Dans un rapport publié jeudi, le collectif inter-associatifs "Accès au droit" documente la récurrence des violences verbales et physiques commises à l'encontre des migrants lors des démantèlements de campements informels par les forces de l'ordre, en Île-de-France. Une stratégie qui viserait à décourager définitivement les exilés de s'installer dans la rue, à l'approche des Jeux olympiques 2024.
Des évacuations de campements toujours plus violentes. C'est le constat qui ressort du rapport publié jeudi 23 novembre par le collectif inter-associatif Accès au droit (CAD) sur les violences "policières et institutionnelles" à l'encontre des migrants, à Paris et sa région.
Créé en 2023, ce collectif, qui rassemble des bénévoles d'associations, des juristes et chercheurs spécialisés, a documenté les violences verbales ou physiques associées aux évacuations de campements de migrants en Île-de-France depuis 2015. Selon ses travaux sur les principaux lieux de vie informels parisiens, le constat est sans appel : sur les 93 exilés interrogés, 81% déclarent avoir été victimes de violences policières, à plusieurs reprises dans 66% des cas.
Le collectif a recensé 448 témoignages de violences policières en huit ans, dont 88 % résultent de "situations d'évictions, de dispersions dans l'espace public". Un tiers des témoignages (30 %) rassemblés concernent des violences physiques, du simple coup de pied au passage à tabac, et un autre tiers (33 %) des confiscations ou destructions de biens.
Cela va du "coup de pied" ou "de matraque" à un exilé prié de rassembler ses affaires plus vite, jusqu'à de rares cas de "passages à tabac bien documentés", indique à l'AFP un responsable de l'observatoire, requérant l'anonymat en raison de ses fonctions dans une institution publique.
Le rapport précise que "l’immense majorité de ces violences s’est déroulée dans le nord-est de Paris, dans le 18, 19, 20e arrondissement et les communes limitrophes du 93". Ces violences restent "très largement sous-documentées car elles se produisent dans des lieux isolés, à des heures 'invisibles', rendant difficile le recueil de preuves pour envisager d’entreprendre un recours."
Par ailleurs, les exilés vont rarement porter plainte après avoir été victimes de violences, "considérant tout recours inutile notamment à cause d’un faible niveau de confiance envers les forces de l’ordre".
"Cette violence policière constitue une troisième violence après celle du départ et du parcours migratoire"
Les membres du projet ont décidé de lancer ce travail de documentation après l'évacuation violente du campement informel place de la République (10e arrondissement de Paris) où dormaient près de 500 migrants, en grande majorité afghans, le 24 novembre 2020.
Ce jour-là, il n'avait fallu qu'une heure pour que les forces de l'ordre démantèlent le campement avec l'usage de la force, sous les huées de personnalités politiques et militants associatifs présents. La police avait notamment été filmée en train de tirer sans ménagement des migrants de leur tente, d'asséner des coups de matraques aux récalcitrants, et de tirer des grenades de désencerclement pour disperser la foule.
Face à la violence des images, et au tollé politique, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait même évoqué des "faits inacceptables" et annoncé l'ouverture de deux enquêtes pour "violences par personne dépositaire de l’autorité publique". De son côté, le président de la République Emmanuel Macron avait promis "des sanctions" à l'encontre des policiers fautifs.
Mais d'après le collectif Accès au droit, les violences policières sur les campements de migrants n'ont fait que s'amplifier depuis cet épisode. "Cette violence policière constitue une troisième violence après celle du départ et du parcours migratoire", rappelle le collectif qui estime que l'imminence des Jeux olympiques 2024 (26 juillet-11 août 2024) motive les autorités à repousser les migrants hors de Paris pour faire place nette.
Début mars, une vidéo rendue publique par l'association Utopia 56, membre du collectif, montre un CRS diffuser plusieurs jets de gaz lacrymogène sur un matelas dans un campement de fortune sous le métro aérien. L'affaire avait provoqué l'ouverture d'une enquête administrative des CRS et fait l'objet d'un signalement à l'IGPN.
"Si le système est pensé pour disperser, il est très efficace"
Depuis le début de l'année 2023, la préfecture d'Île-de-France a procédé à 33 opérations de "mises à l'abri", selon l'AFP. "On constate qu’il y a quasiment une 'mise à l’abri' par semaine, explique Paul Alauzy, coordinateur à Médecins du monde et bénévole du CAD, joint par InfoMigrants. Il y a trois SAS régionaux qui libèrent 50 places par semaine, donc la cadence des évacuations augmente. Dès qu’un campement atteint 100 ou 200 personnes, on le démantèle."
Sur les huit dernières années, le CAD estime que la préfecture d'Île-de-France a procédé à 369 opérations d'évacuation de campement impliquant 80 000 migrants. Une cadence infernale qui n'est pas sans conséquences sur la santé mentale des exilés : "Il peut y avoir un épuisement psychique énorme, un sentiment d’insécurité constant parce qu’ils sont toujours en état d'alerte. Concrètement, cela provoque des insomnies, des cauchemars, et un comportement d’évitement vis-à-vis des forces de police", témoigne à InfoMigrants Leticia Bertuzzi, psychologue et coordinatrice santé mentale chez Médecins sans frontières (MSF).
Ces dernières années, lorsqu'un campement était démantelé, les migrants éligibles à un hébergement provisoire (comme les demandeurs d'asile) étaient mis à l'abri en région parisienne, tandis que les autres étaient contraints de reformer un plus petit campement ailleurs. Mais la donne a changé depuis la création des SAS régionaux en 2023 : "Si le système est pensé pour disperser il est très efficace, s’il est pensé pour loger et accueillir dans de bonnes conditions, il fonctionne mal", résume Paul Alauzy. Sollicités par InfoMigrants au sujet du rapport, la préfecture d'Île-de-France et le ministère de l'Intérieur n'ont, pour l'instant, pas répondu à nos sollicitations.
Source : Info Migrants (France)
Des évacuations de campements toujours plus violentes. C'est le constat qui ressort du rapport publié jeudi 23 novembre par le collectif inter-associatif Accès au droit (CAD) sur les violences "policières et institutionnelles" à l'encontre des migrants, à Paris et sa région.
Créé en 2023, ce collectif, qui rassemble des bénévoles d'associations, des juristes et chercheurs spécialisés, a documenté les violences verbales ou physiques associées aux évacuations de campements de migrants en Île-de-France depuis 2015. Selon ses travaux sur les principaux lieux de vie informels parisiens, le constat est sans appel : sur les 93 exilés interrogés, 81% déclarent avoir été victimes de violences policières, à plusieurs reprises dans 66% des cas.
Le collectif a recensé 448 témoignages de violences policières en huit ans, dont 88 % résultent de "situations d'évictions, de dispersions dans l'espace public". Un tiers des témoignages (30 %) rassemblés concernent des violences physiques, du simple coup de pied au passage à tabac, et un autre tiers (33 %) des confiscations ou destructions de biens.
Cela va du "coup de pied" ou "de matraque" à un exilé prié de rassembler ses affaires plus vite, jusqu'à de rares cas de "passages à tabac bien documentés", indique à l'AFP un responsable de l'observatoire, requérant l'anonymat en raison de ses fonctions dans une institution publique.
Le rapport précise que "l’immense majorité de ces violences s’est déroulée dans le nord-est de Paris, dans le 18, 19, 20e arrondissement et les communes limitrophes du 93". Ces violences restent "très largement sous-documentées car elles se produisent dans des lieux isolés, à des heures 'invisibles', rendant difficile le recueil de preuves pour envisager d’entreprendre un recours."
Par ailleurs, les exilés vont rarement porter plainte après avoir été victimes de violences, "considérant tout recours inutile notamment à cause d’un faible niveau de confiance envers les forces de l’ordre".
"Cette violence policière constitue une troisième violence après celle du départ et du parcours migratoire"
Les membres du projet ont décidé de lancer ce travail de documentation après l'évacuation violente du campement informel place de la République (10e arrondissement de Paris) où dormaient près de 500 migrants, en grande majorité afghans, le 24 novembre 2020.
Ce jour-là, il n'avait fallu qu'une heure pour que les forces de l'ordre démantèlent le campement avec l'usage de la force, sous les huées de personnalités politiques et militants associatifs présents. La police avait notamment été filmée en train de tirer sans ménagement des migrants de leur tente, d'asséner des coups de matraques aux récalcitrants, et de tirer des grenades de désencerclement pour disperser la foule.
Face à la violence des images, et au tollé politique, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait même évoqué des "faits inacceptables" et annoncé l'ouverture de deux enquêtes pour "violences par personne dépositaire de l’autorité publique". De son côté, le président de la République Emmanuel Macron avait promis "des sanctions" à l'encontre des policiers fautifs.
Mais d'après le collectif Accès au droit, les violences policières sur les campements de migrants n'ont fait que s'amplifier depuis cet épisode. "Cette violence policière constitue une troisième violence après celle du départ et du parcours migratoire", rappelle le collectif qui estime que l'imminence des Jeux olympiques 2024 (26 juillet-11 août 2024) motive les autorités à repousser les migrants hors de Paris pour faire place nette.
Début mars, une vidéo rendue publique par l'association Utopia 56, membre du collectif, montre un CRS diffuser plusieurs jets de gaz lacrymogène sur un matelas dans un campement de fortune sous le métro aérien. L'affaire avait provoqué l'ouverture d'une enquête administrative des CRS et fait l'objet d'un signalement à l'IGPN.
"Si le système est pensé pour disperser, il est très efficace"
Depuis le début de l'année 2023, la préfecture d'Île-de-France a procédé à 33 opérations de "mises à l'abri", selon l'AFP. "On constate qu’il y a quasiment une 'mise à l’abri' par semaine, explique Paul Alauzy, coordinateur à Médecins du monde et bénévole du CAD, joint par InfoMigrants. Il y a trois SAS régionaux qui libèrent 50 places par semaine, donc la cadence des évacuations augmente. Dès qu’un campement atteint 100 ou 200 personnes, on le démantèle."
Sur les huit dernières années, le CAD estime que la préfecture d'Île-de-France a procédé à 369 opérations d'évacuation de campement impliquant 80 000 migrants. Une cadence infernale qui n'est pas sans conséquences sur la santé mentale des exilés : "Il peut y avoir un épuisement psychique énorme, un sentiment d’insécurité constant parce qu’ils sont toujours en état d'alerte. Concrètement, cela provoque des insomnies, des cauchemars, et un comportement d’évitement vis-à-vis des forces de police", témoigne à InfoMigrants Leticia Bertuzzi, psychologue et coordinatrice santé mentale chez Médecins sans frontières (MSF).
Ces dernières années, lorsqu'un campement était démantelé, les migrants éligibles à un hébergement provisoire (comme les demandeurs d'asile) étaient mis à l'abri en région parisienne, tandis que les autres étaient contraints de reformer un plus petit campement ailleurs. Mais la donne a changé depuis la création des SAS régionaux en 2023 : "Si le système est pensé pour disperser il est très efficace, s’il est pensé pour loger et accueillir dans de bonnes conditions, il fonctionne mal", résume Paul Alauzy. Sollicités par InfoMigrants au sujet du rapport, la préfecture d'Île-de-France et le ministère de l'Intérieur n'ont, pour l'instant, pas répondu à nos sollicitations.
Source : Info Migrants (France)