L’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz dont le procès pour détournement de deniers publics et obstruction à la justice est toujours en cours pourrait-il lui aussi bénéficier d’une réhabilitation ? La question mérite d’être posée dans la mesure où presque tout le personnel politique qu’il avait formé, enrichi et sorti du néant se retrouve aujourd’hui autour de son successeur Mohamed Cheikh El Ghazwani. Excepté ses quelques coaccusés, tous les autres ont réussi à se repositionner dans le dispositif du système militaro-politique en place… Comme si de rien n’était, alors que les Mauritaniens attendaient un renouvellement de la classe politique après dix ans de pouvoir personnel et centralisé.
Et comme si les hommes de l’ex-Président n’étaient en rien concernés par les déboires et griefs portés à son encontre. Certains étaient pourtant accusés, comme lui, de détournement de deniers publics et de complicité, d’autres d’avoir roulé pour son troisième mandat. Quasiment tous les inconditionnels qui avaient contribué ou aidé MOAA à « piller » les ressources du pays ont opéré un come-back plus que troublant pour les Mauritaniens.
Voilà que s’estompe tout le tapage orchestré autour de l’ex-Président après la publication du fameux rapport de la commission d’enquête parlementaire de 2020. Laissant de flanc tous les mauritaniens qui avaient cru à une volonté de punir les auteurs de détournements de deniers publics et de mettre fin à l’impunité des « rongeurs ». Quel désenchantement, chaque jour que Dieu fait, depuis 2019 !La commission parlementaire a mis à nu un véritable système de pillage à ciel ouvert, renforcé par un clientélisme sans commune mesure. Comme on le voit ou imagine, un tel dispositif reposait forcément sur de multiples complicités. Ould Abdel Aziz ne pouvait pas orchestrer seul ces détournements.
Ces actes méritaient d’être sévèrement sanctionnés et c’est ce que l’on attendait du président de la République. La commission a révélé les dessous d’une sorte de mafia qui a gouverné le pays dix ans durant. Le gouverne bien au-delà ? Les complices de « la » décennie proviennent de toutes nos institutions. Et s’il faut s’évertuer à en protéger certaines, on comprend surtout la difficulté du successeur de MOAA à scier la branche sur laquelle le système régentant le pays est bâti : tribalisme, clientélisme, régionalisme, népotisme, trafic d’influence des corporations militaires et sécuritaires…
Avec le recyclage de ses anciens collaborateurs, Ould Abdel Aziz peut ainsi se conforter dans sa posture de victime d’un règlement de comptes. Ses hommes de mission ou ses complices sont réhabilités à la pelle, chaque jour que Dieu fait. Ould Ghazwani ne peut-il donc pas se passer des fossiles du système qui le cernent de partout ? Penserait-il vraiment qu’il n’y a « pas d’autres mauritaniens à promouvoir, à expérimenter et qui s’impatientent à la porte ? » Ou se refuserait-il à les voir, craignant une révolution autrement plus redoutable ?
Certains observateurs avaient émis très tôt leur méfiance, pour ne pas dire scepticisme, lors de la constitution du premier gouvernement et les nominations, au lendemain de l’élection du successeur du tombeur de feu le président Sidi ould Cheikh Abdallahi. Des signes annonciateurs très évidents de ce que le changement se ferait dans la stabilité. Un analyste averti l’avait pourtant bien prédit avant la présidentielle : rien ne va changer, sauf à la tête du pays. Exactement à l’identique, on s’en souvient, de la réflexion lancée par feu Ély ould Mohamed Vall au lendemain du coup de force de 2005. On avait ôté la tête en chassant Ould Taya mais on maintenait intact le système.
Un système qui perdure
C’est donc à quoi l’on est encore en train d’assister avec l’actuel Président ? Ledit analyste nous fit plus tard observer que la commission d’enquête parlementaire, les ennuis de l’ex-Président et de ses proches entraient dans une sorte de « jeu », voire stratégie commune, entre le président sortant et le nouveau. Évoquant un projet à la Poutine-Medvedev, il étayait sa thèse par la très grande proximité entre les deux hommes : ils s’étaient côtoyés au sein de l’armée, avaient gouverné ensemble le pays, dix années durant, et étaient, dans les faits, le fruit du système qui nous dirige depuis 1978.
Mais divers incidents – d’abord de campagne, lorsque Aziz déclara que Ghazwani n’était pas son candidat ; puis à la veille des festivités 2019 de l’Indépendance à Akjoujt ; et enfin, celui de la « référence » de l’ex-UPR – douchèrent cette hypothèse pour la ramener à une sorte de « tragédie commune » entre les deux hommes dont les relations ont vite fini par se dégrader, à l’instar de celles entre Ahidjo et Biya. Mais ces faits écarteraient-ils toute perspective de retrouvailles entre les deux stratèges et, donc, la réhabilitation du premier ?
Ould Abdel Aziz a certes souffert. Aussi humilié qu’il se ressente, avec ses proches, par les accusations portées contre lui et son procès en cours, l’hypothèse d’une conclusion à l’amiable n’en est pas pour autant exclue. Certes celle-ci semble reposer sur une condition de taille, pour ne pas dire monumentale : le consentement de MOAA à reconnaître «sa faute », renonçant à l’immense fortune révélée par la commission d’enquête. Difficilement acceptable, on l’imagine, pour l’ex-Président qui n’a cessé de nier, depuis son départ du Palais, s’être enrichi sur le dos des Mauritaniens, comme beaucoup de ses collaborateurs et proches.
Mais qu’à cela ne tienne ! Ce n’est pas le sort d’une personne qui est ici en jeu mais la survie du système qui profite à tous ceux qui y frétillent. La réhabilitation des hommes que MOAA a sortis de l’ombre, nourris et engraissés pourrait constituer des prémisses à un tel « arrangement ». Aussi difficilement « pliable » qu’il soit, Ould Abdel Aziz préférerait l’air libre de son ranch de Bénichab à celui d’une prison à l’intérieur du pays. Alors, à quelques mois de la présidentielle, les maîtres des horloges prendront-ils les risque d’une telle entreprise ; se décideront-ils à envoyer, avant, l’ex-Président dans un bagne ; ou feront-ils traîner la conclusion du procès – après appel et éventuellement cassation, vice(s) de forme aidant… – au-delà de ladite échéance ?
Dalay Lam
Source : Le Calame - (Le 19 juillet 2023
Et comme si les hommes de l’ex-Président n’étaient en rien concernés par les déboires et griefs portés à son encontre. Certains étaient pourtant accusés, comme lui, de détournement de deniers publics et de complicité, d’autres d’avoir roulé pour son troisième mandat. Quasiment tous les inconditionnels qui avaient contribué ou aidé MOAA à « piller » les ressources du pays ont opéré un come-back plus que troublant pour les Mauritaniens.
Voilà que s’estompe tout le tapage orchestré autour de l’ex-Président après la publication du fameux rapport de la commission d’enquête parlementaire de 2020. Laissant de flanc tous les mauritaniens qui avaient cru à une volonté de punir les auteurs de détournements de deniers publics et de mettre fin à l’impunité des « rongeurs ». Quel désenchantement, chaque jour que Dieu fait, depuis 2019 !La commission parlementaire a mis à nu un véritable système de pillage à ciel ouvert, renforcé par un clientélisme sans commune mesure. Comme on le voit ou imagine, un tel dispositif reposait forcément sur de multiples complicités. Ould Abdel Aziz ne pouvait pas orchestrer seul ces détournements.
Ces actes méritaient d’être sévèrement sanctionnés et c’est ce que l’on attendait du président de la République. La commission a révélé les dessous d’une sorte de mafia qui a gouverné le pays dix ans durant. Le gouverne bien au-delà ? Les complices de « la » décennie proviennent de toutes nos institutions. Et s’il faut s’évertuer à en protéger certaines, on comprend surtout la difficulté du successeur de MOAA à scier la branche sur laquelle le système régentant le pays est bâti : tribalisme, clientélisme, régionalisme, népotisme, trafic d’influence des corporations militaires et sécuritaires…
Avec le recyclage de ses anciens collaborateurs, Ould Abdel Aziz peut ainsi se conforter dans sa posture de victime d’un règlement de comptes. Ses hommes de mission ou ses complices sont réhabilités à la pelle, chaque jour que Dieu fait. Ould Ghazwani ne peut-il donc pas se passer des fossiles du système qui le cernent de partout ? Penserait-il vraiment qu’il n’y a « pas d’autres mauritaniens à promouvoir, à expérimenter et qui s’impatientent à la porte ? » Ou se refuserait-il à les voir, craignant une révolution autrement plus redoutable ?
Certains observateurs avaient émis très tôt leur méfiance, pour ne pas dire scepticisme, lors de la constitution du premier gouvernement et les nominations, au lendemain de l’élection du successeur du tombeur de feu le président Sidi ould Cheikh Abdallahi. Des signes annonciateurs très évidents de ce que le changement se ferait dans la stabilité. Un analyste averti l’avait pourtant bien prédit avant la présidentielle : rien ne va changer, sauf à la tête du pays. Exactement à l’identique, on s’en souvient, de la réflexion lancée par feu Ély ould Mohamed Vall au lendemain du coup de force de 2005. On avait ôté la tête en chassant Ould Taya mais on maintenait intact le système.
Un système qui perdure
C’est donc à quoi l’on est encore en train d’assister avec l’actuel Président ? Ledit analyste nous fit plus tard observer que la commission d’enquête parlementaire, les ennuis de l’ex-Président et de ses proches entraient dans une sorte de « jeu », voire stratégie commune, entre le président sortant et le nouveau. Évoquant un projet à la Poutine-Medvedev, il étayait sa thèse par la très grande proximité entre les deux hommes : ils s’étaient côtoyés au sein de l’armée, avaient gouverné ensemble le pays, dix années durant, et étaient, dans les faits, le fruit du système qui nous dirige depuis 1978.
Mais divers incidents – d’abord de campagne, lorsque Aziz déclara que Ghazwani n’était pas son candidat ; puis à la veille des festivités 2019 de l’Indépendance à Akjoujt ; et enfin, celui de la « référence » de l’ex-UPR – douchèrent cette hypothèse pour la ramener à une sorte de « tragédie commune » entre les deux hommes dont les relations ont vite fini par se dégrader, à l’instar de celles entre Ahidjo et Biya. Mais ces faits écarteraient-ils toute perspective de retrouvailles entre les deux stratèges et, donc, la réhabilitation du premier ?
Ould Abdel Aziz a certes souffert. Aussi humilié qu’il se ressente, avec ses proches, par les accusations portées contre lui et son procès en cours, l’hypothèse d’une conclusion à l’amiable n’en est pas pour autant exclue. Certes celle-ci semble reposer sur une condition de taille, pour ne pas dire monumentale : le consentement de MOAA à reconnaître «sa faute », renonçant à l’immense fortune révélée par la commission d’enquête. Difficilement acceptable, on l’imagine, pour l’ex-Président qui n’a cessé de nier, depuis son départ du Palais, s’être enrichi sur le dos des Mauritaniens, comme beaucoup de ses collaborateurs et proches.
Mais qu’à cela ne tienne ! Ce n’est pas le sort d’une personne qui est ici en jeu mais la survie du système qui profite à tous ceux qui y frétillent. La réhabilitation des hommes que MOAA a sortis de l’ombre, nourris et engraissés pourrait constituer des prémisses à un tel « arrangement ». Aussi difficilement « pliable » qu’il soit, Ould Abdel Aziz préférerait l’air libre de son ranch de Bénichab à celui d’une prison à l’intérieur du pays. Alors, à quelques mois de la présidentielle, les maîtres des horloges prendront-ils les risque d’une telle entreprise ; se décideront-ils à envoyer, avant, l’ex-Président dans un bagne ; ou feront-ils traîner la conclusion du procès – après appel et éventuellement cassation, vice(s) de forme aidant… – au-delà de ladite échéance ?
Dalay Lam
Source : Le Calame - (Le 19 juillet 2023