N’eut été le côté dramatique de la situation, il serait presque attendrissant de voir avec quel acharnement le gouvernement tente d’imposer une opération contre laquelle se liguent tant de voix. Son entêtement fait penser à la matrone s’employant à ramener à la vie un bébé presque mort-né.
Mais pourquoi le gouvernement s’entête-t-il donc à vouloir imposer envers et contre tout cette opération d’enrôlement dans sa déclinaison actuelle ? Pourquoi ignore-t-il les revendications de mauritaniens de plus en plus nombreux à rejeter, au moins sur sa forme, ce qu’ils appellent « enroulement » ? Pourquoi, en dépit du bon sens, refuse-t-il d’engager une discussion franche et ouverte sur les points de désaccord ?
Au détour d’une question-commentaire que nous lui adressions lors de l’entretien qu’il avait bien voulu nous accorder, le président Ould Abdel Aziz minimisait le ressenti de ceux qui manifestent contre l’enrôlement, mettant alors leur opposition sur le compte d’un manque de compréhension et de communication.
La bataille de la communication définitivement perdue
Malgré les efforts déployés ces derniers temps pour « vendre » l’enrôlement aux mauritaniens réfractaires, les manifestations ne faiblissent pas. Elles prennent même de l’ampleur avec des tournures violentes (Nouakchott et Kaédi) et tragiques (un mort et des blessés par balles à Maghama). L’Administrateur Directeur Général Mohamed Fadel Ould Hadrami aligne les énormités dans une interview accordée à nos confrères de Sahara médias et Al Alkhbar. Il dit par exemple qu’il est indispensable de poser des questions aux candidats pour savoir qui est résident et qui est visiteur, « que cela dérange ou pas » (très raffiné pour l’opération de communication). Je suis personnellement né dans le Hodh El Gharbi parce que mon père y servait le pays. J’en suis parti à l’âge de deux ans pour ne plus jamais y retourner. Que voulez-vous que je puisse vous dire d’Aioun ? L’ADG ajoute par ailleurs qu’ « on ne peut pas communiquer avant d’avoir commencé une opération ». Il a intérêt à revoir toutes les procédures de la conduite de projet. La communication ce n’est pas seulement se saisir d’un micro et se mettre devant une caméra. C’est préparer les esprits, affiner une stratégie à l’aide d’une étude préalable, c’est envoyer des signaux, c’est donner dans le symbole pour emporter l’adhésion. Les communiqués de presse et les spots publicitaires ne sont que les maillons les plus faibles de la chaine de communication. Pour preuve, l’agitation des derniers temps n’a que peu d’effets sur les manifestants. C’est qu’une fois une opinion installée dans le subconscient des citoyens, elle devient presqu’impossible à combattre. Or, le gouvernement a réagi par le silence et le mépris quand les premiers signes de rejet commençaient à se faire entendre à travers les interventions au parlement de Mohamed Jemil Ould Mansour, El Ghassem Ould Bellal, Kadiata Malick Diallo. Le même mutisme répondra aux articles publiés par des intellectuels de tous bords qui pointaient les insuffisances de cette opération. En la matière, le gouvernement a réagi comme sous la dictature d’Ould Taya : aux chiens qui aboient on oppose le mépris des grands seigneurs de la caravane.
Qui a été mordu par le serpent craint la corde
Or, dans un pays qui a connu de graves crises identitaires depuis l’indépendance (1965-66, 1979 puis surtout entre 1989 et 1991), c’est faire preuve d’irresponsabilité et de légèreté que de croire possible le lancement d’une opération aussi sensible sans prendre quelques dispositions. Il est d’ailleurs surprenant et paradoxal de constater que Ould Abdel Aziz qui revendique des actes forts envers la communauté négro-africaine (prière de Kaédi, parachèvement du retour des déportés, indemnisation des victimes même si les conditions en sont controversées…) puisse rester à ce point indifférent devant tant de désapprobations. Il a sans doute mal mesuré les frustrations et les méfiances qui se sont accumulées le long des années. Les négro-africains gardent en mémoire, en plus des événements cités plus haut, les sorties du premier ministre au sujet de la place prépondérante de l’arabe. Ils n’ont pas oublié non plus celle de la ministre de la culture pour qui les langues nationales sont « les plus graves menaces pour la langue arabe » (sic). Dans ces conditions, confier une opération aussi sensible que celle de la refonte de l’état civil à une commission composée presqu’exclusivement d’une seule communauté relève, au mieux, de l’amateurisme, au pire, de la provocation. Et à ce sujet, la justification apportée par l’ADG tourne carrément au naufrage et doit être consignée dans les annales de la communication publique : le comité de pilotage compte un négro-africain sur 13 parce qu’il est désigné selon le critère de compétence, il faut des « capables ». Il n’existe donc pas de négro-africains compétents en Mauritanie. Il a fallu chercher partout pour en trouver un ou deux, ce n’est pas la faute de l’ADG. Que répondre à l’injure ?
Enfin, l’on entend accuser les manifestants négro-africains de s’en prendre aux biens publics ou appartenant à des citoyens paisibles. Le reproche est justifié. On n’a pas besoin de brûler un palais de justice ou la voiture d’un pauvre citoyen pour se faire entendre. C’est valable pour les manifestants négro-africains comme pour leurs compatriotes arabes qui incendiaient la mairie et le seule ambulance de Fassala il y a quelques mois sans être accusés d’être des criminels venus de l’étranger. Et tout ça ne justifie ni n’excuse des tirs à balles réelles sur des manifestants désarmés.
Ce sont les maladresses et les fautes de goût de cet ordre qui installent le doute dans la tête des populations qui manifestent contre l’enrôlement. Parce que « chat échaudé craint l’eau froide ». Elles ont vécu des événements douloureux et sursautent au plafond dès qu’ils voient une corde. La morsure d’un serpent venimeux ne s’oublie pas de sitôt. Il eut suffit aux autorités de tenir compte de cette vérité pour étouffer les soupçons dès leur naissance en jouant la carte de la transparence et de la concertation. Au point où nous en sommes l’apaisement portera un prix. Les simples communiqués et les émissions radio et télévisées ne serviront à rien. Tout au plus seront-elles perçues comme de nouvelles tentatives « d’en-rouler » les populations dans la farine. Les positions se sont cristallisées et des solidarités sont nées entre victimes réelles ou supposées. Même les communautés arabes qui vivent les mêmes vexations d’une opération mal ficelée hésitent à protester. Parce que les choses prennent un caractère identitaire. Un cauchemar pour l’unité nationale et pour tout gouvernant qui doit d’abord aspirer à gouverner un peuple uni et regardant dans la même direction. En politique le ressenti compte autant que le réel.
Abdoulaye Diagana
Voir les photos sur le site kassataya
Source: kassataya
Mais pourquoi le gouvernement s’entête-t-il donc à vouloir imposer envers et contre tout cette opération d’enrôlement dans sa déclinaison actuelle ? Pourquoi ignore-t-il les revendications de mauritaniens de plus en plus nombreux à rejeter, au moins sur sa forme, ce qu’ils appellent « enroulement » ? Pourquoi, en dépit du bon sens, refuse-t-il d’engager une discussion franche et ouverte sur les points de désaccord ?
Au détour d’une question-commentaire que nous lui adressions lors de l’entretien qu’il avait bien voulu nous accorder, le président Ould Abdel Aziz minimisait le ressenti de ceux qui manifestent contre l’enrôlement, mettant alors leur opposition sur le compte d’un manque de compréhension et de communication.
La bataille de la communication définitivement perdue
Malgré les efforts déployés ces derniers temps pour « vendre » l’enrôlement aux mauritaniens réfractaires, les manifestations ne faiblissent pas. Elles prennent même de l’ampleur avec des tournures violentes (Nouakchott et Kaédi) et tragiques (un mort et des blessés par balles à Maghama). L’Administrateur Directeur Général Mohamed Fadel Ould Hadrami aligne les énormités dans une interview accordée à nos confrères de Sahara médias et Al Alkhbar. Il dit par exemple qu’il est indispensable de poser des questions aux candidats pour savoir qui est résident et qui est visiteur, « que cela dérange ou pas » (très raffiné pour l’opération de communication). Je suis personnellement né dans le Hodh El Gharbi parce que mon père y servait le pays. J’en suis parti à l’âge de deux ans pour ne plus jamais y retourner. Que voulez-vous que je puisse vous dire d’Aioun ? L’ADG ajoute par ailleurs qu’ « on ne peut pas communiquer avant d’avoir commencé une opération ». Il a intérêt à revoir toutes les procédures de la conduite de projet. La communication ce n’est pas seulement se saisir d’un micro et se mettre devant une caméra. C’est préparer les esprits, affiner une stratégie à l’aide d’une étude préalable, c’est envoyer des signaux, c’est donner dans le symbole pour emporter l’adhésion. Les communiqués de presse et les spots publicitaires ne sont que les maillons les plus faibles de la chaine de communication. Pour preuve, l’agitation des derniers temps n’a que peu d’effets sur les manifestants. C’est qu’une fois une opinion installée dans le subconscient des citoyens, elle devient presqu’impossible à combattre. Or, le gouvernement a réagi par le silence et le mépris quand les premiers signes de rejet commençaient à se faire entendre à travers les interventions au parlement de Mohamed Jemil Ould Mansour, El Ghassem Ould Bellal, Kadiata Malick Diallo. Le même mutisme répondra aux articles publiés par des intellectuels de tous bords qui pointaient les insuffisances de cette opération. En la matière, le gouvernement a réagi comme sous la dictature d’Ould Taya : aux chiens qui aboient on oppose le mépris des grands seigneurs de la caravane.
Qui a été mordu par le serpent craint la corde
Or, dans un pays qui a connu de graves crises identitaires depuis l’indépendance (1965-66, 1979 puis surtout entre 1989 et 1991), c’est faire preuve d’irresponsabilité et de légèreté que de croire possible le lancement d’une opération aussi sensible sans prendre quelques dispositions. Il est d’ailleurs surprenant et paradoxal de constater que Ould Abdel Aziz qui revendique des actes forts envers la communauté négro-africaine (prière de Kaédi, parachèvement du retour des déportés, indemnisation des victimes même si les conditions en sont controversées…) puisse rester à ce point indifférent devant tant de désapprobations. Il a sans doute mal mesuré les frustrations et les méfiances qui se sont accumulées le long des années. Les négro-africains gardent en mémoire, en plus des événements cités plus haut, les sorties du premier ministre au sujet de la place prépondérante de l’arabe. Ils n’ont pas oublié non plus celle de la ministre de la culture pour qui les langues nationales sont « les plus graves menaces pour la langue arabe » (sic). Dans ces conditions, confier une opération aussi sensible que celle de la refonte de l’état civil à une commission composée presqu’exclusivement d’une seule communauté relève, au mieux, de l’amateurisme, au pire, de la provocation. Et à ce sujet, la justification apportée par l’ADG tourne carrément au naufrage et doit être consignée dans les annales de la communication publique : le comité de pilotage compte un négro-africain sur 13 parce qu’il est désigné selon le critère de compétence, il faut des « capables ». Il n’existe donc pas de négro-africains compétents en Mauritanie. Il a fallu chercher partout pour en trouver un ou deux, ce n’est pas la faute de l’ADG. Que répondre à l’injure ?
Enfin, l’on entend accuser les manifestants négro-africains de s’en prendre aux biens publics ou appartenant à des citoyens paisibles. Le reproche est justifié. On n’a pas besoin de brûler un palais de justice ou la voiture d’un pauvre citoyen pour se faire entendre. C’est valable pour les manifestants négro-africains comme pour leurs compatriotes arabes qui incendiaient la mairie et le seule ambulance de Fassala il y a quelques mois sans être accusés d’être des criminels venus de l’étranger. Et tout ça ne justifie ni n’excuse des tirs à balles réelles sur des manifestants désarmés.
Ce sont les maladresses et les fautes de goût de cet ordre qui installent le doute dans la tête des populations qui manifestent contre l’enrôlement. Parce que « chat échaudé craint l’eau froide ». Elles ont vécu des événements douloureux et sursautent au plafond dès qu’ils voient une corde. La morsure d’un serpent venimeux ne s’oublie pas de sitôt. Il eut suffit aux autorités de tenir compte de cette vérité pour étouffer les soupçons dès leur naissance en jouant la carte de la transparence et de la concertation. Au point où nous en sommes l’apaisement portera un prix. Les simples communiqués et les émissions radio et télévisées ne serviront à rien. Tout au plus seront-elles perçues comme de nouvelles tentatives « d’en-rouler » les populations dans la farine. Les positions se sont cristallisées et des solidarités sont nées entre victimes réelles ou supposées. Même les communautés arabes qui vivent les mêmes vexations d’une opération mal ficelée hésitent à protester. Parce que les choses prennent un caractère identitaire. Un cauchemar pour l’unité nationale et pour tout gouvernant qui doit d’abord aspirer à gouverner un peuple uni et regardant dans la même direction. En politique le ressenti compte autant que le réel.
Abdoulaye Diagana
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Source: kassataya