«Le destin empoigne qui il veut, quand il veut. Dans le sens de vos désirs, il vous apporte plénitude», Mariama Bâ, Une si longue lettre, Dakar, NEA, p. 6.
EBOLA est une maladie qui porte en elle un second virus plus dangereux, et qui lui est comme « confraternel ». Il nous faut donc être plus vigilants que d’habitude non seulement ici, mais dans toute l’Afrique de l’Ouest, voire au-delà. Car la mise en quarantaine de peuples entiers pose un sérieux problème d’éthique et de morale à l’humanité toute entière, et surtout à l’Afrique qui se présente ou se « targue » d’être émergente, voire figure emblématique de l’avenir du monde. Quel chantage ! Alors que se déroulent sur son territoire des choses qui peuvent conduire à des actes abominables et irrépréhensibles sans qu’elle n’ait jamais cherché à les anticiper.
L’avenir est à ceux qui savent anticiper ou, au moins atténuer les dommages collatéraux, de toute forme d’agression et de catastrophe. WAAY YEEN ! Parce que chaque épidémie (voire toute crise qui perturbe le fondement même de notre façon de penser l’Altérité et le monde qui nous entoure) porte en elle des germes qui alimentent et actionnent les ressorts de la xénophobie, et la « chasse aux sorcières » qui peut s’ensuivre. Cette question repose, dans des termes à peine voilés, la notion « d’être étranger » en tant qu’africain en Afrique, et de surcroît africain malade. Parce que si une partie du peuple, même insignifiante en nombre, a voulu « abréger la vie de la personne infectée » internée à Fann, cela doit nous inquiéter jusqu’à prendre toutes les mesures possibles et imaginables pour que tout guinéen ou tout celui qui peut lui ressembler ne soient pas confondus « à la souche-mère de la maladie ».
C’est-à-dire éviter de les stigmatiser. Car les illuminés jouent sur les frontières devenues floues pour s’attaquer à une « phalange » de la population accusée de ceci ou de cela, en période d’hystérie collective. Et toute confusion est génératrice de confusions, car elle dérègle nos perspectives, jusqu’à brouiller tous nos sens.
Combien de vies humaines innocentes furent perdues au temps des «rétrécissseurs» de sexes ou au moment de la crise entre la Mauritanie et le Sénégal ? Sans pour autant associer les deux événements (fort dissemblables !) dans leur naissance, leur déroulement et leurs conséquences. Cela ne date que d’il y a quelques années ! Il ne faut pas que l’Afrique de l’Ouest tombe dans une « hystérie ébolaire » collective et incontrôlable pouvant conduire à l’exhumation de vieux réflexes pour nous faire déboucher sur la piste étroite du repli national destructeur. Les conséquences économiques (voire académiques ! les «venants» du Sénégal sont interdits d’entrée au CABO VERDE, depuis deux jours et « jusqu’à nouvel ordre ») sont déjà palpables dans beaucoup de pays comme la Sierra Leone qui était classée au sommet des états en émergence.
Cette « tragédie » doit faire réfléchir davantage nos états sur les nécessités pressantes d’engager des discussions plus sérieuses sur notre avenir le plus proche et le devenir des générations à venir pour qu’elles acquièrent les ressources de leur vraie indépendance. Si nos soins doivent toujours provenir des laboratoires de ceux qui se barricadent derrière leurs frontières, il y a de quoi se demander quand prendrons-nous conscience que nous sommes au bord du précipice depuis longtemps, et qu’il est temps de rompre cette dynamique suicidaire de «l’insularisation» nationale.
Fermons les frontières ! De quelles frontières il s’agit ? Nous oublions toujours que ce que nous avons ne répond pas aux critères occidentaux ancrés dans nos esprits, et inapplicables sur le terrain. C’est un autre chantage, et celui-là est intellectuel !
Arrêtons tout cela et réfléchissons davantage sur les réalités extraterritoriales qui ont précédé notre entrée dans cette « modernité » libérale. Elles sont ancrées, comme un ADN complexe, dans nos mœurs. Nous bougeons de familles en familles, sautillant de frontières en frontières comme des kangourous sociaux, et traînons avec nous toutes nos maladies.
Le problème ce n’est pas « nous peuple », mais ceux qui ont en charge l’obligation de nous éduquer au sein et au nom de la République en instaurant et en vulgarisant davantage l’éducation à la santé, et en partageant cette expérience avec les pays de la sous-région pour qu’ensemble nous puissions faire face à pareille situation. Nous aurons ainsi évité de réveiller le « sentiment d’autodéfense nationale » que le peuple, lui, peut confondre avec la « circonscription » de l’Autre dans « ses frontières dites nationales » jusqu’à vouloir « abréger la vie [d’une] personne infectée » d’EBOLA et venant de Guinée. Maladie de notre début de siècle ?
Il s’agit plutôt de faire face à notre véritable carence dans la réactivité, et cela à chaque fois que quelque chose de grave se prépare ou se produit chez nous. C’est symptomatique d’une véritable irresponsabilité continentale systémique. Si des malades peuvent s’échapper du centre où ils sont soignés pour se fondre dans la nature comme des éclairs, et que les populations démunies et tourmentées argumentent que ce sont encore leurs gouvernants qui ont sorti de leur magie cette maladie pour « pomper » les bailleurs de fonds -comme pour le SIDA au début des années 1980-, il y a de quoi être ahuri, découragé voire dégoûté. Voilà vers quoi l’irresponsabilité (la crétinité devrai-je dire !) mène. Quand on ne prend pas, à temps, les mesures qui s’imposent pour faire face à toutes les éventualités, on perd du temps, de l’énergie et le peu de finances que nous avons. Les laboratoires et scientifiques étrangers seront là pour nous secourir… par le biais de l’OMS. Troisième chantage !
Comment tout un continent, de 54 états avec leurs rebelles velléitaires, ne peut pas rassembler ne serait-ce que 54 médecins, se cotiser ou que les chefs d’état puisent dans leurs multiples caisses noires pour qu’on puisse mobiliser nos armées et qu’on les organisent (comme à la guerre comme le suggère la chercheure Fatou Sow de l’IFAN dans une contribution sortie dans la presse de cette semaine) en groupes militaires mobiles conjoints sanitarisés tout au long des frontières pour non pas limiter les voyages, mais de surveiller l’extension de cette maladie qui, si elle n’est pas maîtrisée, peut décimer tout un peuple.
Une véritable campagne d’information aurait dû être enclenchée depuis longtemps pour que la maladie n’ait aucune connotation nationale ou ethnique. L’histoire du monde nous renseigne que les hommes ont tendance à incriminer un peuple lointain ou proche d’être porteur de guigne parce que ne partageant pas avec ces derniers les délices de leurs arts culinaires par exemple.
Nous, Africains, savons à quel point les stéréotypes sont si destructeurs, car nos ancêtres transformés en esclaves, vendus, mis en cales et acheminés ailleurs furent victimes de leur déshumanisation pour leur simple couleur noire « la seule chose qui reste à tout africain quand il n’a plus rien ». Donc il faut que les États prennent leur responsabilité pour étouffer le second virus qui peut naître de cette maladie.
Bone Pil-tat… «Le malheur ricoche» disent les Pulaar. Ce qui pourrait être traduit de manière littérale, en wolof, par Ay Dey Laww, comme une balle de tennis, ou toute autre forme de balle sortie, de manière inopinée, de sa trajectoire initiale.
Abdarahmane Ngaïdé
Enseignant-chercheur département d’histoire (UCAD)
Dakar, le 03/09/2014
EBOLA est une maladie qui porte en elle un second virus plus dangereux, et qui lui est comme « confraternel ». Il nous faut donc être plus vigilants que d’habitude non seulement ici, mais dans toute l’Afrique de l’Ouest, voire au-delà. Car la mise en quarantaine de peuples entiers pose un sérieux problème d’éthique et de morale à l’humanité toute entière, et surtout à l’Afrique qui se présente ou se « targue » d’être émergente, voire figure emblématique de l’avenir du monde. Quel chantage ! Alors que se déroulent sur son territoire des choses qui peuvent conduire à des actes abominables et irrépréhensibles sans qu’elle n’ait jamais cherché à les anticiper.
L’avenir est à ceux qui savent anticiper ou, au moins atténuer les dommages collatéraux, de toute forme d’agression et de catastrophe. WAAY YEEN ! Parce que chaque épidémie (voire toute crise qui perturbe le fondement même de notre façon de penser l’Altérité et le monde qui nous entoure) porte en elle des germes qui alimentent et actionnent les ressorts de la xénophobie, et la « chasse aux sorcières » qui peut s’ensuivre. Cette question repose, dans des termes à peine voilés, la notion « d’être étranger » en tant qu’africain en Afrique, et de surcroît africain malade. Parce que si une partie du peuple, même insignifiante en nombre, a voulu « abréger la vie de la personne infectée » internée à Fann, cela doit nous inquiéter jusqu’à prendre toutes les mesures possibles et imaginables pour que tout guinéen ou tout celui qui peut lui ressembler ne soient pas confondus « à la souche-mère de la maladie ».
C’est-à-dire éviter de les stigmatiser. Car les illuminés jouent sur les frontières devenues floues pour s’attaquer à une « phalange » de la population accusée de ceci ou de cela, en période d’hystérie collective. Et toute confusion est génératrice de confusions, car elle dérègle nos perspectives, jusqu’à brouiller tous nos sens.
Combien de vies humaines innocentes furent perdues au temps des «rétrécissseurs» de sexes ou au moment de la crise entre la Mauritanie et le Sénégal ? Sans pour autant associer les deux événements (fort dissemblables !) dans leur naissance, leur déroulement et leurs conséquences. Cela ne date que d’il y a quelques années ! Il ne faut pas que l’Afrique de l’Ouest tombe dans une « hystérie ébolaire » collective et incontrôlable pouvant conduire à l’exhumation de vieux réflexes pour nous faire déboucher sur la piste étroite du repli national destructeur. Les conséquences économiques (voire académiques ! les «venants» du Sénégal sont interdits d’entrée au CABO VERDE, depuis deux jours et « jusqu’à nouvel ordre ») sont déjà palpables dans beaucoup de pays comme la Sierra Leone qui était classée au sommet des états en émergence.
Cette « tragédie » doit faire réfléchir davantage nos états sur les nécessités pressantes d’engager des discussions plus sérieuses sur notre avenir le plus proche et le devenir des générations à venir pour qu’elles acquièrent les ressources de leur vraie indépendance. Si nos soins doivent toujours provenir des laboratoires de ceux qui se barricadent derrière leurs frontières, il y a de quoi se demander quand prendrons-nous conscience que nous sommes au bord du précipice depuis longtemps, et qu’il est temps de rompre cette dynamique suicidaire de «l’insularisation» nationale.
Fermons les frontières ! De quelles frontières il s’agit ? Nous oublions toujours que ce que nous avons ne répond pas aux critères occidentaux ancrés dans nos esprits, et inapplicables sur le terrain. C’est un autre chantage, et celui-là est intellectuel !
Arrêtons tout cela et réfléchissons davantage sur les réalités extraterritoriales qui ont précédé notre entrée dans cette « modernité » libérale. Elles sont ancrées, comme un ADN complexe, dans nos mœurs. Nous bougeons de familles en familles, sautillant de frontières en frontières comme des kangourous sociaux, et traînons avec nous toutes nos maladies.
Le problème ce n’est pas « nous peuple », mais ceux qui ont en charge l’obligation de nous éduquer au sein et au nom de la République en instaurant et en vulgarisant davantage l’éducation à la santé, et en partageant cette expérience avec les pays de la sous-région pour qu’ensemble nous puissions faire face à pareille situation. Nous aurons ainsi évité de réveiller le « sentiment d’autodéfense nationale » que le peuple, lui, peut confondre avec la « circonscription » de l’Autre dans « ses frontières dites nationales » jusqu’à vouloir « abréger la vie [d’une] personne infectée » d’EBOLA et venant de Guinée. Maladie de notre début de siècle ?
Il s’agit plutôt de faire face à notre véritable carence dans la réactivité, et cela à chaque fois que quelque chose de grave se prépare ou se produit chez nous. C’est symptomatique d’une véritable irresponsabilité continentale systémique. Si des malades peuvent s’échapper du centre où ils sont soignés pour se fondre dans la nature comme des éclairs, et que les populations démunies et tourmentées argumentent que ce sont encore leurs gouvernants qui ont sorti de leur magie cette maladie pour « pomper » les bailleurs de fonds -comme pour le SIDA au début des années 1980-, il y a de quoi être ahuri, découragé voire dégoûté. Voilà vers quoi l’irresponsabilité (la crétinité devrai-je dire !) mène. Quand on ne prend pas, à temps, les mesures qui s’imposent pour faire face à toutes les éventualités, on perd du temps, de l’énergie et le peu de finances que nous avons. Les laboratoires et scientifiques étrangers seront là pour nous secourir… par le biais de l’OMS. Troisième chantage !
Comment tout un continent, de 54 états avec leurs rebelles velléitaires, ne peut pas rassembler ne serait-ce que 54 médecins, se cotiser ou que les chefs d’état puisent dans leurs multiples caisses noires pour qu’on puisse mobiliser nos armées et qu’on les organisent (comme à la guerre comme le suggère la chercheure Fatou Sow de l’IFAN dans une contribution sortie dans la presse de cette semaine) en groupes militaires mobiles conjoints sanitarisés tout au long des frontières pour non pas limiter les voyages, mais de surveiller l’extension de cette maladie qui, si elle n’est pas maîtrisée, peut décimer tout un peuple.
Une véritable campagne d’information aurait dû être enclenchée depuis longtemps pour que la maladie n’ait aucune connotation nationale ou ethnique. L’histoire du monde nous renseigne que les hommes ont tendance à incriminer un peuple lointain ou proche d’être porteur de guigne parce que ne partageant pas avec ces derniers les délices de leurs arts culinaires par exemple.
Nous, Africains, savons à quel point les stéréotypes sont si destructeurs, car nos ancêtres transformés en esclaves, vendus, mis en cales et acheminés ailleurs furent victimes de leur déshumanisation pour leur simple couleur noire « la seule chose qui reste à tout africain quand il n’a plus rien ». Donc il faut que les États prennent leur responsabilité pour étouffer le second virus qui peut naître de cette maladie.
Bone Pil-tat… «Le malheur ricoche» disent les Pulaar. Ce qui pourrait être traduit de manière littérale, en wolof, par Ay Dey Laww, comme une balle de tennis, ou toute autre forme de balle sortie, de manière inopinée, de sa trajectoire initiale.
Abdarahmane Ngaïdé
Enseignant-chercheur département d’histoire (UCAD)
Dakar, le 03/09/2014