Les femmes, les hommes et les enfants qui tentent de joindre l'Espagne et d'autres pays d'Europe à l'aide de pirogues sont de plus en plus nombreux sur les côtes ouest-africaines.
C'est le cas au Sénégal. Près de Gandiol, un petit village situé à une vingtaine de kilomètres de Saint-Louis, dans le nord du pays, une pirogue transportant une centaine de migrants a chaviré dans la nuit du 25 au 26 octobre, faisant de nombreuses victimes.
Ndèye Fatou, une jeune Sénégalaise, a tenté six fois l'aventure. Sans succès. Sa dernière tentative a été traumatisante, ce qui l'a découragé de repartir.
Selon elle, les femmes et les jeunes filles sont souvent victimes d'abus au cours de ce périple.
"Ma vie était compliquée"
"J'ai choisi l'émigration irrégulière parce que ma vie était très compliquée au Sénégal. Je travaillais vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans le salaire que je souhaitais. Je vivais avec un enfant et je ne recevais l'aide de personne, ni de son père ni d'aucune autre personne. La vie étant très compliquée, j'ai décidé de prendre une pirogue pour aller en Espagne", raconte-elle.
"Le voyage était dur pour moi, pour les autres aussi. J'ai tenté six fois. J'ai vu des morts… La première tentative a eu lieu en 2019. J'ai pris l'avion pour me rendre au Maroc d'abord, parce qu'on m'avait dit que les gens partaient en Espagne par pirogue, à partir du Maroc", se souvient la jeune Sénégalaise.
Ndèye Fatou raconte avoir été témoin d'agressions sexuelles sur les routes menant vers l'Europe. "C'était affreux de vivre dans la forêt, au Maroc. On dormait mal, on mangeait mal. On ne se lavait pas. C'était très dangereux pour les filles comme pour les garçons. Il y avait des viols. Des filles sont tombées enceintes là-bas. Je ne peux pas oublier ça", témoigne-t-elle.
"Non. Je préfère rester au Sénégal, mener ma vie ici et essayer de vivre du peu que je gagne", s'empresse de répondre Ndèye Fatou à la question de savoir si elle est prête à emprunter de nouveau les routes de l'émigration irrégulière.
Intensification de l'émigration des femmes
Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les flux de migrants qui tentent d'entrer illégalement en Europe, en provenance d'Afrique. Elles représentent 10 % des personnes venant d'Afrique et cherchant à entrer dans les pays européens sans satisfaire aux formalités requises, selon Frontex, l'agence européenne chargée de la gestion des frontières extérieures des États membres de l'Union européenne.
Plus de 70 000 personnes sont parties en 2020 de la Libye, de l'Algérie et de la Tunisie, soit 140 % de plus que l'année précédente.
L'émigration des femmes ne cesse de s'intensifier depuis plusieurs années. De plus en plus de femmes partent à l'aventure pour s'installer en Europe et y trouver du travail. La massification des femmes sur les routes est l'une des tendances de la migration.
"Depuis 1990, on parle d'une féminisation des flux migratoires. Les femmes exercent 46 % des migrations internationales et 51 % des mouvements migratoires des pays développés. Auparavant, elles voyageaient par regroupement familial", analyse le président de l'organisation non gouvernementale sénégalaise Horizon sans frontières, Boubacar Sèye.
"Aujourd'hui, comme les hommes, les femmes pratiquent l'émigration pour des raisons économiques. Au Sénégal, nous avons constaté une féminisation des flux migratoires irréguliers. C'est dû au fait que, au Sénégal, le taux de chômage des femmes est trois fois plus élevé que celui des hommes", ajoute M. Sèye.
Pour éviter que les femmes tentent d'entrer illégalement en Europe ou dans d'autres régions du monde, "il faut intégrer davantage la femme dans le tissu économique et lutter contre leur exode rural", propose le président d'Horizon sans frontières.
Autrement, "les femmes peuvent se lancer dans la migration irrégulière une fois qu'elles arrivent à Dakar ou dans d'autres villes", dit-il.
"Je pense à repartir"
L'émigration irrégulière est très répandue au Cameroun également. Des femmes font partie des flux de voyageurs.
Rafiatou, est une ex-migrante rapatriée d'Algérie et vivant présentement au Cameroun.
"Une amie m'avait proposé de la rejoindre au Mali. J'ai démissionné pour y aller, avec l'espoir que je vais gagner davantage là-bas qu'ici", raconte Rafiatou.
Elle a démissionné d'une société agroalimentaire pour se rendre au Mali, en 2014. La jeune femme gagnait pourtant un salaire qu'elle juge raisonnable.
Au Mali, c'est la douche froide pour cette Camerounaise partie de son pays la tête pleine de rêves, en compagnie de son fils âgé de moins de deux ans. Elle passera quatre ans d'enfer à Bamako.
"Il n'y avait rien de vrai de ce que l'on me faisait miroiter. Je me sentais piégée à mon arrivée. J'ai des amies qui se sont retrouvées en Algérie. Elles m'ont proposé de les rejoindre pour qu'on aille en Europe. C'est comme ça que j'ai traversé le désert pour me retrouver en Algérie. De là, nous avons été refoulées à la frontière", se souvient Rafiatou.
Elle regagne le Cameroun en 2018, avec le soutien de l'OIM, l'agence des Nations unies chargée des migrations.
Rafiatou dit ne pas regretter sa mésaventure et songe à tenter un nouveau voyage vers l'Europe, dès la prochaine occasion. "La vie est dure au Cameroun. Je pense à repartir. Mais la prochaine fois, je vais m'assurer de partir légalement", dit-elle.
Paul Patrick Eloga, un ancien migrant détenu longtemps dans les prisons libyennes, dirige aujourd'hui une association camerounaise de lutte contre la migration irrégulière. "Ce que nous faisons surtout, c'est de conscientiser les jeunes en leur faisant savoir que ce qu'on leur fait miroiter en Europe est faux", explique-t-il.
Des centaines de migrants camerounais ont regagné leur pays après avoir subi la torture et d'autres souffrances sur les routes de la migration irrégulière.
Awa Diop, Jean Charles Biyo’o Ella et Souleymane Faye
Role, Au Cœur de l'Actu, BBC Afrique
*Cet article est rédigé sur la base de l'émission radiophonique de BBC Afrique, Au Cœur de l'Actu.
Source : BBC Afrique (Royaume-Uni)
C'est le cas au Sénégal. Près de Gandiol, un petit village situé à une vingtaine de kilomètres de Saint-Louis, dans le nord du pays, une pirogue transportant une centaine de migrants a chaviré dans la nuit du 25 au 26 octobre, faisant de nombreuses victimes.
Ndèye Fatou, une jeune Sénégalaise, a tenté six fois l'aventure. Sans succès. Sa dernière tentative a été traumatisante, ce qui l'a découragé de repartir.
Selon elle, les femmes et les jeunes filles sont souvent victimes d'abus au cours de ce périple.
"Ma vie était compliquée"
"J'ai choisi l'émigration irrégulière parce que ma vie était très compliquée au Sénégal. Je travaillais vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans le salaire que je souhaitais. Je vivais avec un enfant et je ne recevais l'aide de personne, ni de son père ni d'aucune autre personne. La vie étant très compliquée, j'ai décidé de prendre une pirogue pour aller en Espagne", raconte-elle.
"Le voyage était dur pour moi, pour les autres aussi. J'ai tenté six fois. J'ai vu des morts… La première tentative a eu lieu en 2019. J'ai pris l'avion pour me rendre au Maroc d'abord, parce qu'on m'avait dit que les gens partaient en Espagne par pirogue, à partir du Maroc", se souvient la jeune Sénégalaise.
Ndèye Fatou raconte avoir été témoin d'agressions sexuelles sur les routes menant vers l'Europe. "C'était affreux de vivre dans la forêt, au Maroc. On dormait mal, on mangeait mal. On ne se lavait pas. C'était très dangereux pour les filles comme pour les garçons. Il y avait des viols. Des filles sont tombées enceintes là-bas. Je ne peux pas oublier ça", témoigne-t-elle.
"Non. Je préfère rester au Sénégal, mener ma vie ici et essayer de vivre du peu que je gagne", s'empresse de répondre Ndèye Fatou à la question de savoir si elle est prête à emprunter de nouveau les routes de l'émigration irrégulière.
Intensification de l'émigration des femmes
Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les flux de migrants qui tentent d'entrer illégalement en Europe, en provenance d'Afrique. Elles représentent 10 % des personnes venant d'Afrique et cherchant à entrer dans les pays européens sans satisfaire aux formalités requises, selon Frontex, l'agence européenne chargée de la gestion des frontières extérieures des États membres de l'Union européenne.
Plus de 70 000 personnes sont parties en 2020 de la Libye, de l'Algérie et de la Tunisie, soit 140 % de plus que l'année précédente.
L'émigration des femmes ne cesse de s'intensifier depuis plusieurs années. De plus en plus de femmes partent à l'aventure pour s'installer en Europe et y trouver du travail. La massification des femmes sur les routes est l'une des tendances de la migration.
"Depuis 1990, on parle d'une féminisation des flux migratoires. Les femmes exercent 46 % des migrations internationales et 51 % des mouvements migratoires des pays développés. Auparavant, elles voyageaient par regroupement familial", analyse le président de l'organisation non gouvernementale sénégalaise Horizon sans frontières, Boubacar Sèye.
"Aujourd'hui, comme les hommes, les femmes pratiquent l'émigration pour des raisons économiques. Au Sénégal, nous avons constaté une féminisation des flux migratoires irréguliers. C'est dû au fait que, au Sénégal, le taux de chômage des femmes est trois fois plus élevé que celui des hommes", ajoute M. Sèye.
Pour éviter que les femmes tentent d'entrer illégalement en Europe ou dans d'autres régions du monde, "il faut intégrer davantage la femme dans le tissu économique et lutter contre leur exode rural", propose le président d'Horizon sans frontières.
Autrement, "les femmes peuvent se lancer dans la migration irrégulière une fois qu'elles arrivent à Dakar ou dans d'autres villes", dit-il.
"Je pense à repartir"
L'émigration irrégulière est très répandue au Cameroun également. Des femmes font partie des flux de voyageurs.
Rafiatou, est une ex-migrante rapatriée d'Algérie et vivant présentement au Cameroun.
"Une amie m'avait proposé de la rejoindre au Mali. J'ai démissionné pour y aller, avec l'espoir que je vais gagner davantage là-bas qu'ici", raconte Rafiatou.
Elle a démissionné d'une société agroalimentaire pour se rendre au Mali, en 2014. La jeune femme gagnait pourtant un salaire qu'elle juge raisonnable.
Au Mali, c'est la douche froide pour cette Camerounaise partie de son pays la tête pleine de rêves, en compagnie de son fils âgé de moins de deux ans. Elle passera quatre ans d'enfer à Bamako.
"Il n'y avait rien de vrai de ce que l'on me faisait miroiter. Je me sentais piégée à mon arrivée. J'ai des amies qui se sont retrouvées en Algérie. Elles m'ont proposé de les rejoindre pour qu'on aille en Europe. C'est comme ça que j'ai traversé le désert pour me retrouver en Algérie. De là, nous avons été refoulées à la frontière", se souvient Rafiatou.
Elle regagne le Cameroun en 2018, avec le soutien de l'OIM, l'agence des Nations unies chargée des migrations.
Rafiatou dit ne pas regretter sa mésaventure et songe à tenter un nouveau voyage vers l'Europe, dès la prochaine occasion. "La vie est dure au Cameroun. Je pense à repartir. Mais la prochaine fois, je vais m'assurer de partir légalement", dit-elle.
Paul Patrick Eloga, un ancien migrant détenu longtemps dans les prisons libyennes, dirige aujourd'hui une association camerounaise de lutte contre la migration irrégulière. "Ce que nous faisons surtout, c'est de conscientiser les jeunes en leur faisant savoir que ce qu'on leur fait miroiter en Europe est faux", explique-t-il.
Des centaines de migrants camerounais ont regagné leur pays après avoir subi la torture et d'autres souffrances sur les routes de la migration irrégulière.
Awa Diop, Jean Charles Biyo’o Ella et Souleymane Faye
Role, Au Cœur de l'Actu, BBC Afrique
*Cet article est rédigé sur la base de l'émission radiophonique de BBC Afrique, Au Cœur de l'Actu.
Source : BBC Afrique (Royaume-Uni)