Boye Alassane Harouna
1. Tous les deux sont des officiers supérieurs de l’armée mauritanienne. Évidemment.
2. Tous les deux furent les obligés de Taya ; le premier, même s’il s’en défend ridiculement, beaucoup plus que le second ; et, cela expliquant ceci, tous les deux occupèrent des postes stratégiques sous le régime de l’ancien colonel-président Taya.
Le colonel Ely Ould Mohamed Vall fut pendant vingt ans (de 1984 au 3 août 2005, date à laquelle il renversa Taya) le Directeur de la sûreté nationale, poste éminemment stratégique s’il en est, sous un régime dictatorial.
Quant au colonel Baby Housseynou, il fut treize ans durant (de 1985 à 1998), le Directeur de l’intendance de l’armée nationale. Il ne quittera ce poste que pour occuper celui d’Attaché militaire de l’ambassade de Mauritanie à Paris. Poste à partir duquel, sentant sa disgrâce imminente, il prit les devants, sollicita et obtint l’asile politique en France dans les conditions que l’on sait...
3. On ne trahit que les siens. On pourrait dire des colonels Baby Housseynou et Ely Ould Mohamed Vall qu’ils ont, d’une certaine façon, rompu le pacte tacite qui les liait à leur protecteur Taya. Le premier, en optant pour l’abandon de poste et l’asile politique pour éviter les désagréments d’une disgrâce douloureuse et certaine. Le second, en renversant son protecteur, accomplit en l’occurrence un acte salutaire mais commet en même temps un « parricide », si l’on se place sous l’angle de ce que furent ses rapports, sa proximité et sa complicité avec son protecteur qu’il fit déchoir.
4. Par rapport aux innombrables crimes contre l’humanité commis sous le règne de Taya entre 1987 et 1991, J’observe, chez l’un comme chez l’autre, une volonté d’occulter sinon de « banaliser le mal », une volonté de déculpabiliser ou de protéger les responsables et complices des crimes contre l’humanité commis contre les Négro-africains.
Dans l’interview accordée au journal « La Tribune », interview publiée le 10.07.2000 par l’Alliance Des Forces De Refus et qui suscita ma réplique dans un texte intitulé « La montagne a accouché d’une souris », le colonel Baby affirme que « le passif humanitaire mauritanien ne salit pas l’armée, pour la seule et simple raison que les personnes concernées ne dépassent pas trois cents, tous grades confondus. D’ailleurs, ajoute-t-il, je dois préciser, ici, avec force, sur ce chiffre, les instigateurs, c’est à dire les vrais responsables d’actes de torture ou de meurtres délibérés, se comptent sur les doigts de la main. »
Le colonel Ely Ould Mohamed Vall, actuel chef de l’État mauritanien, tombeur de son protecteur, déclare, quant à lui, que personne n’empêche Maouya Ould Sid’Ahmed Taya de revenir en Mauritanie ; que « Sa sécurité sera assurée comme celle de n’importe quel citoyen de ce pays. ». (Jeune Afrique- L’intelligent. Numéro 2334 du 2 au 8 octobre 2005.) Comme si Taya fut un citoyen comme n’importe quel citoyen ; comme si Taya n’avait pas les mains souillées par le sang. Et quand François Soudan évoque la possibilité qu’un pouvoir élu aux termes de la transition de deux ans ouvre le dossier passif humanitaire, le nouvel homme fort de Nouakchott affirme sans sourciller : « Je ne pense pas qu’il le fera. Ou alors, cela signifiera que nous avons failli à notre tâche qui est d’imprégner chaque Mauritanien de l’esprit de tolérance et de réconciliation.» Comme si la tolérance ne pouvait advenir qu’en faisant obstruction à l’application de la justice et la réconciliation devenir réalité viable que par la « négation du droit ».
Étrange identité de perception du passif humanitaire mauritanien que celle des deux colonels ? Et pourtant, rien de très ahurissant en cela. Tous deux ne furent-ils pas, nous l’avons dit, des obligés de Taya, dont ils sont, malgré des trajectoires différentes, les purs produits du système de gouvernement ? N’ont-ils pas, tous deux, longtemps été au coeur du système Taya, à la fois comme témoins et auteurs de basse besogne ? Que l’un et l’autre recommandent l’impunité pour Taya, pour tout ou partie des auteurs, responsables des crimes contre l’humanité commis contre les populations négro-africaines, cela peut se comprendre, même si cela n’honore pas nos deux officiers supérieurs.
Suggérer l’impunité, c’est encourager le désordre social et au final le chaos ; car c’est susciter l’émergence d’autres despotes comme Taya. Au regard de la morale cela est inadmissible, parce que c’est une forme répulsive de banalisation du Mal. Et il y a facteur aggravant et inquiétude quand c’est le colonel Ely Ould Mohamed Vall qui, consciemment ou non, prône l’impunité ; car la fonction qui est la sienne aujourd’hui lui permet d’infléchir, dans la bonne ou mauvaise direction, le destin du pays.
Le 03 août 2005, césure ou continuité ?
Le coup d’État du 3 août 2005, que j’approuve et salue, n’a de sens et ne peut être considéré comme oeuvre salvatrice et historique que dans la mesure où il marque une césure franche et radicale, pas seulement avec les pratiques despotiques de Taya, mais surtout avec le système politique raciste et esclavagiste en vigueur depuis l’indépendance, et aggravé par vingt ans de pouvoir autocratique de Taya. C’est sur ces deux volets fondamentaux et incontournables (le racisme d’État et l’esclavage) que j’observe et attends le Conseil militaire pour la justice et la démocratie, notamment son chef, le Colonel Ély.
Il faut cesser de fermer les yeux devant l’évidence. Il faut oser reconnaître la réalité de l’esclavage et oser prendre des mesures fortes pour l’éradiquer à la source. Il faut avoir le courage politique d’admettre la réalité du racisme d’État avec ses multiples déclinaisons. Le passif humanitaire – enlèvements, tortures, massacres et déportations de Négro-africains civils et militaires – n’est rien d’autre que le produit inéluctable du racisme d’État. Il a endeuillé des milliers de familles négro-africaines, toute la communauté noire du pays ; il a laissé des plaies béantes d’autant plus difficilement cicatrisables que la lumière n’a pas été faite sur les innombrables crimes contre l’humanité, et que l’on s’obstine à préconiser l’impunité et à entraver l’application de la justice.
Voilà pourquoi combattre le racisme d’État, pensons-nous, passe nécessairement par le retour organisé, sous l’égide du HCR, des pays hôtes et des autorités mauritaniennes, de tous les déportés et leur rétablissement dans tous leurs droits. Il va sans dire que ce retour ne saurait se faire suite à un simple appel injonctif, fût-il celui du Président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie.
Après quoi, il faut avoir l’audace d’ouvrir le lourd et douloureux dossier passif humanitaire. Il est incontournable. Demain, dans dix ans ou dans un siècle. Il sera ouvert. Plusieurs années après leurs crimes, les criminels nazis et leurs collaborateurs n’ont pas échappé à la justice rendue par une juridiction internationale d’abord, par celle d’autres pays ensuite. Pinochet, lui aussi, a été rattrapé par son passé, plusieurs années après avoir commis ses crimes. Elle est lancée, la procédure visant à traduire Hissen Habré devant une juridiction internationale. Il n’échappera pas à la justice.
Il en sera de même pour tous les tyrans. Il faut s’y faire, l’impunité a fait son temps. S’attaquer au passif humanitaire ce n’est la « chasse aux sorcières », ce n’est pas encourager la revanche, ce n’est pas se livrer à des règlements de compte. S’attaquer au passif humanitaire c’est d’abord chercher à établir la vérité, c’est faire oeuvre de justice. « Regardons l’avenir et oublions le passé. », nous recommande le colonel Ély. L’avenir s’observe aussi bien à partir du passé que du présent. L’avenir ne se construit pas à partir du néant. Il se forge avec le passé et le présent additionnés. L’apaisement et la reconstruction du pays ne sauraient se réaliser au mépris du droit et de la justice. On ne peut pas oublier le passé comme si rien de grave et d’abominable ne s’était passé. Si l’on veut éviter à la Mauritanie le chaos demain, dans dix ou vingt ans, si l’on veut éviter la vengeance et le « châtiment barbare qui est une négation du droit », il faut bannir « l’impunité qui est un refus de justice » (E. Faure) Établir toute la vérité sur les crimes contre l’humanité commis sous le règne de Taya, rendre la justice, cela n’exclut pas le pardon. Mais si pardon il doit y avoir « (... il) est avant tout la faculté des victimes.
Il ne précède ni l’enquête, ni le procès. » (Ainsi parlait avec courage et lucidité celui qui fut, avec Abdallahi Ould Kebd et Jemal Ould Yessa, l’un des animateurs talentueux du MDI ; j’ai nommé Béchir Ould Moulaye Hassen. (Interview accordée à « Mauritanie Nouvelles » numéro 52 du 20 au 27 avril 1993. L’homme a changé de fusil d’épaule depuis belle lurette... Puisse-t-il sur cette question délicate n’avoir pas changé de conviction.)
Mais je comprends les appréhensions et réticences du colonel Ély par rapport à l’ouverture du dossier passif humanitaire. Elles sont justifiées et légitimes. Mais à y regarder de près, il y a plus de mal pour tout le monde à l’occulter, à le laisser moisir dans le coffre-fort qu’à l’ouvrir. Mettre le processus démocratique sur les rails, assurer une bonne gouvernance, remettre la justice à l’honneur, passer le relais après que des élections régulières et transparentes auront clos la période de transition, tout cela n’aura de sens que lorsque les déportés auront cessé d’être des apatrides en rentrant au bercail, et en prenant part au processus démocratique ; tout cela n’aura de valeur que lorsque l’esclavage sera éradiqué. ;
Tout cela ne sera viable que lorsque le dossier passif humanitaire sera abordé franchement et sans passion, avec le seul souci d’affirmer la vérité et le droit, de rendre justice. Tout cela, pour être crédible et susciter l’adhésion enthousiaste de tous les Mauritaniens, doit être pensé, conçu et entrepris par tous les acteurs politiques et la société civile, dans un cadre de concertation clairement défini et au sein duquel tous les partenaires et protagonistes siégeront de manière égalitaire. Enfin, tout cela se prépare pendant et non après la période de transition.
Le coup d’État du 3 août 2005 ne peut se définir comme oeuvre vraiment salvatrice que lorsque ses auteurs, au lieu de se défiler, assument jusqu’au bout toutes leurs responsabilités ; en mettant sur la table tous les dossiers brûlants (notamment le passif humanitaire, la cohabitation des deux communautés, la définition des règles d’une gestion conjointe et apaisée de L’État mauritanien par les deux communautés composant le pays) ; en formulant, en concertation avec toutes les forces politiques, les esquisses des solutions à apporter. Cela peut et doit se faire pendant la transition. Toute autre posture amputerait le putsch du 3 août 2005 de toute sa substance qui le valide, crédibilise et légitime, pour le réduire en une simple opération qui n’aura consisté qu’à déshabiller Paul pour habiller Jean ; ou à déshabiller Sid’Ahmed pour vêtir Sidi Mohamed. Auquel cas, nous n’aurons pas eu affaire à une césure. Il s’agirait d’une continuité, médiocrement maquillée, celle-là.
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée.», disait Danton. De l’audace, encore de l’audace, colonel Ély, et la Mauritanie sera sauvée. Tout n’est pas encore perdu. Mais il y a urgence.
Boye Alassane Harouna.
Rennes Le 19 octobre 2005
http://flamnet.fr.fm/<br
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2. Tous les deux furent les obligés de Taya ; le premier, même s’il s’en défend ridiculement, beaucoup plus que le second ; et, cela expliquant ceci, tous les deux occupèrent des postes stratégiques sous le régime de l’ancien colonel-président Taya.
Le colonel Ely Ould Mohamed Vall fut pendant vingt ans (de 1984 au 3 août 2005, date à laquelle il renversa Taya) le Directeur de la sûreté nationale, poste éminemment stratégique s’il en est, sous un régime dictatorial.
Quant au colonel Baby Housseynou, il fut treize ans durant (de 1985 à 1998), le Directeur de l’intendance de l’armée nationale. Il ne quittera ce poste que pour occuper celui d’Attaché militaire de l’ambassade de Mauritanie à Paris. Poste à partir duquel, sentant sa disgrâce imminente, il prit les devants, sollicita et obtint l’asile politique en France dans les conditions que l’on sait...
3. On ne trahit que les siens. On pourrait dire des colonels Baby Housseynou et Ely Ould Mohamed Vall qu’ils ont, d’une certaine façon, rompu le pacte tacite qui les liait à leur protecteur Taya. Le premier, en optant pour l’abandon de poste et l’asile politique pour éviter les désagréments d’une disgrâce douloureuse et certaine. Le second, en renversant son protecteur, accomplit en l’occurrence un acte salutaire mais commet en même temps un « parricide », si l’on se place sous l’angle de ce que furent ses rapports, sa proximité et sa complicité avec son protecteur qu’il fit déchoir.
4. Par rapport aux innombrables crimes contre l’humanité commis sous le règne de Taya entre 1987 et 1991, J’observe, chez l’un comme chez l’autre, une volonté d’occulter sinon de « banaliser le mal », une volonté de déculpabiliser ou de protéger les responsables et complices des crimes contre l’humanité commis contre les Négro-africains.
Dans l’interview accordée au journal « La Tribune », interview publiée le 10.07.2000 par l’Alliance Des Forces De Refus et qui suscita ma réplique dans un texte intitulé « La montagne a accouché d’une souris », le colonel Baby affirme que « le passif humanitaire mauritanien ne salit pas l’armée, pour la seule et simple raison que les personnes concernées ne dépassent pas trois cents, tous grades confondus. D’ailleurs, ajoute-t-il, je dois préciser, ici, avec force, sur ce chiffre, les instigateurs, c’est à dire les vrais responsables d’actes de torture ou de meurtres délibérés, se comptent sur les doigts de la main. »
Le colonel Ely Ould Mohamed Vall, actuel chef de l’État mauritanien, tombeur de son protecteur, déclare, quant à lui, que personne n’empêche Maouya Ould Sid’Ahmed Taya de revenir en Mauritanie ; que « Sa sécurité sera assurée comme celle de n’importe quel citoyen de ce pays. ». (Jeune Afrique- L’intelligent. Numéro 2334 du 2 au 8 octobre 2005.) Comme si Taya fut un citoyen comme n’importe quel citoyen ; comme si Taya n’avait pas les mains souillées par le sang. Et quand François Soudan évoque la possibilité qu’un pouvoir élu aux termes de la transition de deux ans ouvre le dossier passif humanitaire, le nouvel homme fort de Nouakchott affirme sans sourciller : « Je ne pense pas qu’il le fera. Ou alors, cela signifiera que nous avons failli à notre tâche qui est d’imprégner chaque Mauritanien de l’esprit de tolérance et de réconciliation.» Comme si la tolérance ne pouvait advenir qu’en faisant obstruction à l’application de la justice et la réconciliation devenir réalité viable que par la « négation du droit ».
Étrange identité de perception du passif humanitaire mauritanien que celle des deux colonels ? Et pourtant, rien de très ahurissant en cela. Tous deux ne furent-ils pas, nous l’avons dit, des obligés de Taya, dont ils sont, malgré des trajectoires différentes, les purs produits du système de gouvernement ? N’ont-ils pas, tous deux, longtemps été au coeur du système Taya, à la fois comme témoins et auteurs de basse besogne ? Que l’un et l’autre recommandent l’impunité pour Taya, pour tout ou partie des auteurs, responsables des crimes contre l’humanité commis contre les populations négro-africaines, cela peut se comprendre, même si cela n’honore pas nos deux officiers supérieurs.
Suggérer l’impunité, c’est encourager le désordre social et au final le chaos ; car c’est susciter l’émergence d’autres despotes comme Taya. Au regard de la morale cela est inadmissible, parce que c’est une forme répulsive de banalisation du Mal. Et il y a facteur aggravant et inquiétude quand c’est le colonel Ely Ould Mohamed Vall qui, consciemment ou non, prône l’impunité ; car la fonction qui est la sienne aujourd’hui lui permet d’infléchir, dans la bonne ou mauvaise direction, le destin du pays.
Le 03 août 2005, césure ou continuité ?
Le coup d’État du 3 août 2005, que j’approuve et salue, n’a de sens et ne peut être considéré comme oeuvre salvatrice et historique que dans la mesure où il marque une césure franche et radicale, pas seulement avec les pratiques despotiques de Taya, mais surtout avec le système politique raciste et esclavagiste en vigueur depuis l’indépendance, et aggravé par vingt ans de pouvoir autocratique de Taya. C’est sur ces deux volets fondamentaux et incontournables (le racisme d’État et l’esclavage) que j’observe et attends le Conseil militaire pour la justice et la démocratie, notamment son chef, le Colonel Ély.
Il faut cesser de fermer les yeux devant l’évidence. Il faut oser reconnaître la réalité de l’esclavage et oser prendre des mesures fortes pour l’éradiquer à la source. Il faut avoir le courage politique d’admettre la réalité du racisme d’État avec ses multiples déclinaisons. Le passif humanitaire – enlèvements, tortures, massacres et déportations de Négro-africains civils et militaires – n’est rien d’autre que le produit inéluctable du racisme d’État. Il a endeuillé des milliers de familles négro-africaines, toute la communauté noire du pays ; il a laissé des plaies béantes d’autant plus difficilement cicatrisables que la lumière n’a pas été faite sur les innombrables crimes contre l’humanité, et que l’on s’obstine à préconiser l’impunité et à entraver l’application de la justice.
Voilà pourquoi combattre le racisme d’État, pensons-nous, passe nécessairement par le retour organisé, sous l’égide du HCR, des pays hôtes et des autorités mauritaniennes, de tous les déportés et leur rétablissement dans tous leurs droits. Il va sans dire que ce retour ne saurait se faire suite à un simple appel injonctif, fût-il celui du Président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie.
Après quoi, il faut avoir l’audace d’ouvrir le lourd et douloureux dossier passif humanitaire. Il est incontournable. Demain, dans dix ans ou dans un siècle. Il sera ouvert. Plusieurs années après leurs crimes, les criminels nazis et leurs collaborateurs n’ont pas échappé à la justice rendue par une juridiction internationale d’abord, par celle d’autres pays ensuite. Pinochet, lui aussi, a été rattrapé par son passé, plusieurs années après avoir commis ses crimes. Elle est lancée, la procédure visant à traduire Hissen Habré devant une juridiction internationale. Il n’échappera pas à la justice.
Il en sera de même pour tous les tyrans. Il faut s’y faire, l’impunité a fait son temps. S’attaquer au passif humanitaire ce n’est la « chasse aux sorcières », ce n’est pas encourager la revanche, ce n’est pas se livrer à des règlements de compte. S’attaquer au passif humanitaire c’est d’abord chercher à établir la vérité, c’est faire oeuvre de justice. « Regardons l’avenir et oublions le passé. », nous recommande le colonel Ély. L’avenir s’observe aussi bien à partir du passé que du présent. L’avenir ne se construit pas à partir du néant. Il se forge avec le passé et le présent additionnés. L’apaisement et la reconstruction du pays ne sauraient se réaliser au mépris du droit et de la justice. On ne peut pas oublier le passé comme si rien de grave et d’abominable ne s’était passé. Si l’on veut éviter à la Mauritanie le chaos demain, dans dix ou vingt ans, si l’on veut éviter la vengeance et le « châtiment barbare qui est une négation du droit », il faut bannir « l’impunité qui est un refus de justice » (E. Faure) Établir toute la vérité sur les crimes contre l’humanité commis sous le règne de Taya, rendre la justice, cela n’exclut pas le pardon. Mais si pardon il doit y avoir « (... il) est avant tout la faculté des victimes.
Il ne précède ni l’enquête, ni le procès. » (Ainsi parlait avec courage et lucidité celui qui fut, avec Abdallahi Ould Kebd et Jemal Ould Yessa, l’un des animateurs talentueux du MDI ; j’ai nommé Béchir Ould Moulaye Hassen. (Interview accordée à « Mauritanie Nouvelles » numéro 52 du 20 au 27 avril 1993. L’homme a changé de fusil d’épaule depuis belle lurette... Puisse-t-il sur cette question délicate n’avoir pas changé de conviction.)
Mais je comprends les appréhensions et réticences du colonel Ély par rapport à l’ouverture du dossier passif humanitaire. Elles sont justifiées et légitimes. Mais à y regarder de près, il y a plus de mal pour tout le monde à l’occulter, à le laisser moisir dans le coffre-fort qu’à l’ouvrir. Mettre le processus démocratique sur les rails, assurer une bonne gouvernance, remettre la justice à l’honneur, passer le relais après que des élections régulières et transparentes auront clos la période de transition, tout cela n’aura de sens que lorsque les déportés auront cessé d’être des apatrides en rentrant au bercail, et en prenant part au processus démocratique ; tout cela n’aura de valeur que lorsque l’esclavage sera éradiqué. ;
Tout cela ne sera viable que lorsque le dossier passif humanitaire sera abordé franchement et sans passion, avec le seul souci d’affirmer la vérité et le droit, de rendre justice. Tout cela, pour être crédible et susciter l’adhésion enthousiaste de tous les Mauritaniens, doit être pensé, conçu et entrepris par tous les acteurs politiques et la société civile, dans un cadre de concertation clairement défini et au sein duquel tous les partenaires et protagonistes siégeront de manière égalitaire. Enfin, tout cela se prépare pendant et non après la période de transition.
Le coup d’État du 3 août 2005 ne peut se définir comme oeuvre vraiment salvatrice que lorsque ses auteurs, au lieu de se défiler, assument jusqu’au bout toutes leurs responsabilités ; en mettant sur la table tous les dossiers brûlants (notamment le passif humanitaire, la cohabitation des deux communautés, la définition des règles d’une gestion conjointe et apaisée de L’État mauritanien par les deux communautés composant le pays) ; en formulant, en concertation avec toutes les forces politiques, les esquisses des solutions à apporter. Cela peut et doit se faire pendant la transition. Toute autre posture amputerait le putsch du 3 août 2005 de toute sa substance qui le valide, crédibilise et légitime, pour le réduire en une simple opération qui n’aura consisté qu’à déshabiller Paul pour habiller Jean ; ou à déshabiller Sid’Ahmed pour vêtir Sidi Mohamed. Auquel cas, nous n’aurons pas eu affaire à une césure. Il s’agirait d’une continuité, médiocrement maquillée, celle-là.
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée.», disait Danton. De l’audace, encore de l’audace, colonel Ély, et la Mauritanie sera sauvée. Tout n’est pas encore perdu. Mais il y a urgence.
Boye Alassane Harouna.
Rennes Le 19 octobre 2005
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