Une soirée tranquille à Mogadiscio. Il n'y a presque pas eu de coups de feu. Pour autant, ma nuit n'a pas été tranquille. Impossible de dormir. Impossible d'oublier.
Harnaché dans un gilet pare-balles, un casque plus grand que ma tête (faut quand même le faire!) et un convoi de la force africaine qui ne sécurise qu'une infime partie de la capitale somalienne, je me suis rendu à l'un des rares lieux de regroupement des suppliciés de la nouvelle crise de la faim en Afrique.
L'un des rares, car autrement, les milices islamistes, les Shebab, empêchent tout rassemblement. Pour eux, la famine n'existe pas. Ce n'est là qu'un prétexte, un subterfuge invoqué par les forces extérieures pour s'ingérer dans les affaires internes de ce pays qui n'en est plus un depuis longtemps.
J'ai eu mon lot de femmes m'offrant leurs enfants, me suppliant de les épargner, eux, de faire ce que n'importe quel père devrait faire. J'ai vu ces soldats africains (et Dieu sait pourtant qu'ils ne proviennent pas eux-mêmes de pays tranquilles) détourner la tête pour me cacher leurs larmes.
Aucun des enfants qu'on m'offrait n'aurait survécu. Pour eux, c'était trop tard.
Qu'importe l'effort désespéré de cette femme qui ira jusqu'à se dénuder, espérant ainsi me convaincre de faire l'impossible.
La nuit est triste à Mogadiscio, et je sais que la mission est dantesque. Pour autant, nous n'avons pas le droit de ne pas voir, de ne pas entendre.
Arrêtons de surestimer l'impossibilité somalienne. Si on peut braver le fantasque Kadhafi, on peut certainement ébranler les Shebab, on peut bousculer l'un de leurs rares parrains, le président érythréen, on peut aussi donner massivement aux organisations humanitaires, surtout à Médecins sans frontières, la seule qui soit encore autorisée ici.
Le pire de cette tragédie n'est pas ce que l'on a vu, mais ce qui nous a été occulté. Aucun journaliste, aucune photo, la fausse conviction que l'enfer est dans ces camps de réfugiés au Kenya.
L'horreur absolue est ici, auprès de ceux qui n'ont pas réussi à partir. Et l'inavouable détresse est celle qui nous ronge, d'avoir vu, et pourtant d'avoir un temps espéré une soirée tranquille à Mogadiscio.
***
François Bugingo - Journaliste et animateur, de passage à Mogadiscio en Somalie
Source: Le Devoir
Harnaché dans un gilet pare-balles, un casque plus grand que ma tête (faut quand même le faire!) et un convoi de la force africaine qui ne sécurise qu'une infime partie de la capitale somalienne, je me suis rendu à l'un des rares lieux de regroupement des suppliciés de la nouvelle crise de la faim en Afrique.
L'un des rares, car autrement, les milices islamistes, les Shebab, empêchent tout rassemblement. Pour eux, la famine n'existe pas. Ce n'est là qu'un prétexte, un subterfuge invoqué par les forces extérieures pour s'ingérer dans les affaires internes de ce pays qui n'en est plus un depuis longtemps.
J'ai eu mon lot de femmes m'offrant leurs enfants, me suppliant de les épargner, eux, de faire ce que n'importe quel père devrait faire. J'ai vu ces soldats africains (et Dieu sait pourtant qu'ils ne proviennent pas eux-mêmes de pays tranquilles) détourner la tête pour me cacher leurs larmes.
Aucun des enfants qu'on m'offrait n'aurait survécu. Pour eux, c'était trop tard.
Qu'importe l'effort désespéré de cette femme qui ira jusqu'à se dénuder, espérant ainsi me convaincre de faire l'impossible.
La nuit est triste à Mogadiscio, et je sais que la mission est dantesque. Pour autant, nous n'avons pas le droit de ne pas voir, de ne pas entendre.
Arrêtons de surestimer l'impossibilité somalienne. Si on peut braver le fantasque Kadhafi, on peut certainement ébranler les Shebab, on peut bousculer l'un de leurs rares parrains, le président érythréen, on peut aussi donner massivement aux organisations humanitaires, surtout à Médecins sans frontières, la seule qui soit encore autorisée ici.
Le pire de cette tragédie n'est pas ce que l'on a vu, mais ce qui nous a été occulté. Aucun journaliste, aucune photo, la fausse conviction que l'enfer est dans ces camps de réfugiés au Kenya.
L'horreur absolue est ici, auprès de ceux qui n'ont pas réussi à partir. Et l'inavouable détresse est celle qui nous ronge, d'avoir vu, et pourtant d'avoir un temps espéré une soirée tranquille à Mogadiscio.
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François Bugingo - Journaliste et animateur, de passage à Mogadiscio en Somalie
Source: Le Devoir
Une famille somalienne devant son campement, dans le sud de Mogadiscio