Le chef de la garde présidentielle s’est autoproclamé nouvel homme fort du pays vendredi 28 juillet après quarante-huit heures de flottement. Il ne fait pas l’unanimité au sein de l’armée.
Après plus de quarante-huit heures sans avoir désigné de chef, la junte nigérienne, qui a pris le pouvoir mercredi 26 juillet en séquestrant le président Mohamed Bazoum, a désormais un visage. Vendredi 28 juillet, celui que tous, à Niamey, désignaient d’emblée comme l’orchestrateur de ce coup d’Etat est sorti de l’ombre du palais où il était jusqu’ici resté terré.
En treillis, un béret marron de son unité sur la tête, le général Abdourahamane Tchiani, jusque-là commandant de la garde présidentielle, est apparu à la télévision nationale pour justifier son putsch : « Les forces de défense et de sécurité regroupées au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie [CNSP] ont mis fin au régime de la VIIᵉ République », a-t-il déclaré, les yeux baissés sur son communiqué. Une action, a-t-il assuré, « motivée par la seule volonté de préserver » le Niger de « la dégradation continue de la situation sécuritaire, et cela sans que les autorités déchues nous laissent entrevoir une véritable solution de sortie de crise ».
Cette conclusion a demandé un processus de tractations en amont. Les discussions, en effet, ont été longues et complexes parmi les acteurs du coup d’Etat, en dépit de l’apparence d’unité affichée la veille à la télévision par les putschistes lorsqu’ils avaient pris soin de faire appel à des responsables de tous les corps de l’armée. « Le général Tchiani ne faisait pas l’unanimité auprès des commandants de l’armée. D’où cette longue période de flottement, depuis mercredi », décrypte une source sécuritaire nigérienne.
Le président Bazoum souhaitait le démettre de ses fonctions
Réputé dur de caractère, cet officier supérieur de 59 ans est craint de ses soldats et mal-aimé par une large partie du reste de l’armée, qui lui reproche d’avoir « mis hors jeu de nombreux officiers réputés hostiles au régime de Mahamadou Issoufou », raconte un acteur de la société civile nigérienne. Homme de confiance de l’ancien président Issoufou (2011-2021), ce Nigérien haoussa né à Filingué, dans le sud-ouest du Niger, a selon plusieurs sources « tout fait » pour protéger celui à qui il doit sa nomination à la tête de la garde présidentielle en 2011. Unité la mieux dotée de l’armée, ce corps compte environ sept cents hommes.
La fidélité sans faille d’Abdourahamane Tchiani envers l’ex-chef de l’Etat a assuré sa longévité et lui a aussi permis de se constituer une fortune. Aux abords de Filingué, l’officier supérieur possède un vaste troupeau de bétail dont les djihadistes, omniprésents dans la zone, viennent parfois voler quelques bêtes. Il a aussi investi dans l’immobilier. Alors que M. Bazoum, président depuis 2021, avait décidé de le démettre de ses fonctions, a-t-il fomenté son coup de force pour s’assurer la pérennité de ses privilèges ?
Sa proximité avec Mahamadou Issoufou était en tout cas devenue un sujet de préoccupation pour M. Bazoum. Longtemps, le nouveau président s’est accommodé de ce général, à qui il était redevable d’avoir su déjouer une tentative de déstabilisation le visant, juste avant son investiture en 2021. De fait, le général deux étoiles remplit sa mission consistant à assurer la sécurité du président. Mais « il répondait à M. Issoufou plus qu’à M. Bazoum, c’est ce qui a conduit au fait que le président souhaite le relever, ce que Tchiani n’a pas accepté », explique un observateur averti. Cette proximité avec M. Issoufou alimente les interrogations sur le rôle joué par ce dernier.
Le bras de fer n’est pas terminé
Pour le général Tchiani, qui a combattu par le passé dans la région de Diffa, contre des rebelles toubou notamment, les premières heures du coup d’Etat furent difficiles. Plusieurs sources sécuritaires et diplomatiques rapportent qu’une partie de la hiérarchie militaire aurait préféré voir le général Salifou Mody, bien plus consensuel au sein de la troupe, nommé à la tête de la junte.
M. Tchiani est parvenu à remporter la première manche en accédant au pouvoir et en se faisant par la suite proclamer chef de l’Etat par les siens. Mais diplomates et analystes nigériens soulignent que le bras de fer n’est pas terminé. « Son pouvoir reste fragile. Tchiani marche sur des braises », rapporte la source sécuritaire. Contesté en interne, le général doit aussi faire face à une communauté internationale qui, à mesure des coups de force se succédant dans la sous-région – Mali, Burkina Faso, Guinée et Tchad depuis 2020 –, durcit le ton.
« Tous les moyens seront utilisés au besoin pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger, mais l’idéal serait que tout se fasse dans la paix et la concorde », a averti le 28 juillet Patrice Talon, le président du Bénin. Désigné médiateur dans la crise nigérienne par le Nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), M. Talon n’a pour l’instant pas été autorisé à atterrir à Niamey.
Une aide au développement importante
En revanche, l’atterrissage d’un avion militaire français sur le tarmac de l’aéroport de la capitale jeudi matin, considéré par le CNSP dans un communiqué publié dans la foulée comme une violation de la fermeture des frontières, a « rendu les putschistes paranoïaques », rapporte une source diplomatique ouest-africaine.
Formé en partie en France, au Maroc et aux Etats-Unis, le général Tchiani avait commandé des bataillons d’opérations de la Cedeao. Son attitude vis-à-vis des Occidentaux, qui ont largement redéployé au Niger leurs militaires présents au Sahel et y déversent une aide au développement importante, va être scrutée, comme le sera sa relation avec Moscou.
Le porte-parole du CNSP a prévenu qu’il allait « prendre à témoin l’opinion sur les conséquences qui découleront de toute intervention militaire étrangère ». Le président Bazoum était encore retenu par les putschistes, dans la matinée de samedi 29 juillet.
Morgane Le Cam
Source : Le Monde
Après plus de quarante-huit heures sans avoir désigné de chef, la junte nigérienne, qui a pris le pouvoir mercredi 26 juillet en séquestrant le président Mohamed Bazoum, a désormais un visage. Vendredi 28 juillet, celui que tous, à Niamey, désignaient d’emblée comme l’orchestrateur de ce coup d’Etat est sorti de l’ombre du palais où il était jusqu’ici resté terré.
En treillis, un béret marron de son unité sur la tête, le général Abdourahamane Tchiani, jusque-là commandant de la garde présidentielle, est apparu à la télévision nationale pour justifier son putsch : « Les forces de défense et de sécurité regroupées au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie [CNSP] ont mis fin au régime de la VIIᵉ République », a-t-il déclaré, les yeux baissés sur son communiqué. Une action, a-t-il assuré, « motivée par la seule volonté de préserver » le Niger de « la dégradation continue de la situation sécuritaire, et cela sans que les autorités déchues nous laissent entrevoir une véritable solution de sortie de crise ».
Cette conclusion a demandé un processus de tractations en amont. Les discussions, en effet, ont été longues et complexes parmi les acteurs du coup d’Etat, en dépit de l’apparence d’unité affichée la veille à la télévision par les putschistes lorsqu’ils avaient pris soin de faire appel à des responsables de tous les corps de l’armée. « Le général Tchiani ne faisait pas l’unanimité auprès des commandants de l’armée. D’où cette longue période de flottement, depuis mercredi », décrypte une source sécuritaire nigérienne.
Le président Bazoum souhaitait le démettre de ses fonctions
Réputé dur de caractère, cet officier supérieur de 59 ans est craint de ses soldats et mal-aimé par une large partie du reste de l’armée, qui lui reproche d’avoir « mis hors jeu de nombreux officiers réputés hostiles au régime de Mahamadou Issoufou », raconte un acteur de la société civile nigérienne. Homme de confiance de l’ancien président Issoufou (2011-2021), ce Nigérien haoussa né à Filingué, dans le sud-ouest du Niger, a selon plusieurs sources « tout fait » pour protéger celui à qui il doit sa nomination à la tête de la garde présidentielle en 2011. Unité la mieux dotée de l’armée, ce corps compte environ sept cents hommes.
La fidélité sans faille d’Abdourahamane Tchiani envers l’ex-chef de l’Etat a assuré sa longévité et lui a aussi permis de se constituer une fortune. Aux abords de Filingué, l’officier supérieur possède un vaste troupeau de bétail dont les djihadistes, omniprésents dans la zone, viennent parfois voler quelques bêtes. Il a aussi investi dans l’immobilier. Alors que M. Bazoum, président depuis 2021, avait décidé de le démettre de ses fonctions, a-t-il fomenté son coup de force pour s’assurer la pérennité de ses privilèges ?
Sa proximité avec Mahamadou Issoufou était en tout cas devenue un sujet de préoccupation pour M. Bazoum. Longtemps, le nouveau président s’est accommodé de ce général, à qui il était redevable d’avoir su déjouer une tentative de déstabilisation le visant, juste avant son investiture en 2021. De fait, le général deux étoiles remplit sa mission consistant à assurer la sécurité du président. Mais « il répondait à M. Issoufou plus qu’à M. Bazoum, c’est ce qui a conduit au fait que le président souhaite le relever, ce que Tchiani n’a pas accepté », explique un observateur averti. Cette proximité avec M. Issoufou alimente les interrogations sur le rôle joué par ce dernier.
Le bras de fer n’est pas terminé
Pour le général Tchiani, qui a combattu par le passé dans la région de Diffa, contre des rebelles toubou notamment, les premières heures du coup d’Etat furent difficiles. Plusieurs sources sécuritaires et diplomatiques rapportent qu’une partie de la hiérarchie militaire aurait préféré voir le général Salifou Mody, bien plus consensuel au sein de la troupe, nommé à la tête de la junte.
M. Tchiani est parvenu à remporter la première manche en accédant au pouvoir et en se faisant par la suite proclamer chef de l’Etat par les siens. Mais diplomates et analystes nigériens soulignent que le bras de fer n’est pas terminé. « Son pouvoir reste fragile. Tchiani marche sur des braises », rapporte la source sécuritaire. Contesté en interne, le général doit aussi faire face à une communauté internationale qui, à mesure des coups de force se succédant dans la sous-région – Mali, Burkina Faso, Guinée et Tchad depuis 2020 –, durcit le ton.
« Tous les moyens seront utilisés au besoin pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger, mais l’idéal serait que tout se fasse dans la paix et la concorde », a averti le 28 juillet Patrice Talon, le président du Bénin. Désigné médiateur dans la crise nigérienne par le Nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), M. Talon n’a pour l’instant pas été autorisé à atterrir à Niamey.
Une aide au développement importante
En revanche, l’atterrissage d’un avion militaire français sur le tarmac de l’aéroport de la capitale jeudi matin, considéré par le CNSP dans un communiqué publié dans la foulée comme une violation de la fermeture des frontières, a « rendu les putschistes paranoïaques », rapporte une source diplomatique ouest-africaine.
Formé en partie en France, au Maroc et aux Etats-Unis, le général Tchiani avait commandé des bataillons d’opérations de la Cedeao. Son attitude vis-à-vis des Occidentaux, qui ont largement redéployé au Niger leurs militaires présents au Sahel et y déversent une aide au développement importante, va être scrutée, comme le sera sa relation avec Moscou.
Le porte-parole du CNSP a prévenu qu’il allait « prendre à témoin l’opinion sur les conséquences qui découleront de toute intervention militaire étrangère ». Le président Bazoum était encore retenu par les putschistes, dans la matinée de samedi 29 juillet.
Morgane Le Cam
Source : Le Monde