Kassataya: Président Ahmed Ould Daddah, bonjour. Vous êtes le président du RFD, le Rassemblement des Forces Démocratiques. Vous êtes le leader du plus important Parti légalement reconnu en Mauritanie. On va commencer par aborder… très rapidement, quatre points. Le premier, c’est ce dialogue auquel vous avez appelé… Le 17 septembre, dans une semaine donc, le Président Ould Abdel Aziz va donner le coup d’envoi de discussions politiques auxquelles vont participer une quarantaine de représentants de partis politiques en Mauritanie mais vous, vous ne participez pas alors que vous aviez appelé à ce dialogue-là. Pourquoi refusez-vous la main tendue du Président Ould Abdel Aziz ?
Ahmed Ould Daddah : Vous avez oublié dans mes titres que je suis Chef de File de l’opposition.
Kassataya : Vous êtes le chef de file de l’opposition, effectivement.
Ahmed ould Daddah : Effectivement, j’ai toujours dit, le RFD a toujours dit, que le dialogue est à la fois la voie que … nous choisissons et aussi la voie la plus civilisée, la plus démocratique. Mais le dialogue aussi a parfois, dans certaines circonstances, des prémices qui sont nécessaires pour son succès. N’oubliez pas qu’il y a eu beaucoup de réunions, il y a eu beaucoup… de kermesses qui avaient été faites dans le passé et que finalement la montagne avait accouché d’une souris. Quand je dis souris, c’est très négatif ; pas seulement le petit animal. Donc … le RFD, tout en maintenant et en confirmant sa position de toujours pour un dialogue ouvert et responsable, a mis quand même un certain nombre de conditions permissives d’un dialogue positif, d’un dialogue susceptible d’aboutir à des résultats attendus par le peuple mauritanien…
Ça ne vous dit rien le fait qu'un accord comme ça, de cette importance, unanime au moment où il avait été conclu, on le rejette comme ça et qu'on aille tête baissée, ventre à terre, pour un nouvel accord ?
Kassataya : … L’opposition avait demandé que les élections soient reportées, le pouvoir a accédé à cette demande, les élections sont reportées, l’opposition avait aussi demandé que les médias soient ouverts à l’opposition, le Président y a accédé. Est-ce que ce ne sont pas des préalables qui auraient dus suffire pour lancer au moins ….
Ahmed ould Daddah : Si vous le permettez, je voudrais rappeler ces conditions qui paraissent très importantes et très raisonnables : considérer l’accord de Dakar comme une base, étant donné que c’est un accord qui avait été fait par l’ensemble de l’opposition sous la supervision, le témoignage tout au moins, de la communauté internationale. Il se trouve que le Chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz ne veut plus entendre parler de l’accord de Dakar. Ça ne vous dit rien le fait qu’un accord comme ça, de cette importance, unanime au moment où il avait été conclu, on le rejette comme ça et qu’on aille tête baissée, ventre à terre, pour un nouvel accord ? Pour nous, l’accord de Dakar est extrêmement important. Il est aussi le signe, le cas échéant, d’une volonté politique de la part du pouvoir. C’est une continuité. C’est pourquoi…
Kassataya : Quels sont les points qui sont dans l’accord de Dakar qui a été signé en 2009, je le rappelle, et que vous ne pouvez pas retrouver dans les quatre points que vous avez proposés et que….
Ahmed Ould Daddah : Si vous permettez, je vais rappeler les autres conditions. Les autres conditions, c’est : l’ouverture des médias officiels dans des conditions convenues et non pas à la carte…
Kassataya : le gouvernement a accédé à cette demande…
Ahmed Ould Daddah : non, le gouvernement… nous, nous voulons qu’il y ait des conditions convenues…
Kassataya : qu’appelez-vous « conditions convenues ? »
Ahmed Ould Daddah : c’est-à dire que l’opposition d’une part, et le pouvoir, les autorités de l’autre, se mettent d’accord sur les conditions d’accès aux médias publics, le mot public est très important, dans des conditions donc qui soient préalablement établies et que le pouvoir ne saurait changer à sa guise, et au saut du lit. Ça n’a pas été fait. Nous avons également considéré comme quelque chose de très important le fait de ne pas réprimer les manifestations pacifiques…
Kassataya : Nous allons en parler tout à l’heure.
Ahmed ould Daddah : …c’est extrêmement important qu’un parti politique, qu’un citoyen puisse s’exprimer librement et pacifiquement, sans être réprimé. Le quatrième point, c’est… les conditions pour que, pour toute élection, tout processus électoral… le pouvoir et l’opposition se mettent d’accord sur ses conditions, sur ses étapes et sur ses résultats, c’est-à-dire que depuis les listes électorales…
Kassataya : et pour discuter de ça vous aviez demandé le report de l’élection qui était prévue en Octobre…
Ahmed Ould Daddah : …et dernièrement, si vous permettez, je termine…et dernière option, pour ne pas oublier…
Kassataya : dernier point
Ahmed Ould Daddah : C’est l’accès égal de tout citoyen à la fonction publique et aux différents emplois de l’Etat, emplois administratifs de l’Etat sans préjudice de son engagement.
Kassataya : si vous posez tous ces points-là comme préalables, de quoi allez-vous discuter à l’ouverture des négociations ? Parce qu’une fois que vous êtes d’accord sur tout ça, il ne reste plus grand-chose.
Ahmed Ould Daddah : Non. Ce sont des conditions préalables dont quatre sont d’ordre légal, garanties par la Constitution et les lois de la République et seul l’accord de Dakar est vraiment un accord, c’est-à-dire qu’il n’est pas prévu par une loi, mais il est prévu par l’accord des parties qui est la loi des parties c’est leur accord…
Kassataya : tout ça n’aurait pas pu faire l’objet…
Ahmed ould Daddah : …et qui a le témoignage aussi de la communauté internationale. Vous savez, c’est très facile à dire, tout ça ne peut pas être. Nous n’avons pas commencé à dialoguer aujourd’hui…
Kassataya : Mais justement !
Ahmed Ould Daddah : …avec Mohamed Ould Adel Aziz. Il y a eu les états généraux, entre guillemets, (c’est moi qui met entre guillemets) de la démocratie, ça a abouti à quoi ?
Kassataya : Vous y aviez participé
Ahmed Ould Daddah : On s’est retiré avant la fin quand on a vu que ça a dérapé ; ça ne les a pas empêché d’utiliser les médias publics pour dire qu’il y a eu unanimité. L’expérience a montré que c’était une fraude. Donc ayant … vécu tout cela, par responsabilité, par volonté politique de ne pas tromper les mauritaniens, nous avons dit, écoutez, mettons cartes sur tables. Nous proposons ces conditions dont quatre sont d’ordre légal et dont l’accord de Dakar qui ne doit pas être mis en cause. Après ça maintenant nous allons discuter. Vous me demandez s’il y a d’autres choses à discuter alors que la Mauritanie est en guerre, alors qu’elle est menacée par le terrorisme, alors qu’il y a quasiment la famine, alors que même un recensement qui doit faire la photographie de tous les mauritaniens est mis en cause par une partie de la communauté nationale qui considère à tort ou à raison qu’elle est exclue, et nous avons demandé à cet égard que ça soit stoppé jusqu’à ce que les conditions….
Kassataya : On en reparlera, Monsieur Ahmed Ould Daddah. Mais là, vous vous ne participez pas à ces discussions qui vont être ouvertes samedi. Boidel Ould Houmeid et Messaoud Ould Boulkheir vont y participer. C’étaient vos compagnons de l’opposition. Est-ce que vous ne craignez pas aujourd’hui, d’abord de payer les frais de cette scission dans l’opposition, puis de passer pour les jusqu’au-boutistes qui veulent avoir tout, tout de suite.
Ahmed Ould Daddah : Ecoutez ; moi je me suis fait une règle de vie, de ne jamais juger mes collègues ou mes anciens collègues…
Kassataya : Mais l’acte politique ?
Ahmed Ould Daddah : Je ne juge pas ce qu’ils font. Ils sont responsables de ce qu’ils font. Et moi je suis, … la Direction de mon parti est responsable de ce que fait le RFD.
Kassataya : La scission, l’affaiblissement de l’opposition ?
Ahmed Ould Dadda : Nous faisons ce que nous croyons être juste, ce que nous croyons servir l’intérêt de la Mauritanie, et ce que nous croyons servir la démocratie … et l’unité nationale. A chacun sa route, à chacun sa méthode et les mauritaniens jugeront et au delà l’histoire jugera.
Kassataya : Vous voulez tout, tout de suite. Vous n’êtes pas…
Ahmed Ould Daddah : Je n’ai rien réclamé. Et d’abord vous avez dit qu’on a demandé le report des élections. Nous n’avons pas demandé. Nous avons demandé que l’opposition et le pouvoir se mettent autour d’une table et définissent les conditions raisonnables et démocratiques qui vont leur permettre de discuter de l’ensemble des problèmes de la Mauritanie et Dieu sait que notre pays a beaucoup de problèmes…
Kassataya : justement, ces problèmes-là on va en parler
Ahmed Ould Daddah : pour pouvoir vraiment avancer d’un pas assuré et avancer dans la clarté.
Kassataya : Parmi ces problèmes, vous avez évoqué celui du recensement, mais on y viendra tout à l’heure. Mais avant, il y a celui de l’esclavage. Il y a eu une manifestation qui a été réprimée mercredi dernier à Noudhibou qui protestait contre un cas d’esclavage. Quelle est votre proposition par rapport à cette question de l’esclavage. Comment pensez-vous pouvoir la prendre en charge pour que ceux qui protestent et ceux qui sont pointés du doigt puissent trouver un terrain d’entente pour qu’on cesse de faire face à ce genre de questions.
Ahmed Ould Daddah : Ecoutez ; en août 1993, au cours d’un Conseil National de l’UFD-en à l’époque, j’avais proposé un processus d’éradication de l’esclavage. J’ai d’abord dit que juridiquement, l’esclavage n’existe plus depuis 1960.
juridiquement ça n'existe plus. Mais nous savons très bien qu'il y avait des pratiques et qu'il y a encore, malheureusement certaines pratiques...
Kassataya : Vous êtes d'accord avec ce que Mohamed Ould Abdel Aziz a dit le 5 maidernier à la télévision mauritanienne « il n y a plus d'esclavage enMauritanie » ?
Ahmed Ouls Daddah : Je veux pouvoir m'exprimer sur cette question. Elle est trop sérieuse pour être bâclée. J'ai dit que j'avais considéré que juridiquement, lesmots ont un sens, juridiquement l'esclavage n'existait plus depuis 1960et que Haidalla [chef de l'Etat de 1981 à 1984] aussi a fait une loiqui ne servait à rien...
Kassataya : en 1981
Ahmed Ould Daddah : ...parce qu’elle n’a été suivie par rien. Elle ignorait la Constitution. La Constitution de 1960 disait que « tous les hommes naissent égaux devant la loi »…
Kassataya : Et dans la pratique ?
Ahmed Ould Daddah : et historiquement, historiquement, c’était à l’époque pour ne pas reconnaître que l’esclavage existe mais c’était bien ça et il y a des circulaires de 1968 du Ministre de la justice, à l’époque Mohamed Lemine Ould Hammoni, et de 1969 du Ministre de la justice après, Maaloum Ould Berham qui lui, est en vie, qui interprétaient cette circulaire et qui disaient à l’administration territoriale que la Constitution a supprimé l’esclavage et que tout litige qui pouvait se présenter entre un ancien esclave et un ancien maître, les autorités administratives doivent prendre cause et partie pour l’ancien esclave.
Kassataya : Vous connaissez des cas où des familles qui pratiquaient l’esclavage ont été sanctionnées par la justice ?
Ahmed ould Daddah : je ne veux pas escamoter cette question. Je vais répondre précisément. J’ai dit que juridiquement ça n’existe plus. Mais nous savons très bien qu’il y avait des pratiques et qu’il y a encore, malheureusement certaines pratiques…
Kassataya : Donc vous n’êtes pas d’accord avec Ould Abdel Aziz quand il dit qu’il n’y a plus d’esclavage en Mauritanie ?
Ahmed Ould Daddah : J’ai dit, dans cette réunion d’août 1993, j’avais dit qu’il faut définir les pratiques esclavagistes. Et qu’il faut aussi prévoir, ça c’est août 1993 ; parce qu’il y a une loi après, on oublie un peutce que moi j’avais dit dans une grande réunion où il y avait près de cent personnes et il y a un procès-verbal, j’ai dit « il faut définir ce que c’est que les pratiques esclavagistes. Quelqu’un qui fait travailler quelqu’un sans le payer, c’est une pratique esclavagiste. Quelqu’un qui vient donner ou demander une autorisation pour un mariage, c’une pratique esclavagiste »…
Kassataya : C’est une pratique qui existe aujourd’hui en Mauritanie ?
Ahmed ould Daddah : j’ai demandé … de définir, égrainer les pratiques esclavagistes et faire un projet de loi sanctionnant obligatoirement toute pratique qui viendrait…
Kassataya : Il y a eu une loi en 2007 qui criminalise, donc pour accéder à votre demande…
Ahmed ould Daddah : il y a eu cette loi en 2007 qui à mon avis d’ailleurs manquait de précision ; parce que moi je voulais enfermer les juges pour que quand on identifie la pratique, le juge soit obligé au moins de prononcer une peine minimale et une … maximale.
Kassataya : Ce qui n’est pas le cas
Ahmed ould Daddah : ce qui n’est pas le cas. Donc cette loi constitue un progrès, mais elle n’est pas complète et elle n’est pas appliquée. Je réponds à votre question. Elle n’est pas appliquée. Nous savons que dans certains coins il y a encore malheureusement certaines pratiques esclavagistes qui sont d’ailleurs du fait parfois de gens, souvent quelqu’un d’un certain âge qui est quelque part dans un coin où il est habitué à un certain mode de vie et aussi l’ancien maître, habitué à se considérer pour ce qu’il n’est pas. Finalement, sans qu’il y ait la pratique comme avant, il y a toujours psychologiquement encore le sentiment de ne pas être libre chez certains anciens esclaves d’un certain âge et le sentiment d’être maitres chez d’anciens maîtres.
Kassataya : Justement par rapport à cette question d’identité, un leader de l’opposition, Boidel Ould Houmeid pour le nommer, a estimé que les haratines faisaient partie de la communauté arabe. Biram Ould Dah, qui est un leader d’une autre organisation estime lui, que les haratines doivent être une entité à part justement pour être…
Ahmed Ould Daddah : Moi je n’entre pas dans ce débat
Kassataya : Comment trancher cette question-là ?
Ahmed Ould Daddah : Je n’entre pas dans ce débat mais je sais que…
Kassataya : Vous escamotez cette fois-ci ?
Ahmed Ould Daddah : Non, je n’escamote pas. Je n’entre pas dans ce débat. Ce n’est pas à moi de définir…
Kassataya : Comment trancher ? Comment l’Etat doit intervenir pour savoir si dans le recensement, par exemple, on va considérer les haratines comme une entité à part ?
Ahmed Ould Daddah : Je considère moi, que lors d’un recensement, tous les mauritaniens, quels qu’ils soient, blancs, ou noirs ou marrons, tout ce qu’on veut, doivent être traités de la même façon. Ils ont les mêmes droits. Ils sont soumis aux mêmes obligations.
Kassataya : Et pour les cases qui sont prévues pour leur appartenance communautaire, comment ça va être défini ?
Ahmed Ould Daddah : Je ne suis même pas pour les appartenances communautaires. Moi, en venant ici, j’ai rencontré un certain nombre de cadres au mois de Novembre ou décembre 92 ; je venais pour être candidat. Des cadres mauritaniens du sud ; c’est-à-dire ce qu’on appelle, je n’aime pas le terme…
Kassataya : les négro-africains, ils s’appellent comme ça eux-mêmes
Ahmed Ould Daddah : …alors il y en a un qui a dit… : « moi j’en ai marre d’être négro-mauritanien. Je voudrais simplement être mauritanien ». Et moi aussi, j’ai marre de ces distinctions. Si l’Etat existe, et s’il remplit son rôle, et s’il est juste, et s’il est à égale distance entre toutes les communautés, et si les lois sont adaptées, on est mauritanien. On est mauritanien et ce n’est pas la couleur de la peau…
Kassataya : Dans la Constitution, on nomme les communautés. On devrait aussi revoir ça ?
Ahmed ould Daddah : A mon avis, dans la mesure où c’est dans la Constitution… Moi je ne l’aurais pas mis dans la Constitution. Parce que pour moi, un mauritanien est un mauritanien. Je ne le reconnais pas par sa couleur. Je le reconnais par son identité, sa conscience d’être mauritanien et par le fait qu’il est né mauritanien ou qu’il l’a choisi. Pour moi d’ailleurs, les gens qui choisissent leur nationalité ne sont pas moins importants que ceux qui naissent avec. Au contraire ceux-là ont choisi. C’est un choix. Alors que vous et moi nous sommes nés mauritaniens. On n’a pas de mérite.
personnellement je suis favorable à tout ce qui apaise, mais je ne suis pas favorable à la libanisation de la Mauritanie...
Kassataya : Il y a d’autres qui ont acquis d’autres nationalités. Le Président en a parlé aussi le 5 mai, ils auraient perdu leur nationalité mauritanienne. Dernière question sur ce sujet-là est-ce que…
Ahmed Ould daddah : Est-ce que j’ai escamoté ? Je suis prêt si j’ai oublié quelque chose à ne pas l’escamoter…
Kassataya : Vous n’avez pas dit comment gérer, trancher l’arabité ou non des haratines, si certains d’entre eux veulent être une identité à part, ni maures ni négro-africains.
Ahmed Ould Daddah : Moi, personnellement, je suis contre le saucissonnage des mauritaniens. On nait mauritanien…
Kassataya : Mais le recensement prévoit de les mettre… prévoit il parait qu’on mette les peulhs et les toucouleurs dans des groupes à part.
Ahmed ould Daddah : A mon avis, c’est une erreur de cloisonner les mauritaniens…
Kassataya : Pour vous, pour régler le problème de l’arabité des haratines, on peut se dire « on ne parle pas des composantes… »
Ahmed Ould Daddah : Pour moi, personnellement, quelqu’un est mauritanien…
Kassataya : …ça devrait suffire ? Les communautés…
Ahmed Ould Daddah :… qu’il soit d’origine berbère, qu’il soit noir, qu’il soit café au lait, qu’il soit café chocolat…
Kassataya : c’est la question des garanties constitutionnelles dont le Président Moktar ould daddah avait parlé d’ailleurs dans ses mémoires, est-ce que ça devrait être… c’est légitime que certaines communautés la reposent aujourd’hui ?
Ahmed ould Daddah : Je vais vous dire une chose : personnellement je suis favorable à tout ce qui apaise, mais je ne suis pas favorable à la libanisation de la Mauritanie…
Kassataya : Ah !
Ahmed Ould Daddah : …et je crois, que s’il y a de bonnes lois, s’il ya de bonnes politiques, les mauritaniens seront fiers d’être mauritaniens…
Kassataya : Des garanties constitutionnelles, ça peut être une bonne loi…
Ahmed Ould Daddah: …qui auront tous les droits qu’a un bon citoyen et seront soumis aux mêmes obligations auxquelles sont soumis tous les bons citoyens.
Kassataya : Des garanties constitutionnelles pour toutes les composantes, ça peut être une bonne loi ou pas ?
Ahmed ould Daddah : Moi, je préfère franchement la common law. Vous savez, quand il y a eu le coup d’Etat en 1978, moi j’étais pendant neuf mois retenu, emprisonné au génie militaire avec tous les membres du gouvernement, avec le président de l’Assemblée Nationale, le regretté Sall Abdoul Aziz yarhamhou. Je me souviens à l’époque, le président de l’Assemblée Sall Abdoul Aziz, le ministre de l’intérieur, Sakho Mamadou, le ministre du développement rural…c’est-à-dire, véritablement toute la Mauritanie était représentée sans qu’il y ait eu besoin de figer les représentations… Si on fige les représentations, d’abord on va se battre sur des pourcentages, ce qui ne favorise pas l’intégration des uns avec les autres ; et ensuite au mieux on va être comme le Liban ; on va se bagarrer périodiquement ; ça va être chevauché par des hommes politiques démagogues, non pas pour favoriser l’intégration, la symbiose pour parler comme le Président Senghor, mais pour favoriser les divisions. Et je vais vous dire une chose : pour moi la Mauritanie c’est un grand fleuve avec des affluents ; elle est la rencontre, le confluent de ses apports culturels, de ses apports ethniques, de ses contributions historiques. Et elle est placée au confluent, à l’intersection du monde arabe, notamment l’Afrique du nord et de l’Afrique de l’ouest. Ça lui donne une grande responsabilité et une position clé qui lui permet, si elle est à la hauteur de sa situation, si elle est en ligne avec son histoire, sa géographie et sa spiritualité, ça lui donne une grande responsabilité pour jouer un rôle de rapprochement, de co-intégration entre ces deux ensembles que tout rapproche : l’histoire, la géographie, l’islam qui est ici le premier facteur politique. On l’oublie ; on n’a même pas le courage de le dire de peur qu’on ne dise pas qu’on est islamiste. On n’est pas islamiste ; on est musulman. On est musulman à 100%. On est sunnite à 100%. Et on est malékite à 100%. Et même les confréries sont les mêmes entre les différentes communautés. Le Liban est un pays arabe à 100% mais il a un déficit religieux, un déficit de subdivision religieuse, etc.
Je vais être très honnête avec vous. Nous avons entendu qu'il y a des problèmes. Nous avons entendu ça au RFD. Nous avons fait une enquête au niveau du parti. Nous n'avons pas vu ça. Et certains d'entre nous sont allés se recenser et n'ont pas vu ça.
Kassataya. La Mauritanie donc un trait d’union comme ça avait été défini par les pères fondateurs du pays, entre arabité aussi et africanité, comme dirait Pierre-Robert Baduel. Aujourd’hui donc vous parlez de fleuve avec plusieurs affluents, ça nous amène à la question du recensement. Aujourd’hui nombreuses familles de ces confluents ou affluents considèrent qu’il y a de puissants barrages qui les empêchent d’accéder à ce fleuve-là. Ce sont notamment ces communautés négro-africaines et haratines qui considèrent que ce recensement a pour objectif d’en faire des minorités scientifiques, pour reprendre le mot de l’un d’entre eux. Qu’est ce que vous pensez de cette situation-là ? Est ce que vous avez le sentiment qu’il y a quelque chose qui est fait quelque part, volontairement ou non, qui concourt à réveiller ces susceptibilités-là ?
Ahmed Ould Daddah : Je vais être très honnête avec vous. Nous avons entendu qu’il y a des problèmes. Nous avons entendu ça au RFD. Nous avons fait une enquête au niveau du parti. Nous n’avons pas vu ça. Et certains d’entre nous sont allés se recenser et n’ont pas vu ça. Mais quand même, nous avons fait…
Kassataya : Certains membres du RFD sont allés se recenser, des négro-africains, ils n’ont pas rencontré ces vexations…
Ahmed Ould Daddah : nous avons fait une déclaration, néanmoins, disant d’abord que ce recensement pêche par toujours l’exercice solitaire du pouvoir. Les partis politiques n’ont pas été informés. Ils n’ont pas été associés. Et nous avons demandé que ça soit arrêté, qu’il y ait des discussions ; et des discussions comme ça nous sommes prêts à les faire avec Aziz. Nous ne mettons aucune condition pour des choses comme ça parce que c’est vital, des discussions sur les conditions de ce recensement. De sorte que ça soit transparent et que tous les mauritaniens sachent, à travers les partis, que ces conditions sont les mêmes pour tout le monde. Malheureusement on ne m’a suivi. Je veux dire Aziz n’a pas écouté comme d’habitude. Il n’a écouté personne et il est allé dans un truc dont les conditions ne sont pas claires. Donc, même si ça se déroule, apparemment, d’une manière non exclusive, il n’empêche que les gens n’ont pas eu confiance dans ça. Et un recensement ne peut se faire correctement que si tout le monde à confiance que les conditions, que les modalités sont les mêmes pour tout le monde et qu’il n’y a pas d’exclusion, et que c’est une affaire qui concerne l’ensemble des mauritaniens.
Kassataya : Entre le réel et le perçu, il y a le ressenti qui, de votre point de vue, devrait suffire à prendre les décisions qui vont apaiser, qui vont rassurer. Que pensez-vous qu’on devrait faire aujourd’hui pour amener ces communautés qui se sentent exclues à se considérer vraiment comme des communautés à part entière en Mauritanie et faire en sorte que les mauritaniens puissent s’entendre au moins sur un minimum pour avancer ensemble et faire avancer le pays. C’est possible ; vous y croyez ?
Ahmed Ould Daddah : En politique, le ressenti peut être plus important que le réel. Il est extrêmement important que chaque mauritanien se sente non exclu, se sente un citoyen à part entière. J’y crois. Si je n’y croyais pas, je n’aurais pas fait de politique. Mais je crois aussi qu’il y des gestes, qu’il y a des initiatives et qu’il y a des procédures qui permettent aux gens qui doutent de pouvoir se rassurer. Il ne sert à rien de courir, comme dirait la fable. Il faut partir à point.
Kassataya : Ahmed Ould Daddah. Dernière question: la libéralisation des ondes, Kassataya vous rencontre ici à Paris. Il y a de l’espoir qu’on refasse un entretien de ce genre à Nouakchott bientôt puisque nous allons postuler pour une fréquence. Comment accueillez-vous cette décision des autorités mauritaniennes de libéraliser enfin les ondes ?
Ahmed Ould Daddah : Comme je vous l’ai dit, la libéralisation des ondes fait partie de nos exigences, de ce que nous considérions et que nous considérons encore comme un préalable à un bon processus démocratique. Mais nous ne l’envisagions pas comme cela, pas comme une libéralisation octroyée. Nous pensons que, pour avoir un sens, pour être perçue d’abord comme une vraie libéralisation et pour être animée ensuite comme telle, il faut que les conditions de gestion et les outils de cette libéralisation, soient convenues d’avance et qu’elles fassent l’objet d’un consensus écrit entre le pouvoir, l’opposition et éventuellement la société civile. Je crois que si on fait les choses après discussions, après écoute des gens et d’une manière consensuelle on aura beaucoup moins de problèmes. Et ce que je reproche à Mohamed Ould Abdel Aziz c’est que c’est un militaire -et il ne faut pas le lui reprocher au fond. Les militaires savent seulement dire « en avant », « à droite », « à gauche ». L’Armée n’est pas vraiment le lieu de débats. C’est un lieu de la discipline, de l’ordre, de la hiérarchie. Mais la politique, les droits de l’homme, le respect de l’autre surtout dans un pays qui a la chance d’être composite, d’avoir plusieurs ethnies, plusieurs communautés et une histoire complexe mais qui n’a jamais été dramatique… vous savez quand il y a eu des petits incidents dramatiques en 1965/66…
Kassataya : Il y en a eu de bien plus dramatiques en 1989
Ahmed Ould Daddah: Oui, en 1966 ça a été rapidement éteint. Ça n’est pas plus grave que parfois ce qui se passe entre deux tribus ou entre deux groupes de soninkés et autres, c’est la vie. Mais ce qui est important c’est que les bases soient saines et que l’Etat soit l’Etat de tout le monde, au dessus des partis, des composantes et des courants politiques. Qu’il soit véritablement l’Etat qui est pour toute la Nation, pour tous les citoyens, qui est le recours et la référence. Malheureusement ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Kassataya : Ahmed Ould Daddah vous revenez de Genève pour participer à la réunion de l’Internationale Socialiste… vous y avez rencontré souvent par le passé certains de vos collègues africains qui sont aujourd’hui devenus chefs d’Etat et qui, d’ailleurs, reçoivent des coups de l’opposition parce qu’ils auraient tourné dictateurs entre guillemets… vous vous sentez, vous, prêts pour éviter un tel piège ? Vous parlez en bon démocrate en tant qu’opposant, vous vous sentez prêt pour éviter les pièges dans lesquels sont tombées ces personnes que vous avez entendues tenir les mêmes discours quand ils étaient opposants comme vous ?
Ahmed Ould Daddah : D’abord je ne jette pas la pierre
Kassataya : Je n’ai nommé personne...
Ahmed Ould Daddah : Je ne jette pas la pierre à mes anciens collègues de l’opposition. J’ai beaucoup de respect pour eux, pour leur combat, pour leur persévérance et je suis sûr qu’au fond ils sont tous démocrates. Je sais que les anglais disent « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Je suis persuadé qu’ils ne se laisseront pas corrompre. Et je crois qu’il faut toujours, quand on accède au pouvoir, savoir que le vrai pouvoir c’est un pouvoir partagé, un pouvoir de consensus. La vraie force d’un dirigeant c’est d’être à l’écoute de ses concitoyens et de trancher, après consultations, et dans le sens de l’intérêt supérieur du pays. Et de ne jamais se laisser entrainer dans des attitudes ou des décisions parcellaires ethnistes ou partisanes. L’Etat c’est la forme la plus achevée de l’organisation d’une société et le chef de l’Etat est véritablement un chef d’orchestre ; il est celui qui doit assurer le consensus, qui doit être à l’écoute de tout le monde et dont la seule boussole doit être l’intérêt de la Nation. Et cet intérêt n’est vraiment un intérêt que s’il est perçu comme tel par l’ensemble des communautés d’une Nation
Kassataya : Ahmed Ould Daddah merci.
Entretien realisé par Abdoulaye Diagana
Source : www.kassataya.com
Ahmed Ould Daddah : Vous avez oublié dans mes titres que je suis Chef de File de l’opposition.
Kassataya : Vous êtes le chef de file de l’opposition, effectivement.
Ahmed ould Daddah : Effectivement, j’ai toujours dit, le RFD a toujours dit, que le dialogue est à la fois la voie que … nous choisissons et aussi la voie la plus civilisée, la plus démocratique. Mais le dialogue aussi a parfois, dans certaines circonstances, des prémices qui sont nécessaires pour son succès. N’oubliez pas qu’il y a eu beaucoup de réunions, il y a eu beaucoup… de kermesses qui avaient été faites dans le passé et que finalement la montagne avait accouché d’une souris. Quand je dis souris, c’est très négatif ; pas seulement le petit animal. Donc … le RFD, tout en maintenant et en confirmant sa position de toujours pour un dialogue ouvert et responsable, a mis quand même un certain nombre de conditions permissives d’un dialogue positif, d’un dialogue susceptible d’aboutir à des résultats attendus par le peuple mauritanien…
Ça ne vous dit rien le fait qu'un accord comme ça, de cette importance, unanime au moment où il avait été conclu, on le rejette comme ça et qu'on aille tête baissée, ventre à terre, pour un nouvel accord ?
Kassataya : … L’opposition avait demandé que les élections soient reportées, le pouvoir a accédé à cette demande, les élections sont reportées, l’opposition avait aussi demandé que les médias soient ouverts à l’opposition, le Président y a accédé. Est-ce que ce ne sont pas des préalables qui auraient dus suffire pour lancer au moins ….
Ahmed ould Daddah : Si vous le permettez, je voudrais rappeler ces conditions qui paraissent très importantes et très raisonnables : considérer l’accord de Dakar comme une base, étant donné que c’est un accord qui avait été fait par l’ensemble de l’opposition sous la supervision, le témoignage tout au moins, de la communauté internationale. Il se trouve que le Chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz ne veut plus entendre parler de l’accord de Dakar. Ça ne vous dit rien le fait qu’un accord comme ça, de cette importance, unanime au moment où il avait été conclu, on le rejette comme ça et qu’on aille tête baissée, ventre à terre, pour un nouvel accord ? Pour nous, l’accord de Dakar est extrêmement important. Il est aussi le signe, le cas échéant, d’une volonté politique de la part du pouvoir. C’est une continuité. C’est pourquoi…
Kassataya : Quels sont les points qui sont dans l’accord de Dakar qui a été signé en 2009, je le rappelle, et que vous ne pouvez pas retrouver dans les quatre points que vous avez proposés et que….
Ahmed Ould Daddah : Si vous permettez, je vais rappeler les autres conditions. Les autres conditions, c’est : l’ouverture des médias officiels dans des conditions convenues et non pas à la carte…
Kassataya : le gouvernement a accédé à cette demande…
Ahmed Ould Daddah : non, le gouvernement… nous, nous voulons qu’il y ait des conditions convenues…
Kassataya : qu’appelez-vous « conditions convenues ? »
Ahmed Ould Daddah : c’est-à dire que l’opposition d’une part, et le pouvoir, les autorités de l’autre, se mettent d’accord sur les conditions d’accès aux médias publics, le mot public est très important, dans des conditions donc qui soient préalablement établies et que le pouvoir ne saurait changer à sa guise, et au saut du lit. Ça n’a pas été fait. Nous avons également considéré comme quelque chose de très important le fait de ne pas réprimer les manifestations pacifiques…
Kassataya : Nous allons en parler tout à l’heure.
Ahmed ould Daddah : …c’est extrêmement important qu’un parti politique, qu’un citoyen puisse s’exprimer librement et pacifiquement, sans être réprimé. Le quatrième point, c’est… les conditions pour que, pour toute élection, tout processus électoral… le pouvoir et l’opposition se mettent d’accord sur ses conditions, sur ses étapes et sur ses résultats, c’est-à-dire que depuis les listes électorales…
Kassataya : et pour discuter de ça vous aviez demandé le report de l’élection qui était prévue en Octobre…
Ahmed Ould Daddah : …et dernièrement, si vous permettez, je termine…et dernière option, pour ne pas oublier…
Kassataya : dernier point
Ahmed Ould Daddah : C’est l’accès égal de tout citoyen à la fonction publique et aux différents emplois de l’Etat, emplois administratifs de l’Etat sans préjudice de son engagement.
Kassataya : si vous posez tous ces points-là comme préalables, de quoi allez-vous discuter à l’ouverture des négociations ? Parce qu’une fois que vous êtes d’accord sur tout ça, il ne reste plus grand-chose.
Ahmed Ould Daddah : Non. Ce sont des conditions préalables dont quatre sont d’ordre légal, garanties par la Constitution et les lois de la République et seul l’accord de Dakar est vraiment un accord, c’est-à-dire qu’il n’est pas prévu par une loi, mais il est prévu par l’accord des parties qui est la loi des parties c’est leur accord…
Kassataya : tout ça n’aurait pas pu faire l’objet…
Ahmed ould Daddah : …et qui a le témoignage aussi de la communauté internationale. Vous savez, c’est très facile à dire, tout ça ne peut pas être. Nous n’avons pas commencé à dialoguer aujourd’hui…
Kassataya : Mais justement !
Ahmed Ould Daddah : …avec Mohamed Ould Adel Aziz. Il y a eu les états généraux, entre guillemets, (c’est moi qui met entre guillemets) de la démocratie, ça a abouti à quoi ?
Kassataya : Vous y aviez participé
Ahmed Ould Daddah : On s’est retiré avant la fin quand on a vu que ça a dérapé ; ça ne les a pas empêché d’utiliser les médias publics pour dire qu’il y a eu unanimité. L’expérience a montré que c’était une fraude. Donc ayant … vécu tout cela, par responsabilité, par volonté politique de ne pas tromper les mauritaniens, nous avons dit, écoutez, mettons cartes sur tables. Nous proposons ces conditions dont quatre sont d’ordre légal et dont l’accord de Dakar qui ne doit pas être mis en cause. Après ça maintenant nous allons discuter. Vous me demandez s’il y a d’autres choses à discuter alors que la Mauritanie est en guerre, alors qu’elle est menacée par le terrorisme, alors qu’il y a quasiment la famine, alors que même un recensement qui doit faire la photographie de tous les mauritaniens est mis en cause par une partie de la communauté nationale qui considère à tort ou à raison qu’elle est exclue, et nous avons demandé à cet égard que ça soit stoppé jusqu’à ce que les conditions….
Kassataya : On en reparlera, Monsieur Ahmed Ould Daddah. Mais là, vous vous ne participez pas à ces discussions qui vont être ouvertes samedi. Boidel Ould Houmeid et Messaoud Ould Boulkheir vont y participer. C’étaient vos compagnons de l’opposition. Est-ce que vous ne craignez pas aujourd’hui, d’abord de payer les frais de cette scission dans l’opposition, puis de passer pour les jusqu’au-boutistes qui veulent avoir tout, tout de suite.
Ahmed Ould Daddah : Ecoutez ; moi je me suis fait une règle de vie, de ne jamais juger mes collègues ou mes anciens collègues…
Kassataya : Mais l’acte politique ?
Ahmed Ould Daddah : Je ne juge pas ce qu’ils font. Ils sont responsables de ce qu’ils font. Et moi je suis, … la Direction de mon parti est responsable de ce que fait le RFD.
Kassataya : La scission, l’affaiblissement de l’opposition ?
Ahmed Ould Dadda : Nous faisons ce que nous croyons être juste, ce que nous croyons servir l’intérêt de la Mauritanie, et ce que nous croyons servir la démocratie … et l’unité nationale. A chacun sa route, à chacun sa méthode et les mauritaniens jugeront et au delà l’histoire jugera.
Kassataya : Vous voulez tout, tout de suite. Vous n’êtes pas…
Ahmed Ould Daddah : Je n’ai rien réclamé. Et d’abord vous avez dit qu’on a demandé le report des élections. Nous n’avons pas demandé. Nous avons demandé que l’opposition et le pouvoir se mettent autour d’une table et définissent les conditions raisonnables et démocratiques qui vont leur permettre de discuter de l’ensemble des problèmes de la Mauritanie et Dieu sait que notre pays a beaucoup de problèmes…
Kassataya : justement, ces problèmes-là on va en parler
Ahmed Ould Daddah : pour pouvoir vraiment avancer d’un pas assuré et avancer dans la clarté.
Kassataya : Parmi ces problèmes, vous avez évoqué celui du recensement, mais on y viendra tout à l’heure. Mais avant, il y a celui de l’esclavage. Il y a eu une manifestation qui a été réprimée mercredi dernier à Noudhibou qui protestait contre un cas d’esclavage. Quelle est votre proposition par rapport à cette question de l’esclavage. Comment pensez-vous pouvoir la prendre en charge pour que ceux qui protestent et ceux qui sont pointés du doigt puissent trouver un terrain d’entente pour qu’on cesse de faire face à ce genre de questions.
Ahmed Ould Daddah : Ecoutez ; en août 1993, au cours d’un Conseil National de l’UFD-en à l’époque, j’avais proposé un processus d’éradication de l’esclavage. J’ai d’abord dit que juridiquement, l’esclavage n’existe plus depuis 1960.
juridiquement ça n'existe plus. Mais nous savons très bien qu'il y avait des pratiques et qu'il y a encore, malheureusement certaines pratiques...
Kassataya : Vous êtes d'accord avec ce que Mohamed Ould Abdel Aziz a dit le 5 maidernier à la télévision mauritanienne « il n y a plus d'esclavage enMauritanie » ?
Ahmed Ouls Daddah : Je veux pouvoir m'exprimer sur cette question. Elle est trop sérieuse pour être bâclée. J'ai dit que j'avais considéré que juridiquement, lesmots ont un sens, juridiquement l'esclavage n'existait plus depuis 1960et que Haidalla [chef de l'Etat de 1981 à 1984] aussi a fait une loiqui ne servait à rien...
Kassataya : en 1981
Ahmed Ould Daddah : ...parce qu’elle n’a été suivie par rien. Elle ignorait la Constitution. La Constitution de 1960 disait que « tous les hommes naissent égaux devant la loi »…
Kassataya : Et dans la pratique ?
Ahmed Ould Daddah : et historiquement, historiquement, c’était à l’époque pour ne pas reconnaître que l’esclavage existe mais c’était bien ça et il y a des circulaires de 1968 du Ministre de la justice, à l’époque Mohamed Lemine Ould Hammoni, et de 1969 du Ministre de la justice après, Maaloum Ould Berham qui lui, est en vie, qui interprétaient cette circulaire et qui disaient à l’administration territoriale que la Constitution a supprimé l’esclavage et que tout litige qui pouvait se présenter entre un ancien esclave et un ancien maître, les autorités administratives doivent prendre cause et partie pour l’ancien esclave.
Kassataya : Vous connaissez des cas où des familles qui pratiquaient l’esclavage ont été sanctionnées par la justice ?
Ahmed ould Daddah : je ne veux pas escamoter cette question. Je vais répondre précisément. J’ai dit que juridiquement ça n’existe plus. Mais nous savons très bien qu’il y avait des pratiques et qu’il y a encore, malheureusement certaines pratiques…
Kassataya : Donc vous n’êtes pas d’accord avec Ould Abdel Aziz quand il dit qu’il n’y a plus d’esclavage en Mauritanie ?
Ahmed Ould Daddah : J’ai dit, dans cette réunion d’août 1993, j’avais dit qu’il faut définir les pratiques esclavagistes. Et qu’il faut aussi prévoir, ça c’est août 1993 ; parce qu’il y a une loi après, on oublie un peutce que moi j’avais dit dans une grande réunion où il y avait près de cent personnes et il y a un procès-verbal, j’ai dit « il faut définir ce que c’est que les pratiques esclavagistes. Quelqu’un qui fait travailler quelqu’un sans le payer, c’est une pratique esclavagiste. Quelqu’un qui vient donner ou demander une autorisation pour un mariage, c’une pratique esclavagiste »…
Kassataya : C’est une pratique qui existe aujourd’hui en Mauritanie ?
Ahmed ould Daddah : j’ai demandé … de définir, égrainer les pratiques esclavagistes et faire un projet de loi sanctionnant obligatoirement toute pratique qui viendrait…
Kassataya : Il y a eu une loi en 2007 qui criminalise, donc pour accéder à votre demande…
Ahmed ould Daddah : il y a eu cette loi en 2007 qui à mon avis d’ailleurs manquait de précision ; parce que moi je voulais enfermer les juges pour que quand on identifie la pratique, le juge soit obligé au moins de prononcer une peine minimale et une … maximale.
Kassataya : Ce qui n’est pas le cas
Ahmed ould Daddah : ce qui n’est pas le cas. Donc cette loi constitue un progrès, mais elle n’est pas complète et elle n’est pas appliquée. Je réponds à votre question. Elle n’est pas appliquée. Nous savons que dans certains coins il y a encore malheureusement certaines pratiques esclavagistes qui sont d’ailleurs du fait parfois de gens, souvent quelqu’un d’un certain âge qui est quelque part dans un coin où il est habitué à un certain mode de vie et aussi l’ancien maître, habitué à se considérer pour ce qu’il n’est pas. Finalement, sans qu’il y ait la pratique comme avant, il y a toujours psychologiquement encore le sentiment de ne pas être libre chez certains anciens esclaves d’un certain âge et le sentiment d’être maitres chez d’anciens maîtres.
Kassataya : Justement par rapport à cette question d’identité, un leader de l’opposition, Boidel Ould Houmeid pour le nommer, a estimé que les haratines faisaient partie de la communauté arabe. Biram Ould Dah, qui est un leader d’une autre organisation estime lui, que les haratines doivent être une entité à part justement pour être…
Ahmed Ould Daddah : Moi je n’entre pas dans ce débat
Kassataya : Comment trancher cette question-là ?
Ahmed Ould Daddah : Je n’entre pas dans ce débat mais je sais que…
Kassataya : Vous escamotez cette fois-ci ?
Ahmed Ould Daddah : Non, je n’escamote pas. Je n’entre pas dans ce débat. Ce n’est pas à moi de définir…
Kassataya : Comment trancher ? Comment l’Etat doit intervenir pour savoir si dans le recensement, par exemple, on va considérer les haratines comme une entité à part ?
Ahmed Ould Daddah : Je considère moi, que lors d’un recensement, tous les mauritaniens, quels qu’ils soient, blancs, ou noirs ou marrons, tout ce qu’on veut, doivent être traités de la même façon. Ils ont les mêmes droits. Ils sont soumis aux mêmes obligations.
Kassataya : Et pour les cases qui sont prévues pour leur appartenance communautaire, comment ça va être défini ?
Ahmed Ould Daddah : Je ne suis même pas pour les appartenances communautaires. Moi, en venant ici, j’ai rencontré un certain nombre de cadres au mois de Novembre ou décembre 92 ; je venais pour être candidat. Des cadres mauritaniens du sud ; c’est-à-dire ce qu’on appelle, je n’aime pas le terme…
Kassataya : les négro-africains, ils s’appellent comme ça eux-mêmes
Ahmed Ould Daddah : …alors il y en a un qui a dit… : « moi j’en ai marre d’être négro-mauritanien. Je voudrais simplement être mauritanien ». Et moi aussi, j’ai marre de ces distinctions. Si l’Etat existe, et s’il remplit son rôle, et s’il est juste, et s’il est à égale distance entre toutes les communautés, et si les lois sont adaptées, on est mauritanien. On est mauritanien et ce n’est pas la couleur de la peau…
Kassataya : Dans la Constitution, on nomme les communautés. On devrait aussi revoir ça ?
Ahmed ould Daddah : A mon avis, dans la mesure où c’est dans la Constitution… Moi je ne l’aurais pas mis dans la Constitution. Parce que pour moi, un mauritanien est un mauritanien. Je ne le reconnais pas par sa couleur. Je le reconnais par son identité, sa conscience d’être mauritanien et par le fait qu’il est né mauritanien ou qu’il l’a choisi. Pour moi d’ailleurs, les gens qui choisissent leur nationalité ne sont pas moins importants que ceux qui naissent avec. Au contraire ceux-là ont choisi. C’est un choix. Alors que vous et moi nous sommes nés mauritaniens. On n’a pas de mérite.
personnellement je suis favorable à tout ce qui apaise, mais je ne suis pas favorable à la libanisation de la Mauritanie...
Kassataya : Il y a d’autres qui ont acquis d’autres nationalités. Le Président en a parlé aussi le 5 mai, ils auraient perdu leur nationalité mauritanienne. Dernière question sur ce sujet-là est-ce que…
Ahmed Ould daddah : Est-ce que j’ai escamoté ? Je suis prêt si j’ai oublié quelque chose à ne pas l’escamoter…
Kassataya : Vous n’avez pas dit comment gérer, trancher l’arabité ou non des haratines, si certains d’entre eux veulent être une identité à part, ni maures ni négro-africains.
Ahmed Ould Daddah : Moi, personnellement, je suis contre le saucissonnage des mauritaniens. On nait mauritanien…
Kassataya : Mais le recensement prévoit de les mettre… prévoit il parait qu’on mette les peulhs et les toucouleurs dans des groupes à part.
Ahmed ould Daddah : A mon avis, c’est une erreur de cloisonner les mauritaniens…
Kassataya : Pour vous, pour régler le problème de l’arabité des haratines, on peut se dire « on ne parle pas des composantes… »
Ahmed Ould Daddah : Pour moi, personnellement, quelqu’un est mauritanien…
Kassataya : …ça devrait suffire ? Les communautés…
Ahmed Ould Daddah :… qu’il soit d’origine berbère, qu’il soit noir, qu’il soit café au lait, qu’il soit café chocolat…
Kassataya : c’est la question des garanties constitutionnelles dont le Président Moktar ould daddah avait parlé d’ailleurs dans ses mémoires, est-ce que ça devrait être… c’est légitime que certaines communautés la reposent aujourd’hui ?
Ahmed ould Daddah : Je vais vous dire une chose : personnellement je suis favorable à tout ce qui apaise, mais je ne suis pas favorable à la libanisation de la Mauritanie…
Kassataya : Ah !
Ahmed Ould Daddah : …et je crois, que s’il y a de bonnes lois, s’il ya de bonnes politiques, les mauritaniens seront fiers d’être mauritaniens…
Kassataya : Des garanties constitutionnelles, ça peut être une bonne loi…
Ahmed Ould Daddah: …qui auront tous les droits qu’a un bon citoyen et seront soumis aux mêmes obligations auxquelles sont soumis tous les bons citoyens.
Kassataya : Des garanties constitutionnelles pour toutes les composantes, ça peut être une bonne loi ou pas ?
Ahmed ould Daddah : Moi, je préfère franchement la common law. Vous savez, quand il y a eu le coup d’Etat en 1978, moi j’étais pendant neuf mois retenu, emprisonné au génie militaire avec tous les membres du gouvernement, avec le président de l’Assemblée Nationale, le regretté Sall Abdoul Aziz yarhamhou. Je me souviens à l’époque, le président de l’Assemblée Sall Abdoul Aziz, le ministre de l’intérieur, Sakho Mamadou, le ministre du développement rural…c’est-à-dire, véritablement toute la Mauritanie était représentée sans qu’il y ait eu besoin de figer les représentations… Si on fige les représentations, d’abord on va se battre sur des pourcentages, ce qui ne favorise pas l’intégration des uns avec les autres ; et ensuite au mieux on va être comme le Liban ; on va se bagarrer périodiquement ; ça va être chevauché par des hommes politiques démagogues, non pas pour favoriser l’intégration, la symbiose pour parler comme le Président Senghor, mais pour favoriser les divisions. Et je vais vous dire une chose : pour moi la Mauritanie c’est un grand fleuve avec des affluents ; elle est la rencontre, le confluent de ses apports culturels, de ses apports ethniques, de ses contributions historiques. Et elle est placée au confluent, à l’intersection du monde arabe, notamment l’Afrique du nord et de l’Afrique de l’ouest. Ça lui donne une grande responsabilité et une position clé qui lui permet, si elle est à la hauteur de sa situation, si elle est en ligne avec son histoire, sa géographie et sa spiritualité, ça lui donne une grande responsabilité pour jouer un rôle de rapprochement, de co-intégration entre ces deux ensembles que tout rapproche : l’histoire, la géographie, l’islam qui est ici le premier facteur politique. On l’oublie ; on n’a même pas le courage de le dire de peur qu’on ne dise pas qu’on est islamiste. On n’est pas islamiste ; on est musulman. On est musulman à 100%. On est sunnite à 100%. Et on est malékite à 100%. Et même les confréries sont les mêmes entre les différentes communautés. Le Liban est un pays arabe à 100% mais il a un déficit religieux, un déficit de subdivision religieuse, etc.
Je vais être très honnête avec vous. Nous avons entendu qu'il y a des problèmes. Nous avons entendu ça au RFD. Nous avons fait une enquête au niveau du parti. Nous n'avons pas vu ça. Et certains d'entre nous sont allés se recenser et n'ont pas vu ça.
Kassataya. La Mauritanie donc un trait d’union comme ça avait été défini par les pères fondateurs du pays, entre arabité aussi et africanité, comme dirait Pierre-Robert Baduel. Aujourd’hui donc vous parlez de fleuve avec plusieurs affluents, ça nous amène à la question du recensement. Aujourd’hui nombreuses familles de ces confluents ou affluents considèrent qu’il y a de puissants barrages qui les empêchent d’accéder à ce fleuve-là. Ce sont notamment ces communautés négro-africaines et haratines qui considèrent que ce recensement a pour objectif d’en faire des minorités scientifiques, pour reprendre le mot de l’un d’entre eux. Qu’est ce que vous pensez de cette situation-là ? Est ce que vous avez le sentiment qu’il y a quelque chose qui est fait quelque part, volontairement ou non, qui concourt à réveiller ces susceptibilités-là ?
Ahmed Ould Daddah : Je vais être très honnête avec vous. Nous avons entendu qu’il y a des problèmes. Nous avons entendu ça au RFD. Nous avons fait une enquête au niveau du parti. Nous n’avons pas vu ça. Et certains d’entre nous sont allés se recenser et n’ont pas vu ça. Mais quand même, nous avons fait…
Kassataya : Certains membres du RFD sont allés se recenser, des négro-africains, ils n’ont pas rencontré ces vexations…
Ahmed Ould Daddah : nous avons fait une déclaration, néanmoins, disant d’abord que ce recensement pêche par toujours l’exercice solitaire du pouvoir. Les partis politiques n’ont pas été informés. Ils n’ont pas été associés. Et nous avons demandé que ça soit arrêté, qu’il y ait des discussions ; et des discussions comme ça nous sommes prêts à les faire avec Aziz. Nous ne mettons aucune condition pour des choses comme ça parce que c’est vital, des discussions sur les conditions de ce recensement. De sorte que ça soit transparent et que tous les mauritaniens sachent, à travers les partis, que ces conditions sont les mêmes pour tout le monde. Malheureusement on ne m’a suivi. Je veux dire Aziz n’a pas écouté comme d’habitude. Il n’a écouté personne et il est allé dans un truc dont les conditions ne sont pas claires. Donc, même si ça se déroule, apparemment, d’une manière non exclusive, il n’empêche que les gens n’ont pas eu confiance dans ça. Et un recensement ne peut se faire correctement que si tout le monde à confiance que les conditions, que les modalités sont les mêmes pour tout le monde et qu’il n’y a pas d’exclusion, et que c’est une affaire qui concerne l’ensemble des mauritaniens.
Kassataya : Entre le réel et le perçu, il y a le ressenti qui, de votre point de vue, devrait suffire à prendre les décisions qui vont apaiser, qui vont rassurer. Que pensez-vous qu’on devrait faire aujourd’hui pour amener ces communautés qui se sentent exclues à se considérer vraiment comme des communautés à part entière en Mauritanie et faire en sorte que les mauritaniens puissent s’entendre au moins sur un minimum pour avancer ensemble et faire avancer le pays. C’est possible ; vous y croyez ?
Ahmed Ould Daddah : En politique, le ressenti peut être plus important que le réel. Il est extrêmement important que chaque mauritanien se sente non exclu, se sente un citoyen à part entière. J’y crois. Si je n’y croyais pas, je n’aurais pas fait de politique. Mais je crois aussi qu’il y des gestes, qu’il y a des initiatives et qu’il y a des procédures qui permettent aux gens qui doutent de pouvoir se rassurer. Il ne sert à rien de courir, comme dirait la fable. Il faut partir à point.
Kassataya : Ahmed Ould Daddah. Dernière question: la libéralisation des ondes, Kassataya vous rencontre ici à Paris. Il y a de l’espoir qu’on refasse un entretien de ce genre à Nouakchott bientôt puisque nous allons postuler pour une fréquence. Comment accueillez-vous cette décision des autorités mauritaniennes de libéraliser enfin les ondes ?
Ahmed Ould Daddah : Comme je vous l’ai dit, la libéralisation des ondes fait partie de nos exigences, de ce que nous considérions et que nous considérons encore comme un préalable à un bon processus démocratique. Mais nous ne l’envisagions pas comme cela, pas comme une libéralisation octroyée. Nous pensons que, pour avoir un sens, pour être perçue d’abord comme une vraie libéralisation et pour être animée ensuite comme telle, il faut que les conditions de gestion et les outils de cette libéralisation, soient convenues d’avance et qu’elles fassent l’objet d’un consensus écrit entre le pouvoir, l’opposition et éventuellement la société civile. Je crois que si on fait les choses après discussions, après écoute des gens et d’une manière consensuelle on aura beaucoup moins de problèmes. Et ce que je reproche à Mohamed Ould Abdel Aziz c’est que c’est un militaire -et il ne faut pas le lui reprocher au fond. Les militaires savent seulement dire « en avant », « à droite », « à gauche ». L’Armée n’est pas vraiment le lieu de débats. C’est un lieu de la discipline, de l’ordre, de la hiérarchie. Mais la politique, les droits de l’homme, le respect de l’autre surtout dans un pays qui a la chance d’être composite, d’avoir plusieurs ethnies, plusieurs communautés et une histoire complexe mais qui n’a jamais été dramatique… vous savez quand il y a eu des petits incidents dramatiques en 1965/66…
Kassataya : Il y en a eu de bien plus dramatiques en 1989
Ahmed Ould Daddah: Oui, en 1966 ça a été rapidement éteint. Ça n’est pas plus grave que parfois ce qui se passe entre deux tribus ou entre deux groupes de soninkés et autres, c’est la vie. Mais ce qui est important c’est que les bases soient saines et que l’Etat soit l’Etat de tout le monde, au dessus des partis, des composantes et des courants politiques. Qu’il soit véritablement l’Etat qui est pour toute la Nation, pour tous les citoyens, qui est le recours et la référence. Malheureusement ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Kassataya : Ahmed Ould Daddah vous revenez de Genève pour participer à la réunion de l’Internationale Socialiste… vous y avez rencontré souvent par le passé certains de vos collègues africains qui sont aujourd’hui devenus chefs d’Etat et qui, d’ailleurs, reçoivent des coups de l’opposition parce qu’ils auraient tourné dictateurs entre guillemets… vous vous sentez, vous, prêts pour éviter un tel piège ? Vous parlez en bon démocrate en tant qu’opposant, vous vous sentez prêt pour éviter les pièges dans lesquels sont tombées ces personnes que vous avez entendues tenir les mêmes discours quand ils étaient opposants comme vous ?
Ahmed Ould Daddah : D’abord je ne jette pas la pierre
Kassataya : Je n’ai nommé personne...
Ahmed Ould Daddah : Je ne jette pas la pierre à mes anciens collègues de l’opposition. J’ai beaucoup de respect pour eux, pour leur combat, pour leur persévérance et je suis sûr qu’au fond ils sont tous démocrates. Je sais que les anglais disent « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Je suis persuadé qu’ils ne se laisseront pas corrompre. Et je crois qu’il faut toujours, quand on accède au pouvoir, savoir que le vrai pouvoir c’est un pouvoir partagé, un pouvoir de consensus. La vraie force d’un dirigeant c’est d’être à l’écoute de ses concitoyens et de trancher, après consultations, et dans le sens de l’intérêt supérieur du pays. Et de ne jamais se laisser entrainer dans des attitudes ou des décisions parcellaires ethnistes ou partisanes. L’Etat c’est la forme la plus achevée de l’organisation d’une société et le chef de l’Etat est véritablement un chef d’orchestre ; il est celui qui doit assurer le consensus, qui doit être à l’écoute de tout le monde et dont la seule boussole doit être l’intérêt de la Nation. Et cet intérêt n’est vraiment un intérêt que s’il est perçu comme tel par l’ensemble des communautés d’une Nation
Kassataya : Ahmed Ould Daddah merci.
Entretien realisé par Abdoulaye Diagana
Source : www.kassataya.com