Fallait-il vraiment un recensement administratif en Mauritanie ? La réponse est non. Nous l’avions dit ici très tôt, bien avant que des victimes ne tombent sous les balles. Si l’on nous avait écouté, des vies auraient été épargnées et bien des familles ne pleureraient pas leurs enfants. Hélas ! La bêtise, dit-on n’épargne pas les rois.
Si ce recensement administratif est vicié à la base, c’est parce qu’il est bâti sur des idées préconçues qui sont les suivantes :
Il y a des « mauritaniens » qui ne sont pas mauritaniens ;
Il y a des sénégalais, des maliens et autres clandestins qui veulent devenir mauritaniens ;
On ne distingue pas les mauritaniens des étrangers.
Et si on veut trouver, à travers le recensement, des réponses à ces idées préconçues c’est pour une même et simple raison : on ne veut plus que les étrangers (particulièrement les sénégalais) mangent le pain des mauritaniens et convoiter leur nationalité.
Or ces idées sont basées sur des postulats qui sont faux (I) et veulent utiliser un outil inadapté (le recensement administratif) pour trouver une solution à ce qui demande d’autres outils plus efficaces. Il faut renverser le raisonnement et raisonner non pas du côté du national (« qui est national et qui ne l’est pas ») comme le fait si égoïstement l’Etat, mais de faire que celui qui n’est pas national, n’ait pas besoin de recourir à la nationalité mauritanienne (II).
I- Des préjugés et de la mauvaise foi
Ce qui est curieux (et que personne ne peut contester puisque c’est notoire) le recensement est présenté comme un moyen de séparer la graine de l’ivraie. Tamiser le peuple pour en extraire le « vrai » mauritanien du « faux », l’étranger « travesti en Mauritanien », « l’apatride » qui vient de l’autre côté du fleuve (comme s’il venait de Mars !), le « mécanicien » forcément sénégalais (ou président de la République), le « blanchisseur » forcément malien, le « banabana » forcément non mauritanien, le boutiquier sans culotte forcément mauritanien, le forgeron forcément mauritanien, le Président de la République qui est forcément mauritanien et personne ne sait comment, etc.
Que de préjugés qui sous-tendent ce recensement et qui en font une mascarade à nulle autre pareille !
Qu’on le sache, le Sénégalais n’a pas envie d’être mauritanien ! Tout comme les autres ressortissants de pays voisins, il tient à la sienne. Pourquoi irait-il se présenter à un bureau de recensement pour avoir la nationalité mauritanienne ?
Il ne le fera que pour deux raisons :
soit qu’il se considère Mauritanien, alors il a forcément les preuves pour cela ;
soit il veut obtenir la nationalité en dissimulant la sienne.
Dans le premier cas c’est un mauritanien et il n’a donc pas à le prouver devant un comité de recensement qui est redondant, puisque le registre de la mairie suffit pour lui renouveler ses documents.
Soit, dans le second cas, il veut dissimuler sa nationalité pour avoir la nationalité mauritanienne et à ce moment-là, il faut savoir pourquoi. Et ce n’est pas le recensement qui va y apporter une réponse.
La question n’est donc pas de savoir qui EST Mauritanien mais de savoir qui VEUT l’être.
Le recensement administratif est donc l’anti-solution à cette question, et il aggrave la situation car il cherche à démontrer l’existence de ce qui existe et l’inexistence de ce qui n’existe pas. D’où son inestimable inutilité.
Aussi curieusement que cela puisse paraitre, le Mauritanien n’aura droit à sa nationalité que si l’étranger en Mauritanie a droit à un statut d’étranger respectable et respecté.
La solution ce n’est donc pas de mettre des barrières à la nationalité, c’est de faire que les étrangers en Mauritanie ne sentent pas le besoin de l’acquérir. Et ce n’est pas le recensement qui apporte les solutions.
II- Renverser le raisonnement : rendre l’acquisition de la nationalité une non-nécessité pour l’étranger.
Au lieu de chercher à identifier le Mauritanien qui lui ne saurait renier sa nationalité ni y renoncer (n’en déplaise à l’Etat, fusse-t-il par le sacrifice en manifestant) au nom des liens du “jus solis” ou du “jus sanguinis” (voir nos articles précédents : l’Etat sans nation et Le président mauritanien est-il Mauritanien ? ), il convient de mettre en place des structures qui sont les véritables outils de préservation de la nationalité.
On ne protége la nationalité dans un pays que lorsque l’étranger s’y sent aussi bien respecté dans ses droits, sa personne et ses biens que le national lui-même.
Aucun étranger, à moins qu’il tisse des liens locaux nouveaux ( famille, liens sanguins ou du sol), ne cherchera à acquérir la nationalité de son pays d’accueil s’il y trouve les conditions nécessaires à son épanouissement économique et social. Dans de telle conditions il contribuera de la même manière, sinon mieux que le national, à la prospérité du pays, à sa sécurité et son développement.
Comment faire pour arriver à une telle situation ?
Ce n’est, certes, pas à travers un recensement administratif d’exclusion ou l’on cherche des poux sur la tête d’un chauve. Mais à travers une politique de l’immigration claire et appliquée.
Cette politique de l’immigration devra permettre :
De créer des structures administratives encadrant les étrangers en Mauritanie afin de leur dispenser l’accueil nécessaire, les orienter et les informer.
De délivrer des cartes de séjours et des contrats adaptés à la demande de séjours temporaires, permanents, de travail, d’investissement, de coopérations etc.
D’assurer une veille sur les flux migratoires, sur leur contribution au développement du pays.
De faciliter leurs actes administratifs (pour leurs familles), financiers (leurs comptes, transferts, investissement etc.)
de leur garantir leurs droits, les protéger dans leurs personnes, leurs biens et leur dignité.
Bref, les traiter tout comme des nationaux. Et c’est ainsi qu’ils n’auront pas besoin d’être des nationaux. Car pourquoi vouloir être Mauritanien, si ce n’est bénéficier de ce dont bénéficie le Mauritanien ?
Et de quoi veut-il bénéficier ?
Le séjour, la stabilité du travail, la protection, la sécurité et la reconnaissance de ses droits.
Si cela n’est pas assuré, l’étranger cherchera pour y arriver à acquérir une nationalité mauritanienne, sans rejeter la sienne. Et à cela aucun recensement n’y pourra rien.
Le recensement actuel même s’il devait arriver (et le doute est permis) à séparer la graine de l’ivraie, n’effacera jamais la nature corrompue de l’actuelle administration mauritanienne. Et demain les certificats de nationalité se vendront comme des petits pains. Car si les soi-disant documents délivrés sont « infalsifiables », il n’en est pas de même de l’intégrité de notre administration ni de ceux qui la dirigent.
Alors au lieu de vouloir identifier le « Mauritanien », dans un recensement dont l’inefficacité est criante, il serait plus efficace de développer une politique de l’immigration respectueuse et protectrice des droits des immigrés. C’est à ce prix que la Mauritanie :
Bénéficiera de l’inestimable apport économique et financier des investisseurs étrangers ;
Mettra à contribution pour son développement une force de travail étrangère qualifié pour son développement.
Et ultime objectif (que ce recensement administratif n’a pu réaliser) :
Protéger la nationalité de ses ressortissants, que nul ne voudra contester ou acquérir pour des raisons économiques, financières ou sociales.
Mais qui en Mauritanie parmi nos dirigeants a pu un jour penser que l’étranger n’a pas besoin de la nationalité mauritanienne, si ce n’est pour ce qu’elle lui offre ; et qu’en lui offrant ce qu’elle offre aux nationaux (en termes de droits et d’obligations), il ne la demandera pas.
Le recensement administratif, c’est vouloir apporter une solution à un problème qui est mal posé. Le problème n’est pas de savoir qui est Mauritanien. Le problème est de savoir qui veut le devenir et pourquoi.
Or le recensement administratif, réponse à une préoccupation politique, n’apporte pas de solutions à ce qui, au-delà du politique, est une interrogation sur la coexistence avec l’étranger et l’existence d’une nationalité. L’erreur du recensement est de vouloir établir l’existence (de la nationalité) au détriment de la coexistence (avec l’étranger). Or aucune ne vaut sans l’autre. Et c’est en assurant d’abord la bonne coexistence, que l’existence devient possible.
C’est autant dire que l’Etat a saisi le problème à l’envers. Le recensement ne s’en trouve donc que plus renversé. Renversant.
Pr ELY Mustapha
Source: agoravox
Si ce recensement administratif est vicié à la base, c’est parce qu’il est bâti sur des idées préconçues qui sont les suivantes :
Il y a des « mauritaniens » qui ne sont pas mauritaniens ;
Il y a des sénégalais, des maliens et autres clandestins qui veulent devenir mauritaniens ;
On ne distingue pas les mauritaniens des étrangers.
Et si on veut trouver, à travers le recensement, des réponses à ces idées préconçues c’est pour une même et simple raison : on ne veut plus que les étrangers (particulièrement les sénégalais) mangent le pain des mauritaniens et convoiter leur nationalité.
Or ces idées sont basées sur des postulats qui sont faux (I) et veulent utiliser un outil inadapté (le recensement administratif) pour trouver une solution à ce qui demande d’autres outils plus efficaces. Il faut renverser le raisonnement et raisonner non pas du côté du national (« qui est national et qui ne l’est pas ») comme le fait si égoïstement l’Etat, mais de faire que celui qui n’est pas national, n’ait pas besoin de recourir à la nationalité mauritanienne (II).
I- Des préjugés et de la mauvaise foi
Ce qui est curieux (et que personne ne peut contester puisque c’est notoire) le recensement est présenté comme un moyen de séparer la graine de l’ivraie. Tamiser le peuple pour en extraire le « vrai » mauritanien du « faux », l’étranger « travesti en Mauritanien », « l’apatride » qui vient de l’autre côté du fleuve (comme s’il venait de Mars !), le « mécanicien » forcément sénégalais (ou président de la République), le « blanchisseur » forcément malien, le « banabana » forcément non mauritanien, le boutiquier sans culotte forcément mauritanien, le forgeron forcément mauritanien, le Président de la République qui est forcément mauritanien et personne ne sait comment, etc.
Que de préjugés qui sous-tendent ce recensement et qui en font une mascarade à nulle autre pareille !
Qu’on le sache, le Sénégalais n’a pas envie d’être mauritanien ! Tout comme les autres ressortissants de pays voisins, il tient à la sienne. Pourquoi irait-il se présenter à un bureau de recensement pour avoir la nationalité mauritanienne ?
Il ne le fera que pour deux raisons :
soit qu’il se considère Mauritanien, alors il a forcément les preuves pour cela ;
soit il veut obtenir la nationalité en dissimulant la sienne.
Dans le premier cas c’est un mauritanien et il n’a donc pas à le prouver devant un comité de recensement qui est redondant, puisque le registre de la mairie suffit pour lui renouveler ses documents.
Soit, dans le second cas, il veut dissimuler sa nationalité pour avoir la nationalité mauritanienne et à ce moment-là, il faut savoir pourquoi. Et ce n’est pas le recensement qui va y apporter une réponse.
La question n’est donc pas de savoir qui EST Mauritanien mais de savoir qui VEUT l’être.
Le recensement administratif est donc l’anti-solution à cette question, et il aggrave la situation car il cherche à démontrer l’existence de ce qui existe et l’inexistence de ce qui n’existe pas. D’où son inestimable inutilité.
Aussi curieusement que cela puisse paraitre, le Mauritanien n’aura droit à sa nationalité que si l’étranger en Mauritanie a droit à un statut d’étranger respectable et respecté.
La solution ce n’est donc pas de mettre des barrières à la nationalité, c’est de faire que les étrangers en Mauritanie ne sentent pas le besoin de l’acquérir. Et ce n’est pas le recensement qui apporte les solutions.
II- Renverser le raisonnement : rendre l’acquisition de la nationalité une non-nécessité pour l’étranger.
Au lieu de chercher à identifier le Mauritanien qui lui ne saurait renier sa nationalité ni y renoncer (n’en déplaise à l’Etat, fusse-t-il par le sacrifice en manifestant) au nom des liens du “jus solis” ou du “jus sanguinis” (voir nos articles précédents : l’Etat sans nation et Le président mauritanien est-il Mauritanien ? ), il convient de mettre en place des structures qui sont les véritables outils de préservation de la nationalité.
On ne protége la nationalité dans un pays que lorsque l’étranger s’y sent aussi bien respecté dans ses droits, sa personne et ses biens que le national lui-même.
Aucun étranger, à moins qu’il tisse des liens locaux nouveaux ( famille, liens sanguins ou du sol), ne cherchera à acquérir la nationalité de son pays d’accueil s’il y trouve les conditions nécessaires à son épanouissement économique et social. Dans de telle conditions il contribuera de la même manière, sinon mieux que le national, à la prospérité du pays, à sa sécurité et son développement.
Comment faire pour arriver à une telle situation ?
Ce n’est, certes, pas à travers un recensement administratif d’exclusion ou l’on cherche des poux sur la tête d’un chauve. Mais à travers une politique de l’immigration claire et appliquée.
Cette politique de l’immigration devra permettre :
De créer des structures administratives encadrant les étrangers en Mauritanie afin de leur dispenser l’accueil nécessaire, les orienter et les informer.
De délivrer des cartes de séjours et des contrats adaptés à la demande de séjours temporaires, permanents, de travail, d’investissement, de coopérations etc.
D’assurer une veille sur les flux migratoires, sur leur contribution au développement du pays.
De faciliter leurs actes administratifs (pour leurs familles), financiers (leurs comptes, transferts, investissement etc.)
de leur garantir leurs droits, les protéger dans leurs personnes, leurs biens et leur dignité.
Bref, les traiter tout comme des nationaux. Et c’est ainsi qu’ils n’auront pas besoin d’être des nationaux. Car pourquoi vouloir être Mauritanien, si ce n’est bénéficier de ce dont bénéficie le Mauritanien ?
Et de quoi veut-il bénéficier ?
Le séjour, la stabilité du travail, la protection, la sécurité et la reconnaissance de ses droits.
Si cela n’est pas assuré, l’étranger cherchera pour y arriver à acquérir une nationalité mauritanienne, sans rejeter la sienne. Et à cela aucun recensement n’y pourra rien.
Le recensement actuel même s’il devait arriver (et le doute est permis) à séparer la graine de l’ivraie, n’effacera jamais la nature corrompue de l’actuelle administration mauritanienne. Et demain les certificats de nationalité se vendront comme des petits pains. Car si les soi-disant documents délivrés sont « infalsifiables », il n’en est pas de même de l’intégrité de notre administration ni de ceux qui la dirigent.
Alors au lieu de vouloir identifier le « Mauritanien », dans un recensement dont l’inefficacité est criante, il serait plus efficace de développer une politique de l’immigration respectueuse et protectrice des droits des immigrés. C’est à ce prix que la Mauritanie :
Bénéficiera de l’inestimable apport économique et financier des investisseurs étrangers ;
Mettra à contribution pour son développement une force de travail étrangère qualifié pour son développement.
Et ultime objectif (que ce recensement administratif n’a pu réaliser) :
Protéger la nationalité de ses ressortissants, que nul ne voudra contester ou acquérir pour des raisons économiques, financières ou sociales.
Mais qui en Mauritanie parmi nos dirigeants a pu un jour penser que l’étranger n’a pas besoin de la nationalité mauritanienne, si ce n’est pour ce qu’elle lui offre ; et qu’en lui offrant ce qu’elle offre aux nationaux (en termes de droits et d’obligations), il ne la demandera pas.
Le recensement administratif, c’est vouloir apporter une solution à un problème qui est mal posé. Le problème n’est pas de savoir qui est Mauritanien. Le problème est de savoir qui veut le devenir et pourquoi.
Or le recensement administratif, réponse à une préoccupation politique, n’apporte pas de solutions à ce qui, au-delà du politique, est une interrogation sur la coexistence avec l’étranger et l’existence d’une nationalité. L’erreur du recensement est de vouloir établir l’existence (de la nationalité) au détriment de la coexistence (avec l’étranger). Or aucune ne vaut sans l’autre. Et c’est en assurant d’abord la bonne coexistence, que l’existence devient possible.
C’est autant dire que l’Etat a saisi le problème à l’envers. Le recensement ne s’en trouve donc que plus renversé. Renversant.
Pr ELY Mustapha
Source: agoravox