En Mauritanie, le cadre de vie ressemble encore à ce qu'il était il y a des siècles dans la péninsule d'Arabie : mêmes déserts de sable, même chaleur, même rusticité des modes de vie, même importance du chameau. De même, les Mauritaniens restent fidèles aux canons de la beauté féminine tels qu'ils étaient proclamés par les poètes préislamiques comme Amr Ibn Kulthum dans sa fameuse ode aux femmes bien en chair, aux derrières tellement énormes qu'elles pouvaient à peine se lever ou travailler, si opulentes qu'elles ne passaient pas la porte.
C'est ce genre de femmes que chantent encore aujourd'hui les poètes mauritaniens. A mesure qu'elles grossissent et développent leurs derrières, elles prennent de la valeur aux yeux des hommes du désert. Et, du côté des femmes, les grosses se vantent de leurs formes tandis que les maigres font honte à leurs familles, qui passent pour des avares cherchant à faire des économies sur la nourriture des enfants. Certes, le développement des villes change les modes de vie, surtout parmi les jeunes, mais pas forcément au détriment de cet idéal de beauté. Certaines filles ont simplement adopté de nouveaux moyens pour accumuler de la graisse et prennent des hormones ou certains médicaments, parfois à des doses de cheval. Et cela malgré les mises en garde des médecins et les nombreuses morts provoquées par ces pratiques.
Selon une enquête du ministère de la Femme, 76 % des personnes interrogées, hommes et femmes confondus, admettent que l'obésité est dangereuse pour la santé et peut être un handicap pour trouver du travail. De même, les trois quarts des familles affirment ne pas vouloir pratiquer le gavage de leurs futures filles. Il n'empêche que deux femmes sur cinq pensent qu'une grosse est plus jolie qu'une maigre et que, parmi les hommes, 55 % préfèrent les grosses.
Selon Abdallah, enseignant et célibataire, une femme maigre ressemble à un oiseau de mauvais augure et évoque des temps de vaches maigres. Pour Mohamed, professeur de littérature arabe, "aucun homme, quel qu'il soit, ne peut cacher son admiration devant une grosse femme. Elle embellira le foyer et en signera le bien-être. Quant aux maigres, on peut sentir leurs os comme s'il s'agissait d'hommes déguisés en femmes." Fatima, elle, a 18 ans, est née en ville et n'a jamais été poussée à s'engraisser. Elle confie pourtant qu'elle ne peut s'empêcher d'admirer certaines de ses copines bien en chair. Zaynab a 40 ans et est mère de trois filles. Elle a été soumise au gavage durant son enfance et est convaincue de la nécessité pour une femme d'être grosse pour être belle, trouver un mari et être respectée. "Mais j'ai entendu à la radio des médecins parler des risques pour la santé. Je ne vais donc pas exagérer dans le gavage de mes filles. En même temps, je ne voudrais pas qu'elles soient maigres. Je les force donc un peu, parfois, à manger certains plats ou à boire beaucoup de lait caillé, pour qu'elles aient une ligne raisonnable."
C'est en raison de cet idéal de beauté qu'on pratiquait le gavage. Il existait même des artisans en la matière, de véritables spécialistes, comme Khansa, sexagénaire, qui ne sait ni lire ni écrire, mais qui excellait dans cet art qu'elle tenait de sa mère, réputée pour avoir gavé les filles de plusieurs chefs tribaux et notables religieux. Elle raconte comment on soumettait les filles à un régime très strict, basé essentiellement sur l'ingurgitation d'énormes quantités de lait caillé. "Je les réveillais de bonne heure et les forçais à boire trois litres de lait chacune. Ensuite, toutes les deux heures, elles devaient boire environ deux litres de lait. Et absorber des kilos de riz, de viande ou d'autres repas solides. Enfin, avant de se coucher, elles devaient encore boire cinq litres en une heure maximum. Je les y forçais, physiquement. Et pendant toute la période, elles n'avaient pas le droit de sortir pour jouer, ni de voir le soleil, afin de ne pas dilapider le résultat de ces efforts. Les filles qu'on m'envoyait avaient entre 6 et 10 ans, voire parfois plus de 20. Mais tout cela, c'était au temps où l'on avait encore le bon goût d'apprécier les formes généreuses", explique-t-elle.
Repère
La Mauritanie, pays saharien et trait d'union entre l'Afrique du Maghreb et l'Afrique noire, a été durement frappée par l'arrêt brutal des activités touristiques suite aux attentats islamistes qui ont notamment coûté la vie à 4 voyageurs français, en décembre 2007. Arrêtés, les auteurs présumés (dont l'un s'est évadé en début de semaine à Nouakchott, la capitale, provoquant une fusillade et 2 morts entre l'armée et des islamistes) seraient membres d'Al-Qaida. Ces attentats ont également entraîné l'annulation du Paris-Dakar, qui devait traverser le pays. Depuis une dizaine d'années, le tourisme dans le désert permettait à une population pauvre, surtout dans les régions enclavées comme l'Adrar, de bénéficier de nouvelles ressources. Par solidarité avec les habitants, une vingtaine de voyagistes ont toutefois maintenu la destination et continué à affréter l'avion qui relie, de novembre à mars, Paris à Atar dans l'Adrar.
Mohamed Ali Al-Maâli
Source: courrierinternational
(M)
C'est ce genre de femmes que chantent encore aujourd'hui les poètes mauritaniens. A mesure qu'elles grossissent et développent leurs derrières, elles prennent de la valeur aux yeux des hommes du désert. Et, du côté des femmes, les grosses se vantent de leurs formes tandis que les maigres font honte à leurs familles, qui passent pour des avares cherchant à faire des économies sur la nourriture des enfants. Certes, le développement des villes change les modes de vie, surtout parmi les jeunes, mais pas forcément au détriment de cet idéal de beauté. Certaines filles ont simplement adopté de nouveaux moyens pour accumuler de la graisse et prennent des hormones ou certains médicaments, parfois à des doses de cheval. Et cela malgré les mises en garde des médecins et les nombreuses morts provoquées par ces pratiques.
Selon une enquête du ministère de la Femme, 76 % des personnes interrogées, hommes et femmes confondus, admettent que l'obésité est dangereuse pour la santé et peut être un handicap pour trouver du travail. De même, les trois quarts des familles affirment ne pas vouloir pratiquer le gavage de leurs futures filles. Il n'empêche que deux femmes sur cinq pensent qu'une grosse est plus jolie qu'une maigre et que, parmi les hommes, 55 % préfèrent les grosses.
Selon Abdallah, enseignant et célibataire, une femme maigre ressemble à un oiseau de mauvais augure et évoque des temps de vaches maigres. Pour Mohamed, professeur de littérature arabe, "aucun homme, quel qu'il soit, ne peut cacher son admiration devant une grosse femme. Elle embellira le foyer et en signera le bien-être. Quant aux maigres, on peut sentir leurs os comme s'il s'agissait d'hommes déguisés en femmes." Fatima, elle, a 18 ans, est née en ville et n'a jamais été poussée à s'engraisser. Elle confie pourtant qu'elle ne peut s'empêcher d'admirer certaines de ses copines bien en chair. Zaynab a 40 ans et est mère de trois filles. Elle a été soumise au gavage durant son enfance et est convaincue de la nécessité pour une femme d'être grosse pour être belle, trouver un mari et être respectée. "Mais j'ai entendu à la radio des médecins parler des risques pour la santé. Je ne vais donc pas exagérer dans le gavage de mes filles. En même temps, je ne voudrais pas qu'elles soient maigres. Je les force donc un peu, parfois, à manger certains plats ou à boire beaucoup de lait caillé, pour qu'elles aient une ligne raisonnable."
C'est en raison de cet idéal de beauté qu'on pratiquait le gavage. Il existait même des artisans en la matière, de véritables spécialistes, comme Khansa, sexagénaire, qui ne sait ni lire ni écrire, mais qui excellait dans cet art qu'elle tenait de sa mère, réputée pour avoir gavé les filles de plusieurs chefs tribaux et notables religieux. Elle raconte comment on soumettait les filles à un régime très strict, basé essentiellement sur l'ingurgitation d'énormes quantités de lait caillé. "Je les réveillais de bonne heure et les forçais à boire trois litres de lait chacune. Ensuite, toutes les deux heures, elles devaient boire environ deux litres de lait. Et absorber des kilos de riz, de viande ou d'autres repas solides. Enfin, avant de se coucher, elles devaient encore boire cinq litres en une heure maximum. Je les y forçais, physiquement. Et pendant toute la période, elles n'avaient pas le droit de sortir pour jouer, ni de voir le soleil, afin de ne pas dilapider le résultat de ces efforts. Les filles qu'on m'envoyait avaient entre 6 et 10 ans, voire parfois plus de 20. Mais tout cela, c'était au temps où l'on avait encore le bon goût d'apprécier les formes généreuses", explique-t-elle.
Repère
La Mauritanie, pays saharien et trait d'union entre l'Afrique du Maghreb et l'Afrique noire, a été durement frappée par l'arrêt brutal des activités touristiques suite aux attentats islamistes qui ont notamment coûté la vie à 4 voyageurs français, en décembre 2007. Arrêtés, les auteurs présumés (dont l'un s'est évadé en début de semaine à Nouakchott, la capitale, provoquant une fusillade et 2 morts entre l'armée et des islamistes) seraient membres d'Al-Qaida. Ces attentats ont également entraîné l'annulation du Paris-Dakar, qui devait traverser le pays. Depuis une dizaine d'années, le tourisme dans le désert permettait à une population pauvre, surtout dans les régions enclavées comme l'Adrar, de bénéficier de nouvelles ressources. Par solidarité avec les habitants, une vingtaine de voyagistes ont toutefois maintenu la destination et continué à affréter l'avion qui relie, de novembre à mars, Paris à Atar dans l'Adrar.
Mohamed Ali Al-Maâli
Source: courrierinternational
(M)