Deux semaines après avoir été secouru avec 37 autres personnes, le dernier rescapé du naufrage au large de l'île de Sal, au Cap-Vert, est rentré chez lui au Sénégal. Le jeune homme, toujours hospitalisé, "va mieux", d'après un habitant de la même ville. Soixante-trois de ses compagnons de route sont morts, eux, durant cette traversée cauchemardesque en plein océan Atlantique.
Il revient de l’enfer. Le dernier rescapé du naufrage au large du Cap-Vert, dans lequel 63 personnes ont trouvé la mort, a été transféré à Dakar vendredi 1er septembre. Le jeune homme n’avait pas pu regagner le Sénégal avec les 37 autres survivants du drame, rapatriés le 22 août, en raison de son état de santé. Atteint d’insuffisance rénale, il a été hospitalisé près de deux semaines à Praia, la capitale cap-verdienne, avant de pouvoir rentrer chez lui.
D’après le président de l’Association des Sénégalais de Sal, Médoune Ndiaye, "le patient a voyagé en compagnie d’un médecin cap-verdien" et "poursuivra son traitement à Dakar", rapporte Le Quotidien. Toujours selon Médoune Ndiaye, "l’ingestion d’eau de mer et d’algues" pendant la traversée serait à l’origine de sa pathologie.
Le 14 août, une pirogue avait été retrouvée à 277 km de l’île de Sal, près du Cap-Vert, dans l’océan Atlantique. Partie le 10 juillet de Fass Boye, au Sénégal, avec 101 personnes à son bord, l’embarcation avait pour destination finale l’archipel espagnol des Canaries, situé à 1 700 km des côtes sénégalaises.
Mais "au bout de neuf jours, le moteur est tombé en panne, à environ 70 km de sa destination finale", rapporte à InfoMigrants N'Galam Boye, habitant de Fass Boye qui a fait partie de la délégation sénégalaise dépêchée au Cap-Vert pour rencontrer les rescapés. L'embarcation a donc commencé à dériver vers le sud. "Les passagers m'ont dit avoir essayé de ramer, mais sans succès. Alors ils se sont perdus".
"Certains avaient perdu la tête"
Après 15 jours de navigation en plein soleil et par une chaleur accablante, les exilés ont épuisé toutes leurs réserves d'eau et de nourriture. "Le vingtième jour, ils ont attrapé une tortue et l’ont mangée, relate N'Galam Boye. Mais évidement ça n'a pas suffit. Les passagers sont morts les uns après les autres, de faim ou de déshydratation. Mais la plupart [des migrants décédés] se sont noyés. Ils ont sauté d'eux-mêmes par-dessus bord, de désespoir".
Après 36 jours en mer, l’embarcation a finalement été retrouvée par un navire de pêche espagnol, qui a alerté les autorités cap-verdiennes. Trente-huit personnes ont pu été secourues, dont quatre enfants de douze à seize ans, avait précisé Safa Msehli, porte-parole l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Et sept corps sans vie ont pu été récupérés au moment du sauvetage. Mais "en raison de leur état de décomposition et des aspects juridiques à respecter", ils ont été enterrés le 21 août dans un cimetière de Sal, "en compagnie de quelques membres de leur famille", indique Le Quotidien.
Cet été, les tentatives de traversée dans l'Atlantique depuis le Sénégal ont connu un regain d'intérêt, qui s'explique en partie par une surveillance plus accrue des autorités marocaines au large du royaume. Mais sur cette longue route en plein océan, les courants forts font souvent chavirer les pirogues. Le 12 juillet, au moins huit personnes sont mortes au large de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Et plus tôt ce mois-là, au moins 300 personnes réparties dans trois embarcations, parties de la petite ville de Kafountine, ont disparu sur la route des Canaries.
Arrivé au Cap-Vert, revoir ses camarades vivants a été un choc pour N'Galam Boye. "Tous étaient très heureux de me voir, mais moi j'ai beaucoup pleuré. Ils étaient très maigres, et certains d’entre eux avaient perdu la tête et parlaient tout seuls".
Deux rescapés portaient aussi d'étranges marques sur le cou. "Certains m'ont rapporté que ces deux-là devenaient fous et que, comme d'autres avant eux, ils voulaient sauter de la pirogue… Pour qu'ils ne bougent plus, des passagers les ont donc attachés au bateau avec une corde".
Reprendre la mer
Après quelques jours au Cap-Vert, 37 rescapés ont donc été rapatriés au Sénégal. Après un bref passage à Fass Boye, ils ont été pris en charge dans différents hôpitaux de la région pour soigner leurs blessures.
Ali Mbaye, pêcheur de 30 ans, a été interné dans une clinique privée de Mboro, à moins de 30 kilomètres de Fass Boye. "Mon fils est malade car la nourriture a manqué sur le bateau, a déploré son père, Ahmed Diop Mbaye, au micro de RFI. Pendant plusieurs jours, il n’a pas mangé. Il avait soif et il a bu l’eau de la mer. Donc ses pieds et ses yeux ont gonflé, il a encore des problèmes."
Aujourd'hui, le dernier rescapé rapatrié, lui, "va mieux", assure N'Galam Boye. "J'ai parlé à son oncle : il m'a assuré que son état s'améliorait de jour en jour".
Malgré cette traversée cauchemardesque, certains rescapés, parmi lesquels des pêcheurs et des étudiants, espèrent tout de même reprendre la mer. "Ils sont sans travail, sans aide. Ici, la vie est difficile", explique N'Galam Boye.
Comme d’autres États dans le monde, l’inflation, liée notamment à la guerre en Ukraine, plombe l’économie du Sénégal. "Le coût de la vie y est de plus en plus cher, beaucoup de gens n’arrivent plus à joindre les deux bouts", avait assuré en juillet à InfoMigrants Moustapha Kebe, responsable du Bureau d’accueil et d’orientation des Sénégalais de l’extérieur (BOAS) de Louga (nord du Sénégal).
Les pêcheurs, touchés par cette crise, souffrent aussi de la raréfaction des poissons en mer. "Les ressources halieutiques sont accaparées par la pêche industrielle, au dépend de la pêche artisanale", notait aussi Moustapha Kebe. Les chalutiers européens, visibles depuis les plages du pays, capturent une bonne partie des poissons. Et la situation s'est encore dégradée ces dernières années à cause du changement climatique.
Malgré les dangers inhérents à cette route migratoire où aucune ONG de sauvetage n'est présente - au cours du premier semestre de 2023, 778 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre les Canaries d'après l'association Caminando Fronteras - le désir de partir reste très fort pour les Sénégalais. Pour N'Galam Boye, qui a lui-même emprunté cette route en 2006, "sans avenir, sans la possibilité de se construire une vie décente, ils n’ont pas d’autre option que de traverser de nouveau l’Atlantique".
Marlène Panara
Source : Info Migrants (France)
Il revient de l’enfer. Le dernier rescapé du naufrage au large du Cap-Vert, dans lequel 63 personnes ont trouvé la mort, a été transféré à Dakar vendredi 1er septembre. Le jeune homme n’avait pas pu regagner le Sénégal avec les 37 autres survivants du drame, rapatriés le 22 août, en raison de son état de santé. Atteint d’insuffisance rénale, il a été hospitalisé près de deux semaines à Praia, la capitale cap-verdienne, avant de pouvoir rentrer chez lui.
D’après le président de l’Association des Sénégalais de Sal, Médoune Ndiaye, "le patient a voyagé en compagnie d’un médecin cap-verdien" et "poursuivra son traitement à Dakar", rapporte Le Quotidien. Toujours selon Médoune Ndiaye, "l’ingestion d’eau de mer et d’algues" pendant la traversée serait à l’origine de sa pathologie.
Le 14 août, une pirogue avait été retrouvée à 277 km de l’île de Sal, près du Cap-Vert, dans l’océan Atlantique. Partie le 10 juillet de Fass Boye, au Sénégal, avec 101 personnes à son bord, l’embarcation avait pour destination finale l’archipel espagnol des Canaries, situé à 1 700 km des côtes sénégalaises.
Mais "au bout de neuf jours, le moteur est tombé en panne, à environ 70 km de sa destination finale", rapporte à InfoMigrants N'Galam Boye, habitant de Fass Boye qui a fait partie de la délégation sénégalaise dépêchée au Cap-Vert pour rencontrer les rescapés. L'embarcation a donc commencé à dériver vers le sud. "Les passagers m'ont dit avoir essayé de ramer, mais sans succès. Alors ils se sont perdus".
"Certains avaient perdu la tête"
Après 15 jours de navigation en plein soleil et par une chaleur accablante, les exilés ont épuisé toutes leurs réserves d'eau et de nourriture. "Le vingtième jour, ils ont attrapé une tortue et l’ont mangée, relate N'Galam Boye. Mais évidement ça n'a pas suffit. Les passagers sont morts les uns après les autres, de faim ou de déshydratation. Mais la plupart [des migrants décédés] se sont noyés. Ils ont sauté d'eux-mêmes par-dessus bord, de désespoir".
Après 36 jours en mer, l’embarcation a finalement été retrouvée par un navire de pêche espagnol, qui a alerté les autorités cap-verdiennes. Trente-huit personnes ont pu été secourues, dont quatre enfants de douze à seize ans, avait précisé Safa Msehli, porte-parole l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Et sept corps sans vie ont pu été récupérés au moment du sauvetage. Mais "en raison de leur état de décomposition et des aspects juridiques à respecter", ils ont été enterrés le 21 août dans un cimetière de Sal, "en compagnie de quelques membres de leur famille", indique Le Quotidien.
Cet été, les tentatives de traversée dans l'Atlantique depuis le Sénégal ont connu un regain d'intérêt, qui s'explique en partie par une surveillance plus accrue des autorités marocaines au large du royaume. Mais sur cette longue route en plein océan, les courants forts font souvent chavirer les pirogues. Le 12 juillet, au moins huit personnes sont mortes au large de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Et plus tôt ce mois-là, au moins 300 personnes réparties dans trois embarcations, parties de la petite ville de Kafountine, ont disparu sur la route des Canaries.
Arrivé au Cap-Vert, revoir ses camarades vivants a été un choc pour N'Galam Boye. "Tous étaient très heureux de me voir, mais moi j'ai beaucoup pleuré. Ils étaient très maigres, et certains d’entre eux avaient perdu la tête et parlaient tout seuls".
Deux rescapés portaient aussi d'étranges marques sur le cou. "Certains m'ont rapporté que ces deux-là devenaient fous et que, comme d'autres avant eux, ils voulaient sauter de la pirogue… Pour qu'ils ne bougent plus, des passagers les ont donc attachés au bateau avec une corde".
Reprendre la mer
Après quelques jours au Cap-Vert, 37 rescapés ont donc été rapatriés au Sénégal. Après un bref passage à Fass Boye, ils ont été pris en charge dans différents hôpitaux de la région pour soigner leurs blessures.
Ali Mbaye, pêcheur de 30 ans, a été interné dans une clinique privée de Mboro, à moins de 30 kilomètres de Fass Boye. "Mon fils est malade car la nourriture a manqué sur le bateau, a déploré son père, Ahmed Diop Mbaye, au micro de RFI. Pendant plusieurs jours, il n’a pas mangé. Il avait soif et il a bu l’eau de la mer. Donc ses pieds et ses yeux ont gonflé, il a encore des problèmes."
Aujourd'hui, le dernier rescapé rapatrié, lui, "va mieux", assure N'Galam Boye. "J'ai parlé à son oncle : il m'a assuré que son état s'améliorait de jour en jour".
Malgré cette traversée cauchemardesque, certains rescapés, parmi lesquels des pêcheurs et des étudiants, espèrent tout de même reprendre la mer. "Ils sont sans travail, sans aide. Ici, la vie est difficile", explique N'Galam Boye.
Comme d’autres États dans le monde, l’inflation, liée notamment à la guerre en Ukraine, plombe l’économie du Sénégal. "Le coût de la vie y est de plus en plus cher, beaucoup de gens n’arrivent plus à joindre les deux bouts", avait assuré en juillet à InfoMigrants Moustapha Kebe, responsable du Bureau d’accueil et d’orientation des Sénégalais de l’extérieur (BOAS) de Louga (nord du Sénégal).
Les pêcheurs, touchés par cette crise, souffrent aussi de la raréfaction des poissons en mer. "Les ressources halieutiques sont accaparées par la pêche industrielle, au dépend de la pêche artisanale", notait aussi Moustapha Kebe. Les chalutiers européens, visibles depuis les plages du pays, capturent une bonne partie des poissons. Et la situation s'est encore dégradée ces dernières années à cause du changement climatique.
Malgré les dangers inhérents à cette route migratoire où aucune ONG de sauvetage n'est présente - au cours du premier semestre de 2023, 778 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre les Canaries d'après l'association Caminando Fronteras - le désir de partir reste très fort pour les Sénégalais. Pour N'Galam Boye, qui a lui-même emprunté cette route en 2006, "sans avenir, sans la possibilité de se construire une vie décente, ils n’ont pas d’autre option que de traverser de nouveau l’Atlantique".
Marlène Panara
Source : Info Migrants (France)