Mémorandum sur les déportés et le passif humanitaire
Face à ce qu'ils considèrent comme une oppression nationale, des cadres négro-africains publient, en avril 1986, un document intitulé 'Manifeste du Négro-mauritanien opprimé' dans lequel ils dénoncent les formes d'oppression vécues, selon eux, par les Noirs en Mauritanie.
Le régime de Maouiya Ould Sid'Ahmed Taya, infiltré par des forces extrémistes panarabistes (nassériste et baathiste), engage l'État dans une action d'épuration ethnique sans précèdent dans l'histoire de la Mauritanie, renvoyant dos à dos les deux communautés.
Le bilan fut très lourd : des centaines d'assassinats, d'exécutions extrajudiciaires, des dizaines de milliers de déportés, des radiations dans l'administration, le privé, les forces armées et de sécurité. Malgré la réprobation internationale et l'action conjuguée de tous les mauritaniens épris de paix et de justice, Maouiya et ses complices préfèrent la fuite en avant.
Il aura fallu le coup de force du 8 juin 2003, l'attaque de Lemgheity et la révolution de palais du 03 août 2005 pour venir à bout d'un régime génocidaire qui avait fini de précipiter le pays dans la déchéance morale.
Depuis, la question du passif humanitaire est toujours reposée sans qu'elle puisse être abordée de manière responsable, politique et juste pour en trouver les solutions les meilleures devant permettre aux Mauritaniens de revivre dans la paix et la sérénité, en harmonie les uns avec les autres.
Les déclarations du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi après son investiture et les décisions qui les ont accompagnées (comité interministériel, commissions techniques) n'ont pas permis à ce jour d'entrevoir une issue heureuse à ce douloureux problème, quand bien même de timides mesures sont prises dans le secret des arcanes de l'Administration (voir à ce sujet le document de travail pour l'organisation du retour des réfugiés et du règlement du passif humanitaire, élaboré par le Comité interministériel en septembre 2007).
Le présent mémorandum de l'Alliance pour la Justice et la Démocratie / Mouvement pour la Rénovation (AJD / MR), élaboré dans la perspective des journées de concertation prochaines, se veut une contribution pour une approche positive au problème et un essai de réconciliation nationale conformément à la Déclaration de Politique Générale du Parti.
Pour parvenir à une réconciliation nationale véritable entre les communautés nationales, l'État doit d'abord manifester une réelle volonté politique et assumer toute sa responsabilité à tout ce qui a été à l'origine de ce mal vivre ensemble.
L'État engagera ensuite les actions adéquates pour ramener la paix dans les cœurs et les esprits en procédant d'une part à la réparation des préjudices subis, et d'autre part en faisant une large concertation entre les différentes parties concernées pour juguler définitivement la question de la cohabitation nationale.
La question du Passif humanitaire étant une question politique complexe, l'AJD/MR propose de l'aborder par étapes. Il faut aussi comprendre qu'elle est d'une importance capitale et elle conditionne la cohabitation entre les différentes Communautés nationales et le devenir de la Mauritanie.
Nous savons que depuis 1960, année qui a vu la Mauritanie accéder à la souveraineté internationale, le pays a été construit par ses dirigeants, sur une fausse conception, celle d'un État exclusivement arabe. Ce qui, de fait, excluait la composante négro-africaine dans les décisions et créait ainsi les conditions d'une convulsion.
Ces convulsions apparaitront dès 1966 avec la publication par des cadres négro-africains du Manifeste dit des 19. Depuis, et à des périodes fréquentes, elles n'ont cessé d'irriguer l'espace public national pour culminer en 1989-1991 au génocide perpétré par le régime de Maouya conte les populations négro-africaines.
La répression du régime de Ould Taya a été particulièrement féroce. La terreur a été utilisée comme méthode de gouvernement. Les citoyens négro-africains étaient considérés comme des sous-hommes. Une destruction massive des vies des populations négro-africaines a été engagée par l'État et ses fonctionnaires (Walis, Préfets, Forces Armées et de Sécurité). Des traitements cruels, inhumains et dégradants furent infligés à de paisibles populations.
Aujourd'hui, il urge de mettre fin aux souffrances de ces populations qui ont été les victimes malheureuses et innocentes d'un régime anthropophage aidé dans sa cynique œuvre par des nationalistes extrémistes nourris à l'idéologie baathiste et nassériste qui ont cru que la seule façon de résoudre le problème de la cohabitation était de vider la Mauritanie de sa composante négro-africaine.
C'était oublier la composition biraciale et multiethnique de la Mauritanie et vouloir fonder une autre Mauritanie. Ce qui est une façon de remettre en cause l'existence même du pays. A ce propos, le premier Président de la République, Me Moktar Ould Daddah l'a si bien exprimé dans son ouvrage La Mauritanie contre vents et marées (Ed. KARTHALA, Paris, 2003) : « la réalité bi-ethnique de la Mauritanie est une réalité qu'aucun dirigeant mauritanien ne peut ignorer sans prendre le risque de remettre en cause l'existence même du pays. Sa connaissance et sa reconnaissance par les responsables mauritaniens sont indispensables pour la construction de la Patrie mauritanienne sur des bases solides » (page 151).
C'est la ferme volonté d'un dirigeant devenu fou d'un jouir de pouvoir à l'extrême qui a permis l'importante fracture nationale et sociale. C'est aussi le refus de reconnaître l'identité nationale Arabe et Négro-africaine par une certaine catégorie d'intellectuels nourrie d'idéologies segmentaires, racistes et narcissiques.
Ces idéologies qui ont infiltré l'ensemble des rouages de l'État et élevé le nationalisme arabe au rang de culte se nomment : baathisme et nassérisme. Pour les tenants de telles théories, la Mauritanie est un pays exclusivement arabe et dont une partie (le sud) est occupée par des étrangers noirs qui se croient en territoire conquis.
La montée dangereuse de ces idéologies explique le lourd passif humanitaire et les graves violations des droits de l'homme qui ont revêtu un caractère génocidaire contre les négro-africains.
Les évènements sont restés gravés dans la mémoire des Mauritaniens qui ne peuvent en aucun cas oublier ce passé horrible et douloureux par simple pertes et profits. Il appartient à l'ensemble du peuple mauritanien donc de rester vigilant et d'être capable de déceler ce qui risquerait de s'avérer une répétition sinistre du passé. Les Mauritaniens ont une dette à l'égard de ceux qui ont connu l'abomination et cette dette implique de ne pas les oublier et de ne pas oublier ce qui s'est passé. Donc un devoir de mémoire s'impose.
Un effort de compréhension est inévitable. Comprendre ce qui s'est passé c'est délivrer les Mauritaniens d'un poids lourd, le poids de la souffrance de ceux qui ont subit des sévices et ont été offensés dans leur humanité même, au point de ne plus pouvoir oublier.
Savoir ce qui s'est passé c'est poser les jalons d'un refus de la répétition et créer les conditions d'une justice équitable. Les crimes qui ont été commis, compte tenu de l'évolution de la Justice Internationale que nous ne pouvons ignorer, sont imprescriptibles, et on ne peut pas les effacer d'un trait de plume par une Assemblée à laquelle le bourreau parle au bourreau, en l'absence de la victime, absence voulue par le bourreau lui-même parce que le rapport de forces du moment est en sa faveur.
Cette anomalie ne peut qu'augmenter la frustration, le ressentiment des victimes, le désir de vengeance et aussi le recours aux juridictions internationales. Le procès contre l'Officier Ely Ould DAH en France en est une parfaite illustration.
Savoir ce qui s'est passé c'est aussi faire la distinction entre un État qui a cru et/ou voulu répondre aux inquiétudes supposées d'une communauté et la communauté elle-même. Ne pas chercher à savoir ce qui s'est passé, c'est favoriser la répétition à l'identique des mêmes évènements parce que, pour les commanditaires, l'œuvre paraitrait inachevée.
L'Alliance pour la Justice et la Démocratie/ Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) tient à lever l'amalgame. Il s'est agi bien d'un État, aidé par des organisations nourries aux idéologies racistes, qui se sont rués contre des populations stigmatisées (les Noirs) pour la solution finale. Une Communauté (les Arabes) ne peut être rendue responsable de ces actes supposés commis en son nom. Le régime de Maouya et les organisations affiliées à ces idéologies racistes portent seuls l'entière responsabilité des événements survenus dans le pays à cette période.
C'est pourquoi, l'AJD/MR insiste sur ce devoir de justice. Le devoir de justice doit permettre de savoir ce qui s'est passé, surprendre les commanditaires, les repérer, les juger s'ils sont reconnus et éviter le recours aux juridictions internationales.
L'État a commis des crimes. Pourquoi les crimes ont-ils été commis ? Qui les a ordonnés ? Comment les pogroms ont-t-ils été exécutés ? Pourquoi ont-ils atteints leur paroxysme en 1990-1991 avec les tueries de plus 500 militaires et civils négro-africains en l'espace de trois mois ? Où reposent les disparus ? Il appartient à la Justice de répondre à ces questions avec toute la rigueur professionnelle, sans complaisance et avec toute l'éthique de la responsabilité dévolue à nos Magistrats.
A la fin de cette phase de justice, qui permettra de connaître la vérité des faits, et d'entamer le travail de deuil, les Mauritaniens pourront entreprendre la Réparation des préjudices et la Réconciliation Nationale. Deux moments seront ici importants. D'une part, la justice poursuivra les auteurs avérés de crimes. L'impunité sera refusée. Il appartiendra à ces criminels de répondre de leurs forfaits. Ici, toute intervention de l'État sera prohibée. Les abus de pouvoirs flagrants perpétrés par les agents de l'État ne seront plus tolérés à l'avenir.
D'autre part, un Conseil National de la Réconciliation sera créé. Il reste entendu que la réconciliation ne doit pas être confondue avec le pardon bien qu'elle puisse en être l'effet éventuellement nécessaire. Au cours de la réconciliation, il s'agira d'apaiser les cœurs et les esprits, d'extirper le mal moral, de renouer la relation entre les victimes et leurs bourreaux, revivre dans les meilleures conditions et de demander à l'État de mettre les citoyens en confiance.
La composition et la mission limitée dans le temps du Conseil National de la Réconciliation feront l'objet d'un décret pris en Conseil des Ministres après des consultations entre les différentes parties (gouvernement, partis politiques, société civile, organisations de rescapés, etc.). Les bourreaux, supposés ou réels, ne peuvent pas être membres de cette instance.
S'agissant des réparations, il s'agira de remettre les victimes dans leurs droits qui ont été spoliés, niés. Un accent particulier sera mis sur la juste réparation. Les réparations peuvent être de plusieurs ordres : remise des pièces d'état-civil, réintégration des fonctionnaires, indemnisations des veuves et orphelins, récupération des maisons d'habitat, des terres de culture, des animaux, etc. Il reste entendu que cette liste n'est pas limitative.
Au cours de la phase de réconciliation, il n'est pas exclu que du pardon soit demandé. Le bourreau se verra, sans complexe mais avec amertume certes, se rendre chez la victime pour lui parler, si cette victime est encore vivante. Le cas des disparus sera d'une extrême difficulté à résoudre. N'étant plus de notre monde, ils ne pourront pas entendre et écouter leurs bourreaux.
L'Alliance pour la Justice et la Démocratie/ Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) demeure convaincue que, conformément aux préceptes de notre Sainte religion, le pardon peut être demandé quelle que soit la nature du crime. Il suffit qu'il provienne du bourreau. La victime après avoir compris ce qui lui est arrivé, pourra répondre favorablement. Son acte dépend de sa seule responsabilité. Elle aura toute la liberté, et aussi sans contrainte, de répondre par oui ou par non. Sans que cela n'ait pour elle de fâcheuses conséquences.
Au cours de la phase de réconciliation et du pardon, l'effort sera entrepris de façon à ne pas confondre le pardon et l'oubli. Pardonner n'est ni oublier ni faire renoncer à la Justice son rôle. Toute confusion, toute équivoque sera levée.
En aucun cas, ni l'État, ni ses démembrements encore moins une quelconque institution ne pourront se substituer aux victimes et aux bourreaux dans l'œuvre de réconciliation et de demande éventuelle de pardon. Leur mission sera de faciliter les retrouvailles entre victimes et bourreaux, de favoriser le retour de la communication. Des séminaires de réconciliation seront organisés dans les langues nationales, en se servant du support des médias publics.
L'Alliance pour la Justice et la Démocratie/ Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) se met au service du peuple mauritanien pour apporter son expérience, sa disponibilité et son expertise dans le domaine pour favoriser l'œuvre de réconciliation.
A la fin de cette étape, et après que la vérité ait éclatée, que les tenants et les aboutissants du mal-vivre mauritanien sont connus, des assises seront convoquées pour un débat national en vue de réaliser un consensus sur les questions essentielles et la meilleure manière d'apurer le passif humanitaire. Le moment venu, les modalités d'organisation du débat national seront déterminées. Il est souhaitable d'engager les discussions dès l'achèvement de l'opération de retour des déportés.
En attendant la mise en place des instruments permettant d'aborder les différentes étapes ci-dessus décrites, à savoir, les impératifs de mémoire, de vérité, de justice, de réparation et réconciliation, des mesures d'apaisement doivent être prises immédiatement.
1. Pour les Déportés :
Il s'agit de créer les conditions les meilleures pour le retour au pays de ceux qui le désirent. Pour cela les opérations suivantes sont nécessaires :
a) Identification des déportés :
a. sur la base des registres disponibles auprès du H.C.R et des autorités des pays d'accueil (Sénégal et Mali notamment)
b. sur la base du témoignage, pour ceux qui n'ont pas été enregistrés sur les listes disponibles (témoignage des chefs de sites de réfugiés, témoignage des notabilités locales, administratives et religieuses en Mauritanie)
c. cette opération devra permettre de recenser l'ensemble des déportés en vue de leur retour au pays et mettre ainsi fin au conflit des « chiffres ». Une attention particulière devra être accordée aux notabilités pour leur sens de responsabilité, leur devoir éthique et moral.
b) Rapatriement des déportés :
a. Création d'une Agence Nationale d'Accueil et d'Insertion des Déportés composée de larges couches de la société (administration, société civile, organisations des rescapées, ONG, etc.). Les bourreaux, réels ou supposés, ne peuvent pas être membres de cette Agence.
b. Création d'Agences régionales dans toutes les wilayas du pays. Elles seront formées à l'image de l'Agence Nationale.
c. Mise en place de sites de transit avec des structures d'accueil des déportés avant leur destination finale
d. Élaboration d'un planning réaliste de retour des déportés (le candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi prévoyait un délai compris entre six mois et un an)
e. Sous l'égide du HCR, prévoir un retour digne et organisé des déportés
f. Restituer aux déportés leurs pièces d'état civil
g. Équiper les sites de transit d'infrastructures de base et de personnel administratif et de sécurité
c) Insertion des déportés :
a. Fournir aux déportés de retour de la nourriture pendant une période minimale de six mois (au moins jusqu'à la prochaine saison des pluies)
b. Restitution des biens des déportés confisqués ou spoliés (maison d'habitation, terres de culture, animaux, etc.)
c. Amélioration des conditions de vie des déportés (cours de rattrapage aux écoliers n'ayant pas le niveau de scolarité requis, par exemple en langue arabe, construction d'écoles et de postes de santé, adduction d'eau potable, assainissement, personnel administratif en particulier des enseignants, infirmiers et sages-femmes)
d. Mettre en place au profit des déportés de retour un système de crédit renouvelable afin de financer les cultures commerciales (périmètres rizicoles) et les petites entreprises
e. Aménagement de périmètres maraîchers, de barrages, routes de désenclavement
f. Reprise des fonctionnaires dans leurs administrations d'origine,
g. Favoriser une équivalence des diplômes aux Mauritaniens de retour avec des diplômes obtenus à l'étranger,
h. Accorder des bourses d'études aux étudiants en formation dans les pays d'accueil,
i. Organiser au profit de certaines catégories des formations dans les Centres d'enseignement professionnel (acquisition de qualifications)
j. Éviter aux déportés de retour des persécutions et intimidations de la part des autorités administratives et des forces de l'ordre
2. Passif Humanitaire :
Dès qu'il est question de Passif Humanitaire, l'opinion a tendance à se focaliser sur les malheureux évènements de 1990-1991. Or, cette acception est réductrice. La vague de répression va de 1986, avec l'arrestation de cadres négro-mauritaniens, supposés ou réels auteurs du 'Manifeste du Négro-mauritanien opprimé' jusqu'à aujourd'hui.
En effet les victimes de ces évènements sont nombreuses et variées. Des cadres ont été radiés des fonctions civiles et militaires, des paysans spoliés de leur terre, des citoyens interdits au concours d'accès aux fonctions militaires et paramilitaires, des parents, des épouses et des orphelins séparés de leurs êtres chers, etc.
A partir de cet instant, il est nécessaire de prendre en compte l'ensemble des victimes et tenter une réconciliation nationale véritable. Pour ce faire, les impératifs décrits ci-dessus, sont opposables aux citoyens mauritaniens et au premier rang desquels, les responsables politiques et administratifs.
Les mesures à prendre dans ce cadre sont :
Remise de leurs pièces d'état civil aux victimes qui en ont été dépossédées
Établissement de la liste des victimes par un recensement exhaustif, non complaisant
réintégration des fonctionnaires et agents de l'État radiés ou suspendus du fait des événements ou leur indemnisation ;
réintégration ou l'indemnisation des militaires révoqués ou mis à la retraire d'office ;
indemnisation des ayant droits, des victimes militaires et civiles (veuves et orphelins) ;
programme d'aide aux femmes et aux familles dirigées par des femmes
réinsertion correcte des rapatriés du Sénégal. L'État devra prendre les dispositions pour défendre leurs intérêts (notamment les pertes subies au Sénégal) ;
organisation de séminaires en langues nationales (arabe, pulaar, soninké et wolof) sur la réconciliation avec un usage des médias publics (radio et télévision)
Ces opérations seront réalisées par l'État qui peut s'assurer le concours des organisations nationales et internationales compétentes, la solidarité nationale et l'aide de pays amis.
Fait à Nouakchott, le 18 novembre 2007
Alliance pour la Justice et la Démocratie (AJD/MR)
Le Bureau Politique
source : AJD / MR
Face à ce qu'ils considèrent comme une oppression nationale, des cadres négro-africains publient, en avril 1986, un document intitulé 'Manifeste du Négro-mauritanien opprimé' dans lequel ils dénoncent les formes d'oppression vécues, selon eux, par les Noirs en Mauritanie.
Le régime de Maouiya Ould Sid'Ahmed Taya, infiltré par des forces extrémistes panarabistes (nassériste et baathiste), engage l'État dans une action d'épuration ethnique sans précèdent dans l'histoire de la Mauritanie, renvoyant dos à dos les deux communautés.
Le bilan fut très lourd : des centaines d'assassinats, d'exécutions extrajudiciaires, des dizaines de milliers de déportés, des radiations dans l'administration, le privé, les forces armées et de sécurité. Malgré la réprobation internationale et l'action conjuguée de tous les mauritaniens épris de paix et de justice, Maouiya et ses complices préfèrent la fuite en avant.
Il aura fallu le coup de force du 8 juin 2003, l'attaque de Lemgheity et la révolution de palais du 03 août 2005 pour venir à bout d'un régime génocidaire qui avait fini de précipiter le pays dans la déchéance morale.
Depuis, la question du passif humanitaire est toujours reposée sans qu'elle puisse être abordée de manière responsable, politique et juste pour en trouver les solutions les meilleures devant permettre aux Mauritaniens de revivre dans la paix et la sérénité, en harmonie les uns avec les autres.
Les déclarations du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi après son investiture et les décisions qui les ont accompagnées (comité interministériel, commissions techniques) n'ont pas permis à ce jour d'entrevoir une issue heureuse à ce douloureux problème, quand bien même de timides mesures sont prises dans le secret des arcanes de l'Administration (voir à ce sujet le document de travail pour l'organisation du retour des réfugiés et du règlement du passif humanitaire, élaboré par le Comité interministériel en septembre 2007).
Le présent mémorandum de l'Alliance pour la Justice et la Démocratie / Mouvement pour la Rénovation (AJD / MR), élaboré dans la perspective des journées de concertation prochaines, se veut une contribution pour une approche positive au problème et un essai de réconciliation nationale conformément à la Déclaration de Politique Générale du Parti.
Pour parvenir à une réconciliation nationale véritable entre les communautés nationales, l'État doit d'abord manifester une réelle volonté politique et assumer toute sa responsabilité à tout ce qui a été à l'origine de ce mal vivre ensemble.
L'État engagera ensuite les actions adéquates pour ramener la paix dans les cœurs et les esprits en procédant d'une part à la réparation des préjudices subis, et d'autre part en faisant une large concertation entre les différentes parties concernées pour juguler définitivement la question de la cohabitation nationale.
La question du Passif humanitaire étant une question politique complexe, l'AJD/MR propose de l'aborder par étapes. Il faut aussi comprendre qu'elle est d'une importance capitale et elle conditionne la cohabitation entre les différentes Communautés nationales et le devenir de la Mauritanie.
Nous savons que depuis 1960, année qui a vu la Mauritanie accéder à la souveraineté internationale, le pays a été construit par ses dirigeants, sur une fausse conception, celle d'un État exclusivement arabe. Ce qui, de fait, excluait la composante négro-africaine dans les décisions et créait ainsi les conditions d'une convulsion.
Ces convulsions apparaitront dès 1966 avec la publication par des cadres négro-africains du Manifeste dit des 19. Depuis, et à des périodes fréquentes, elles n'ont cessé d'irriguer l'espace public national pour culminer en 1989-1991 au génocide perpétré par le régime de Maouya conte les populations négro-africaines.
La répression du régime de Ould Taya a été particulièrement féroce. La terreur a été utilisée comme méthode de gouvernement. Les citoyens négro-africains étaient considérés comme des sous-hommes. Une destruction massive des vies des populations négro-africaines a été engagée par l'État et ses fonctionnaires (Walis, Préfets, Forces Armées et de Sécurité). Des traitements cruels, inhumains et dégradants furent infligés à de paisibles populations.
Aujourd'hui, il urge de mettre fin aux souffrances de ces populations qui ont été les victimes malheureuses et innocentes d'un régime anthropophage aidé dans sa cynique œuvre par des nationalistes extrémistes nourris à l'idéologie baathiste et nassériste qui ont cru que la seule façon de résoudre le problème de la cohabitation était de vider la Mauritanie de sa composante négro-africaine.
C'était oublier la composition biraciale et multiethnique de la Mauritanie et vouloir fonder une autre Mauritanie. Ce qui est une façon de remettre en cause l'existence même du pays. A ce propos, le premier Président de la République, Me Moktar Ould Daddah l'a si bien exprimé dans son ouvrage La Mauritanie contre vents et marées (Ed. KARTHALA, Paris, 2003) : « la réalité bi-ethnique de la Mauritanie est une réalité qu'aucun dirigeant mauritanien ne peut ignorer sans prendre le risque de remettre en cause l'existence même du pays. Sa connaissance et sa reconnaissance par les responsables mauritaniens sont indispensables pour la construction de la Patrie mauritanienne sur des bases solides » (page 151).
C'est la ferme volonté d'un dirigeant devenu fou d'un jouir de pouvoir à l'extrême qui a permis l'importante fracture nationale et sociale. C'est aussi le refus de reconnaître l'identité nationale Arabe et Négro-africaine par une certaine catégorie d'intellectuels nourrie d'idéologies segmentaires, racistes et narcissiques.
Ces idéologies qui ont infiltré l'ensemble des rouages de l'État et élevé le nationalisme arabe au rang de culte se nomment : baathisme et nassérisme. Pour les tenants de telles théories, la Mauritanie est un pays exclusivement arabe et dont une partie (le sud) est occupée par des étrangers noirs qui se croient en territoire conquis.
La montée dangereuse de ces idéologies explique le lourd passif humanitaire et les graves violations des droits de l'homme qui ont revêtu un caractère génocidaire contre les négro-africains.
Les évènements sont restés gravés dans la mémoire des Mauritaniens qui ne peuvent en aucun cas oublier ce passé horrible et douloureux par simple pertes et profits. Il appartient à l'ensemble du peuple mauritanien donc de rester vigilant et d'être capable de déceler ce qui risquerait de s'avérer une répétition sinistre du passé. Les Mauritaniens ont une dette à l'égard de ceux qui ont connu l'abomination et cette dette implique de ne pas les oublier et de ne pas oublier ce qui s'est passé. Donc un devoir de mémoire s'impose.
Un effort de compréhension est inévitable. Comprendre ce qui s'est passé c'est délivrer les Mauritaniens d'un poids lourd, le poids de la souffrance de ceux qui ont subit des sévices et ont été offensés dans leur humanité même, au point de ne plus pouvoir oublier.
Savoir ce qui s'est passé c'est poser les jalons d'un refus de la répétition et créer les conditions d'une justice équitable. Les crimes qui ont été commis, compte tenu de l'évolution de la Justice Internationale que nous ne pouvons ignorer, sont imprescriptibles, et on ne peut pas les effacer d'un trait de plume par une Assemblée à laquelle le bourreau parle au bourreau, en l'absence de la victime, absence voulue par le bourreau lui-même parce que le rapport de forces du moment est en sa faveur.
Cette anomalie ne peut qu'augmenter la frustration, le ressentiment des victimes, le désir de vengeance et aussi le recours aux juridictions internationales. Le procès contre l'Officier Ely Ould DAH en France en est une parfaite illustration.
Savoir ce qui s'est passé c'est aussi faire la distinction entre un État qui a cru et/ou voulu répondre aux inquiétudes supposées d'une communauté et la communauté elle-même. Ne pas chercher à savoir ce qui s'est passé, c'est favoriser la répétition à l'identique des mêmes évènements parce que, pour les commanditaires, l'œuvre paraitrait inachevée.
L'Alliance pour la Justice et la Démocratie/ Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) tient à lever l'amalgame. Il s'est agi bien d'un État, aidé par des organisations nourries aux idéologies racistes, qui se sont rués contre des populations stigmatisées (les Noirs) pour la solution finale. Une Communauté (les Arabes) ne peut être rendue responsable de ces actes supposés commis en son nom. Le régime de Maouya et les organisations affiliées à ces idéologies racistes portent seuls l'entière responsabilité des événements survenus dans le pays à cette période.
C'est pourquoi, l'AJD/MR insiste sur ce devoir de justice. Le devoir de justice doit permettre de savoir ce qui s'est passé, surprendre les commanditaires, les repérer, les juger s'ils sont reconnus et éviter le recours aux juridictions internationales.
L'État a commis des crimes. Pourquoi les crimes ont-ils été commis ? Qui les a ordonnés ? Comment les pogroms ont-t-ils été exécutés ? Pourquoi ont-ils atteints leur paroxysme en 1990-1991 avec les tueries de plus 500 militaires et civils négro-africains en l'espace de trois mois ? Où reposent les disparus ? Il appartient à la Justice de répondre à ces questions avec toute la rigueur professionnelle, sans complaisance et avec toute l'éthique de la responsabilité dévolue à nos Magistrats.
A la fin de cette phase de justice, qui permettra de connaître la vérité des faits, et d'entamer le travail de deuil, les Mauritaniens pourront entreprendre la Réparation des préjudices et la Réconciliation Nationale. Deux moments seront ici importants. D'une part, la justice poursuivra les auteurs avérés de crimes. L'impunité sera refusée. Il appartiendra à ces criminels de répondre de leurs forfaits. Ici, toute intervention de l'État sera prohibée. Les abus de pouvoirs flagrants perpétrés par les agents de l'État ne seront plus tolérés à l'avenir.
D'autre part, un Conseil National de la Réconciliation sera créé. Il reste entendu que la réconciliation ne doit pas être confondue avec le pardon bien qu'elle puisse en être l'effet éventuellement nécessaire. Au cours de la réconciliation, il s'agira d'apaiser les cœurs et les esprits, d'extirper le mal moral, de renouer la relation entre les victimes et leurs bourreaux, revivre dans les meilleures conditions et de demander à l'État de mettre les citoyens en confiance.
La composition et la mission limitée dans le temps du Conseil National de la Réconciliation feront l'objet d'un décret pris en Conseil des Ministres après des consultations entre les différentes parties (gouvernement, partis politiques, société civile, organisations de rescapés, etc.). Les bourreaux, supposés ou réels, ne peuvent pas être membres de cette instance.
S'agissant des réparations, il s'agira de remettre les victimes dans leurs droits qui ont été spoliés, niés. Un accent particulier sera mis sur la juste réparation. Les réparations peuvent être de plusieurs ordres : remise des pièces d'état-civil, réintégration des fonctionnaires, indemnisations des veuves et orphelins, récupération des maisons d'habitat, des terres de culture, des animaux, etc. Il reste entendu que cette liste n'est pas limitative.
Au cours de la phase de réconciliation, il n'est pas exclu que du pardon soit demandé. Le bourreau se verra, sans complexe mais avec amertume certes, se rendre chez la victime pour lui parler, si cette victime est encore vivante. Le cas des disparus sera d'une extrême difficulté à résoudre. N'étant plus de notre monde, ils ne pourront pas entendre et écouter leurs bourreaux.
L'Alliance pour la Justice et la Démocratie/ Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) demeure convaincue que, conformément aux préceptes de notre Sainte religion, le pardon peut être demandé quelle que soit la nature du crime. Il suffit qu'il provienne du bourreau. La victime après avoir compris ce qui lui est arrivé, pourra répondre favorablement. Son acte dépend de sa seule responsabilité. Elle aura toute la liberté, et aussi sans contrainte, de répondre par oui ou par non. Sans que cela n'ait pour elle de fâcheuses conséquences.
Au cours de la phase de réconciliation et du pardon, l'effort sera entrepris de façon à ne pas confondre le pardon et l'oubli. Pardonner n'est ni oublier ni faire renoncer à la Justice son rôle. Toute confusion, toute équivoque sera levée.
En aucun cas, ni l'État, ni ses démembrements encore moins une quelconque institution ne pourront se substituer aux victimes et aux bourreaux dans l'œuvre de réconciliation et de demande éventuelle de pardon. Leur mission sera de faciliter les retrouvailles entre victimes et bourreaux, de favoriser le retour de la communication. Des séminaires de réconciliation seront organisés dans les langues nationales, en se servant du support des médias publics.
L'Alliance pour la Justice et la Démocratie/ Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) se met au service du peuple mauritanien pour apporter son expérience, sa disponibilité et son expertise dans le domaine pour favoriser l'œuvre de réconciliation.
A la fin de cette étape, et après que la vérité ait éclatée, que les tenants et les aboutissants du mal-vivre mauritanien sont connus, des assises seront convoquées pour un débat national en vue de réaliser un consensus sur les questions essentielles et la meilleure manière d'apurer le passif humanitaire. Le moment venu, les modalités d'organisation du débat national seront déterminées. Il est souhaitable d'engager les discussions dès l'achèvement de l'opération de retour des déportés.
En attendant la mise en place des instruments permettant d'aborder les différentes étapes ci-dessus décrites, à savoir, les impératifs de mémoire, de vérité, de justice, de réparation et réconciliation, des mesures d'apaisement doivent être prises immédiatement.
1. Pour les Déportés :
Il s'agit de créer les conditions les meilleures pour le retour au pays de ceux qui le désirent. Pour cela les opérations suivantes sont nécessaires :
a) Identification des déportés :
a. sur la base des registres disponibles auprès du H.C.R et des autorités des pays d'accueil (Sénégal et Mali notamment)
b. sur la base du témoignage, pour ceux qui n'ont pas été enregistrés sur les listes disponibles (témoignage des chefs de sites de réfugiés, témoignage des notabilités locales, administratives et religieuses en Mauritanie)
c. cette opération devra permettre de recenser l'ensemble des déportés en vue de leur retour au pays et mettre ainsi fin au conflit des « chiffres ». Une attention particulière devra être accordée aux notabilités pour leur sens de responsabilité, leur devoir éthique et moral.
b) Rapatriement des déportés :
a. Création d'une Agence Nationale d'Accueil et d'Insertion des Déportés composée de larges couches de la société (administration, société civile, organisations des rescapées, ONG, etc.). Les bourreaux, réels ou supposés, ne peuvent pas être membres de cette Agence.
b. Création d'Agences régionales dans toutes les wilayas du pays. Elles seront formées à l'image de l'Agence Nationale.
c. Mise en place de sites de transit avec des structures d'accueil des déportés avant leur destination finale
d. Élaboration d'un planning réaliste de retour des déportés (le candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi prévoyait un délai compris entre six mois et un an)
e. Sous l'égide du HCR, prévoir un retour digne et organisé des déportés
f. Restituer aux déportés leurs pièces d'état civil
g. Équiper les sites de transit d'infrastructures de base et de personnel administratif et de sécurité
c) Insertion des déportés :
a. Fournir aux déportés de retour de la nourriture pendant une période minimale de six mois (au moins jusqu'à la prochaine saison des pluies)
b. Restitution des biens des déportés confisqués ou spoliés (maison d'habitation, terres de culture, animaux, etc.)
c. Amélioration des conditions de vie des déportés (cours de rattrapage aux écoliers n'ayant pas le niveau de scolarité requis, par exemple en langue arabe, construction d'écoles et de postes de santé, adduction d'eau potable, assainissement, personnel administratif en particulier des enseignants, infirmiers et sages-femmes)
d. Mettre en place au profit des déportés de retour un système de crédit renouvelable afin de financer les cultures commerciales (périmètres rizicoles) et les petites entreprises
e. Aménagement de périmètres maraîchers, de barrages, routes de désenclavement
f. Reprise des fonctionnaires dans leurs administrations d'origine,
g. Favoriser une équivalence des diplômes aux Mauritaniens de retour avec des diplômes obtenus à l'étranger,
h. Accorder des bourses d'études aux étudiants en formation dans les pays d'accueil,
i. Organiser au profit de certaines catégories des formations dans les Centres d'enseignement professionnel (acquisition de qualifications)
j. Éviter aux déportés de retour des persécutions et intimidations de la part des autorités administratives et des forces de l'ordre
2. Passif Humanitaire :
Dès qu'il est question de Passif Humanitaire, l'opinion a tendance à se focaliser sur les malheureux évènements de 1990-1991. Or, cette acception est réductrice. La vague de répression va de 1986, avec l'arrestation de cadres négro-mauritaniens, supposés ou réels auteurs du 'Manifeste du Négro-mauritanien opprimé' jusqu'à aujourd'hui.
En effet les victimes de ces évènements sont nombreuses et variées. Des cadres ont été radiés des fonctions civiles et militaires, des paysans spoliés de leur terre, des citoyens interdits au concours d'accès aux fonctions militaires et paramilitaires, des parents, des épouses et des orphelins séparés de leurs êtres chers, etc.
A partir de cet instant, il est nécessaire de prendre en compte l'ensemble des victimes et tenter une réconciliation nationale véritable. Pour ce faire, les impératifs décrits ci-dessus, sont opposables aux citoyens mauritaniens et au premier rang desquels, les responsables politiques et administratifs.
Les mesures à prendre dans ce cadre sont :
Remise de leurs pièces d'état civil aux victimes qui en ont été dépossédées
Établissement de la liste des victimes par un recensement exhaustif, non complaisant
réintégration des fonctionnaires et agents de l'État radiés ou suspendus du fait des événements ou leur indemnisation ;
réintégration ou l'indemnisation des militaires révoqués ou mis à la retraire d'office ;
indemnisation des ayant droits, des victimes militaires et civiles (veuves et orphelins) ;
programme d'aide aux femmes et aux familles dirigées par des femmes
réinsertion correcte des rapatriés du Sénégal. L'État devra prendre les dispositions pour défendre leurs intérêts (notamment les pertes subies au Sénégal) ;
organisation de séminaires en langues nationales (arabe, pulaar, soninké et wolof) sur la réconciliation avec un usage des médias publics (radio et télévision)
Ces opérations seront réalisées par l'État qui peut s'assurer le concours des organisations nationales et internationales compétentes, la solidarité nationale et l'aide de pays amis.
Fait à Nouakchott, le 18 novembre 2007
Alliance pour la Justice et la Démocratie (AJD/MR)
Le Bureau Politique
source : AJD / MR