A l’occasion du cinquante unième anniversaire de l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie, comme de coutume la commémoration de cet évènement depuis maintenant vingt et un an, nous rappelle aussi le douloureux souvenir des pendaisons des 28 militaires négro Mauritaniens de la nuit du 27 au 28 Novembre 1990 à Inal. Ces tueries se sont produites durant les tristes et ignobles violations des droits humains individuelles et collectives entre 1986 et 1991 à l’encontre de la communauté noire de Mauritanie, que les acteurs des droits humains ont communément appelé « Passif humanitaire ».
Cette question du passif humanitaire englobe :
1. Les arrestations des cadres et intellectuels négro Mauritaniens en Septembre 1986 pour réunions non autorisées et participation à une organisation illégale, et condamnation par une cour criminelle de deux à cinq ans de prison ferme avec privation des droits civiques et politiques ,confiscation des biens et bannissement pour dix ans de certains leaders ;
2. Les arrestations des militaires négro Mauritaniens en octobre 1987, jugés en flagrant délit par une cour spéciale pour chef d’accusation atteinte à la sûreté de l’Etat et dévastations des populations (tous convoqués étant au sport, bureau ou à domicile), condamnations lourdes (trois peines capitales, d’autres peines allant des travaux forcés à perpétuité, à cinq ans de réclusion criminelle) ;
3. Les déportations massives en 1989 et 1990 des populations vers le Sénégal et le Mali, des déguerpis et dévastations des villages entiers;
4. Les arrestations arbitraires des militaires et civils négro Mauritaniens en 1990 et 1991 pour complots permanents, interrogations musclées, tortures et tueries extrajudiciaires ;
Parallèlement à ces arrestations des éléments négro Mauritaniens, les activistes militaires et civils du mouvement « Ba’ath » sont arrêtés en Août 1987 jugés et condamnés en sursis ,puis interpellés en février 1988 jugés et condamnés à des peines légères de deux à trois ans ,libérés en Décembre 1989 à partir d’une mesure de remise de peine d’un an accordée à tous les détenus politiques, mesure d’allègement que beaucoup d’observateurs ont versé dans le cadre des pressions du leader Irakien de l’époque Sadam Hussein dont le Président Taya cherchait le soutien, face à la menace de guerre avec le voisin Sénégalais.
Ces considérations de traitements différentiels justifient en plus de la nature des répressions cruelles, inhumaines, dégradantes, humiliantes et avilissantes à l’encontre des éléments négro Mauritaniens embastillés ou arbitrairement arrêtés entre 1986 et 1991 ,le concept du « Passif humanitaire ».
Durant tout le règne du Président Moawiya ould Sid’Ahmed Taya, ces violations ont connu un déni couvert par la loi d’amnistie 91-025 du 29 juillet 1991 élargie en deux articles du 12 juin 1993 stipulant la non recevabilité de toutes plaintes à l’encontre des éléments des forces armées et de sécurité allant de la période du 15 Avril 1990 au 15 Avril 1991.
Ainsi, le combat des victimes et des militants des droits humains est mené au niveau des institutions internationales des droits humains. A cet effet suite aux communications déposées à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, une résolution est adoptée à la session d’Alger en 2000 qui interpelle la Mauritanie sur six points de violations des droits humains. L’Institut Africain des Droits de l’Homme et de Développement de Banjul, dont nous saluons la mémoire de son défunt directeur Alpha Fall pionnier dans la défense des droits humains, assure la coordination du comité de suivi de cette résolution d’Alger. En Août 2004, le Comité pour l’Eradication de toutes les formes de Discriminations Raciales (CERD) adopte à son tour une résolution qui interpelle et demande à la Mauritanie de répondre sur des questions de violations massives individuelles et collectives des droits humains.
Durant la transition du CMJD de 2005-2007, se disant illégitime donc non crédible d’aborder le règlement de ces violations, le jalon posé pour la promotion des droits humains est la reconnaissance timide des crimes des années 80 et 90. La seule décision importante prise durant cette période est la promulgation de loi 2006-015 du 12 juillet 2006 instituant la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) qui dans son champ d’action est restrictive, prescrivant à son article 5 alinéa 2 l’irrecevabilité des cas de violations des droits de l’homme produites avant sa création. C’est par loi 031-2010 du 20/07/2010 que ce verrou de limitation du champ d’action de la CNDH a éclaté.
Le Président Sidi ould Cheikh Abdallahi dans son allocution du 29 juin 2007 reconnaît les violations des droits de l’homme commises dans les années 80 et 90, engage des consultations nationales par le Ministre de l’intérieur et organise des journées nationales de concertation et de mobilisation pour le retour des déportés et le règlement du passif humanitaire les 20-21et 22 Novembre 2007. Le rapport de synthèse conclue un consensus large sur le retour des déportés à travers (i) l’organisation des opérations de retour (ii) l’installation et (iii) l’insertion .Le processus est géré par la mise en place de structures (a)une commission nationale de concertation et de coordination (qui n’a jamais été opérationnelle), (b) d’une commission d’identification et (c)des commissions régionales –départementales et locales. Le 12 Novembre 2007, la Mauritanie –le HCR et le Sénégal signe un accord tripartite régissant le retour organisé. Puis l’Etat Mauritanien a créé l’Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés (ANAIR) en janvier 2008. Du 28 janvier 2008 au 31 Décembre 2010, 20 483 personnes sont rapatriées par les opérations du retour organisé puis assisté sur les 25 000 enrôlées en Septembre 2007. En octobre 2011 le HCR a déclaré l’organisation du retour assisté des 5 200 personnes restantes des personnes identifiées depuis 20007 en instance pour le rapatriement.
Le rapatriement des réfugiés installés au Mali est bloqué par le non reconnaissance de leurs existences juridiques et l’organisation du rapatriement.
Les réfugiés revenant du Sénégal connaissent des problèmes divers notamment la récupération des sites d’habitation, la restitution des terres expropriées, l’insertion correcte dans le tissu socioéconomique, l’obtention de l’Etat Civil particulièrement pour les enfants nés au Sénégal pour lesquels le pays hôte devait fournir les jugements supplétifs de naissance.
La prise en charge de la question du règlement du passif humanitaire a connu beaucoup de tumultes. Pendant les journées nationales de concertation de Novembre 2007 aucun consensus n’est trouvé sur ce sujet. La dissociation du passif humanitaire du retour des déportés, n’a fait que compliquer le règlement global de ces questions. Les déportés une fois rapatriés au pays sont exposés aux revendications du passif humanitaire. Le rapport final s’est conclu sur une proposition de trois commissions distinctes dans leurs formes (i) Commission nationale indépendante (qui a recueilli le plus d’adhérents) (ii) une commission mixte et (iii) une commission des militaires.
Durant la période du 28 Janvier 2008 au 06 Août 2008 ,beaucoup d’ateliers de formation ,d’information et réunions de concertation sont organisés par le Commissariat aux Droits de l’Homme à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile (CDHAHRSC),la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH),le PNUD,NDI avec les contributions des experts de l’IER du Maroc , de la Commission Vérité Réconciliation de l’Afrique du Sud et du Directeur du Centre International de la Justice Transitionnelle (ICTJ) de Genève.
Les tentatives de concertation entre les ONG victimes COVIRE/COPECO –PNUD – CNDH au PNUD ont abordé les points suivants (i) la nature de la commission (ii) la sélection de ses membres (iii) la présence des représentants de l’armée (iv) les poursuites pénales (v) les investigations et les responsabilités individuelles (vi) la loi d’amnistie de 1993 (vii) les indemnisations et réparations (viii) le champ d’action. Jusqu’à l’avènement au pouvoir du Président Mohamed ould Abdel Aziz, aucun consensus n’est trouvé sur ces points en discussion.
Le 08 Novembre 2008, le Président Mohamed ould Abdel Aziz reçoit une délégation de COVIRE devant laquelle sur quatre devoirs avancés pour une feuille de route à savoir (i) Vérité, (ii) Justice, (iii) Réparation et (iv) mémoire, il dit ne pouvoir prendre en charge que les devoirs de mémoire et de réparation et pour un règlement direct avec les victimes sans interposition d’un autre acteur.
Le Partenariat COVIRE –Etat est scellé, un militaire chargé du passif humanitaire est nommé et le bureau de COVIRE a mandaté son Président pour désigner une commission chargée du passif humanitaire (secrète) qui entame l’étude des doléances des veuves avec des oulémas cooptés, à l’ISERI. Les travaux de cette commission ont fait l’objet d’un accord cadre signé le 24 Mars 2009 à la Présidence disant régir le processus du règlement du passif humanitaire, qui est encore resté secret. Il s’ensuit la prière aux absents à Kaédi, le 25 Mars 2009.
Les veuves des martyrs des corps constitués (militaires, gendarmes, douaniers, etc.) ont bénéficié d’une allocation financière perçue après la signature d’un protocole comme annexe à l’accord cadre, octroi de terrains et de pensions de retraite.
En Avril 2011 le Ministre des affaires islamiques a annoncé la décision du pouvoir de réhabiliter les sépultures des victimes politiques des différents régimes de 1960 à nos jours.
Une décision est prise en Conseil des Ministres du 02 juin 2011 pour indemniser les personnels des forces armées et de sécurité victimes des évènements politiques des années 1981-1987-1988-1989-1990-1991-2003-et 2004 et la mise à la retraite proportionnelle à 15 ans 6 mois pour ceux n’ayant pas accompli les années requises de service pour le droit à la retraite.
Ces mesures successives citées ci-dessus expliquent l’appui des différents acteurs nationaux aux journées de souvenirs aux martyrs d’Inal pour le devoir de mémoire, lutter contre l’oubli qui ne peut que contribuer positivement au renforcement de l’unité nationale et de la cohésion sociale par la pédagogie qu’elle redonne à la dignité des victimes et ayants droit.
Ce processus de traitement de la question du passif humanitaire bien que courageux, est perçu par les victimes comme unilatéral, les allocations octroyées sont la décision exclusive des autorités, les victimes et ayants droit n’ont pas été impliqués à la réflexion des solutions apportées. Ensuite le déficit de dialogue inclusif laisse planer des manipulations de tout genre qui doivent être corrigées et reprendre un processus crédible. Les allocations financières pour les veuves que le Président Mohamed ould Abdel Aziz disait être des aides sociales destinées à soulager leurs souffrances et les indemnités de soutien accordées aux personnels des forces armées et de sécurité, sont soutenues par les autorités en charge du dossier du passif humanitaire à chaque occasion devant des fora nationaux ou internationaux comme le règlement définitif, juste , et équitable de cette question.
Les mécanismes de la justice transitionnelle qui combine la nécessité de rendre justice et l’impératif de la réconciliation est un outil indispensable pour le règlement des différends dans les pays post conflits en situation de transition démocratique. Cette justice réparatrice et restauratrice de la confiance passe par des investigations, et des auditions qui peuvent être publiques ou privées. Les conditions pour sa mise en œuvre sont (i) la reconnaissance politique (elle est déjà faite) (ii) les victimes et bourreaux qui se prêtent au jeu (ii) des facilitateurs pour concilier les différentes parties.
Le blocage qu’il y a, ne peut être que du côté des présumés bourreaux. En tant que musulmans, de quoi devons nous avoir peur ? De la justice d’ici bas ou celle de l’au-delà ? Les victimes sont loin d’être animés par la haine et la vindicte. Mais est- il moralement acceptable au moment où on parle de règlement définitif, les victimes et les bourreaux se regardent en chiens de faïence ? La justice transitionnelle n’exclue pas les poursuites judiciaires, si la victime n’est pas satisfaite. Mais selon toutes les expériences acquises en question de justice transitionnelle, jamais une victime ou ayant droit n’a fait recours à la poursuite pénale après que les conditions des devoirs vérité -justice – réparation et mémoire aient été convenablement accomplis.
Notre pays est encore fragile, sans parler de notre démocratie. Une justice impartiale, rendue équitablement seule peut garantir des rapports décents entre les citoyens. La Mauritanie ne pourra se relever ,s’ancrer dans les défis du développement ,sans la prise en charge convenable des questions fondamentales des violations des droits humains liées à la déportation, le passif humanitaire ,l’esclavage et ses séquelles.
Mamadou Eklhoussein Kane
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Source: Mamadou Kane