Boubacar Messaoud Président de SOS Esclaves
Forum des Organisations Nationales des Droits de l’Homme
57 ème anniversaire de la Déclaration Universelle
Allocution de Boubacar Messaoud, au nom du FONADH
Le 10 décembre 1948, L’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait la Déclaration, Universelle des Droits de l’Homme. Ce texte proclame, au-delà des différences de langues, de religion, de race et de tous autres repères civilisationnels, les principales valeurs où l’Humanité conçois la protection de sa dignité.
Dès son indépendance, la République Islamique de Mauritanie adhérait aux dispositions de la charte ; depuis, elle les a toutes violées, sans jamais - je dis bien jamais – punir, ni même juger les auteurs de telles atteintes aux engagement pris devant le monde. Ainsi - les pouvoirs s’amnistiant à mesure qu’ils se succèdent - l’expropriation et l’élimination physique des opposants, la torture des détenus d’opinion et de droit commun et la banalisation de la responsabilité collective par les représailles sur l’entourage des dissidents, n’ont cessé de croître, au point de devenir, la norme, dans le rapport de la puissance publique aux gouvernés
Les violences intrinsèques à l’espace mauritanien purent se perpétuer, parce que la direction de l’Etat restait entre les mains exclusives d’élites, dont les intérêts matériels et symboliques s’attachent, organiquement, à l’ordre traditionnel ; pour durer, ce dernier doit reproduire l’inégalité et la discrimination. C’est ainsi qu’en 45 ans d’existence, la Mauritanie peine encore à s’émanciper des fardeaux de son histoire.
L’esclavage perdure, malgré le volontarisme des lois et des discours officiels. Jusqu’à ce jour, aucun texte de droit ne le sanctionne, explicitement. Les pratiques, pourtant dénoncées plusieurs fois par an, ne font jamais l’objet d’instructions judiciaires. Aucun auteur n’a été condamné, ni même conduit devant un tribunal. La vérité des faits se retrouve, souvent maquillée, avec le concours des policiers, des juges et d’une partie de la presse.
L’exclusion ethno-raciale, quotidiennement à l’œuvre, à tous les niveaux de l’Etat, relève, désormais, d’une fait accompli, que des argumentaires de plus en plus rodés tentent d’asseoir, définitivement, par lé déni, l’occultation et le chantage des risques de troubles à l’ordre public. Les dernières années de la dictature ont fortement contribué à l’enracinement, quasi institutionnel, d’une nouvelle citoyenneté, au terme de quoi les descendants d’esclaves et les négro-africains devaient- en attendant des réformes ou l’action du temps - se contenter, d’une position de seconde zone. Exécutions extrajudiciaires de centaines de militaires et de civils, déportations de dizaines de milliers d’autres, purges massives de l’administration, des forces armées et de sécurité, voici le bilan cumulé en moins de deux ans et toujours actuel, car non soldé.
La moindre velléité de s’indigner de ces deux constantes inégalitaires, de les rappeler ou de demander leur règlement suscite, aussitôt, l’hostilité des dirigeants, voire l’incompréhension d’une frange - minoritaire mais très influente - de la communauté nationale. Ce groupe, non constitué mais particulièrement sensible à l’abolition des faveurs de naissance, se considère, en matière de partage des richesses et de répression de l’homicide, bien au dessus des autres compatriotes. Le sentiment de préséance s’imprègne de l’esprit de corps inhérent aux solidarités claniques et intertribales.
De cette mentalité diffuse, non écrite mais empirique, il résulte que l’Etat respecte, sert et protège certains mauritaniens, au détriment d’autres ; comme partout, dans les environnements où l’autoritarisme rencontre une structure historique de partage inéquitable du pouvoir, la majorité de la population finit par admettre le principe de son infériorité et s’en accommodera, sous l’effet du fatalisme et de la crainte. Entre-temps, les frustrations et le ressentiment s’accumulent, en son sein ; la certitude de sa diminution politique nourrit, alors, la haine sourde des privilégiés, les fantasmes et délires du désespoir, l’exil et le désir de se reconstruire un présent ailleurs, loin.
La Mauritanie est arrivée au stade crucial, où ses citoyens ne croient plus en son avenir.
Les mauritaniens ne croient plus en la Mauritanie parce qu’ils s’y sentent inégaux devant la loi. Le constat, vérifié dans la vie de tous les jours, procède d’une réalité simple, flagrante, qui n’a plus besoin de démonstration : l’IMPUNITE !
L’impunité, c’est la conscience, chez le meurtrier, le tortionnaire, le pilleur du bien collectif, le trafiquant d’influence, le responsable d’abus d’autorité, qu’en dépit de la gravité de ses actes, la rigueur de la règle ne s’appliquera jamais à lui, parce qu’il est né tel, fils de tel. L’impunité, c’est aussi et surtout la conviction, chez la victime - chaque jour confrontée à la mémoire d’un préjudice jamais réprimé ni réparé – que ses vie, corps et intérêts se dévaluent toujours, quand arrive l’heure d’obtenir compensation.
Il en résulta, comme le prouve l’identité des détenus d’opinion depuis plus de 6 ans, que les luttes politiques se déroulent seulement à l’intérieur d’une ethnie ; par cette illustration incontestable, le temps avalise et confirme, au-delà de la pauvreté et des conditions matérielles des masses, le caractère anthropo-racial de l’exclusion.
Jusqu’à ce jour, la situation ainsi décrite, n’a connu aucune évolution.
Contre sa permanence, le coup d’Etat salutaire du 3 août 2005 avait provoqué une exceptionnelle éruption d’espérances, vite déçues. Le nouveau Pouvoir semble s’astreindre à réussir la neutralité et la transparence de la transition. Il revendique, sans complexes, la préférence de léguer, au gouvernement issu des élections, l’ensemble des contradictions vitales de la Mauritanie. Il s’agirait, là, d’un déficit inexcusable de vision, d’une effrayante inaptitude à percevoir les périls de demain.
Afin de prévenir une erreur aussi grave, nous rappelons, de nouveau, au Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, l’urgence d’entamer, durant la période transitoire, le processus de décrispation sociale et de réconciliation des mauritaniens, sur des bases de dialogue, de réparation et de demande de pardon. Les parenthèses putschistes seules permettent des solutions de consensus, loin des surenchères, des tensions et pressions clientélistes où la compétition électorale plonge les partis. A contrario, il serait suicidaire, pour les forces armées et de sécurité - donc la stabilité de la Mauritanie - de différer, au régime civil, la résolution des problématiques de l’esclavage, du racisme, du passif humanitaire et de son impunité.
Nous sommes conscients que de tels défis requièrent des années de travail ; aussi, ne réclamons-nous que la mise en œuvre, rapide, du processus de règlement, afin de prendre, avant le mois de mars 2007, les mesures symboliques d’apaisement et de fixer les règles d’une solution par consensus. Plus précis et justes seront les termes de celle-ci, mieux la Mauritanie en sortira.
Nous prions, fermement, les autorités de notre pays, d’appliquer, sans retard, les recommandations très claires, signifiées au gouvernement de la Mauritanie, par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP Alger mai 2000) et le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale (CERD, Nations Unies, Genève août 2004). La suspension des responsables présumés de tortures constituerait un geste encourageant et parfaitement conforme à la Convention de New York, ratifiée par la Mauritanie, le 27 novembre 2004.
Aux fins de la concorde, nous offrons notre expertise, notre médiation auprès des victimes, notre bonne volonté, gratuitement et sans limite de temps. Nul besoin de revanche ne nous anime, nous espérions, juste cette dose d’équité que confère la qualité de citoyen.
Je vous remercie.
Nouakchott, le 10 décembre 2005
57 ème anniversaire de la Déclaration Universelle
Allocution de Boubacar Messaoud, au nom du FONADH
Le 10 décembre 1948, L’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait la Déclaration, Universelle des Droits de l’Homme. Ce texte proclame, au-delà des différences de langues, de religion, de race et de tous autres repères civilisationnels, les principales valeurs où l’Humanité conçois la protection de sa dignité.
Dès son indépendance, la République Islamique de Mauritanie adhérait aux dispositions de la charte ; depuis, elle les a toutes violées, sans jamais - je dis bien jamais – punir, ni même juger les auteurs de telles atteintes aux engagement pris devant le monde. Ainsi - les pouvoirs s’amnistiant à mesure qu’ils se succèdent - l’expropriation et l’élimination physique des opposants, la torture des détenus d’opinion et de droit commun et la banalisation de la responsabilité collective par les représailles sur l’entourage des dissidents, n’ont cessé de croître, au point de devenir, la norme, dans le rapport de la puissance publique aux gouvernés
Les violences intrinsèques à l’espace mauritanien purent se perpétuer, parce que la direction de l’Etat restait entre les mains exclusives d’élites, dont les intérêts matériels et symboliques s’attachent, organiquement, à l’ordre traditionnel ; pour durer, ce dernier doit reproduire l’inégalité et la discrimination. C’est ainsi qu’en 45 ans d’existence, la Mauritanie peine encore à s’émanciper des fardeaux de son histoire.
L’esclavage perdure, malgré le volontarisme des lois et des discours officiels. Jusqu’à ce jour, aucun texte de droit ne le sanctionne, explicitement. Les pratiques, pourtant dénoncées plusieurs fois par an, ne font jamais l’objet d’instructions judiciaires. Aucun auteur n’a été condamné, ni même conduit devant un tribunal. La vérité des faits se retrouve, souvent maquillée, avec le concours des policiers, des juges et d’une partie de la presse.
L’exclusion ethno-raciale, quotidiennement à l’œuvre, à tous les niveaux de l’Etat, relève, désormais, d’une fait accompli, que des argumentaires de plus en plus rodés tentent d’asseoir, définitivement, par lé déni, l’occultation et le chantage des risques de troubles à l’ordre public. Les dernières années de la dictature ont fortement contribué à l’enracinement, quasi institutionnel, d’une nouvelle citoyenneté, au terme de quoi les descendants d’esclaves et les négro-africains devaient- en attendant des réformes ou l’action du temps - se contenter, d’une position de seconde zone. Exécutions extrajudiciaires de centaines de militaires et de civils, déportations de dizaines de milliers d’autres, purges massives de l’administration, des forces armées et de sécurité, voici le bilan cumulé en moins de deux ans et toujours actuel, car non soldé.
La moindre velléité de s’indigner de ces deux constantes inégalitaires, de les rappeler ou de demander leur règlement suscite, aussitôt, l’hostilité des dirigeants, voire l’incompréhension d’une frange - minoritaire mais très influente - de la communauté nationale. Ce groupe, non constitué mais particulièrement sensible à l’abolition des faveurs de naissance, se considère, en matière de partage des richesses et de répression de l’homicide, bien au dessus des autres compatriotes. Le sentiment de préséance s’imprègne de l’esprit de corps inhérent aux solidarités claniques et intertribales.
De cette mentalité diffuse, non écrite mais empirique, il résulte que l’Etat respecte, sert et protège certains mauritaniens, au détriment d’autres ; comme partout, dans les environnements où l’autoritarisme rencontre une structure historique de partage inéquitable du pouvoir, la majorité de la population finit par admettre le principe de son infériorité et s’en accommodera, sous l’effet du fatalisme et de la crainte. Entre-temps, les frustrations et le ressentiment s’accumulent, en son sein ; la certitude de sa diminution politique nourrit, alors, la haine sourde des privilégiés, les fantasmes et délires du désespoir, l’exil et le désir de se reconstruire un présent ailleurs, loin.
La Mauritanie est arrivée au stade crucial, où ses citoyens ne croient plus en son avenir.
Les mauritaniens ne croient plus en la Mauritanie parce qu’ils s’y sentent inégaux devant la loi. Le constat, vérifié dans la vie de tous les jours, procède d’une réalité simple, flagrante, qui n’a plus besoin de démonstration : l’IMPUNITE !
L’impunité, c’est la conscience, chez le meurtrier, le tortionnaire, le pilleur du bien collectif, le trafiquant d’influence, le responsable d’abus d’autorité, qu’en dépit de la gravité de ses actes, la rigueur de la règle ne s’appliquera jamais à lui, parce qu’il est né tel, fils de tel. L’impunité, c’est aussi et surtout la conviction, chez la victime - chaque jour confrontée à la mémoire d’un préjudice jamais réprimé ni réparé – que ses vie, corps et intérêts se dévaluent toujours, quand arrive l’heure d’obtenir compensation.
Il en résulta, comme le prouve l’identité des détenus d’opinion depuis plus de 6 ans, que les luttes politiques se déroulent seulement à l’intérieur d’une ethnie ; par cette illustration incontestable, le temps avalise et confirme, au-delà de la pauvreté et des conditions matérielles des masses, le caractère anthropo-racial de l’exclusion.
Jusqu’à ce jour, la situation ainsi décrite, n’a connu aucune évolution.
Contre sa permanence, le coup d’Etat salutaire du 3 août 2005 avait provoqué une exceptionnelle éruption d’espérances, vite déçues. Le nouveau Pouvoir semble s’astreindre à réussir la neutralité et la transparence de la transition. Il revendique, sans complexes, la préférence de léguer, au gouvernement issu des élections, l’ensemble des contradictions vitales de la Mauritanie. Il s’agirait, là, d’un déficit inexcusable de vision, d’une effrayante inaptitude à percevoir les périls de demain.
Afin de prévenir une erreur aussi grave, nous rappelons, de nouveau, au Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, l’urgence d’entamer, durant la période transitoire, le processus de décrispation sociale et de réconciliation des mauritaniens, sur des bases de dialogue, de réparation et de demande de pardon. Les parenthèses putschistes seules permettent des solutions de consensus, loin des surenchères, des tensions et pressions clientélistes où la compétition électorale plonge les partis. A contrario, il serait suicidaire, pour les forces armées et de sécurité - donc la stabilité de la Mauritanie - de différer, au régime civil, la résolution des problématiques de l’esclavage, du racisme, du passif humanitaire et de son impunité.
Nous sommes conscients que de tels défis requièrent des années de travail ; aussi, ne réclamons-nous que la mise en œuvre, rapide, du processus de règlement, afin de prendre, avant le mois de mars 2007, les mesures symboliques d’apaisement et de fixer les règles d’une solution par consensus. Plus précis et justes seront les termes de celle-ci, mieux la Mauritanie en sortira.
Nous prions, fermement, les autorités de notre pays, d’appliquer, sans retard, les recommandations très claires, signifiées au gouvernement de la Mauritanie, par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP Alger mai 2000) et le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale (CERD, Nations Unies, Genève août 2004). La suspension des responsables présumés de tortures constituerait un geste encourageant et parfaitement conforme à la Convention de New York, ratifiée par la Mauritanie, le 27 novembre 2004.
Aux fins de la concorde, nous offrons notre expertise, notre médiation auprès des victimes, notre bonne volonté, gratuitement et sans limite de temps. Nul besoin de revanche ne nous anime, nous espérions, juste cette dose d’équité que confère la qualité de citoyen.
Je vous remercie.
Nouakchott, le 10 décembre 2005