif, d’une commission parlementaire…
En AFRIQUE DU SUD, la Commission, créée en 1995, avait été présidée par l’archevêque anglican et prix Nobel de la paix, Desmond Tutu. Elle avait deux missions principales : faire le bilan, aussi complet que possible, des violations graves des droits de l’homme générées par les conflits politiques du passé, mais aussi rendre aux victimes de ces conflits leur dignité civique et humaine.
La Commission était composée d’une équipe de 17 membres, organisés en trois comités : le comité chargé de la violation des droits de l’homme, le comité chargé de l’amnistie, et enfin le comité chargé de la réparation et de la réconciliation.
Il convient de signaler que la démarche initiée par Desmond Tutu partait du principe « qu’accepter l’option amnésie nationale aurait été un mauvais choix pour une raison évidente. Cela aurait eu pour effet de pénaliser les victimes de l’apartheid une seconde fois, en refusant de prendre en considération quelque chose qui faisait partie intégrante de leur identité, de leur être ».
Mais, c’est la façon dont la question de l’amnistie avait été abordée dans ce pays qui mérite toute l’attention. Elle a été accordée à titre individuel, en échange d’aveux complets relatifs aux violations graves des droits de l’homme pour lesquelles la demande d’aveux était formulée. Cette déclaration complète des faits était une façon de faire arriver à la surface le plus informations possibles pour le travail de mémoire. De plus, le requérant devait exprimer publiquement le remords, ce qui a été un grand pas en avant sur le plan psychologique.
L’amnistie a interdit en outre aux victimes de réclamer des dommages et intérêts aux auteurs des exactions. Le gouvernement s’étant substitué à ces derniers en prenant les réparations à sa charge. Ces réparations ont porté sur l’assistance aux victimes par des mesures psychologiques et financières afin de parer aux besoins ; des mesures de réparation pour l’avenir, notamment l’amélioration du niveau de vie ; des recommandations symboliques comme les monuments, les dates souvenirs , etc.
En engageant des processus de changement après des périodes de graves violations des droits de l’Homme, l’Afrique du Sud et le Maroc ont adopté une méthodologie qui s’est appuyée sur des séances d’auditions publiques au cours desquelles ont été recueillis les témoignages oraux des victimes.
Au Maroc, l’Instance Equité et Réconciliation (IER), créée en Janvier 2004 et présidée par Driss Benzekri (l’un des plus anciens opposants au Roi Hassan II), s’était fixée comme priorité de réhabiliter les victimes, de les aider à recouvrer leur dignité violée par l’Etat, d’alléger les souffrances qu’elles ont endurées en conséquence des exactions graves dont elles ont fait l’objet et de préserver la mémoire collective.
Pour accomplir leur mission, les membres de l’IER, au nombre de 17, se sont constitués en trois groupes de travail:
Groupe de travail chargé des investigations
Groupe de travail chargé des réparations
Groupe de travail chargé des Etudes et recherches.
L’IER s’est employée, dès le lancement de ses activités, à établir la vérité sur les violations graves et massives des droits de l’homme commises par le passé. Pour cela, elle a collecté toutes les informations et les déclarations concernant les cas de présumées disparitions non encore élucidées et a proposé des solutions adéquates en concertation avec les familles des victimes et les associations pour l’identification des tombes et sépultures.
A signaler, d’autre part, que les séances d’auditions organisées par l’IER se sont tenues sous forme d’une série de sessions durant lesquelles les victimes ont présenté individuellement leur déposition. Les témoignages recueillis ne faisaient l’objet ni d’interrogations, ni de commentaires de la part des membres de l’Instance, des journalistes ou du public.
L’Instance a assuré aux victimes des conditions convenables et les services nécessaires (transport, hébergement, soins médicaux, traductions et garanties de la liberté d’expression) . Ces dernières, en respect à la Charte d’honneur relative aux engagements de l’Instance Equité et Réconciliation et des victimes, se sont abstenues, lors des séances, d’évoquer les responsabilité s individuelles dans les exactions commises, et ce, conformément au caractère non judiciaire de l’Instance et aux dispositions de ses statuts, qui prévoient d’écarter toute allusion à ce genre de responsabilité s.
Ainsi, les victimes ont-elles volontairement accepté de:
- Ne pas mettre à profit les séances pour défendre ou attaquer quelque organisation politique, syndicale ou associative que ce soit.
- Ne pas citer nommément les personnes qu’elles tiennent pour responsables des violations dont elles ont pu faire fait l’objet.
L’IER a disposé de 23 mois pour examiner une période de 43 ans (1956 -1999). Son action a porté sur les violations graves des droits de l’Homme qui ont revêtu un caractère systématique et/ou massif, ayant eu lieu durant la période précitée et qui ont englobé la disparition forcée, la détention arbitraire, la torture, les violences sexuelles, les atteintes au droit à la vie, du fait notamment de l’usage disproportionné de la force, et l’exil forcé.
En conclusion, les observateurs s’accordent à dire que le travail de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud et celui de l’IER au Maroc sont exemplaires. Doit-on alors se poser la question si, dans notre pays, un tel travail est objectivement envisageable aujourd’hui? La réponse est oui, en tenant compte de la volonté et du consensus politiques existants. Dans ce cas, quel exemple suivre pour atteindre l’objectif visé?
Vu la sensibilité du sujet et dans l’intérêt de trouver une solution à même de satisfaire, une concertation franche et poussée avec les victimes est utile, même si a priori l’exemple marocain apparaît comme un choix dont la Mauritanie pourrait s’inspirer, voire l’adapter à ses réalités propres.
Elle opterait ainsi pour une démarche qui, d’une part, réhabilitera les victimes, sans qu’il ne soit fait allusion aux responsabilité s individuelles et, d’autre part, accordera le pardon aux auteurs, pour qu’il soit enfin possible de se tourner ensemble vers l’avenir.
A cet effet, il est recommandé de :
- mettre en place une structure composée de personnalités crédibles et acceptées par les victimes, - organiser au profit des membres de cette structure un séminaire à Nouakchott pour étudier l’expérience de l’IER,
- entamer une sensibilisation pour rassurer l’opinion sur le processus qui sera suivi
- élaborer une charte d’honneur qui précisera les engagements de ladite structure, ceux des autorités et des victimes.
Cette première étape franchie, ladite structure pourra enclencher avec pédagogie les activités d’investigation, de recherche, d’évaluation et d’arbitrage qui peuvent couvrir la période de 1989 à 1991 ou celle plus étendue des pouvoirs d’exception (1978 – 2007). L’objectif étant de d’aboutir, au bout d’un mandat de 24 mois, à des recommandations susceptibles d’indexer les cas de violations des droits de l’homme, d’en effacer les séquelles, de préserver la mémoire, de garantir la non répétition de ces fautes, de réconcilier les esprits et de renforcer le respect des règles de droit.
En pratique et dans l’hypothèse où le principe d’identification des tombes devait être retenu, une anticipation serait alors plus appropriée, en confiant discrètement à l’institution militaire la mission d’aménagement et d’indication des sépultures. Ce qui éviterait des fouilles ou exhumations qui ne feront que raviver les réminiscences.
PS : Me Fatimatta Mbaye est aujourd’hui, la personnalité en Mauritanie, la mieux indiquée pour présider une future commission Vérité et Réconciliation
La Mauritanie, qui vient de s’engager sur la voie du règlement d’un passif humanitaire qui a, des années durant, pesé sur l’unité et la concorde entre les composantes de sa population, est à la recherche d’une solution idoine qui lui permettrait d’atteindre aisément cet objectif. Doit-elle trouver une démarche qui lui est propre ou s’inspirer de celles mises en œuvre par d’autres pays ?
Certes, l’expérience de l’Afrique du Sud est considérée comme la plus positive en la matière. Mais, un autre exemple est également cité avec beaucoup d’intérêt : celui du Maroc.
Dans les deux cas, le fondement qui a présidé à la mise en place des commissions vérité et réconciliation était politique. Le processus qu’elles ont suivi était public, ouvert, civil et civique. Il s’agissait de réparer le tort vécu par les victimes et d’amnistier les auteurs, ce qui distinguait leur mission de celle d’un tribunal, d’un organe consultatif, d’une commission parlementaire…
En AFRIQUE DU SUD, la Commission, créée en 1995, avait été présidée par l’archevêque anglican et prix Nobel de la paix, Desmond Tutu. Elle avait deux missions principales : faire le bilan, aussi complet que possible, des violations graves des droits de l’homme générées par les conflits politiques du passé, mais aussi rendre aux victimes de ces conflits leur dignité civique et humaine.
La Commission était composée d’une équipe de 17 membres, organisés en trois comités : le comité chargé de la violation des droits de l’homme, le comité chargé de l’amnistie, et enfin le comité chargé de la réparation et de la réconciliation.
Il convient de signaler que la démarche initiée par Desmond Tutu partait du principe « qu’accepter l’option amnésie nationale aurait été un mauvais choix pour une raison évidente. Cela aurait eu pour effet de pénaliser les victimes de l’apartheid une seconde fois, en refusant de prendre en considération quelque chose qui faisait partie intégrante de leur identité, de leur être ».
Mais, c’est la façon dont la question de l’amnistie avait été abordée dans ce pays qui mérite toute l’attention. Elle a été accordée à titre individuel, en échange d’aveux complets relatifs aux violations graves des droits de l’homme pour lesquelles la demande d’aveux était formulée. Cette déclaration complète des faits était une façon de faire arriver à la surface le plus informations possibles pour le travail de mémoire. De plus, le requérant devait exprimer publiquement le remords, ce qui a été un grand pas en avant sur le plan psychologique.
L’amnistie a interdit en outre aux victimes de réclamer des dommages et intérêts aux auteurs des exactions. Le gouvernement s’étant substitué à ces derniers en prenant les réparations à sa charge. Ces réparations ont porté sur l’assistance aux victimes par des mesures psychologiques et financières afin de parer aux besoins ; des mesures de réparation pour l’avenir, notamment l’amélioration du niveau de vie ; des recommandations symboliques comme les monuments, les dates souvenirs , etc.
En engageant des processus de changement après des périodes de graves violations des droits de l’Homme, l’Afrique du Sud et le Maroc ont adopté une méthodologie qui s’est appuyée sur des séances d’auditions publiques au cours desquelles ont été recueillis les témoignages oraux des victimes.
Au Maroc, l’Instance Equité et Réconciliation (IER), créée en Janvier 2004 et présidée par Driss Benzekri (l’un des plus anciens opposants au Roi Hassan II), s’était fixée comme priorité de réhabiliter les victimes, de les aider à recouvrer leur dignité violée par l’Etat, d’alléger les souffrances qu’elles ont endurées en conséquence des exactions graves dont elles ont fait l’objet et de préserver la mémoire collective.
Pour accomplir leur mission, les membres de l’IER, au nombre de 17, se sont constitués en trois groupes de travail:
Groupe de travail chargé des investigations
Groupe de travail chargé des réparations
Groupe de travail chargé des Etudes et recherches.
L’IER s’est employée, dès le lancement de ses activités, à établir la vérité sur les violations graves et massives des droits de l’homme commises par le passé. Pour cela, elle a collecté toutes les informations et les déclarations concernant les cas de présumées disparitions non encore élucidées et a proposé des solutions adéquates en concertation avec les familles des victimes et les associations pour l’identification des tombes et sépultures.
A signaler, d’autre part, que les séances d’auditions organisées par l’IER se sont tenues sous forme d’une série de sessions durant lesquelles les victimes ont présenté individuellement leur déposition. Les témoignages recueillis ne faisaient l’objet ni d’interrogations, ni de commentaires de la part des membres de l’Instance, des journalistes ou du public.
L’Instance a assuré aux victimes des conditions convenables et les services nécessaires (transport, hébergement, soins médicaux, traductions et garanties de la liberté d’expression) . Ces dernières, en respect à la Charte d’honneur relative aux engagements de l’Instance Equité et Réconciliation et des victimes, se sont abstenues, lors des séances, d’évoquer les responsabilité s individuelles dans les exactions commises, et ce, conformément au caractère non judiciaire de l’Instance et aux dispositions de ses statuts, qui prévoient d’écarter toute allusion à ce genre de responsabilité s.
Ainsi, les victimes ont-elles volontairement accepté de:
- Ne pas mettre à profit les séances pour défendre ou attaquer quelque organisation politique, syndicale ou associative que ce soit.
- Ne pas citer nommément les personnes qu’elles tiennent pour responsables des violations dont elles ont pu faire fait l’objet.
L’IER a disposé de 23 mois pour examiner une période de 43 ans (1956 -1999). Son action a porté sur les violations graves des droits de l’Homme qui ont revêtu un caractère systématique et/ou massif, ayant eu lieu durant la période précitée et qui ont englobé la disparition forcée, la détention arbitraire, la torture, les violences sexuelles, les atteintes au droit à la vie, du fait notamment de l’usage disproportionné de la force, et l’exil forcé.
En conclusion, les observateurs s’accordent à dire que le travail de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud et celui de l’IER au Maroc sont exemplaires. Doit-on alors se poser la question si, dans notre pays, un tel travail est objectivement envisageable aujourd’hui? La réponse est oui, en tenant compte de la volonté et du consensus politiques existants. Dans ce cas, quel exemple suivre pour atteindre l’objectif visé?
Vu la sensibilité du sujet et dans l’intérêt de trouver une solution à même de satisfaire, une concertation franche et poussée avec les victimes est utile, même si a priori l’exemple marocain apparaît comme un choix dont la Mauritanie pourrait s’inspirer, voire l’adapter à ses réalités propres.
Elle opterait ainsi pour une démarche qui, d’une part, réhabilitera les victimes, sans qu’il ne soit fait allusion aux responsabilité s individuelles et, d’autre part, accordera le pardon aux auteurs, pour qu’il soit enfin possible de se tourner ensemble vers l’avenir.
A cet effet, il est recommandé de :
- mettre en place une structure composée de personnalités crédibles et acceptées par les victimes, - organiser au profit des membres de cette structure un séminaire à Nouakchott pour étudier l’expérience de l’IER,
- entamer une sensibilisation pour rassurer l’opinion sur le processus qui sera suivi
- élaborer une charte d’honneur qui précisera les engagements de ladite structure, ceux des autorités et des victimes.
Cette première étape franchie, ladite structure pourra enclencher avec pédagogie les activités d’investigation, de recherche, d’évaluation et d’arbitrage qui peuvent couvrir la période de 1989 à 1991 ou celle plus étendue des pouvoirs d’exception (1978 – 2007). L’objectif étant de d’aboutir, au bout d’un mandat de 24 mois, à des recommandations susceptibles d’indexer les cas de violations des droits de l’homme, d’en effacer les séquelles, de préserver la mémoire, de garantir la non répétition de ces fautes, de réconcilier les esprits et de renforcer le respect des règles de droit.
En pratique et dans l’hypothèse où le principe d’identification des tombes devait être retenu, une anticipation serait alors plus appropriée, en confiant discrètement à l’institution militaire la mission d’aménagement et d’indication des sépultures. Ce qui éviterait des fouilles ou exhumations qui ne feront que raviver les réminiscences.
PS : Me Fatimatta Mbaye est aujourd’hui, la personnalité en Mauritanie, la mieux indiquée pour présider une future commission Vérité et Réconciliation