Le capitaine Traoré assume sa politique répressive à l’égard de ceux qui osent critiquer ou s’intéresser de trop près à l’action des forces armées.
Porté disparu depuis le 1er décembre, Daouda Diallo, lauréat 2022 du prix Martin-Ennals pour les défenseurs des droits humains, est réapparu trois jours plus tard en photo sur les réseaux sociaux, habillé d’un treillis, casqué, kalachnikov à la main. Le cliché de ce militant, connu pour ses dénonciations des abus commis dans le cadre de la lutte antiterroriste, a choqué les ONG, les diplomates et une partie de l’opinion publique au Burkina Faso. L’intention de cette publication paraît évidente : intimider toute voix critique de la politique sécuritaire menée par la junte dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré.
Vendredi 1er décembre, Daouda Diallo avait été prié par un agent du service en charge des passeports à Ouagadougou de venir rencontrer le commissaire. A l’issue du rendez-vous, devant le bâtiment administratif, il avait été « interpellé par des individus en tenue civile et au physique imposant (…) et conduit vers une destination inconnue », s’inquiétait son ONG, le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) dans un communiqué publié le même jour.
Daouda Diallo faisait partie de la dizaine de Burkinabés à figurer sur une liste de personnes à enrôler de force, qui a circulé début novembre. Sur celle-ci se trouve notamment le nom de l’ancien chef de la diplomatie Ablassé Ouédraogo, 70 ans, de deux journalistes et de deux membres de l’association Le Balai citoyen, selon leurs avocats, qui ont saisi la justice. Tous ont pour point commun d’avoir exprimé ou voulu exposer une opinion critique sur la politique menée par les putschistes au pouvoir.
Mercredi 6 décembre, le tribunal administratif de Ouagadougou a jugé que ces enrôlements forcés, effectués dans le cadre de la « mobilisation générale » décrétée en avril « en vue de défendre l’intégrité du territoire », étaient illégaux.
Politiques, lanceurs d’alerte, imams, hommes d’affaires
Malgré cette décision judiciaire, Daouda Diallo n’a pas été libéré et les autres Burkinabés réquisitionnés comme lui, vivants dans la clandestinité ou ayant fui le pays par crainte d’être à leur tour enlevés et envoyés de force combattre les groupes djihadistes, se gardent de crier victoire. « Nous avons eu gain de cause mais nous leur avons dit de rester discrets, glisse un membre du Balai citoyen. Nous nous méfions car nous avons face à nous un régime qui ne respecte rien, pas même les décisions de justice. »
Le 6 novembre, le même tribunal avait déjà jugé « manifestement illégal et constitutif d’une grave atteinte à la liberté d’aller et de venir l’enlèvement de Kambou Sansan Anselme par des agents de l’ANR [Agence nationale de renseignement] » un mois et demi plus tôt. Le juge avait ordonné sa libération immédiate. En vain. L’homme d’affaires n’est toujours pas réapparu.
Selon les sources du Monde, plus d’une dizaine de Burkinabés – politiques, lanceurs d’alerte, imams, hommes d’affaires – ont disparu depuis fin mars après avoir été enlevés par des hommes en civil, parfois cagoulés, se réclamant le plus souvent des forces de défense et de sécurité. Cinq d’entre eux ont été envoyés au front, à l’instar de Daouda Diallo.
Ce dernier confiait en mars se sentir menacé après avoir dénoncé les « exécutions extrajudiciaires » dont se sont rendus responsables les volontaires pour la défense de la patrie (VDP), les supplétifs de l’armée, dans la guerre contre les djihadistes. « Ces réquisitions sont utilisées par le régime pour cibler les voix dissidentes et les réduire au silence. C’est une manière pour le gouvernement de dire à tout le monde : voilà ce qui vous arrivera si vous critiquez le régime », dénonce Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty International.
Peur de témoigner
Le capitaine Traoré assume sa politique répressive à l’égard de ceux qui osent critiquer ou s’intéresser de trop près à l’action des forces armées. Fin mars, à l’occasion d’un déplacement à Kaya, au centre-nord du pays, il avait annoncé avoir « engagé immédiatement » comme VDP Boukaré Ouédraogo, le président d’une association qui l’avait interpellé sur sa politique sécuritaire. « Celui-là est un exemple. Les autres suivront dans les jours à venir. Tous ceux qui pensent qu’ils sont cachés à l’intérieur comme à l’extérieur, qui continuent d’informer, de communiquer pour l’ennemi, vont le payer », avait menacé le président de la transition.
Embarqué de force, M. Ouédraogo, malvoyant, était réapparu quelques jours plus tard sur les réseaux sociaux. Lunettes noires sur le nez, vêtu d’un treillis et une kalachnikov en main, il s’excusait face caméra « auprès du président du Faso », avant de le « remercier pour l’opportunité offerte ». Il a été libéré en mai et ne se montre plus critique depuis.
La peur de témoigner a depuis gagné l’ensemble des voix discordantes du Burkina Faso. « On est dans un régime tyrannique. On m’a menacé en ligne, par téléphone, en me traitant d’ennemi de la nation, de pro-terroriste, d’apatride », glisse Ladji Bama. Le nom de ce journaliste qui publie des articles sur la situation sécuritaire faisait partie de la liste des « réquisitionnés » début novembre. A l’étranger à ce moment-là, il n’ose pas depuis rentrer dans son pays. « A quoi bon se jeter dans la gueule du loup ? », précise-t-il.
Fin octobre, Ladji Bama avait dénoncé sur sa page Facebook les vidéos montrant des partisans de la junte aiguiser des machettes et appelant à tuer les participants d’une réunion que comptaient organiser des acteurs de la société civile. « Le gouvernement n’a pas publié un seul communiqué pour condamner cela et personne n’a été arrêté. Comment un pouvoir sérieux peut laisser ses partisans menacer des citoyens de mort avec des machettes ? », s’indigne Ladji Bama.
Contacté, le gouvernement comme la direction de la communication de l’armée n’a pas souhaité répondre aux sollicitations du Monde. « On a suspendu votre journal donc je n’ai rien à vous dire », objecte un officiel. Suite à la publication d’un article autour de la bataille de Djibo, le 1er décembre, Le Monde a en effet été interdit au Burkina Faso, comme RFI, France 24, LCI et Jeune Afrique avant lui.
Morgane Le Cam
Source : Le Monde
Porté disparu depuis le 1er décembre, Daouda Diallo, lauréat 2022 du prix Martin-Ennals pour les défenseurs des droits humains, est réapparu trois jours plus tard en photo sur les réseaux sociaux, habillé d’un treillis, casqué, kalachnikov à la main. Le cliché de ce militant, connu pour ses dénonciations des abus commis dans le cadre de la lutte antiterroriste, a choqué les ONG, les diplomates et une partie de l’opinion publique au Burkina Faso. L’intention de cette publication paraît évidente : intimider toute voix critique de la politique sécuritaire menée par la junte dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré.
Vendredi 1er décembre, Daouda Diallo avait été prié par un agent du service en charge des passeports à Ouagadougou de venir rencontrer le commissaire. A l’issue du rendez-vous, devant le bâtiment administratif, il avait été « interpellé par des individus en tenue civile et au physique imposant (…) et conduit vers une destination inconnue », s’inquiétait son ONG, le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) dans un communiqué publié le même jour.
Daouda Diallo faisait partie de la dizaine de Burkinabés à figurer sur une liste de personnes à enrôler de force, qui a circulé début novembre. Sur celle-ci se trouve notamment le nom de l’ancien chef de la diplomatie Ablassé Ouédraogo, 70 ans, de deux journalistes et de deux membres de l’association Le Balai citoyen, selon leurs avocats, qui ont saisi la justice. Tous ont pour point commun d’avoir exprimé ou voulu exposer une opinion critique sur la politique menée par les putschistes au pouvoir.
Mercredi 6 décembre, le tribunal administratif de Ouagadougou a jugé que ces enrôlements forcés, effectués dans le cadre de la « mobilisation générale » décrétée en avril « en vue de défendre l’intégrité du territoire », étaient illégaux.
Politiques, lanceurs d’alerte, imams, hommes d’affaires
Malgré cette décision judiciaire, Daouda Diallo n’a pas été libéré et les autres Burkinabés réquisitionnés comme lui, vivants dans la clandestinité ou ayant fui le pays par crainte d’être à leur tour enlevés et envoyés de force combattre les groupes djihadistes, se gardent de crier victoire. « Nous avons eu gain de cause mais nous leur avons dit de rester discrets, glisse un membre du Balai citoyen. Nous nous méfions car nous avons face à nous un régime qui ne respecte rien, pas même les décisions de justice. »
Le 6 novembre, le même tribunal avait déjà jugé « manifestement illégal et constitutif d’une grave atteinte à la liberté d’aller et de venir l’enlèvement de Kambou Sansan Anselme par des agents de l’ANR [Agence nationale de renseignement] » un mois et demi plus tôt. Le juge avait ordonné sa libération immédiate. En vain. L’homme d’affaires n’est toujours pas réapparu.
Selon les sources du Monde, plus d’une dizaine de Burkinabés – politiques, lanceurs d’alerte, imams, hommes d’affaires – ont disparu depuis fin mars après avoir été enlevés par des hommes en civil, parfois cagoulés, se réclamant le plus souvent des forces de défense et de sécurité. Cinq d’entre eux ont été envoyés au front, à l’instar de Daouda Diallo.
Ce dernier confiait en mars se sentir menacé après avoir dénoncé les « exécutions extrajudiciaires » dont se sont rendus responsables les volontaires pour la défense de la patrie (VDP), les supplétifs de l’armée, dans la guerre contre les djihadistes. « Ces réquisitions sont utilisées par le régime pour cibler les voix dissidentes et les réduire au silence. C’est une manière pour le gouvernement de dire à tout le monde : voilà ce qui vous arrivera si vous critiquez le régime », dénonce Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty International.
Peur de témoigner
Le capitaine Traoré assume sa politique répressive à l’égard de ceux qui osent critiquer ou s’intéresser de trop près à l’action des forces armées. Fin mars, à l’occasion d’un déplacement à Kaya, au centre-nord du pays, il avait annoncé avoir « engagé immédiatement » comme VDP Boukaré Ouédraogo, le président d’une association qui l’avait interpellé sur sa politique sécuritaire. « Celui-là est un exemple. Les autres suivront dans les jours à venir. Tous ceux qui pensent qu’ils sont cachés à l’intérieur comme à l’extérieur, qui continuent d’informer, de communiquer pour l’ennemi, vont le payer », avait menacé le président de la transition.
Embarqué de force, M. Ouédraogo, malvoyant, était réapparu quelques jours plus tard sur les réseaux sociaux. Lunettes noires sur le nez, vêtu d’un treillis et une kalachnikov en main, il s’excusait face caméra « auprès du président du Faso », avant de le « remercier pour l’opportunité offerte ». Il a été libéré en mai et ne se montre plus critique depuis.
La peur de témoigner a depuis gagné l’ensemble des voix discordantes du Burkina Faso. « On est dans un régime tyrannique. On m’a menacé en ligne, par téléphone, en me traitant d’ennemi de la nation, de pro-terroriste, d’apatride », glisse Ladji Bama. Le nom de ce journaliste qui publie des articles sur la situation sécuritaire faisait partie de la liste des « réquisitionnés » début novembre. A l’étranger à ce moment-là, il n’ose pas depuis rentrer dans son pays. « A quoi bon se jeter dans la gueule du loup ? », précise-t-il.
Fin octobre, Ladji Bama avait dénoncé sur sa page Facebook les vidéos montrant des partisans de la junte aiguiser des machettes et appelant à tuer les participants d’une réunion que comptaient organiser des acteurs de la société civile. « Le gouvernement n’a pas publié un seul communiqué pour condamner cela et personne n’a été arrêté. Comment un pouvoir sérieux peut laisser ses partisans menacer des citoyens de mort avec des machettes ? », s’indigne Ladji Bama.
Contacté, le gouvernement comme la direction de la communication de l’armée n’a pas souhaité répondre aux sollicitations du Monde. « On a suspendu votre journal donc je n’ai rien à vous dire », objecte un officiel. Suite à la publication d’un article autour de la bataille de Djibo, le 1er décembre, Le Monde a en effet été interdit au Burkina Faso, comme RFI, France 24, LCI et Jeune Afrique avant lui.
Morgane Le Cam
Source : Le Monde