Depuis les élections présidentielles et législatives passées, il y a comme un complot qui se joue contre les langues négro-africaines de Mauritanie. Aucun des grands candidats arabes (Sidi et Ahmed Daddah) arrivés au deuxième tour de la présidentielle n’a voulu prendre une position claire par rapport aux langues pulaar, wolof, sooninke et bamanan. Durant le débat radiotélévisé du second tour, Sidi, l’actuel président, nous promettait un débat autour de la question s’il était élu. Il n’en est encore rien. Ahmed Daddah, quant à lui, tout en promettant de réintroduire les langues dans le système éducatif (accord de soutien avec Ibrahima Moktar Sarr oblige), parlait de « résultats mitigés » de l’Institut des Langues Nationales et refusait d’offrir à ces langues le même statut officiel que l’arabe. Depuis lors, une certaine presse s’emploie à remettre en cause les acquis de l’ILN. Pourtant, ceux qui avaient créé et dirigé l’Institut sont encore parmi nous. Hasni Ould Didi (je souhaite qu’il soit encore en vie), le ministre de l’éducation de l’époque, peut témoigner des acquis obtenus. Souleymane Kane, l’ex directeur est encore là. Ly Djibril Hamet, Amadou Oumar DIA, qui ont dirigé les départements de la formation et de la recherche sont encore vivants. Ceux, comme moi, qui avaient eu la chance de participer à cette belle aventure en formant des enfants, en formant des enseignants, en produisant du matériel didactique, en traduisant les programmes scolaires, en concevant des guides pédagogiques innovateurs, sont encore là ! Les élèves de nos classes expérimentales ont grandi, ils sont aujourd’hui des ingénieurs, des professeurs, mais aussi des chômeurs comme toute notre populace. Pourquoi alors ces TABANE ne veulent pas aller chercher l’information là où il faut la chercher, parler à ceux qui avaient en charge ce programme, parler à ceux qui ont vécu ce programme et à ceux qui l’ont subi ? Pourquoi un journal comme la Tribune avec d’admirables journalistes comme Ould Oumère publie-t-il des produits « sans mère ni père » ?
L’Institut des Langues Nationales a été la plus belle des aventures que notre pays ait jamais connues. Nous avons pu démontrer à la face du monde que les africains comme le reste du monde pouvaient avoir un système éducatif en cohérence avec leurs valeurs et que nos langues étaient les meilleurs véhicules du savoir pour nos enfants qui les parlaient. L’UNESCO avait fait son évaluation, le document est toujours disponible. Il ne manquait que la volonté politique. Mais l’Institut, avant les milliers de négro-africains de Mauritanie, a été la première victime de ce qu’on appelle aujourd’hui le passif humanitaire de TAYA et ses baathistes. Il a subi la mort la plus atroce de la part du despote, il a été sevré et on lui a coupé les vivres au moment où il en avait le plus besoin. Il a résisté à la soif et à la famine qu’on lui imposait pendant des années, parce que tout simplement il avait la volonté de vivre. Mais un bébé n’a aucune arme contre une mère qui ne veut pas de lui. Le bébé a été assassiné sans que nul ne s’en émeuve. On l’a noyé dans les eaux boueuses du racisme et de la haine. Ceux qui étaient sensés lui porter secours étaient eux aussi entre la vie et la mort au bagne de Oualata. Les autres s’étaient exilés et pensaient d’abord à sauver leur propre peau. TABANE lui-même n’avait pas droit à la parole. Seul Moawiya parlait, seul Moawiya avait le droit de respirer à pleins poumons, seul lui pensait et réfléchissait, seul lui disait ce qu’il fallait faire et ce qu’il ne fallait pas faire. Taya pensait, le Baath s’exécutait. Taya ordonnait, le Baath appliquait. L’ILN a été victime de son succès. Les enfants haalpulaar wolofs et soninkés ont été sacrifiés parce que tout simplement, comme tout esclave (ce n’est pas une exagération, c’est ainsi que le baathisme les considère) on avait pas le droit d’être plus beau que le maître, on avait pas le droit de manger mieux que le maître, de s’habiller mieux que le maître, on avait pas le droit d’être savant à la place du maître. Or il était prouvé par les évaluations de l’époque que les enfants haalpulaaren, wolofs ou soninkés qui étaient dans les classes expérimentales avaient un niveau scolaire beaucoup plus élevé que leurs condisciples arabisants. Les enfants de CE2 des classes pulaar avaient très souvent un niveau supérieur aux CM2 arabisants ou francisants. Pour Taya, cela ne s’appelle pas un succès national, un exemple à méditer, mais une faveur non méritée au profit des noirs méprisés. Pour ne pas répéter l’histoire, pour éviter que l’on ne revienne à la situation de l’avant et de l’après indépendance quand les cadres étaient majoritairement noirs, la logique baathiste voulut qu’on stoppa cette expérimentation. Il fallait tuer le poussin dans l’œuf.
L’expérimentation des langues nationales dans le système éducatif était née dans la douleur. Entre 1979 et 1981, contre la circulaire 02 qui renforçait l’arabe dans notre système éducatif, les élèves et étudiants noirs, soutenus par les mouvements politiques noirs, on voulu montrer que contrairement à ce que croit une certaine pensée, la solution à la crise culturelle et éducative ne réside dans une homogénéisation du système par la langue française, mais bien dans la reconnaissance, la valorisation et le développement par la formation et l’éducation dans nos propres langues maternelles. Il s’agira tout simplement pour nous de sortir de cette aberration pédagogique qui veut qu’on apprenne ce qu’on ne connaît pas dans une langue qu’on ne connaît pas. La science que nous recherchons pour nos enfants n’est qu’un contenu, le contenant ne peut être que ce véhicule qu’on a appris tout petit à parler et à maîtriser dans ses nuances et ses subtilités les plus profondes. Loin de toute revendication identitaire, qui pourtant se justifie dans le processus actuel de consolidation de notre unité nationale, la question centrale, celle qui est la seule légitime dans le débat actuel d’une crise sans précédant de notre système éducatif, est quand et comment les langues nationales voleront au secours de nos enfants sacrifiés par l’incohérence d’un système qui pense avant tout politique au lieu de résonner pédagogique. Des pays africains - comme le Burkina Faso ou le Mali - commencent à le comprendre et initient chacun à sa façon des modèles d’introduction d’enseignement dans les langues (et non des langues) dans leurs systèmes éducatifs pour parer aux lacunes et inconvénients de l’apprentissage dans une langue étrangère considérée à tord comme langue d’ouverture (je reviendrai la prochaine fois sur cette question). Mais Taya, en 1980, chef d’état major de la gendarmerie et membre du comité militaire qui avait la charge de négocier avec les leaders politiques noirs après les crises scolaires dont nous avons parlé plus haut, n’avait accepté la création de l’Institut des Langues Nationales que parce qu’il pensait qu’il fallait tout faire pour calmer la situation politique du pays, et que de toutes façons, comme ne cessait de le répéter ses penseurs baathistes, l’ILN ne pourrait pas faire mieux que l’exemple guinéen de Sékou Touré qui a lamentablement échoué face aux langues nationales. Alors, seulement, l’arabisation obligée du système se justifierait. Mais l’histoire ne lui donna pas raison. Il fallut passer par la force. Il fallut cruellement assassiner le beau bébé.
Amadou Alpha BA
L’Institut des Langues Nationales a été la plus belle des aventures que notre pays ait jamais connues. Nous avons pu démontrer à la face du monde que les africains comme le reste du monde pouvaient avoir un système éducatif en cohérence avec leurs valeurs et que nos langues étaient les meilleurs véhicules du savoir pour nos enfants qui les parlaient. L’UNESCO avait fait son évaluation, le document est toujours disponible. Il ne manquait que la volonté politique. Mais l’Institut, avant les milliers de négro-africains de Mauritanie, a été la première victime de ce qu’on appelle aujourd’hui le passif humanitaire de TAYA et ses baathistes. Il a subi la mort la plus atroce de la part du despote, il a été sevré et on lui a coupé les vivres au moment où il en avait le plus besoin. Il a résisté à la soif et à la famine qu’on lui imposait pendant des années, parce que tout simplement il avait la volonté de vivre. Mais un bébé n’a aucune arme contre une mère qui ne veut pas de lui. Le bébé a été assassiné sans que nul ne s’en émeuve. On l’a noyé dans les eaux boueuses du racisme et de la haine. Ceux qui étaient sensés lui porter secours étaient eux aussi entre la vie et la mort au bagne de Oualata. Les autres s’étaient exilés et pensaient d’abord à sauver leur propre peau. TABANE lui-même n’avait pas droit à la parole. Seul Moawiya parlait, seul Moawiya avait le droit de respirer à pleins poumons, seul lui pensait et réfléchissait, seul lui disait ce qu’il fallait faire et ce qu’il ne fallait pas faire. Taya pensait, le Baath s’exécutait. Taya ordonnait, le Baath appliquait. L’ILN a été victime de son succès. Les enfants haalpulaar wolofs et soninkés ont été sacrifiés parce que tout simplement, comme tout esclave (ce n’est pas une exagération, c’est ainsi que le baathisme les considère) on avait pas le droit d’être plus beau que le maître, on avait pas le droit de manger mieux que le maître, de s’habiller mieux que le maître, on avait pas le droit d’être savant à la place du maître. Or il était prouvé par les évaluations de l’époque que les enfants haalpulaaren, wolofs ou soninkés qui étaient dans les classes expérimentales avaient un niveau scolaire beaucoup plus élevé que leurs condisciples arabisants. Les enfants de CE2 des classes pulaar avaient très souvent un niveau supérieur aux CM2 arabisants ou francisants. Pour Taya, cela ne s’appelle pas un succès national, un exemple à méditer, mais une faveur non méritée au profit des noirs méprisés. Pour ne pas répéter l’histoire, pour éviter que l’on ne revienne à la situation de l’avant et de l’après indépendance quand les cadres étaient majoritairement noirs, la logique baathiste voulut qu’on stoppa cette expérimentation. Il fallait tuer le poussin dans l’œuf.
L’expérimentation des langues nationales dans le système éducatif était née dans la douleur. Entre 1979 et 1981, contre la circulaire 02 qui renforçait l’arabe dans notre système éducatif, les élèves et étudiants noirs, soutenus par les mouvements politiques noirs, on voulu montrer que contrairement à ce que croit une certaine pensée, la solution à la crise culturelle et éducative ne réside dans une homogénéisation du système par la langue française, mais bien dans la reconnaissance, la valorisation et le développement par la formation et l’éducation dans nos propres langues maternelles. Il s’agira tout simplement pour nous de sortir de cette aberration pédagogique qui veut qu’on apprenne ce qu’on ne connaît pas dans une langue qu’on ne connaît pas. La science que nous recherchons pour nos enfants n’est qu’un contenu, le contenant ne peut être que ce véhicule qu’on a appris tout petit à parler et à maîtriser dans ses nuances et ses subtilités les plus profondes. Loin de toute revendication identitaire, qui pourtant se justifie dans le processus actuel de consolidation de notre unité nationale, la question centrale, celle qui est la seule légitime dans le débat actuel d’une crise sans précédant de notre système éducatif, est quand et comment les langues nationales voleront au secours de nos enfants sacrifiés par l’incohérence d’un système qui pense avant tout politique au lieu de résonner pédagogique. Des pays africains - comme le Burkina Faso ou le Mali - commencent à le comprendre et initient chacun à sa façon des modèles d’introduction d’enseignement dans les langues (et non des langues) dans leurs systèmes éducatifs pour parer aux lacunes et inconvénients de l’apprentissage dans une langue étrangère considérée à tord comme langue d’ouverture (je reviendrai la prochaine fois sur cette question). Mais Taya, en 1980, chef d’état major de la gendarmerie et membre du comité militaire qui avait la charge de négocier avec les leaders politiques noirs après les crises scolaires dont nous avons parlé plus haut, n’avait accepté la création de l’Institut des Langues Nationales que parce qu’il pensait qu’il fallait tout faire pour calmer la situation politique du pays, et que de toutes façons, comme ne cessait de le répéter ses penseurs baathistes, l’ILN ne pourrait pas faire mieux que l’exemple guinéen de Sékou Touré qui a lamentablement échoué face aux langues nationales. Alors, seulement, l’arabisation obligée du système se justifierait. Mais l’histoire ne lui donna pas raison. Il fallut passer par la force. Il fallut cruellement assassiner le beau bébé.
Amadou Alpha BA