Dès 1960, Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal indépendant, nourrit de grandes ambitions culturelles pour son pays, il rêve de faire du Sénégal la Grèce de l'Afrique. Depuis le début du XXe siècle, l'art occidental se tourne vers les arts africains et par le même phénomène de rencontres de civilisations lié à la colonisation, l'Afrique découvre les techniques artistiques européennes. C'est l'apparition d'un art nouveau en Afrique. Il s'agit dans cet ouvrage de Sophie Courteille titulaire d'un Master en Histoire de l'art obtenu à l'Université de Picardie Jules Verne, de retracer l'histoire de l'émergence des arts contemporains sénégalais en soulignant le rôle considérable de L. S. Senghor en tant que président et homme de culture, mais aussi en tant que théoricien et amoureux des arts.
A travers ses conceptions sur l'esthétique sur l'art africain et la Négritude, et ses différents projets politiques, le ‘président-poète’ a fait de cette époque ‘l'âge d'or’ de l'art contemporain au Sénégal.
A l'époque où L. S. Senghor débarque à Paris, la France connaît l'apogée de son idéologie colonialiste, et en 1931 a lieu à Paris, la plus grande exposition coloniale jamais réalisée sur son sol. A la fin du XIXe siècle, l'empire colonial français comprend une partie importante de l'Afrique, de l'Asie, des Antilles, de l'Amérique, et d'Océanie.
Les peuples colonisés sont clairement représentés comme inférieurs et redevables à la France, de sa ‘mission civilisatrice’. L'exposition est un succès incontestable et sans précédent avec 34 millions de visiteurs en 6 mois d'ouverture.
L'unanimité de l'opinion à l'égard de l'exposition coloniale de 1931 est frappante de l'extrême droite à la gauche et relayée par la presse. Malgré tout, même si elle est minime, la contestation qu'elle suscite mérite une certaine attention, car elle fut sûrement significative pour le jeune étudiant L. S. Senghor baignant dans un milieu culturel bouillonnant.
Cette contestation vient des artistes : écrivains, poètes, peintres. Un groupe de surréalistes composé entre autres de Breton, Aragon, Eluard, Char, Tanguy décident d'agir en publiant un pamphlet intitulé ‘Ne visitez pas l'exposition coloniale’. Ils y dénoncent l'exploitation des peuples des colonies, notamment le travail forcé auquel l'exposition ne fait jamais référence, sous couvert de ‘mission colonisatrice’. Aragon écrit même un poème intitulé ‘Il pleut sur l'exposition coloniale’. Et la ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale, à tendance communiste, accompagnée de surréalistes réalise une ‘contre-expo’ dans l'ancien pavillon constructiviste des Soviets datant de l'exposition des arts déco de 1925. Les étudiants issus des colonies font entendre une contestation timide. La ligue de défense de la race Nègre, du syndicaliste sénégalais, Lamine Senghor, appelle africains et antillais à boycotter le ‘zoo mercantile pour Neg-y- a bon’.
La contestation vient de l'avant-garde et, malgré ses balbutiements, les revendications qu'entraîne l'exposition coloniale sont le témoin de l'enthousiasme malsain mais réel pour les cultures non-européennes. Le Paris des années 30, où évolue le jeune Senghor, est épris d'exotisme.
L'illustration principale étant la révolution artistique introduite pour Picasso et sa découverte de l'art nègre dans sa célèbre toile Les Demoiselles d'Avignon. Mais il faut aussi citer les toiles de Derain, Vlaminck, les poèmes d'Apollinaire, et les romans de Gide, que Pompidou fait découvrir à Senghor : Voyage au Congo, Retour du Tchad, ainsi que les travaux d'anthropologues. On reprochera souvent à Senghor son faible pour la France ‘Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait ses occupants et m'impose l'occupation si gravement (...).
Car j'ai une faiblesse pour la France’ (Hosties noires). Abdou Sylla qualifie Senghor de ‘premier critique d'art de l'Afrique noire francophone’ (Ethiopiques n° 69, 2e semestre 2002, p. 232).
Selon le poète sénégalais, l'art négro-africain a quatre principales caractéristiques : l'image symbole, le rythme, sous la forme de répétition de formes, de lignes, de couleurs, le but mystique et la spiritualité, la fonctionnalité au service de la collectivité.
Aussi ces caractéristiques sont régies par trois mouvements qu'il nomme l'‘essentialisation, le vitalisme et l'interdépendance’.
C'est cette esthétique que la civilisation négro-africaine a à offrir, conformément à la vision universaliste de L. S. Senghor, selon laquelle chaque civilisation a sa contribution à fournir dans la création d'une civilisation mondiale. ‘Le peuple juif a apporté le message de la Bible, le peuple arabe le message du Coran. Quant à nous, Noirs, le message de l'Art Nègre’ (Mohammed Aziza - La Poésie de l'action Stock 1980, p. 284).
Pour L. S. Senghor, l'art moderne doit se détacher de son désir de mimétisme, vis-à-vis de la nature pour connaître la ‘nature intime’ de l'homme même, et Picasso est un exemple. D'autant plus qu'il représente l'enracinement, cher à Senghor dans son ‘ethnicité’ andalouse. Le poète sénégalais rend hommage à Pablo Picasso et à l'Ecole de Paris dans son ensemble.
Les liens tissés tout au long des années avec les artistes de l'Ecole de Paris, et de grandes personnalités de la peinture comme Chagall ou Picasso, lui permettront lors de sa présidence de la République du Sénégal, d'exposer les grands dans son pays ; faisant ainsi découvrir aux artistes africains l'art européen, tout comme ceux d'Europe avaient découvert l'art de l'Afrique. L'héritage artistique en Afrique est bien sûr séculaire, certains chercheurs ont même prouvé la primauté artistique de la civilisation africaine. C'est le cas de Théophile Obenga, qui écrit ‘Le continent africain est le premier foyer artistique du monde’ (‘Renaissance scientifique de l'Afrique’, dans la revue Diaspora, 1er trimestre 1994, p. 7).
Il s'agit ici de faire un bilan artistique du Sénégal au moment de l'indépendance, et de voir comment se portait la création plastique à cette heure. Le Sénégal était à majorité musulmane (95 %) en 1960. Pour cela, on impute souvent la disparition des arts plastiques au Sénégal à l'iconoclasme de cette religion. La réalité est plus complexe, puisque l'art au Sénégal avant l'indépendance n'était en fait guère développé.
L'Islam a bouleversé l'histoire culturelle du Sénégal, combattant l'animisme, et donc toutes les coutumes s'y rapportant comme l'idolâtrie et certaines cérémonies rituelles. Mais elle a aussi, dans certains cas, incorporé ces rites, changeant simplement leur but. Et bien que les divergences ethniques se soient rassemblées sous la bannière de l'Islam, elles restent néanmoins très marquées par les différences de langues et de traditions.
Anne Jean-Bart dans l'Anthologie des arts plastiques au Sénégal insiste sur l'existence d'une connaissance limitée de l'histoire des arts plastiques. Cela est dû aux recherches incomplètes et à la nature périssable des matériaux (bois). La richesse potentielle dans le domaine des arts plastiques paraît plus limitée au Sénégal que pour les pays voisins.
Et malgré tout, les recherches effectuées au Sénégal ont permis de trouver de nombreuses traces de formes d'art. On peut aussi noter la subsistance de certaines formes d'artisanat utilitaire en bois de la caste des Laobés (caste des tailleurs de bois), le batik, la céramique. El Hadj Sy écrit, dans l'Anthologie des arts plastiques contemporains au Sénégal (Frankfurt am Main 1989, p. 155), que ‘l'essor de l'argile est traditionnel au Sénégal’ citant les ‘poteries de la région de Khombole’ et la ‘diversité des canaris’, des jarres traditionnelles.
En réalité, à l'heure de l'indépendance, la seule pratique artistique importante au Sénégal est la technique de la peinture sous-verre, communément appelée ‘souvère’. La technique des ‘souvères’ tire ses origines d'un brassage des cultures et des relations commerciales entretenues entre le Sénégal et le Maghreb, à l'heure de la création des grandes villes d'influence telle que Dakar. Ces peintures s'apparentent à la vie urbaine et font désormais de la culture sénégalaise, tout comme la décoration des minibus servant de transports en commun et plus communément appelés ‘car rapides’. Ces sujets sont populaires, portraits, sujets religieux, politiques, humoristiques et héros mythiques de l'histoire sénégalaise. Ce dernier sujet, symbole d'affirmation, explique son émergence et son succès durant la période coloniale. C'est pourquoi, il n'est pas tout à fait exact de dénoncer l'iconoclasme religieux de l'Islam, puisque, justement ce pays a toujours cultivé la représentation des chefs et des faits religieux. Il semblerait que ‘les premiers peintres sous-verre en Afrique de l'Ouest étaient des calligraphes et des enlumineurs du Coran’. Cette tradition se retrouve désormais aussi dans les représentations des marabouts des différentes confréries, mêlant images et photographies, que les Sénégalais accrochent à leur mur et même autour du cou.
L'Islam limite pourtant quelques formes de production artistique. Par exemple, la sculpture sur bois est interdite dans quelques endroits du pays, Abdoulaye Bathily affirme que l’Islam a eu un impact négatif sur l'héritage africain traditionnel (cf. Tracy D. Snipe, Arts and Politics in Senegal 1960-1996) Africa World, Press, Trenton 1998, p. 90).
Mais cette forme de peinture, très figurative va à l'encontre des caractéristiques de l'esthétique négro-africaine selon Senghor. Elle est néanmoins la forme d'art plastique la plus connue à l'heure de l'indépendance au Sénégal. C'est pourquoi, il faut aussi imputer l'absence de traditions plastiques au Sénégal à la colonisation. Le peintre sénégalais Iba Ndiaye décrit très bien l'état dans lequel se trouvait le monde artistique sénégalais à l'indépendance.
En ce qui concerne les infrastructures, le pays possède quelques lieux de culture : le théâtre du palais et la maison des arts depuis 1959, ainsi que l'Institut Fondamental d'Afrique Noire (Ifan) crée en 1936.
Dès son arrivée au pouvoir, L. S. Senghor met en place des administrations et des textes de loi devant servir la nouvelle politique culturelle. Il organise le premier festival mondial des arts nègres en 1966. En juillet-août 1969 à Alger est organisé le premier festival panafricain. Certains déclarent en parlant de la manifestation d'Alger qu'il s'agit d'un ‘contre festival’ des arts nègres, énonçant la critique incessante faite à la Négritude durant les diverses interventions et notamment celle de Stanislas Spero Adotevi, auteur de Nègres et négrologie.
Le Festival des arts et des cultures negro-africaines (Festac) organisé à Lagos au Nigeria en 1977 n'a pas eu un grand succès. Dans le domaine des infrastructures, Senghor a créé le Musée Dynamique qu'il a inauguré le 31 mars 1966.
Il doit son nom de Musée Dynamique à cette volonté étatique de faire évoluer, tout comme le souhaitait Malraux, l'ancienne vision muséographique faisant des objets d'art, des ‘reliques’ du passé à contempler plus qu'à interpréter. Sa transformation en Cour suprême par le régime d'Abdou Diouf est une erreur monumentale.
Senghor a créé l'Ecole des Arts, la Manufacture de tapisserie de Thiès. Il a institué en 1973 au Musée Dynamique le Salon des Artistes et organisé des expositions d'art à l'étranger.
Selon les critiques de Senghor, c'est sa formation française qui l'a poussé à ne se soucier que des problèmes culturels avant de se soucier des ‘vrais’ problèmes, ceux qui préoccupent la population sénégalaise, comme l'économie. On reproche à Senghor de n'avoir été qu'un penseur, plutôt qu'un homme d'action.
Enfin, dans ses choix pour le développement des arts au Sénégal, voulant créer une unité nationale forte, Senghor s'est inspiré d'une idée d'Afrique dans sa généralité, des caractéristiques de l'homme noir dans ses généralités, sans prendre en compte les particularités des ethnies ou des différentes cultures du Sénégal, anciennes ou modernes. Il n'a pas pris en compte ce que l'on appelle l'art populaire, qui était en fait le seul art plastique existant au Sénégal à l'indépendance comme les ‘souvères’.
Mais c'est davantage sa conception de l'homme noir qui est remise en cause. On dénonce ses théories anthropologiques sur les caractéristiques ‘typiquement’ négro-africaines : l'émotivité, la religiosité, la potentialité créatrice. Ce sont des ouvrages d'idéologues racistes comme Gobineau, dont s'inspireront les nazis, qui ont inspiré ces théories à Senghor.
Si Senghor s'est intéressé à l'esthétique négro-africaine, il a utilisé tous les moyens de l'Etat sénégalais (avion présidentiel, ambassades, ministère de la culture, etc) pour assurer son prestige personnel et imposer ses propres conceptions culturelles à l'ensemble du pays.
Amady Aly DIENG
Source: walffad
(M)
A travers ses conceptions sur l'esthétique sur l'art africain et la Négritude, et ses différents projets politiques, le ‘président-poète’ a fait de cette époque ‘l'âge d'or’ de l'art contemporain au Sénégal.
A l'époque où L. S. Senghor débarque à Paris, la France connaît l'apogée de son idéologie colonialiste, et en 1931 a lieu à Paris, la plus grande exposition coloniale jamais réalisée sur son sol. A la fin du XIXe siècle, l'empire colonial français comprend une partie importante de l'Afrique, de l'Asie, des Antilles, de l'Amérique, et d'Océanie.
Les peuples colonisés sont clairement représentés comme inférieurs et redevables à la France, de sa ‘mission civilisatrice’. L'exposition est un succès incontestable et sans précédent avec 34 millions de visiteurs en 6 mois d'ouverture.
L'unanimité de l'opinion à l'égard de l'exposition coloniale de 1931 est frappante de l'extrême droite à la gauche et relayée par la presse. Malgré tout, même si elle est minime, la contestation qu'elle suscite mérite une certaine attention, car elle fut sûrement significative pour le jeune étudiant L. S. Senghor baignant dans un milieu culturel bouillonnant.
Cette contestation vient des artistes : écrivains, poètes, peintres. Un groupe de surréalistes composé entre autres de Breton, Aragon, Eluard, Char, Tanguy décident d'agir en publiant un pamphlet intitulé ‘Ne visitez pas l'exposition coloniale’. Ils y dénoncent l'exploitation des peuples des colonies, notamment le travail forcé auquel l'exposition ne fait jamais référence, sous couvert de ‘mission colonisatrice’. Aragon écrit même un poème intitulé ‘Il pleut sur l'exposition coloniale’. Et la ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale, à tendance communiste, accompagnée de surréalistes réalise une ‘contre-expo’ dans l'ancien pavillon constructiviste des Soviets datant de l'exposition des arts déco de 1925. Les étudiants issus des colonies font entendre une contestation timide. La ligue de défense de la race Nègre, du syndicaliste sénégalais, Lamine Senghor, appelle africains et antillais à boycotter le ‘zoo mercantile pour Neg-y- a bon’.
La contestation vient de l'avant-garde et, malgré ses balbutiements, les revendications qu'entraîne l'exposition coloniale sont le témoin de l'enthousiasme malsain mais réel pour les cultures non-européennes. Le Paris des années 30, où évolue le jeune Senghor, est épris d'exotisme.
L'illustration principale étant la révolution artistique introduite pour Picasso et sa découverte de l'art nègre dans sa célèbre toile Les Demoiselles d'Avignon. Mais il faut aussi citer les toiles de Derain, Vlaminck, les poèmes d'Apollinaire, et les romans de Gide, que Pompidou fait découvrir à Senghor : Voyage au Congo, Retour du Tchad, ainsi que les travaux d'anthropologues. On reprochera souvent à Senghor son faible pour la France ‘Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait ses occupants et m'impose l'occupation si gravement (...).
Car j'ai une faiblesse pour la France’ (Hosties noires). Abdou Sylla qualifie Senghor de ‘premier critique d'art de l'Afrique noire francophone’ (Ethiopiques n° 69, 2e semestre 2002, p. 232).
Selon le poète sénégalais, l'art négro-africain a quatre principales caractéristiques : l'image symbole, le rythme, sous la forme de répétition de formes, de lignes, de couleurs, le but mystique et la spiritualité, la fonctionnalité au service de la collectivité.
Aussi ces caractéristiques sont régies par trois mouvements qu'il nomme l'‘essentialisation, le vitalisme et l'interdépendance’.
C'est cette esthétique que la civilisation négro-africaine a à offrir, conformément à la vision universaliste de L. S. Senghor, selon laquelle chaque civilisation a sa contribution à fournir dans la création d'une civilisation mondiale. ‘Le peuple juif a apporté le message de la Bible, le peuple arabe le message du Coran. Quant à nous, Noirs, le message de l'Art Nègre’ (Mohammed Aziza - La Poésie de l'action Stock 1980, p. 284).
Pour L. S. Senghor, l'art moderne doit se détacher de son désir de mimétisme, vis-à-vis de la nature pour connaître la ‘nature intime’ de l'homme même, et Picasso est un exemple. D'autant plus qu'il représente l'enracinement, cher à Senghor dans son ‘ethnicité’ andalouse. Le poète sénégalais rend hommage à Pablo Picasso et à l'Ecole de Paris dans son ensemble.
Les liens tissés tout au long des années avec les artistes de l'Ecole de Paris, et de grandes personnalités de la peinture comme Chagall ou Picasso, lui permettront lors de sa présidence de la République du Sénégal, d'exposer les grands dans son pays ; faisant ainsi découvrir aux artistes africains l'art européen, tout comme ceux d'Europe avaient découvert l'art de l'Afrique. L'héritage artistique en Afrique est bien sûr séculaire, certains chercheurs ont même prouvé la primauté artistique de la civilisation africaine. C'est le cas de Théophile Obenga, qui écrit ‘Le continent africain est le premier foyer artistique du monde’ (‘Renaissance scientifique de l'Afrique’, dans la revue Diaspora, 1er trimestre 1994, p. 7).
Il s'agit ici de faire un bilan artistique du Sénégal au moment de l'indépendance, et de voir comment se portait la création plastique à cette heure. Le Sénégal était à majorité musulmane (95 %) en 1960. Pour cela, on impute souvent la disparition des arts plastiques au Sénégal à l'iconoclasme de cette religion. La réalité est plus complexe, puisque l'art au Sénégal avant l'indépendance n'était en fait guère développé.
L'Islam a bouleversé l'histoire culturelle du Sénégal, combattant l'animisme, et donc toutes les coutumes s'y rapportant comme l'idolâtrie et certaines cérémonies rituelles. Mais elle a aussi, dans certains cas, incorporé ces rites, changeant simplement leur but. Et bien que les divergences ethniques se soient rassemblées sous la bannière de l'Islam, elles restent néanmoins très marquées par les différences de langues et de traditions.
Anne Jean-Bart dans l'Anthologie des arts plastiques au Sénégal insiste sur l'existence d'une connaissance limitée de l'histoire des arts plastiques. Cela est dû aux recherches incomplètes et à la nature périssable des matériaux (bois). La richesse potentielle dans le domaine des arts plastiques paraît plus limitée au Sénégal que pour les pays voisins.
Et malgré tout, les recherches effectuées au Sénégal ont permis de trouver de nombreuses traces de formes d'art. On peut aussi noter la subsistance de certaines formes d'artisanat utilitaire en bois de la caste des Laobés (caste des tailleurs de bois), le batik, la céramique. El Hadj Sy écrit, dans l'Anthologie des arts plastiques contemporains au Sénégal (Frankfurt am Main 1989, p. 155), que ‘l'essor de l'argile est traditionnel au Sénégal’ citant les ‘poteries de la région de Khombole’ et la ‘diversité des canaris’, des jarres traditionnelles.
En réalité, à l'heure de l'indépendance, la seule pratique artistique importante au Sénégal est la technique de la peinture sous-verre, communément appelée ‘souvère’. La technique des ‘souvères’ tire ses origines d'un brassage des cultures et des relations commerciales entretenues entre le Sénégal et le Maghreb, à l'heure de la création des grandes villes d'influence telle que Dakar. Ces peintures s'apparentent à la vie urbaine et font désormais de la culture sénégalaise, tout comme la décoration des minibus servant de transports en commun et plus communément appelés ‘car rapides’. Ces sujets sont populaires, portraits, sujets religieux, politiques, humoristiques et héros mythiques de l'histoire sénégalaise. Ce dernier sujet, symbole d'affirmation, explique son émergence et son succès durant la période coloniale. C'est pourquoi, il n'est pas tout à fait exact de dénoncer l'iconoclasme religieux de l'Islam, puisque, justement ce pays a toujours cultivé la représentation des chefs et des faits religieux. Il semblerait que ‘les premiers peintres sous-verre en Afrique de l'Ouest étaient des calligraphes et des enlumineurs du Coran’. Cette tradition se retrouve désormais aussi dans les représentations des marabouts des différentes confréries, mêlant images et photographies, que les Sénégalais accrochent à leur mur et même autour du cou.
L'Islam limite pourtant quelques formes de production artistique. Par exemple, la sculpture sur bois est interdite dans quelques endroits du pays, Abdoulaye Bathily affirme que l’Islam a eu un impact négatif sur l'héritage africain traditionnel (cf. Tracy D. Snipe, Arts and Politics in Senegal 1960-1996) Africa World, Press, Trenton 1998, p. 90).
Mais cette forme de peinture, très figurative va à l'encontre des caractéristiques de l'esthétique négro-africaine selon Senghor. Elle est néanmoins la forme d'art plastique la plus connue à l'heure de l'indépendance au Sénégal. C'est pourquoi, il faut aussi imputer l'absence de traditions plastiques au Sénégal à la colonisation. Le peintre sénégalais Iba Ndiaye décrit très bien l'état dans lequel se trouvait le monde artistique sénégalais à l'indépendance.
En ce qui concerne les infrastructures, le pays possède quelques lieux de culture : le théâtre du palais et la maison des arts depuis 1959, ainsi que l'Institut Fondamental d'Afrique Noire (Ifan) crée en 1936.
Dès son arrivée au pouvoir, L. S. Senghor met en place des administrations et des textes de loi devant servir la nouvelle politique culturelle. Il organise le premier festival mondial des arts nègres en 1966. En juillet-août 1969 à Alger est organisé le premier festival panafricain. Certains déclarent en parlant de la manifestation d'Alger qu'il s'agit d'un ‘contre festival’ des arts nègres, énonçant la critique incessante faite à la Négritude durant les diverses interventions et notamment celle de Stanislas Spero Adotevi, auteur de Nègres et négrologie.
Le Festival des arts et des cultures negro-africaines (Festac) organisé à Lagos au Nigeria en 1977 n'a pas eu un grand succès. Dans le domaine des infrastructures, Senghor a créé le Musée Dynamique qu'il a inauguré le 31 mars 1966.
Il doit son nom de Musée Dynamique à cette volonté étatique de faire évoluer, tout comme le souhaitait Malraux, l'ancienne vision muséographique faisant des objets d'art, des ‘reliques’ du passé à contempler plus qu'à interpréter. Sa transformation en Cour suprême par le régime d'Abdou Diouf est une erreur monumentale.
Senghor a créé l'Ecole des Arts, la Manufacture de tapisserie de Thiès. Il a institué en 1973 au Musée Dynamique le Salon des Artistes et organisé des expositions d'art à l'étranger.
Selon les critiques de Senghor, c'est sa formation française qui l'a poussé à ne se soucier que des problèmes culturels avant de se soucier des ‘vrais’ problèmes, ceux qui préoccupent la population sénégalaise, comme l'économie. On reproche à Senghor de n'avoir été qu'un penseur, plutôt qu'un homme d'action.
Enfin, dans ses choix pour le développement des arts au Sénégal, voulant créer une unité nationale forte, Senghor s'est inspiré d'une idée d'Afrique dans sa généralité, des caractéristiques de l'homme noir dans ses généralités, sans prendre en compte les particularités des ethnies ou des différentes cultures du Sénégal, anciennes ou modernes. Il n'a pas pris en compte ce que l'on appelle l'art populaire, qui était en fait le seul art plastique existant au Sénégal à l'indépendance comme les ‘souvères’.
Mais c'est davantage sa conception de l'homme noir qui est remise en cause. On dénonce ses théories anthropologiques sur les caractéristiques ‘typiquement’ négro-africaines : l'émotivité, la religiosité, la potentialité créatrice. Ce sont des ouvrages d'idéologues racistes comme Gobineau, dont s'inspireront les nazis, qui ont inspiré ces théories à Senghor.
Si Senghor s'est intéressé à l'esthétique négro-africaine, il a utilisé tous les moyens de l'Etat sénégalais (avion présidentiel, ambassades, ministère de la culture, etc) pour assurer son prestige personnel et imposer ses propres conceptions culturelles à l'ensemble du pays.
Amady Aly DIENG
Source: walffad
(M)