La junte exige le départ des 1 500 militaires d’ici à début septembre, une demande inacceptable pour Paris.
La scène a des airs de déjà-vu. Concert de klaxons, slogans « A bas la France », ici et là des drapeaux russes. Dans l’après-midi du vendredi 11 août, des milliers de Nigériens se sont rassemblés autour du rond-point de l’Escadrille, non loin de la base militaire française située dans la périphérie est de Niamey, la capitale du Niger. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet perpétré contre le président Mohamed Bazoum par le général Abdourahamane Tiani, le chef de la garde présidentielle qui s’est autoproclamé chef de l’Etat, les quelque 1 500 soldats français déployés au Niger, principalement au sein de la base aérienne projetée de Niamey, attendent que leur sort soit scellé.
Le message envoyé par la junte réunie au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) est clair : les soldats français, présents depuis 2013 aux côtés de l’armée nigérienne pour lutter contre les mouvements djihadistes – le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (affilié à Al-Qaida) et l’Etat islamique au Sahel –, doivent plier bagage. Lors d’une allocution à la télévision nationale, le 3 août, le colonel major Amadou Abdramane, porte-parole du CNSP et désormais ministre de la jeunesse et des sports, a officiellement dénoncé les cinq accords de coopération militaire signés avec la France entre 1977 et 2020. Une rupture justifiée par « l’attitude désinvolte et la réaction de la France face à la situation interne qui prévaut dans le pays ».
Ces textes encadrent juridiquement la présence et l’action des forces françaises au Sahel stationnées au Niger – le nom donné au déploiement français dans la zone depuis la fin de l’opération « Barkhane » en août 2022. « Seules les autorités légitimes du Niger peuvent [les] dénoncer », a riposté le ministère des affaires étrangères lors d’un point presse à Paris le 4 août.
Un « préavis de trente jours »
« Pour l’instant, la position de Paris reste défendable, estime Julien Antouly, chercheur en droit des conflits armés. Une grosse majorité de la communauté internationale reconnaît toujours le président Mohamed Bazoum. Mais si la junte s’installe réellement au pouvoir, les Français devront reconnaître le fait accompli. Dans ce cas, la présence des forces françaises au Sahel basées au Niger, à l’expiration du délai de dénonciation prévu dans les accords, sera illégale. »
Au Mali en mai 2021 et au Burkina Faso en septembre 2022, les juntes au pouvoir avaient elles aussi instrumentalisé l’hostilité de leurs opinions publiques à la présence militaire française et dénoncé les accords de coopération signés avec Paris, dans le but en partie de souder autour de leur pouvoir une jeunesse sensible aux idées panafricanistes et souverainistes. S’en était suivi le départ du dernier soldat français du Mali à la mi-août 2022 et des éléments de la task force Sabre – nom des forces spéciales françaises basées au Sahel – du Burkina Faso en février 2023. Une partie de ces effectifs remerciés par les pouvoirs militaires maliens et burkinabés avaient été redéployés au Niger.
La défiance exprimée par la junte de Niamey, si elle n’a rien de surprenant, ne peut pas être ignorée par le ministère des armées. Les clauses qui régissent la coopération militaire sont confidentielles, mais le porte-parole du CNSP a évoqué, lors de l’allocution du 3 août, un « préavis de [retrait] trente jours » pour les deux accords les plus importants, qui concernent le « régime juridique de l’intervention des militaires français au Niger » et « le stationnement et activités du détachement interarmées français » dans le pays. En d’autres termes : les putschistes demandent aux forces françaises d’avoir quitté le pays d’ici au début du mois de septembre. Une requête « impossible » à satisfaire, selon les spécialistes interrogés par Le Monde.
« Il nous faudrait au moins trois mois pour acheminer les containers, emballer le matériel, et le faire sortir du pays avec évidemment tous les soldats », indique une source officielle française. En 2022, il avait fallu six mois à l’armée pour évacuer les quelque mille véhicules et trois mille conteneurs utilisés pour entreposer ses matériels et loger ses soldats au Mali – plus de quatre mille autres avaient déjà été sortis durant l’hiver 2021-2022. Une opération logistique d’une ampleur hors norme, qui avait nécessité de mobiliser les moyens de l’armée mais aussi ceux de sociétés civiles, comme les navires de la Compagnie maritime nantaise, les camions de Bolloré Logistics ou les avions gros-porteurs Antonov de Ruslan Salis.
« Beaucoup moins de temps »
« La situation des forces militaires françaises au Niger est encore plus complexe que celle des hommes qui étaient au Burkina et au Mali, car Paris a encore beaucoup moins de temps pour organiser le départ de nombreux soldats et de matériel lourd », résume un diplomate occidental au Sahel. La base aérienne projetée de Niamey a été dotée d’équipements de pointe. Plusieurs avions de chasse Mirage 2000D et hélicoptères d’attaque (Tigre) ou de manœuvre (Caïman) y sont déployés, sans parler des dizaines de blindés utilisés pour appuyer les opérations antiterroristes menées avec les forces armées nigériennes et des drones MQ-9 Reaper, les tout premiers à être armés de bombes.
Le retrait, s’il devait avoir lieu, s’annonce d’autant plus périlleux que la junte risque de donner dans la surenchère. « Ils vont jouer avec nous, comme un chat avec sa souris, jusqu’à la fin », glisse une source officielle française. C’est déjà le cas. Jeudi 10 août, le CNSP a rappelé, en pleine nuit à la télévision nationale, que « le délai accordé à l’armée française pour quitter le territoire nigérien conformément à ces accords [était] en train de courir ».
Paris a également été accusé de « chercher à atterrir à Arlit sans plan de vol préétabli, en coupant une fois encore tous les moyens de communication et de suivi », preuve selon les putschistes de « l’agenda caché » des militaires français au Niger. Paris affirme, lettre à l’appui, que ces vols ont été approuvés par les militaires nigériens.
Plusieurs rotations aériennes ont en effet eu lieu ces derniers jours depuis N’Djamena, la capitale tchadienne, pour rapatrier un petit détachement de soldats français qui se trouvait dans le poste avancé d’Aguelal, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Arlit, dans le massif de l’Aïr, à proximité des mines d’uranium exploitées par Orano (ex-Areva). « Il n’y a plus de Français présents sur place et donc plus d’intérêt opérationnel à maintenir des hommes là-bas », explique au Monde une source militaire française, précisant qu’il ne s’agissait pas là d’un retrait mais d’une « réarticulation du dispositif ».
Mercredi, le CNSP avait déjà accusé un A400M venu chercher des soldats français qui devaient être évacués d’Aguelal d’avoir violé l’espace aérien du Niger, fermé le 6 août, et « libéré des terroristes ». Paris avait là encore réfuté cette accusation. Vendredi 11 août au soir, l’état-major a précisé que tous les militaires français stationnés à Aguelal ont été rapatriés à N’Djamena.
Morgane Le Cam et Cédric Pietralunga
Source : Le Monde
La scène a des airs de déjà-vu. Concert de klaxons, slogans « A bas la France », ici et là des drapeaux russes. Dans l’après-midi du vendredi 11 août, des milliers de Nigériens se sont rassemblés autour du rond-point de l’Escadrille, non loin de la base militaire française située dans la périphérie est de Niamey, la capitale du Niger. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet perpétré contre le président Mohamed Bazoum par le général Abdourahamane Tiani, le chef de la garde présidentielle qui s’est autoproclamé chef de l’Etat, les quelque 1 500 soldats français déployés au Niger, principalement au sein de la base aérienne projetée de Niamey, attendent que leur sort soit scellé.
Le message envoyé par la junte réunie au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) est clair : les soldats français, présents depuis 2013 aux côtés de l’armée nigérienne pour lutter contre les mouvements djihadistes – le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (affilié à Al-Qaida) et l’Etat islamique au Sahel –, doivent plier bagage. Lors d’une allocution à la télévision nationale, le 3 août, le colonel major Amadou Abdramane, porte-parole du CNSP et désormais ministre de la jeunesse et des sports, a officiellement dénoncé les cinq accords de coopération militaire signés avec la France entre 1977 et 2020. Une rupture justifiée par « l’attitude désinvolte et la réaction de la France face à la situation interne qui prévaut dans le pays ».
Ces textes encadrent juridiquement la présence et l’action des forces françaises au Sahel stationnées au Niger – le nom donné au déploiement français dans la zone depuis la fin de l’opération « Barkhane » en août 2022. « Seules les autorités légitimes du Niger peuvent [les] dénoncer », a riposté le ministère des affaires étrangères lors d’un point presse à Paris le 4 août.
Un « préavis de trente jours »
« Pour l’instant, la position de Paris reste défendable, estime Julien Antouly, chercheur en droit des conflits armés. Une grosse majorité de la communauté internationale reconnaît toujours le président Mohamed Bazoum. Mais si la junte s’installe réellement au pouvoir, les Français devront reconnaître le fait accompli. Dans ce cas, la présence des forces françaises au Sahel basées au Niger, à l’expiration du délai de dénonciation prévu dans les accords, sera illégale. »
Au Mali en mai 2021 et au Burkina Faso en septembre 2022, les juntes au pouvoir avaient elles aussi instrumentalisé l’hostilité de leurs opinions publiques à la présence militaire française et dénoncé les accords de coopération signés avec Paris, dans le but en partie de souder autour de leur pouvoir une jeunesse sensible aux idées panafricanistes et souverainistes. S’en était suivi le départ du dernier soldat français du Mali à la mi-août 2022 et des éléments de la task force Sabre – nom des forces spéciales françaises basées au Sahel – du Burkina Faso en février 2023. Une partie de ces effectifs remerciés par les pouvoirs militaires maliens et burkinabés avaient été redéployés au Niger.
La défiance exprimée par la junte de Niamey, si elle n’a rien de surprenant, ne peut pas être ignorée par le ministère des armées. Les clauses qui régissent la coopération militaire sont confidentielles, mais le porte-parole du CNSP a évoqué, lors de l’allocution du 3 août, un « préavis de [retrait] trente jours » pour les deux accords les plus importants, qui concernent le « régime juridique de l’intervention des militaires français au Niger » et « le stationnement et activités du détachement interarmées français » dans le pays. En d’autres termes : les putschistes demandent aux forces françaises d’avoir quitté le pays d’ici au début du mois de septembre. Une requête « impossible » à satisfaire, selon les spécialistes interrogés par Le Monde.
« Il nous faudrait au moins trois mois pour acheminer les containers, emballer le matériel, et le faire sortir du pays avec évidemment tous les soldats », indique une source officielle française. En 2022, il avait fallu six mois à l’armée pour évacuer les quelque mille véhicules et trois mille conteneurs utilisés pour entreposer ses matériels et loger ses soldats au Mali – plus de quatre mille autres avaient déjà été sortis durant l’hiver 2021-2022. Une opération logistique d’une ampleur hors norme, qui avait nécessité de mobiliser les moyens de l’armée mais aussi ceux de sociétés civiles, comme les navires de la Compagnie maritime nantaise, les camions de Bolloré Logistics ou les avions gros-porteurs Antonov de Ruslan Salis.
« Beaucoup moins de temps »
« La situation des forces militaires françaises au Niger est encore plus complexe que celle des hommes qui étaient au Burkina et au Mali, car Paris a encore beaucoup moins de temps pour organiser le départ de nombreux soldats et de matériel lourd », résume un diplomate occidental au Sahel. La base aérienne projetée de Niamey a été dotée d’équipements de pointe. Plusieurs avions de chasse Mirage 2000D et hélicoptères d’attaque (Tigre) ou de manœuvre (Caïman) y sont déployés, sans parler des dizaines de blindés utilisés pour appuyer les opérations antiterroristes menées avec les forces armées nigériennes et des drones MQ-9 Reaper, les tout premiers à être armés de bombes.
Le retrait, s’il devait avoir lieu, s’annonce d’autant plus périlleux que la junte risque de donner dans la surenchère. « Ils vont jouer avec nous, comme un chat avec sa souris, jusqu’à la fin », glisse une source officielle française. C’est déjà le cas. Jeudi 10 août, le CNSP a rappelé, en pleine nuit à la télévision nationale, que « le délai accordé à l’armée française pour quitter le territoire nigérien conformément à ces accords [était] en train de courir ».
Paris a également été accusé de « chercher à atterrir à Arlit sans plan de vol préétabli, en coupant une fois encore tous les moyens de communication et de suivi », preuve selon les putschistes de « l’agenda caché » des militaires français au Niger. Paris affirme, lettre à l’appui, que ces vols ont été approuvés par les militaires nigériens.
Plusieurs rotations aériennes ont en effet eu lieu ces derniers jours depuis N’Djamena, la capitale tchadienne, pour rapatrier un petit détachement de soldats français qui se trouvait dans le poste avancé d’Aguelal, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Arlit, dans le massif de l’Aïr, à proximité des mines d’uranium exploitées par Orano (ex-Areva). « Il n’y a plus de Français présents sur place et donc plus d’intérêt opérationnel à maintenir des hommes là-bas », explique au Monde une source militaire française, précisant qu’il ne s’agissait pas là d’un retrait mais d’une « réarticulation du dispositif ».
Mercredi, le CNSP avait déjà accusé un A400M venu chercher des soldats français qui devaient être évacués d’Aguelal d’avoir violé l’espace aérien du Niger, fermé le 6 août, et « libéré des terroristes ». Paris avait là encore réfuté cette accusation. Vendredi 11 août au soir, l’état-major a précisé que tous les militaires français stationnés à Aguelal ont été rapatriés à N’Djamena.
Morgane Le Cam et Cédric Pietralunga
Source : Le Monde